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cernement n'était ni assez éclairé, ni assez étendu. Il laisse la plupart des difficultés sans leur donner les éclaircissements nécessaires, et il prend quelquefois ses aftirmations pour des preuves. On pourra s'en convaincre facilement par l'analyse que nous en donnons.

Hugues ne pouvant concilier le sentiment du Vénérable Bède sur l'époque de l'Incarnation, avec les opinions émises par Denys le Petit, consulta Hériger, qui dans sa réponse s'explique non-seuleinent sur cette difficulté, mais encore sur l'année de la Passion et sur le temps de la Pâque. Sur le temps de la Passion, il fait voir que le texte de Denys est contraire à celui de l'Evangile, et qu'on doit s'en rapporter là-dessus au témoignage de saint Jean, qui compte quatre fêtes de Pâques, depuis là prédication de Jésus-Christ jusqu'à sa mort; de sorte qu'ayant commencé à prêcher à l'âge de trente ans, on doit mettre sa passion au commencement de sa trente-quatrième année. Il fait sur les jours de la naissance et de la mort de Jésus-Christ divers raisonnements d'où il résulte, selon lui, qu'il est mort le même jour qu'il avait été conçu dans le sein de la sainte Vierge. Puis, combinant le cycle de Denys le Petit avec celui des Grees, il montre que ce qui fait la pre mière année de l'Incarnation, d'après leur calcul, est la neuvième d'après celui de Denys; ce qui occasionne entre eux une différence de huit années. Il remarque que les Orientaux célébraient quelquefois la pâque avant les Juifs; et il en donne pour raison que, ne connaissant d'autre cycle que Je solaire, ils fixaient toujours l'équinoxe au 25 mars, et le jour de la paque au 27; tandis que les Juifs, qui suivaient le cycle lunaire, ne célébraient cette fête que le quatorzième de la lune après l'équinoxe, ou quelque jour de la semaine que ce quatorzième arrivât; ce qui retardait quelque fois cette célébration jusqu'au mois d'avril. Il remarque aussi que plusieurs parmi les Latins et parmi les Grecs croyaient que le Sauveur était mort le même jour qu'il avait été conçu, c'est-à-dire le 25 de mars. Il cite entre autres saint Chrysostome, saint Augustin et saint Fulgence. Mais sur le jour de la célébration de la pâque, il pense qu'il s'en faut tenir au concile de Nicée, sans avoir égard aux diverses supputations des anciens. Il parle d'une hérésie qui s'était élevée depuis peu à ce sujet, et dit que Gerbert l'avait combattue par l'autorité du concile de Tolède. Hériger était vieux et malade lorsqu'il dicta cette lettre, et sa vue commençait à s'affaiblir; c'est pourquoi il veut qu'on l'excuse, si on la trouve moins polie et moins travaillée qu'on aurait le droit de l'attendre. Certes, ce défaut se pardonuerait facilement s'il y avait apporté plus de clarté et de précision. Où avait-il lu que le paralytique de trente-huit ans, guéri miraculeusement par Jésus-Christ, fût le même qui lui donna un soufflet au jour de sa Passion? Le passage qu'il allègue là

dessus ne prouve rien. En récompense de la peine qu'il s'était donnée pour lever ses doutes, il soumet lui-même à Hugues quelques diflicultés dont il lui demande l'éclaircissement. Nous ne savons ce que ce dernier répondit à ses questions; et nous n'avons que les premières lignes de la lettre qu'il écrivit à Hériger sur l'opposition de sentiments entre Denys le Petit et le Vénérable Bède, au sujet du cycle pascal de l'Incarna

tion.

