Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

sans guide dans une carrière que vous ne connaissez pas. Peut-être pourriez-vous prendre une fausse route qui vous égarerait. Marcher plus vite qu'il ne faut pour vous arrêter ensuite et vous endormir sur le chemin, ce ne serait pas avancer. La vanité se glisse bien vite dans la cellule du solitaire. Pour peu qu'il jeûne et qu'il s'isole, il se repaît bien vite de l'idée de son propre mérite; il se méconnaît lui-même; il oublie et son point de départ et le but où il tend; et alors, son cœur et sa langue se répandent au dehors. Il fait aux autres le procès contre l'avertissement de l'Apôtre. Il mange, il dort à discrétion. Personne à qui il doive rendre compte de ses actes. Il s'imagine valoir mieux que tout le reste. On le rencontre dans les villes plus que dans la solitude, et parmi ses frères il affecte une fausse modestie, en même temps qu'il se fait voir dans les embarras et la foule du monde.....

« Ne soyez jamais sans un livre à la main. Sachez par cœur le Psautier tout entier; aimez à vous instruire à fond de la science des Livres saints, et les plaisirs charnels seront pour vous sans attraits..... Soyez toujours occupé à quelque ouvrage, afin que le démon ne vous trouve jamais oisif. Si les apôtres, qui pouvaient vivre de l'Evangile, travaillaient des mains pour n'être à charge à personne; si même ils donnaient aux autres, eux qui, comme parle saint Paul, étaient si bien fondés à recueillir quelque peu de biens temporels, en échange des biens spirituels qu'ils semaient avec profusion; pourquoi ne feriez-vous pas vousmême ce qui doit servir à votre usage..... Tout homme qui vit dans l'oisiveté est en proie à mille désirs. C'est une coutume établie dans les monastères d'Egypte, de n'y recevoir que ceux qui peuvent travailler de leurs mains; et cela, moins pour fournir aux besoins de la vie que pour prévenir ces funestes divagations de l'esprit qui mènent aux plus coupables désordres..... Exercez l'hospitalité avec empressement et sans aucun relâche. C'est encore le précepte de l'Apôtre; c'est-à-dire, ne vous contentez pas d'accueillir les étrangers avec une politesse froide et cérémonieuse qui n'existe que sur les lèvres, mais en les retenant avec affection, de manière à leur laisser croire que leur éloignement vous serait bien plus préjudiciable que leur séjour..... Ne vous arrêtez pas à examiner le mal que font les autres, mais songez seulement au bien que vous devez faire... La vérité n'aime pas à se cacher. Ce n'est point par des bruits sourds et des confidences mystérieuses qu'elle se fait connaître. Que le médisant apprenne à ne pas donner carrière à sa malignité par la peine que vous aurez à l'en

tendre...

« Renonçons au siècle moins par nécessité que par choix. Embrassons la pauvreté pour en recueillir le mérite, non pour en ressentir les rigueurs. Dans les temps malheureux où nous vivons, sous les glaives qui nous menacent de toutes parts, c'est

être assez riche que d'avoir du pain; c'est être trop puissant que d'être libre. Le saint évêque de Toulouse, Exupère, tel que la veuve de Sarepta, manquant de tout, trouve encore le moyen de secourir ses frères dans l'indigence. Consumé par le jeûne, il na de privations que celles des autres. Tout ce qu'il possédait, il s'en est dépouillé pour soulager les membres de Jésus-Christ; et je ne connais rien de riche comme cet évêque qui porte le corps de Jésus-Christ dans une corbeille d'osier, et son sang précieux dans un vase d'argile. Marchez sur les traces de ce grand homme et de tous ceux qui lui ressemblent, et qui, comme lui, sout d'autant plus pauvres et plus humbles, qu'ils sont plus élevés par la dignité de leur sacerdoce. Suivez, dans un parfait dépouillement, Jésus-Christ qui s'est dépouillé de tout. C'est là un sacrifice pénible, difficile, laborieux; mais aussi quelle récompense!»

