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CHAPITRE X.

SANCHEZ, MELCHIOR CANO, BELLARMIN,

L'État n'a jamais manqué de théologiens; il n'en manquera jamais, quelle que soit sa constitution, quels que soient ses représentants et ses organes, grâce à la séduction que le pouvoir exerce sur ceux qu'il protége, et grâce aux faveurs qu'il sait répandre sur ceux qui le servent à son gré. Il est d'ailleurs des esprits exclusivement frappés, je ne sais trop pourquoi, des périls que ferait courir à la chose publique le triomphe d'une autorité qui n'a pas généralement à ses ordres les gros bataillons et dont la domination ne serait rien si elle n'avait son origine au ciel et ses racines dans la conscience. Nous n'avons pas d'autre roi que César, criaient les juifs en demandant à Pilate la mort de Jésus-Christ. Ce cri a retenti de siècle en siècle même au milieu des peuples chrétiens, où il a toujours trouvé quelque écho; de grands politiques l'ont pris pour devise et ils se sont entendus avec les philosophes pour l'inscrire sur la bannière du progrès et de la liberté. Puissent les peuples comprendre un jour qu'ils ne seront libres que par Jésus-Christ, et que la pire

de toutes les servitudes est de ne pouvoir rendre à Dieu ce qui est à Dieu!

Les prétentions du pouvoir civil à l'endroit du mariage ne sont pas d'ailleurs sans quelque apparence de raison; disons-le même sans détour, dans une certaine mesure elles sont justes et fondées. C'est le plus grand des théologiens, c'est l'ange de l'école qui a déclaré que si le mariage est un sacrement, il n'en est pas moins destiné à remplir et les fins de la nature et celles de la société ; et sous ce dernier rapport, observet-il, il est régi par le droit civil: in quantum est officium communitatis, statuitur jure civili (1).

Mais jusqu'où peut aller le pouvoir civil, et quelle est la limite qu'il ne doit pas franchir sous peine de voir se dresser devant lui le droit divin, le droit que JésusChrist a conféré à son Église en l'instituant seule dispensatrice des choses spirituelles? Voilà une question des plus difficiles et des plus complexes, une question. qui n'était pas, à beaucoup près, aussi éclaircie au XVII siècle qu'elle l'est aujourd'hui, à la suite de tant de beaux et importants travaux et surtout des récentes décisions du Saint-Siége.

Entre tous les maîtres de la doctrine qui ont spéciament traité du mariage, le plus illustre sans contredit, c'est Thomas Sanchez, un nom resté pur en dépit de Pascal et que n'a pu atteindre ni le ridicule ni la calomnie. Les trois volumes de Sanchez sur le saint sacrement du mariage sont un des plus solides mo

(1) In IV Sent., d. 34, a. 1, in resp. ad 4.

numents de la science sacrée, un trésor pour les directeurs des âmes, pour les jurisconsultes euxmêmes, qui les consulteront rarement sans profit, car ils y trouveront aussi leur maître dans la science du droit. Eh bien ! ce grand théologien, qu'on n'a jamais accusé de profane complaisance, soutient cependant une opinion qui ne serait pas sans danger pour la sainteté du sacrement et dont les conséquences iraient beaucoup trop loin, au grand préjudice de la liberté humaine; à savoir que les princes, quels qu'ils soient, ont originairement le pouvoir d'établir pour leurs sujets des empêchements dirimants; pouvoir que l'Église retirera, si elle le juge à propos, aux princes chrétiens, et dont ils ne devront pas user sans son aveu, mais dont les princes infidèles resteront investis, attendu qu'il leur est indispensable pour le bon gouvernement de leurs États (1). Telle est la doctrine en