Sur le temps de l'Avent. On a vu dans d'autres articles que l'on ne s'accordait pas alors sur le nombre des jours et des semaines dont l'Avent devait être composé. Hériger écrivit sur ce sujet un traité en forme de dialogue entre lui et Adelbolde, alors clerc de l'Eglise de Liége et depuis évêque d'Utrecht, dans lequel il montrait par des raisons plausibles que c'était aller contre l'institution des Pères, que d'admet tre plus de quatre dimanches dans l'Avent, lorsque Noël tombe un lundi. Ce traité n'a jamais été publié; Aubert Lemire le cite parmi les manuscrits de l'abbaye de Gemblours.

Du corps et du sang du Seigneur. — Hériger, suivant le témoignage des deux écrivains qui nous servent de guides, avait ende Jésus-Christ, dans lequel il avait recueilli core composé un traité du corps et du sang un grand nombre de passages des Pères de l'Eglise contre Paschase Ratbert. La notice qu'ils nous donnent de cet ouvrage convient parfaitement à l'écrit que le P. Célot tit imprimer sans nom d'auteur, à la suite de son histoire de Gothescale; mais nous montrerons ailleurs que ce traité anonyme est l'ouvrage de Gerbert, connu sous le nom de Sylvestre II. Celui d'Hériger aura probablement eu le même sort que son dialogue sur la durée de l'Avent. Du reste on sait que dans ces écrits sur l'Eucharistie il s'agissait moins du fond du dogme que de la manière dont s'étaient exprimés quelques auteurs en traitant ce mystère.

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AUTRES ÉCRITS D'HÉRIGer. Les autres écrits d'Hériger sont la Vie de sainte Berlende ou Bellende, vierge de Merbek dans le Brabant, morte au commencement du vir siècle. Cette Vie a été publiée par Bollaudus et depuis par dom Mabillon, qui la donne à notre auteur, mais en la distinguant d'une relation des miracles de la même sainte, composée par un clerc de Merbek. L'Histoire de saint Landelin, premier fondateur de Laubes. Cette histoire se lit sans nom d'auteur à la suite de celle de saint Ursmar, que personne ne conteste à Hériger. Cette raison a paru suffisante à dom Mabillon pour l'attribuer au même poëte, surtout à cause de la ressemblance de la versification et de l'étymologie commune qu'on y donne du mot Crispin, l'an des monastères fondés dans le Hainaut par le même saint, qui le nomme ainsi de la limpidité de ses eaux. La Vie de saint Landoald, prêtre et un des compagnons de saint Amand, évêque de Maestricht, avec l'his

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toire de la translation des reliques de Windobaim à Gand, fut écrite par Hériger, à la demande et sur les mémoires de Notger, évêque de Liége, qui l'approuva et y mit son sceau. Ce fait est attesté par un auteur contemporain, moine de Saint-Bavon à Gand, qui dit que Notger fournit les mémoires, et qu'Hériger leur prêta son style. On la trouve dans Surius et dans l'Histoire des évêques de Liége. Le commentaire qu'il composa sur l'Abacus ou tables de Gerbert n'a pas encore été imprimé, mais on en trouve plusieurs copies manuscrites dans les bibliothèques. Quelques-uns lui ont attribué un Traité des offices divins. Il n'en est rien dit dans Sigebert, ni dans les Gestes des abbés de Laubes. On y voit seulement qu'il composa en l'honneur de saint Thomas deux antiennes, dont la première commençait par ces mots: 0 Thoma Didyme, et la seconde par ceux-ci : 0 Thoma apostole, une nymne à la Vierge Ave per quam, et quelques autres pièces de ce genre, dont le continuateur de cet ouvrage n'a pas cru devoir rendre compte.

Hériger écrivait passablement en prose, et à son époque c'en était assez pour avoir une réputation d'éloquence; mais il s'en faut que sa poésie soit bonne. Il avait de Térudition, quelque peu de critique; mais pas assez pourtant pour rejeter les pièces supposées. Il en sentait seulement la fausseté; mais dans l'impossibilité de se la démontrer à lui-même, il se laissait entraîner par les opinions vulgaires. Cependant d'habiles critiques remarquent qu'il aimait mieux dire vrai que d'affecter de passer pour éloquent en débitant des choses fabuleuses. Sil a donné dans quelques erreurs historiques, c'est que la lumière lui a manqué.