Comme on le voit, le monde commençait alors à se couvrir de monastères, depuis l'Egypte où ils avaient pris naissance, sous la direction du vénérable Antoine, et depuis Bethléem, où Jérôme transforma en cellule la tente qu'il n'avait dressée qu'un moment dans les déserts de Chalcis, jusqu'aux confins de la Gaule et de l'Espagne. N'y avait-il pas là quelque chose de providentiel ? Qu'ɔn se donne la peine d'y réfléchir, et l'on verra que si le monde s'agite, Dieu le gouverne, Dieu conduit tout à ses destinées. Les monastères en effet prennent en ce moment un caractère grave et nouveau. Ce n'est plus seulement le besoin d'une vie ascétique plus rigoureuse, le désir enthousiaste de la solitude qui pousse tout un peuple d'hommes et de femmes à se séparer de la société. Les monastères ne sont plus un isolement, mais le germe d'une société nouvelle qui se forme au milieu des morcellements de la société ancienne. Quel trouble en effet, dans le monde ! et dans un seul empire qui tomba, que d'empires s'écroulent! Du fond de sa solitude, Jérôme contemple et décrit avec une pittoresque imagination et tout ensemble une remarquable exactitude historique, ces catastrophes contre lesquelles le désert même n'était pas un sûr asile.

A Héliodore. « Je reste épouvanté, écrit-il à Héliodore dans l'éloge funèbre de Népotien; je reste épouvanté à l'aspect des ruines contemporaines amoncelées sous nos yeux. Depuis vingt ans et plus, le sang romain inonde l'espace qui sépare Constantnople des Alpes Juliennes. La Scythie, la Thrace, la Macédoine, la Dardanie, la Dacie, Thessalonique, l'Achaïe, l'Epire, la Dalma tie, l'une et l'autre Pannonie, sont tout à la fois ravagées, disputées, envahies par les Goths, les Sarmates, les Quades, les Alains, les Huns, les Vandales et les Marcomaus. Combien de dames illustres, de vierges consacrées au Seigneur; combien de personnes également respectables par le sang et par Jeurs vertus, n'ont-elles pas été le jouet de leurs brutales fureurs ! Combien d'évêques traînés en captivité, d'apôtres massacrés,

d'églises dépeuplées, de tempies saints renversés, d'autels transformés en écuries par ces barbares? Les reliques des martyrs ont été enlevées de leurs tombeaux. Partout le deuil et les gémissements, partout l'image multipliée de la mort!... D'une extrémité du monde à l'autre, l'empire s'écroule! Quelle noblesse de courage pourrait rester encore à Corinthe, à Athènes, à Lacédémone, aux peuples de l'Arcadie et de la Grèce entière, aujourd'hui qu'ils sont sous le joug des barbares? Et cependant je n'ai fait qu'indiquer quelques villes, autrefois en possession de Souverainetés considérables. L'Orient jusqu'ici semblait être à couvert de ces malheurs; ils ne l'atteignaient que par les nouvelles qui s'en répandaient au loin; mais voilà que dans le cours de l'année qui vient de s'écouler, des loups sortis, non de l'Arabie, mais du milieu des rochers les plus reculés du Caucase, sont venus fondre sur ces vastes provinces avec la rapidité d'un torrent! Que de monastères sont devenus leur proie! que de fleuves ils ont rougi de sang humain ! Antioche assiégée par eux; toutes les villes que baignent l'Halis, le Cydnus, l'Oronte, l'Euphrate, menacées par les armes; des troupeaux de captifs emmenés loin de leur pays; l'Arabie, la Phénicie, la Palestine, l'Egypte, muettes d'épouvante. Non! quand j'aurais cent langues et cent bouches, quand j'aurais une voix éclatante comme l'airain, je ne suffirais pas à raconter tant de maux. Aussi n'est-ce pas une histoire que j'ai entrepris de faire; mais je rappelle seulement nos disgrâces pour les pleurer... » Et plus loin, il s'écrie: « Ce sont nos péchés qui font et les victoires des barbares et les désastres des armées romaines; puis comme si le glaive étranger ne suffisait pas encore à nos calamités, nous nous déchirons par les discordes civiles, plus meurtrières que l'en nemi... Châtiment digne de notre orgueil! nous voulions nous élever, et nous sommes à terre! O honte! ô aveuglement qui surpasse toute croyance! Les légions romaines Sous qui plia l'univers tout entier, vaincues et tremblantes à la vue d'un ennemi qui a peine à se tenir sur ses pieds et qui se croit mort dès qu'il touche à terre; et nous sommes sourds à la voix des prophètes qu'un Seul homme en ferait fuir des milliers ! C'est à la racine du mal qu'il faudrait porter le fer, et nous n'y pensons pas !... J'ai passé les bornes que prescrit une lettre de condoléance; et en voulant vous empêcher de pleurer une seule mort, je n'ai pu me défendre moi-même de pleurer celle du genre humain !... »