(1) On aimera sans doute à trouver ici le texte de Sanchez. Après avoir rappelé le passage de saint Thomas que nous avons cité plus haut (in IV Sent., d. 34, a. 1, ad 4), il ajoute: «Si enim potest Princeps sæcularis alios contractus civiles ob Reipublicæ bonum irritare, cur non poterit etiam matrimonii contractum, cum id quandoque idem bonum postulet? Nec obstat Principis sæcularis potestati matrimonium esse Sacramentum. Quia ejus materia est contractus civilis, qua ratione potest perinde illud ex justa causa irritare, ac si Sacramentum non esset: reddendo personas inhabiles ad contrahendum, et sic illegitimum et invalidum contractum. Si enim nudam Sacramenti rationem attendamus, nec Pontifex circa illud disponere posset, illud dissolvere: ejusque potestas ex ratione contractus humani, qui est materia hujus Sacramenti, consurgit. » V. Sanchez, de sancto Matrimon i iSacramento, lib. VII, disp. IV, n. 2. Il ajoute cependant un peu plus loin, ce qui mitige beaucoup cette première opinion dans la pratique : « Potest nihilominus Ecclesia Principibus fidelibus

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seignée par Thomas Sanchez, théologien de la Compa· gnie de Jésus, dans son grand traité du Mariage. Pressez un peu cette doctrine, déduisez-en avec une exacte logique les conséquences naturelles, et vous y trouverez sans beaucoup de peine de quoi justifier les prétentions du pouvoir séculier et corroborer les thèses des théologiens d'État. Aussi ces derniers se réclamentils volontiers de Sanchez, qui n'était certes pas de leur école et ne croyait vraiment pas servir si bien leur

cause.

Ils se réclament aussi de Melchior Cano, évêque des Canaries et dominicain, l'une des plus grandes lumières de l'université de Salamanque et même dụ concile de Trente, dont il ne vit pas la fin, étant mort dans sa patrie en 1560. C'est seulement en 1563, dans la vingt-quatrième session, que les Pères assemblés à Trente eurent à s'occuper du mariage. De retour en Espagne assez longtemps avant sa mort, Cano ne dut exercer aucune influence sur leurs derniers travaux; encore moins put-il mettre à profit leurs déci sions, et il est évident que son beau traité posthume de Locis theologicis est une œuvre toute personnelle où il ne faudrait pas chercher la pensée du concile de

hujus potestatis usum interdicere, sibique reservare, qua id efficiente, irritæ erunt leges Principis sæcularis contra eam reservationem, matrimonium impedientes dirimentesve. » Ibid. n. 3. Sage restriction que d'autres théologiens, dont nous parlerons tout à l'heure, étaient loin d'admettre. Mais les prémisses de Sanchez n'en sont pas moins inadmissibles: on doit nier simplement que le mariage, du moins entre chrétiens, soit un contrat purement civil. Il ne l'est pas même entre païens.

Trente sur le mariage. Néanmoins la doctrine, ou, pour mieux dire, l'opinion de Cano, a eu grand succès; elle dominait presque sans conteste dans l'Église de France au commencement de ce siècle; on l'enseignait dans les séminaires et les simples fidèles n'en connaissaient pas d'autre.

Elle consiste à faire du sacrement et du contrat de mariage deux choses distinctes, séparables même en ce sens que le contrat peut exister indépendamment du sacrement. Avant de recevoir l'être sacramentel, le mariage est un contrat et, comme tel, il a pour auteurs les parties contractantes; mais c'est le prêtre qui l'élèvera au rang des choses surnaturelles et qui sera le ministre du sacrement de mariage. On voit d'ici les conséquences, je ne dis pas nécessaires, mais possibles de cette manière de concevoir le mariage chrétien. Si le contrat de mariage peut se séparer du sacrement, qui l'empêchera d'être soumis à la loi civile, de dépendre entièrement du prince séculier? Voilà ce que disaient les théologiens d'État, non sans vraisemblance; ils trouvaient dans ce système une position d'où les prétentions du pouvoir civil étaient beaucoup plus faciles à défendre.

Dans le système contraire c'est bien différent. En effet, si vous soutenez que partout où il y a contrat légitime entre chrétiens il y a sacrement, que le sacrement et le contrat ont même matière, même forme, même ministre, ce sont les expressions de Bellarmin, -ce qui veut dire, ce me semble, qu'ils sont absolument identiques et qu'il n'existe de l'un à l'autre qu'une

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