HERIMAN, abbé de Saint-Martin. Hé riman ou Herman naquit à Tournai, vers l'an 1091, d'une famille aussi distinguée par la noblesse de sa naissance que par ses vertus. Son père, Raoul d'Osmunt, suivit l'aîné de ses fils, qui, à peine âgé de sept ans, alla de lui-même se mettre sous la discipline du célèbre Odon, alors abbé de Saint-Martin de Tournai, Il emmena avec lui les trois autres, au nombre desquels était Hériman. Il tit de grands progrès dans les lettres, sous la direction de ce pieux et savant abbé, et dès sa jeunesse il montra un goût prononcé pour les anciens monuments de l'histoire. Son monastère n'en possédait presque aucun, pas même ses propres titres, dont une incur sion des Normands l'avait dépossédé. Cette perte, jointe à l'abandon dans lequel il était demeuré à la suite de ces ravages, avait tellement fait oublier son origine, qu'on le regardait presque comme nouveau, lorsque l'abbé Odon entreprit de le rétablir. Cependant, comme on apprit, vers l'an 1117, que l'abbaye de Ferrières, dans le diocèse de Sens, conservait quelques chartes concernant le monastère de Saint-Martin, Hériman fut député deux ans après pour les aller recouvrer; mais l'abbé de Ferrières, dans la crainte d'offenser un seigneur voisin qu'elles

intéressaient, refusa de s'en dessaisir. Hériman n'était encore que sous-diacre. A son retour, il fut élevé successivement au diaconat et à la prêtrise. Son père, qui occupait la charge de prieur, étant mort vers l'an 1123, il fut jugé digne de le remplacer ; mais il ne garda ce poste que six mois, au bout desquels il demanda et obtint sa déposition. Comme il avait une excellente main pour écrire, une partie de ses loisirs fut consacrée à copier des livres. Néanmoins sa principale occupation, après les exercices réguliers, fut la méditation des livres saints, dont il acquit une grande connaissance, jointe à une égale facilité pour expliquer aux autres les vérités qu'il y découvrait. Ces belles qualités, soutenues d'une rare modestie, le rendirent fort cher à ses supérieurs, qui l'engagèrent à faire souvent en leur présence des exhortations à la communauté. Par là il acquit une telle habitude de parler en public, qu'il devint un des plus fameux prédicateurs de son siècle. Aussi, après la mort de l'abbé Ségard, arrivée au mois de février de l'an 1127, n'hésitat-on pas à lui conférer la place vacante, en considération de son mérite. Cependant, s'il faut en croire l'historien du Vénérable Hugues, alors prieur de Saint-Martin avant de devenir abbé de Marchiennes, la bonté apparente de ce choix fut bien démentie par l'événement. Hériman, suivant cet auteur, s'acquitta fort mal des fonctions abbatiales, tant les vertus privées sont des garants peu sûrs d'une sage adminisiration. On vit dans sa personne un abbé fier, capricieux, dissipé, succéder à un religieux doux, modeste, appliqué, plein de ferveur. Son exemple ne manqua pas d'influer sur la communauté. Les moines de Saint-Martin devinrent aussi méconnaissables que celui qui les gouvernait. Le prieur Hugues cependant, toujours fidèle à ses devoirs, ne cessait d'avertir l'abbé en secret et les religieux publiquement de se corriger. Désolé que de part et d'autre on ne tint nul compte de ses remontrances, il demanda la permission de passer dans un autre monastère. Mais cette grâce lui ayant été refusée, il eut recours à Dieu, l'implora avec larmes, et ses vœux pour le rétablissement du bon ordre furent enfin exaucés. En 1137, Hériman fut attaqué d'une paralysie qui lui fit faire des retours sur lui-même. Hugues profita de ses bons moments pour l'engager à donner sa démission. Il vint à bout de l'obtenir, et aussitôt il fit nommer à sa place Wauthier ou Gauthier, qui gouverna sagement. Tel est le tableau raccourci que l'historien en question nous trace de l'administration d'Hériman. Un écrivain domestique, comme nous aurons occasion de le voir, nous le représente sous des couleurs bien différentes; mais l'un et l'autre conviennent du fait et de la date de l'abdication. L'incommodité d'Hériman ne fut ni incurable ni mortelle, et vers l'an 1140, il se trouva en état d'entreprendre le voyage de Rome, comme député du clergé de Tournai, vour obtenir le rétablissement