A Océanus. Ailleurs, dans l'Eloge de sainte Fabiole, adressé à Océanus, il peint ainsi cette irruption de barbares qui étendit ses ravages jusqu'aux portes de Jérusalem. Tout à coup vint se répandre la nouvelle apportée de différents côtés à la fois, que les Huns, peuple reculé aux extrémités des Palus Méolides, entre les glaces du Tanaïs et la féroce nation des Massagètes, avaient frauchi les rochers du Caucase, que l'on

nomme les barrières d'Alexandre, pour se jeter dans nos provinces: l'alarme et l'épouvante se répandirent à la fois dans tout l'Orient. Ils y venaient par essaims, montés sur de légers chevaux qui les faisaient voir en même temps en mille endroits divers, portant partout le carnage et la consternation... Prévenant par la rapidité de leur marche le bruit qui s'était répandu de leur irruption, on était surpris de les voir au moment où on s'y attendait le moins. Religion, dignité, rien n'était respecté. Les enfants au berceau imploraient vainement la pitié, ils trouvaient la mort avant même d'avoir pu goûter la vie, et tombaient sous le fer meurtrier avant d'avoir pu pressentir leur malheur. Le bruit se répandait de tous côtés qu'ils marchaient sur Jérusalem, dans l'espérance d'y faire un riche butin. On s'occupait activement à en réparer les murs, fort négligés pendant la paix. Antioche était assiégée, et la ville de Tyr travaillait à se retrancher dans son ancienne fle, en rompant la langue de terre qui la joint au continent. Au milieu de ces alarmes, nous crûmes devoir mettre en mer malgré le mauvais temps. Les tempêtes nous paraissaient moins redoutables que l'ennemi. Ce qui nous occupait, c'était moins e soin de notre propre conservation que l'honneur des vierges. Ce qui ajoutait à l'embarras de notre position, c'étaient les dissensions qui régnaient parmi nous, et nos discordes nous exposaient plus encore que les hostilités étrangères. >>

