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voilà ce qui apparaît même chez ce peuple où le culte de l'homme semble avoir fait parfois oublier celui de la divinité.

Si enfin nous arrivons jusqu'à cette Rome dans la législation de laquelle semblent s'être réflétées toutes les autres, nous voyons que les Romains des premiers âges venaient puiser au temple des dieux ou à l'autel des pénates, ces austères vertus d'épouse et de mère, qui firent Lucrèce et Cornélie: le mariage des beaux jours de la république nous le montrera bientôt. Il faut en dire autant des barbares qui vainquirent le grand empire romain: eux aussi avaient religieusement célébré leurs chastes alliances au sein des forêts de la Gaule et de la Germanie. Cette vérité ineffaçable a traversé les mers comme les siècles: elle éclate aux bords du Gange comme aux rives du Nil, sur l'Euphrate comme sur l'Amazone, dans l'ancien monde comme dans le nouveau. L'Indien se promène sur le palanquin nuptial consacré par la bénédiction du bramine, le Chinois se rend à la pagode, et le Japonais à l'autel du bonze; et quand la main de Colomb leva enfin le rideau qui nous cachait l'Amérique, les deux grandes civilisations. du Mexique et du Pérou montrèrent leurs jeunes époux échangeant leurs serments au pied des sacrificateurs et des Incas.

Mais revenons à Rome.

DES FORMES DU MARIAGE A ROME.

CHAPITRE I.

Prolégomènes.

Un double point de vue est nécessaire pour envisager le mariage dans le droit romain: si, d'une part, sa notion philosophique et juridique nous apparaît dans une sphère sereine et pure, d'autre part ses formes, bientôt matérialisées selon les goûts et les caprices d'une société dégénérée, se présentent à nos regards comme un contraste étrange, et une réalité décevante. Quand on considère la définition qu'en a donnée le jurisconsulte Modestin, la couleur austère et pleine de pudeur des mots qui servent à l'exprimer, les cérémonies elles-mêmes qui l'inaugurent, en un met sa théorie abstraite, on est surpris de voir dans le paganisme une intelligence aussi élevée de cette institution, dont la civilisation chrétienne semblait pouvoir donner seule au monde le véritable sens. D'un autre côté, lorsque l'on considère la pratique du mariage tel que nous le montre la décadence, la solennité du contrat primitif remplacé par le seul consentement sans aucune autre formalité civile ou religieuse; ce même consentement défaisant seul, à l'aide du divorce et de la répudiation, ce que seul il a formé; l'adultère affiché au grand jour, si bien que les femmes sont annuelles comme les consuls; le mariage enfin traîné si bas dans l'opinion publique, qu'Auguste se croit obligé d'y attacher, par ses lois pappiennes, un avantage pécuniaire comme à une spéculation, sans songer qu'en enlevant au lien conjugal sa spontanéité il faisait disparaître toute sa moralité; on ne peut s'empêcher d'en tirer cette conclusion Le mariage tel que le conçut le spiritualisme de la loi romaine, cette raison écrite de l'humanité, ne pouvait dans la pratique se maintenir à la hauteur de sa notion théorique sans cette force mystérieuse et efficace de réglementation dont le principe chrétien seul, dans l'histoire du monde, a eu le secret.

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Toutefois, détournons un instant les regards du matéria

lisme pratique que nous présentent les faits, et sachons rendre justice au spiritualisme de la loi. Pour trouver le premier anneau de cette chaîne qui unit les deux époux, demandons au jurisconsulte comment il entend le mariage: ce sera, selon ses expressions : « Conjunctio maris et fœminæ, consortium omnis vitæ, divini et humani juris communicatio (1). » Mais entre l'époque d'où date cette définition et celle de Justinien, la pensée humaine s'est encore épurée, et le législateur chrétien ne voit plus seulement dans le mariage cette union des deux sexes dont l'un appelle l'autre, dans toute la série des êtres aniniés, conjunctio maris et fœminæ, désignant ainsi le caractère le plus infime de l'union qui préside à la reproduction des espèces; il est devenu pour lui, conjunctio viri et mulieris, l'union de l'homme et de la femme, les plus nobles des vivants, l'union enfin de deux personnes de la famille humaine que la loi de leur création appelle à vivre en commun et à se compléter l'une par l'autre, selon cette parole de la Genèse qui fait de la femme un aide de l'homme semblable à lui « adjutorium viro simile ejus » (2).

Et ces caractères essentiels exprimés par les expressions « consortium omnis vitæ, divini et humani juris communi» catio, individua vitæ consuetudo, » que sont-ils autre chose, sinon cette grande loi de la perpétuité et de l'indissolubité du lien conjugal, que le paganisme lui-même avait conçue comme tellement fondamentale dans le mariage, que sans elle il ne le croyait point possible et le regardait au contraire comme un péril social. L'expérience montra promptement que ces législateurs ne s'étaient pas trompés; car, lorsqu'au temps de Cicéron le divorce, qui avait été un scandale dans les premiers siècles de la république, fut devenu l'histoire de chaque jour, et que les dames romaines trouvèrent plaisant de compter les années, non plus par les consuls, mais par leurs maris, Rome était à la veille de sa décadence.