du siége épiscopal de cette ville. Son voyage fut heureux: il en rapporta une bulle du Pape Innocent II, qui retirait le clergé et le peuple de Tournai de la juridiction de l'évêque de Noyon, et leur permettait de se choisir un évêque. En conséquence, ils élurent Absalon, abbé de Saint-Amand; mais quand il fut question de le faire sacrer, l'archevêque de Reims, Samson, à qui cette fonction était dévolue en sa qualité de métropolitain, refusa son ministère. Ce refus, inspiré par la crainte du duc de Vermandois, dont l'évêque de Noyon était parent, ne déconcerta point les Tournaisiens. Hériman fut député une seconde fois à Rome, en 1142, à la tête d'autres membres du clergé. L'évêque de Noyon les ayant suivis de près, l'affaire fut plaidée contradictoirement devant le Pape en plein consistoire. Hériman parla pour son Eglise de manière à faire impression sur ses juges. Déjà la balance commençait à pencher du côté des Tournaisiens, mais, s'il faut en croire la chronique, cinq cents marcs d'argent distribués par l'évêque de Noyon aux officiers du Pape y rétablirent l'équilibre. Ainsi on ne décida rien et l'affaire fut renvoyée au prochain concile; mais la mort d'Innocent II, arrivée l'année suivante, l'empêcha de se réunir. Ses successeurs, Célestin II et Lucius II, occupèrent trop peu de temps le Saint-Siége pour donner leur attention à ce procès, qui fut repris sous le pontificat d'Eugène III, et, par les soins d'Hériman, jugé définitivement en 1146, à l'avantage de l'Eglise de Tournai. Nous avons rapporté ce fait avec quelque étendue, parce qu'il tient à la biographie de notre héros, et pour n'avoir pas à y revenir, en rendant compte de son histoire. La croisade publiée en 1147 fit naître à Hériman la dévotion d'aller visiter les saints lieux, à la suite des princes français. Il les accompagna en effet dans ce pèlerinage, et à partir de ce moment, on ignore les circonstances de sa vie et de sa mort. Quelques-uns disent qu'il périt dans une bataille; d'autres qu'il fut fait captif par les infidèles. Nous avons trop peu de renseignements pour opter entre ces deux opinions.

Son Histoire. Hériman, doué, comme nous l'avons dit, d'un goût naturel pour les études historiques, entreprit dès sa jeunesse d'écrire l'histoire du rétablissement de son monastère. Il en avait même déjà tracé plusieurs faits sur le parchemin, lorsqu'un scrupule lui fit abandonner la tâche et déchirer ce qu'il avait écrit. Il craignit de passer pour adulateur envers les restaurateurs de cette maison, s'il publiait leurs actions mémorables de leur vivant. Mais dans le second voyage que les affaires de l'Eglise de Tournai le forcèrent de faire à Rome, prévoyant que son séjour dans cette ville serait assez long, il reprit ce travail d'autant plus volontiers, que les personnes dont il avait à parler avantageusement n'existaient plus. Son voyage coïncidait avec la cinquantième année qui suivit la restauration du monastère de Saint-Martin, comme il le remarque

lui-même dans la préface adressée à ses confrères. Cet ouvrage est intéressant, nonseulement pour l'histoire monastique, mais aussi pour l'histoire civile et ecclésiastique du pays, dont l'auteur mêle plusieurs traits importants dans sa narration. Voici quelques-uns de ceux qui nous ont 'paru dignes de piquer la curiosité du lecteur.