Il fallait que le danger fût bien pressant pour que Jérôme consentit ainsi, même pour un instant, à quitter sa grotte de Bethléem, où il s'était établi, dit-il, et où il se sentait retenu par l'amour des saintes Ecritures. Mais son absence ne fut pas longue et le départ des ennemis lui permit bientôt d'y rentrer. Cependant ce qui se passait en Orient n'était rien en comparaison des ravages que les barbares commettaient en Occident, où les Gaules étaient particulièrement exposées à leurs fureurs. « Si nous avons échappé aux calamités publiques, écrit-il à la veuve Agéruchie, nous qui en sommes les pitoyables restes, c'est à la miséricorde du Seigneur, et non à nos propres mérites que nous en sommes redevables. Une prodigieuse multitude de nations cruelles et barbares s'est emparée de toutes les Gaules. Tout ce qui est entre les Alpes et les Pyrénées, entre l'Océan et le Rhin, a été en proie aux Quades, aux Vandales, aux Sirmates, aux Alains, aux Gépides, aux Hérules, aux Saxons, aux Bourguignons, aux Allemands et aux Pannoniens, qui en out fait un vaste théâtre de deuil. Mayence, cette ville autrefois si considérable, tombée en leur pouvoir, a été ruinée de fond en comble; elle a vu égorger dans ses temples plusieurs milliers de ses habitauts. Reims, cette ville si forte, Amiens, Arras, Térouenne, Tournai, Spire, Strasbourg, toutes ces villes sont aujourd'hui sous la domination des Allemands Les barbares ont ravagé presque toutes les villes d'Aquitaine, de Gascogne et

des provinces lyonnaises et narbonnaises. L'épée au dehors, la faim au dedans, tout conspire à leur ruine. Je ne saurais, sans répandre des larmes, penser à la ville de Toulouse, qui jusqu'ici avait été conservée par les mérites de son saint évêque Exupère. L'Espagne, qui se voit à la veille de sa ruine, et qui se souvient encore de l'irruption des Cimbres, est dans de continuelles alarmes; la crainte lui fait sentir à chaque instant tous les maux que les autres ont déjà soufferts. Je n'en dis pas davantage de peur de paraitre désespérer de la bonté du Seigneur. »>

[ocr errors]

A Principia.- Rome elle-même n'échappa pas à ce désastre. Assiégée par Alaric en 409, elle fut prise et saccagée l'année suivante. « C'était au moment même, dit M. Villemain, où l'éloquent interprète de l'Ecriture méditait sur le plus terrible de ses prophètes, et avait devant les yeux les menaçantes visions d'Ezéchiel. » Il apprend successivement la mort de ses plus chers amis et les périls de Rome; il en est tout accablé; il n'a plus d'autre pensée; il se sent captif dans l'esclavage de ses frères. Il pense nuit et jour à leur malheur commun; il souffre de leurs souffrances, et c'est à peine s'il peut ouvrir la bouche, dans l'inquiétude où le mettait l'issue douteuse du siège de cette capitale. Mais son trouble augmenta tellement lorsqu'on vint lui dire que cette tête de l'empire romain était coupée, qu'il oublia jusqu'à son propre nom et ne sûi que pleurer. Il resta longtemps sans parler ni écrire, comme si le silence seule eût pu convenir à une semblable douleur. C'est ainsi qu'il décrit à la vierge Principia quelques-unes des circonstances qui signalèrent cette catastrophe, dans la lettre où il lui envoyait en même temps l'éloge funèbre de sainte Marcelle. « Ce fut alors que nous apprîmes que Rome, assiégée, avait été réduite à l'huiniliante nécessité de se racheter à prix d'or; et que l'ennemi, après l'avoir dépouillée, était revenu y mettre le siége, afin d'ôter la vie à ses habitants auxquels ils ne restait plus rien à prendre. Ici la voix me manque et les sanglots étouffent mes paroles. Cette ville, qui voyait l'univers à ses pieds, tombe elle-même aux pieds d'un barbare. Elle expire, consumée par la faim avant d'être dévorée par le glaive; et de tant de citoyens, à peine en reste-t-il quelques-uns pour la captivité. On les a vus, poussés par les horreurs de la faim, chercher des aliments dans le crime et dans le meurtre les uns des autres Les horreurs de la famine ont été telles qu'on a vu des malheureux se déchirer les entrailles et se repaître de leur propre sang. On a vu des mères dévorer leurs enfants morts, et leur faire un sépulcre du sein qui leur avait donné la vie. Ce fut durant la nuit, comme autrefois Moab, que Rome fut prise; au milieu des ténèbres que ses murailles furent renversées, que l'infidèle entra dans la ville du Seigneur, viola la majesté de son temple, et fit de la ville sainte un amas de ruines,... donnant les corps de ses saints en proie aux oiseaux du ciel, et leur

chair aux bêtes de la terre, répandant leur sang comme l'eau autour de ses murailles, sans qu'il se trouvat personne pour les enterrer. (Ps. LXXVIII.) O nuit, nuit désastreuse! qui pourrait en raconter les calamités ou les égaler par ses pleurs ? »