Remarquons encore, à la louange du jurisconsulte romain, qu'à ses yeux le mariage était plus qu'un contrat : c'était une union, conjunctio. En effet, le droit romain ne reconnaît la nature et le titre de contrat qu'aux conventions qui touchent directement aux intérêts pécuniaires. Le commerce, en un mot, dans le sens romain, est la matière des contrats; or les droits des familles ne sont pas dans le commerce, et à

(1) Lib. 1, D. de nuptiis. —(2) Gen. 11, 18, 20.

la tête des droits de famille il faut ranger le mariage. Si les contrats produisent des obligations, le mariage produit des devoirs; donc, en mettant le mariage romain au rang des contrats consensuels, et en l'assimilant à une société ordinaire, le commentateur Doneau nous paraît avoir commis une erreur qu'il eût évitée s'il s'était reporté aux termes précis des définitions que nous venons de rappeler (1).

Mais ce n'est pas assez d'avoir déterminé la nature de l'union conjugale avec son couronnement l'indissolubilité, il faut à cet édifice une base; et cette base n'est autre que la parfaite égalité de condition et de dignité, qui associe pour toujours tous les maux et tous les biens de la vie des deux époux, et distingue ainsi le mariage du concubinat, appelé à Rome inæquale conjugium (2).

Ubi tu Caius ego Caïa, disait la femme lorsqu'elle entrait dans la maison conjugale et c'est alors seulement qu'elle quitte sa famille originaire pour entrer dans la familie de son mari, où elle devient materfamilias, partage les droits de succession (3), fait profiter son conjoint de ses acquisitions de propriété (4), quitte enfin les dieux domestiques sous la protection dequels elle est née, pour adopter le culte des dieux de celui-ci (5).

Enfin un autre caractère du mariage romain, c'est le but même qu'on s'y propose, la propagation de l'espèce; et c'est là, quoique les définitions soient muettes sur ce point, un nouveau rapprochement qu'on peut lui assigner avec la définition moderne de notre mariage chrétien; c'était en effet une formule consacrée que celle-ci : Uxorem ducere, liberorum quærendorum gratia. Il est certain que devenir père semblait aux Romains et le mobile et la justification du mariage : c'était un devoir public et sacré; ils prenaient une épouse pour en avoir des enfants. Ainsi le mariage nous apparaît dans la législation romaine avec tous les caractères qui l'élèvent et le spiritualisent chez nous; cette indissolubilité, cette égalité, cette union des âmes et des vies aussi bien que des corps, cette transmission enfin de la vie que se partageaient les époux à des êtres nouveaux qui allaient continuer leurs personnes et leurs noms.

(1) Comm. jur. civ., lib. 13, cap. 21. (3) G. III, 3. — (4) G. II, 86, v. 90.

(2) C. 3 de nat., lib.

(5) Heineccius, Antiq. rom. de nuptiis, § 4, 6.

Mais, il faut l'ajouter, cette conception idéale du mariage, si elle fut dans la pensée des sages et des législateurs, dépassait trop les forces et les instincts d'une société païenne pour se maintenir dans la région des faits comme dans celle des idées.

A côté des justæ nuptiæ, mais non au même rang, nous voyons en vigueur, bien avant la décadence, le concubinat, tempérament approprié aux faiblesses des mœurs et aux habitudes des classes inférieures de la société.

Ainsi la loi Julia crut devoir permettre expressément le concubinatum, et le désigner sous ce nom pour l'affranchir des peines du stuprum: nomen per leges assumpsit (1). Il avait mêine un certain nombre de règles communes avec le mariage. En effet, toléré par la loi civile, il ne pouvait pas, sous ses yeux en quelque sorte, exister entre des personnes dont le commerce aurait offensé gravement l'ordre public. Défense était faite à un homme marié d'avoir une concubine, à un célibataire d'avoir plusieurs concubines à la fois (2). La parenté et certaines raisons de convenance formaient empêchement au concubinat; le fils, par exemple, ne devait pas prendre pour concubine une femme qui avait été la concubine de son père; un frère, la fille de sa sœur (3). Cependant on aurait tort d'en conclure que le concubinat pouvait être confondu avec le mariage et appelé du même nom; car les principaux caractères que nous avons trouvés dans le mariage manquent ici : sans doute l'indissolubilité se retrouve dans l'une et l'autre union, mais les concubins ne faisaient pas à la concubine qui n'était plus uxor, l'épouse, mais seulement mulier, la demi-femme, l'honneur d'en attendre des enfants; ils n'échappaient point aux peines de l'orbitas et du célibat; le concubinat enfin supposait généralement dans la femme une infériorité de mœurs ou de condition qui l'empêchait de participer aux dignités du mari, ne lui conférait même aucun droit à sa succession, et qui ne permettait de lui faire que des dons modérés (4). Aussi quoique le concubinat ait été rangé à Rome à la suite des différentes espèces de mariage autorisées, il ne saurait être mis sur la même ligne, puisqu'il ne produisait presqu'aucun des effets des justes noces, ni la dot, ni la puissance maritale, ni la puissance paternelle, puisqu'enfin il (1) L. 3, de concub. (2) C. de concubitu. (3) L. 56, de r. n. Loi 1, § 3 de concub.

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(4) Liv. 1, § 1 ; L. 3, de concub. — Loi 64, § 1, de conditionibus et demonstrationibus.

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