Baudouin, surnommé à la Hache, comte de Flandre, bannit de ses terres la rapine et le brigandage par des actes d'une sévérité éclatante. Investi de sa principauté par le roi Louis le Gros, dit Hériman, dans un âge encore tendre, adolescentulum, et avant même d'avoir été fait chevalier, necdum militem factum, il assemble aussitôt ses Etats, et oblige les seigneurs à promettre qu'ils garderont la paix entre eux et la justice envers tout le monde. Les malintentionnés se flattèrent que cette promesse pourrait être impunément violée, sous un prince trop jeune, selon eux, pour avoir la force de la faire exécuter; mais il montra bientôt qu'on s'était trompé. Deux mois s'étaient à peine écoulés, depuis la tenue des Etats, qu'une pauvre femme s'étant venue plaindre à lui d'un gentilhomme qui lui avait enlevé deux vaches, il se mit immédiatement en devoir de lui rendre justice. Le coupable n'était pas éloigné; Baudouin monte à cheval, va le saisir, et l'amène, pieds et poings liés, dans la ville de Bruges. En vain les parents et les amis accoururent pour lui demander grâce; le comte fut inexorable. Comme ils se bornèrent ensuite à demander qu'on lui évitât la honte d'être pendu et d'avoir les yeux crevés, Baudouin voulut bien le promettre; mais en même temps on apporta par son ordre une grande chaudière pleine d'eau et sous laquelle on alluma un grand feu. Lorsque l'eau fut bouillante, il y fit jeter le gentilhomme, et s'acquitta ainsi de sa parole et de ce qu'il crut devoir à la justice.

Voici un autre exemple de la sévérité du même comte. Dans le village de Torholt, près de Bruges, dix gentilshommes des mieux apparentés volèrent un marchand qui se rendait à la foire. Baudouin, l'ayant appris, court à la poursuite des voleurs, les atteint, les investit dans une maison isolée où ils avaient été contraints de se réfugier. Aussitôt leurs familles, alarmées, accoururent offrir au comte tout ce qu'il voudrait pourleur épargner la mort. Celui-ci pour toute réponse pria les parents d'attendre qu'il eût parlé aux coupables, puis il entra dans la maison, et, sans plus de préambule, il commanda à ses gens de les pendre. Ceux-ci le priant de les dispenser de cette exécution pour ne pas les exposer au ressentiment éternel de leur famille, Baudouin adressa la parole aux dix gentilshommes en ces termes: « Que celui d'entre vous qui veut éviter la mort se dispose à pendre immédiatement son compagnon. » Neuf s'étant acquittés réciproquement de ce ministère, il ordonna au dixième de monter sur un banc et de s'attacher lui-même au con la corde qui avait étranglé les autres. Le misérable obéit.

Baudouin, au lieu de lui faire grâce, renverse le banc d'un coup de pied et le laisse ainsi suspendu à deux coudées au-dessus du sol. If sort ensuite et dit aux parents: « Vous pouvez entrer maintenant et les emmener; mais ayez soin de les avertir que dorénavant ils ne commettent plus de semblables désordres sur mes terres. » Et immédiatement il monta à cheval et partit. Les parents pénétrèrent ensuite dans la maison, mais le spectacle qui s'offrit à leurs yeux les força de s'enfuir épouvantés. Ce fut en réprimant ainsi le brigandage que Baudouin parvint à rétablir l'ordre et le caline dans ses Etats. Ipérius rapporte les mêmes faits dans sa Chronique de Saint-Bertin.