Et ailleurs encore, dans une lettre où il adresse au prêtre Gaudence des reproches mérités, il s'écrie en finissant : « Juste ciel ! le monde s'écroule de toutes parts, et nos crimes subsistent toujours parmi ses ruines. Rome, cette illustre cité, la capitale de l'empire romain, vient de s'anéantir dans les flammes d'un vaste incendie. Ses citoyens exilés de ses murs, couvrent toute la surface de la terre; ses temples, si augustes et si saints, ne présentent plus qu'un amas de cendres et de poussière, et nous n'en sommes pas moins les esclaves de nos vices!.... nous lisons dans les Livres saints, que le grand prêtre Aaron alla au-devant des flamnes qui dévoraient Israël, qu'il se tint de bout entre les vivants et les morts, et qu'il fit de sa prière un rempart impénétrable à la violence du feu. Où trouver sur la terre un nouvel Aaron, qui fléchisse la colère du Seigneur? »

A Gaudence.« Où se réfugiaient alors ces restes échappés à la fureur des barbares, ces débris du monde romain? Dans l'asile qu'a vait préparé la piété des descendantes des Scipion et des Marcellus; c'était l'expiation de la conquête de l'univers; ainsi se trouvaient sanctifiées les dépouilles opimes. Chaque jour donc arrivaient à Jérusalem les plus illustres familles ainsi que les plus obscures; confondues dans l'égalité du malheur et de la piété; elles venaient s'abriter à la crèche de Bethleem: les hôtes de ces monastères, c'étaient les débris d'un empire. • « Cependant, dit M. Villemain, tout pauvre qu'il est, Jérôme donne asile dans son monastère à tous ces fugitifs, et s'empresse de nourrir tous ces mendiants; il laisse là toute autre étude pour consoler et secourir. Puis après qu'il s'est longtemps occupé de tout, tenant sa cellule ouverte aux proscrits que le ciel lui envoie, il reprend son travail, il le prolonge, comme à la dérobée pendant les heures de la nuit; il cherche à tromper par cette œuvre le trouble ardent de son âme; et l'imagination toute remplie des malheurs qu'il a vus et des souffrances qu'il a soulagées, il interprète les antiques inalédictions prononcées sur le peuple juif, à la lueur lointaine des feux destructeurs qui ravagent l'Occident. »>

A Læta. Si grand cependant que fût ce bruit d'un monde qui tombait avec tant de fracas, il ne pouvait effrayer la pensée chrétienne ni la distraire de ses profondes et ha bituelles méditations sur les desseins de la Providence. Ce monde qui s'en allait, il avait été condamné; il devait faire place à un monde nouveau. Aussi, au milieu même de sa sympathie pour les malheurs qui accablent Rome, Jérôme, après réflexion, ne peut-il se défendre d'une certaine joie: «Rome, est devenue pour la gentil!!é

une espèce de désert; ces dieux qui recevaient les hommages des nations n'ont plus d'asile que dans les greniers qu'ils habitent avec les oiseaux de nuit. L'étendard de la croix flotte avec honneur parmi nos légions; et ce signe de notre salut relève la pourpre des rois et surmonte l'éclat du diadème. L'Egypte devenue chrétienne a consacré au vrai Dieu les dépouilles de Sérapis; Jupiter tremble pour ses autels. Peuplées de solitaires, l'Inde, la Perse, l'Ethiopie, répandent au loin de saintes colonies. L'Arménien a mis bas son carquois; les Huns font retentir leurs déserts du chant de nos cantiques sacrés. Les Gètes se rassemblent sous leurs tentes, comme en autant d'églises, pour chanter les louanges du Seigneur; et peutêtre qu'ils ne nous disputent la victoire dans les combats que parce qu'ils croient au même Dieu que nous. » Ainsi Rome chrétienne s'élevait sur les ruines de Rome païenne et enivrée du sang des martyrs, au sein même de cette capitale du monde; le christianisme obtenait des victoires qui devaient lui être d'autant plus chères qu'elles semblaient moins attendues. C'est un fait que nous avons déjà eu occasion de remarquer, et qu'on nous permettra de rappeler encore; dans cette même lettre où nous peint les progrès de l'Evangile chez les peuples barbares, Jérôme nous montre dans la maison d'un pontife consacré au culte des idoles, sa petite fille célébrant le nom et faisant retentir les louanges de Jésus-Christ; pendant qu'au déclin de ses années, le pontife, ou plutôt le grand père, aimait à tenir sur ses genoux sa jeune enfant, vouée par sa mère à la virginité chrétienne. Aussi ailleurs, Jérôme célébrant rette victoire, s'écrie-t-il en s'adressant à Rome: « Et toi qui as effacé par la confession du nom chrétien le mot de blasphème que tu portais écrit sur ton front, cité puis sante, maîtresse de l'univers, remplis tes destinées; justifie ce nom de Rome, c'est-àdire de force et d'élévation, en te montrant grande par tes vertus! Ton capitole n'est plus; les autels et les sacrifices de Jupiter sont détruits; pourquoi en retiendrais-tu le nom et les vices? » Ce n'était point assez; il fallait de ces ruines faire sortir un monde nouveau; il fallait donner, non pas seulement à la société chrétienne en général, si dispersée elle-même et si troublée par les barbares, mais à chaque chrétien en particulier, une règle qui le pût guider dans cette confusion du monde. Les monastères avaient la leur; mais si vastes et si nombreux qu'ils fussent, les monastères n'abritaient pas et ne pouvaient abriter toute la famille chrétienne. Si les vierges y entraient, l'enfant et la mère n'y pénétraient pas. Les instructions de Jérôme iront donc les chercher dans cette Rome désolée, dans ce monde condamné qu'ils n'ont pu quitter, et leur porter, avec les renseignements de la religion, les plus douces paroles de la tendresse chrétienne. Jérôme, du fond de sa solitude, a donné sur l'éducation des DICTIONN. DE PATROLOGIE. III.

enfants et des filles en particulier des conseils empreints de la plus haute sagesse, de l'expérience la plus consommée et d'une sollicitude qu'on pourrait presque appeler maternelle. Et pourquoi ne l'appellerait-on pas ainsi, puisque sa prévoyance devance presque habituellement celle de la mère; il avait tant vécu ! Ces lettres sur ce sujet peuvent être considérées comme autant de traités excellents, où un sage instituteur pourra puiser les documents les plus précieux. C'est là que l'immortel archevêque de Cambrai, Fénelon, a puisé les belles pensées qu'il développe dans son livre De l'éducation des filles; et le bon Rollin, dans son Traité des études, convient avec son ingénuité ordinaire « qu'il a beaucoup profité des lettres de saint Jérôme à Læta et à d'autres mères chrétiennes,» Certes, l'autorité de tels hommes en vaut bien d'autres, et leur aveu tout seul suffit à faire l'éloge des lettres du saint docteur. Elles n'ont été dédaignées que par des esprits frivoles, et de nos jours, par ces modernes réformateurs qui ont porté la faux jusque dans le champ sacré de l'éducation; comme si ce n'était pas assez d'avoir corrompu les pères, sans attenter encore à l'innocence des enfants.