Charles le Bon, son successeur, ne montra pas moins de zèle à protéger les opprimés, quoique par des actes moins sanguinaires. Il s'en tint aux menaces, qui eurent presque toujours l'effet qu'il désirait. Le trait suivant, rapporté par notre auteur, peint à merveille la piété de ce prince et son amour pour la justice. Un jour de l'Epiphanie, comme il tenait sa cour à Berg Saint-Vinok, il aperçut l'abbé de Saint-Bertin dans ses appartements : « Mon Père, lui dit-il, en l'approchant, qui donc a chanté aujourd'hui la grand'messe dans votre église ? » Sur la réponse de l'abbé qu'on n'avait pu manquer de célébrant pour cet office, puisqu'il y avait plus de cent religieux dans la communauté : « C'est vrai, lui répondit le prince, mais vous eussiez dû vous acquitter vous-même de cette fonction, assister au réfectoire et donner à vos religieux qui ont veillé toute la nuit une bonne réfection, plutôt que de vous rendre à ma cour. Seigneur, répondit l'abbé, j'aurais mieux aimé certainement chanter aujourd'hui la messe dans mon église, si cela m'eût été libre, que de me trouver ici, mais tel gentilhomme, (qu'il nomma,) m'enlève une terre que mon abbaye possède tranquillement depuis soixante ans ; c'est ce qui m'oblige de recourir à vous. Il eût sufi, répartit le comte, que vous me l'eussiez fait savoir par un de vos gens, car mon devoir est de vous défendre, comme le vôtre est de prier pour moi et pour mes États. >> Aussitôt il imande le gentilhomme en question, et voyant qu'il n'apportait que de mauvaises raisons, il lui ordonne de restituer sans délai le fonds qu'il avait usurpé: « Car je vous jure, ajouta-t-il, par l'âme du comte Baudouin, que si je reçois de nouvelles plaintes à cet égard, je vous ferai bouillir dans la chaudière, comme il fit bouillir votre semblable dans la ville de Bruges. >>> L'usurpateur n'attendit pas que le prince en vint aux effets et se hâta de mettre ses ordres à exécution.

L'anecdote suivante, rapportée par Hériman, mérite encore de trouver ici sa place. La princesse Clémence, veuve de Robert le Jeune, comte de Flandre, et mariée en secondes noces à Godefroy le Barbu, comte de Louvain, avait engagé Baudouin, comte de Hainaut, à épouser sa nièce. Les promesses