Pour donner une idée de ces lettres, nous analyserons, en la reproduisant dans ses parties les plus saillantes, celle qu'il écrivit à Læta pour l'éducation de cette jeune vierge que le vieux pontife Albinus aimait à faire jouer sur ses genoux. « En consacrant votre fille au Seigneur, lui dit-il, vous avez imité l'offrande des premiers-nés qui se pratiquait dans la Loi ancienne. »> Puis venant à l'éducation qu'elle doit lui donner, il ajoute: « Il faut qu'elle apprenne à ne dire et à n'entendre que ce qui peut inspirer la crainte du Seigneur. La joie d'une mère chrétienne doit être d'entendre sa fille prononcer d'une voix faible et d'une langue encore bégayante le doux nom de Jésus-Christ, auquel elle a été vouée dans son baptême. Que les sons encore mal articulés de cette langue délicate s'essayent de bonheur à chanter de pieux cantiques. Veillez avec soin sur le choix de ses compagnes, et ne permettez pas à son cœur de s'ouvrir indiscrètement à des amitiés humaines capables de l'égarer dans les sentiers du vice. Proposez-lui des prix pour lui faire apprendre à lire et à écrire, et stimulez son ardeur pour l'étude par l'espoir de quelques-uns de ces petits cadeaux qui gagnent toujours les enfants de son âge. Par une délicatesse ridicule et cependant ordinaire aux femmes, ne souffrez pas qu'elle s'accoutume à prononcer les mots à demi, ni qu'elle mette son plaisir et son divertissement à jouer, qu'elle contracte de bonne heure l'habitude et le goût du travail. Le dégoût pour l'étude, quand on le prend dans la jeunesse, devient par la suite une incurable prévention. Elle ne doit rien. apprendre dans son enfance qu'elle soit obligée d'oublier dans un âge plus avancé.

25

Donnez-lui une nourrice sage, vertueuse, d'une humeur toujours égale et qui ne soit point sujette à cette intempérance de paroles qui n'est que l'apanage trop ordinaire des femmes de cette condition. Si, engagée dans le siècle, vos devoirs de société ne vous permettent pas de veiller personnel lement sur l'éducation de votre fille, et d'en diriger tous les exercices, appelez auprès de vous un homme capable de soutenir dignement le poids de l'autorité de père et de la sollicitude maternelle; un homme qui ne fasse point métier des nobles fonctions que vous lui déléguez, et qui n'ait pas la prétention de croire qu'il déroge et se rapetisse en se consacrant à de petits détails qui servent de fondements à d'aussi grandes choses; dont les discours enfin, les manières, les démarches soient autant de leçons de vertu. Que son maître soit l'ange gardien de sa pudeur, et comme le compagnon de sa sainteté. Ne souffrez auprès d'elle aucun domestique suspect, qui, infecté de la corruption du siècle, lui en inspirerait les maximes et corromprait son innocence par une funeste contagion. Que son vêtement même l'instruise de sa destinée. » Il rapporte divers exemples de parents qui avaient été punis de Dieu, pour n'avoir pas donné à leurs enfants une éducation convenable, et il ajoute : « Si les parents sont responsables de la conduite de leurs enfants, quand ils sont avancés en âge et déjà maîtres d'eux-mêmes, à combien plus forte raison doivent-ils l'être de ceux qui ne font que de naître, et à qui la faiblesse de l'âge ne permet pas de discerner le bien d'avec le mal. Il vous était libre d'offrir votre fille au Seigneur ou de ne pas la lui offrir; mais la consécration que vous lui en avez faite, avant même qu'elle fût conçue, vous met aujourd'hui dans l'obligation indispensable de la lui conserver, et Vous ne pouvez sans crime manquer à ce devoir. Quand elle commencera à croître en âge, en grâce et en sagesse devant Dieu et devant les hommes, qu'elle aille avec sa famille au temple de son véritable Père; mais qu'elle ne sorte pas seule, et jamais hors de la ville. Eloignez-la des tables somptueuses et des grands repas; craignez pour elle l'affluence des convives et les piéges de la sensualité. Il est bon qu'elle ait encore faim au sortir de table; il est bon qu'elle éprouve même quelquefois des privations, afin de n'oublier jamais qu'elle est sur la terre aux mêmes conditions que tant d'autres, à qui la nature a refusé même le nécessaire. Toutefois, si elle en a besoin, on peut lui permettre l'usage de la viande et même d'un peu de vin pour fortifier son estomac. On peut aussi lui permettre l'usage des bains, mais avec la plus grande réserve et sous l'oeil de sa mère. A ceux qui vous diront que l'opulence de la condition, les bienséances du rang, l'habitude d'une vie délicate exigent une nourriture plus recherchée, répondez hardiment par le précepte de l'Evangile : Il faut choisir entre