avaient été faites par serment, en présence de plusieurs témoins. Mais, avant le jour marqué pour le mariage, ce prince changea de résolution et donna sa main à Yolande, fille de Gérard, comte de Bamberg. La comtesse, outrée de cet affront, en porta ses plaintes au Pape Calixte, son frère, qui venait d'être élevé sur le Saint-Siége. Calixte partage son ressentiment et écrit à l'archevêque de Reims, Raoul le Vert, pour lui enjoindre de venger au plus tôt un tel parjure. Raoul, sur cet ordre, convoque une assemblée d'évêques et d'abbés, devant lesquels il fait citer le comte de Hainaut. L'accusé comparait et convient qu'il a promis d'épouser la nièce de la comtesse; mais il oppose à cette promesse le mariage solennel qu'il a contracté depuis avec une autre. Du reste, il déclare qu'il est prêt à se soumettre au jugement du concile. Les prélats, après avoir délibéré sur cette affaire, la trouvèrent si épineuse, qu'ils crurent devoir en renvoyer la décision au Pape. Flatté de ce renvoi, Calixte rassemble le Sacré-Collége, ne doutant point que le résultat du consistoire ne fût favorable à la comtesse de Louvain. La flatterie, en effet, porta les cardinaux à déclarer que le premier engagement du comte devait avoir son effet au préjudice du second. Comme chacun à l'envi s'efforçait d'appuyer ce jugement de raisons spécieuses, le Pape s'aperçut que le cardinal Brunon, personnage d'un grand poids, gardait un profond silence. Il l'invite à dire son avis; le cardinal lui répond modestement qu'il ne lui convient pas de contredire seul le sentiment de tous les autres. Calixte le presse, en vertu de la sainte obéissance, de dire nettement sa pensée Alors Brunon, reprenant les moyens allégués de part et d'autre et les pesant avec soin, fit d'abord observer que le premier engagement n'avait été accompagné que du serment, au lieu que dans l'autre il y avait eu sacrement, bénédiction du prêtre et consommation charnelle de mariage. Il produisit ensuite plusieurs canons des conciles et décisions des saints docteurs qui établissaient clairement qu'un mariage aussi solennel ne pouvait se dissoudre, et qu'on devait par conséquent se contenter de mettre le comte en pénitence à cause de son parjure, mais nullement le séparer de sa nouvelle épouse. Le Pape et tout le Sacré-Collége à son exemple applaudirent à cet avis. On dépêcha promptement des courriers en France pour en porter la nouvelle au comte de Hainaut. La princesse, qui par là se trouva répudiée, était Adélaïde, fille de Hubert II, comte de Maurienne, et de Gisle, sœur de Clé! mence et de Calixte, la même, dit notre auteur, qui peu après épousa le roi de France Louis le Gros, et se vit ainsi très-amplement dédommagée de la perte qu'elle avait faite, ou plutôt de l'injure qu'elle avait subie. Il y a dans ce récit un anachorisme qu'il faut nécessairement rectifier si l'on veut soutenir le fond de l'histoire : c'est qu'Adélaide était mariée à Louis le Gros

DICTIONNAIRE DE PATROLOGIE.

dès l'an 1115, quatre ans avant le pontificat
de Calixte II, comme on le voit par une
charte de ce prince, datée de 1122 la qua-
torzième année de son règne, et la septième
de la reine Adélaïde. Si le fait rapporté par
Hériman est réel, ce n'est donc point sous
Calixte, mais sous Pascal II, qu'il doit être
arrivé.

Dans tout le cours de son Histoire, Hériman montre le même éloignement de la flatterie qu'il avait témoigné dès le début. On pourrait même l'accuser jusqu'à un certain point d'avoir donné dans l'excès opposé, surtout en parlant des évêques de Noyon qui gouvernaient en même temps le diocèse de Tournai. Il semble cependant qu'il aurait dû épargner Radbod II, prélat à qui son monastère avait de grandes obligations. Levasseur n'a pu s'empêcher de lui reprocher son ingratitude envers cette mémoire, qui devait être vénérée par la plume de l'écrivain. Du reste son exemple peut servir de preuve que la reconnaissance n'a pas toujours porté les moines à canoniser leurs bienfaiteurs. Hériman n'est pas plus indulgent envers la cour de Rome. Il blâme ouvertement la conduite que tint le Pape Grégoire VII dans ses différends avec l'empereur Henri IV. Il accuse les Romains d'attirer à eux toutes les affaires, et de les traîner en longueur, pour s'enrichir aux dépens des parties.

Entre les coutumes de son temps qu'il rapporte, on voit que c'était alors un usage immémorial et qui remontait selon lui jusqu'au vir siècle, d'écrire en double les actes par lesquels on donnait quelques possessions à une église. L'un de ces doubles muni du sceau du donateur demeurait à l'église dotée, et l'autre se déposait, sans être scellé, dans l'église cathédrale du diocèse. Un autre usage qui s'observait encore dans les monastères de Flandre, et qu'il regarde comme aussi ancien que le précédent, c'était de réciter pendant la messe au Memento des morts, les noms des religieux défunts des monastères avec lesquels on était en société de prières. On voit encore, dit-il, au monastère de Saint-Amand, d'anciens diptyques où se trouvent les noms des religieux de Saint-Martin de Tournai; et c'est une preuve qu'il allègue pour prouver que Saint-Martin était une abbaye, longtemps avant son rétablissement. Enfin un troisième usage qu'il nous apprend, c'est que parmi les religieux celui qui était chargé d'éveiller la communauté, couchait dans l'église, non pas, dit-il, pour garder le trésor, car la nôtre n'en a point, mais afin d'être à portée de sonner l'office divin.