Jésus-Christ et le monde. S'il est indifférent à Dieu que l'estomac soit plus ou moins chargé, il ne lui est pas indifférent qu'on soit plus ou moins à lui, et il n'y a que la sobriété et l'abstinence qui soient la sauvegarde de la pureté des sens et de la fidélité à son service.

[ocr errors]

a Surtout éloignez de ses regards et de ses mains, ces œuvres de théâtre qui ne respirent que la corruption et le mensonge. Quelle imprudence si vous laissiez approcher de ses lèvres une coupe qui lui paraîtrait ne contenir que du miel, et qui ne recélerait que du poison. Imprimez à son âme l'aversion la plus invincible, pour toute parole deshonnête et pour les chansons profanes; qu'elle en ignore jusqu'au nom, s'il est possible, ou qu'elle ne les connaisse que pour en détester les auteurs et les organes. » Cependant le moment est venu de choisir entre l'éducation publique et l'éducation privée. Notre saint docteur tranche la question. Selon lui, ce n'est pas sous les yeux de leurs parents que les jeunes gens de l'un et de l'autre sexe doivent être élevés. « Que les maisons conscrées au Seigneur soient le premier asile qui s'ouvre à l'innocence, et en quelque sorte le berceau où les enfants reçoivent le lait d'une doctrine salutaire: Nuiriatur in monasterio; sit inter virginum choros. Les regrets que leur absence coûtera sont encore préférables aux alarmes continuelles que leur causerait le péril où les engage le séjour habituel des maisons séculières, livrées trop souvent à la licence, et presque toujours à la dissipation. Melius est tibi desiderare absentem, quam pavere ad singula. » Pourtant des enfants ne sauraient rester totaleruent étrangers à leurs familles, il faut bien qu'ils y reviennent de temps à autre; mais alors de combien de précautions ne doit-on pas environner leur innocence, pour que rien ne parvienne à leurs oreilles de contraire a l'honnêteté chrétienne. « Ni concert profane, ni propos équivoque, dit-il à Læta, que votre fille n'entende et ne dise jamas rien qui ne respire la candeur et la pureté. Qu'elle reste sourde à tous les instruments de musique et qu'elle ignore même l'usage de la flûte, de la harpe et du luth; qu'elle lise tous les jours quelque beau passage de l'Ecriture sainte et qu'on l'oblige à rendre un compte exact de ses lectures. Si vous la gardez à la maison, soyez sa compagne la plus assidue. Quand elle ira à l'église, aux veilles des grandes solennités, qu'elle demeure toujours près de vous et qu'elle ne s'en écarte jamais. Proposez-lui pour modèle de conduite une fille d'un âge déjà avancé, d'une foi pure, d'une vie irréprochable, d'une chasteté reconnue; qui l'habitue par ses exemples à se lever la nuit pour vaquer à la prière et à la psalmodie, à chanter des hymnes dès le matin, puis aux heures de tierce, sexte, none et vêpros. Qu'elle passe tout le jour dans ces exercices et que la nuit s'y trouve égale ment employée. Que la lecture succède à

« ZurückWeiter »