Nous ne terminerons pas cette analyse sans reproduire quelques-unes des particularités qu'il rapporte sur le bienheureux Odon, qu'il eut le bonheur d'avoir pour maître dans l'abbaye de Saint-Martin, et qui fut depuis évêque de Cambrai. Un clerc d'Orléans, dit-il, après avoir tenu les écoles dans la ville de Toul, fut appelé à Tournai par les chanoines de Notre-Dame, pour

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remplir en cette ville les mêmes fonctions Il y enseigna pendant cinq ans avec tant les écoliers s'y rendaient à l'envi de tous de réputation et de si grands succès, que les points de la France, de la Flandre, de ia Normandie, de la Saxe et de l'Italie. Tantôt comme les péripatéticiens, il donnait ses leçons debout et en se promenant, tantôt il restait assis, à la manière des stoïciens. les portes de l'église, il poussait les disputes Dans les écoles qu'il tenait le soir devant jusque fort avant dans la nuit, et alors il indiquait du doigt le cours des astres et expliquait les variétés du zodiaque. Quoique très-instruit dans les arts libéraux, il exlaquelle il composa trois livres, dont le cellait néanmoins dans la dialectique, sur premier apprenait à connaître et à résoudre pas la doctrina de certains philosophes moles sophismes. Enfin, dit-il, il ne suivait dernes, appelés nominaux, mais celle de Boèce et des anciens, à qui l'on donna le le nom de réalistes. Il composa aussi un commentaire ou explication du Canon de la messe; un traité de l'origine de l'âme; une Juif, et un traité sur le biasphème contre lettre sous le titre de Dispute contre un le Saint-Esprit, qu'il dédia à Amand du Châtel, alors religieux d Anchin, où le biendéchargé des fonctions de l'épiscopat, et heureux évêque s'était retiré, après s'être remarquer encore qu'à l'époque où florisdepuis abbé de Marchienne. On peut sait notre auteur, il n'y avait dans la province ecclésiastique de Reims que trois monastères où les coutumes de Cluny fussent en usage, savoir: celui de Saint-Martin de Tournai, celui d'Anchin dans l'Artois, et ligieux consacraient certaines heures de la celui d'Afflighem dans le Brabant. Les rejournée à transcrire des livres pour se former une bibliothèque, et en peu de temps considérable, qu'il ne s'en trouvait point celle de l'abbaye de Saint-Martin devint si de pareille dans les abbayes voisines, surl'on recherchait partout à cause de leur tout pour l'exactitude des exemplaires, que correction. Godefroi est cité comme le plus fameux copiste de ce monastère.

termine son Histoire à l'époque de son gouHériman, comme nous l'avons déjà dit, vernement abbatial, c'est-à-dire en 1127. Tournai l'a continuée jusqu'à l'an 1160, Un religieux anonyme de Saint-Martin de concision. Il débute par un court éloge de mais avec beaucoup plus de rapidité et de notre abbé, dont il caractérise l'administraC'est contredire bien. formellement, comme tion par les vertus d'humilité et de douceur. dont nous avons parlé; mais nous n'avons on le voit, l'historien du Vénérable Hugues, deux écrivains. A Hériman succéda Wauaucune autorité pour décider entre ces thier ou Gauthier, dont le continuateur ne dit pareillement que du bien. Il entre ensuite dans de grands détails sur tout ce qui concerne le rétablissement de l'évêché de récit, et il représente Hériman comme Tournai, qui forme le principal objet de son

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