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CHAPITRE XIII.

LE MARIAGE ET LA RÉVOLUTION.

On peut distinguer deux pensées logiquement distinctes, mais presque toujours réunies de fait, dans les inspirations auxquelles obéirent nos législateurs pendant toute la période révolutionnaire.

La première pensée est de séculariser, c'est-à-dire de mettre la vie civile en dehors de la vie chrétienne. Quoi de plus raisonnable, de plus légitime en apparence? On ne proscrit pas le christianisme, on lui laisse sa part, la conscience; mais on ne veut pas qu'il ait place dans les lois et dans les institutions nationales, ni surtout qu'il tienne, pour ainsi dire, en main la clef de l'existence du citoyen, tellement qu'on ne puisse sans lui naître, vivre, fonder une famille et laisser en mourant des héritiers légitimes. N'est-ce pas une conséquence nécessaire de la diversité des cultes et de la liberté de conscience?

La nation ainsi organisée sera parfaitement dans l'ordre, pourvu que ses législateurs se conforment aux lumières de la saine philosophie. S'il n'y a pas de contradiction entre la raison et la foi, la conscience du

chrétien, du catholique sera tout à fait à l'aise sous un tel régime, et les droits de l'Église seront saufs, puisqu'il sera loisible à chacun d'observer ses lois.

Ainsi raisonnaient sans doute grand nombre de membres de l'Assemblée constituante; ainsi raisonnent encore de nos jours nombre de chrétiens qui croient à la possibilité, à la parfaite légitimité de cet état de choses.

Dans la pratique, il y a de grandes difficultés, et même plus : il y a un véritable oubli des droits essentiels de l'Église, du rôle qu'elle doit remplir sur la terre.

D'abord, on suppose bien gratuitement que la raison indépendante et la vraie religion seront toujours d'accord, comme par une sorte d'harmonie préétablie. La philosophie n'est pas infaillible, surtout quand elle s'affranchit du joug de la foi; et si elle vient à se tromper lorsqu'elle dispose de l'homme, corps et âme, qu’adviendra-t-il alors du chrétien? Il sera tiraillé en sens contraires; la légalité et la conscience se le disputeront et mettront sa vertu aux plus rudes épreuves. D'ailleurs, le christianisme entre naturellement dans l'économie de la vie sociale, car il saisit l'homme tout entier pour le sanctifier depuis le berceau jusqu'à la tombe, et pour le préparer par une suite d'initiations à une vie toute céleste, à un commerce intime avec Dieu. Il ne modifie pas seulement quelques-unes de ses habitudes, mais il soumet tous ses actes à une loi surnaturelle et devient proprement le maître de sa vie.

La société civile n'est donc pas absolument sui juris, en ce sens qu'elle n'ait pas à se préoccuper des lois du

christianisme, comme si elle pouvait n'en tenir nul compte. Si elle les viole, si elle en rend l'observation impossible ou seulement très-difficile, elle se rend coupable de prévarication et de tyrannie; par là elle se blesse elle-même, quelquefois à mort, et tombe, tant la chute est profonde, au-dessous du paganisme.

C'est que Dieu n'a pas tellement disposé les choses que l'humanité régénérée pût se passer, ou n'user qu'à sa convenance, de la lumière surnaturelle qu'il lui a si généreusement départie. Remarquons-le bien, dans la société comme dans l'individu, l'intégrité de la nature ne peut être conservée ou rétablie que par la grâce, et toute raison rebelle à la foi est une raison pervertie et hors de sa voie.

Seul, le christianisme avait fait briller de tout son éclat la loi naturelle; seul, il en avait rendu la connaissance populaire et l'observation facile; en rejetant le joug du christianisme, - ce joug si doux à qui le porte avec amour, on croit s'affranchir point du tout, on tombe dans la servitude de l'erreur, on se traîne d'obscurités en obscurités, au gré des passions, au gré des faux systèmes qui usurpent, sous le nom menteur de philosophie, la direction de l'humanité.

Chose remarquable, et qui vient à l'appui de cette vérité, le même jour où l'Assemblée constituante voulut voir dans le mariage autre chose qu'un sacrement; ce jour-là, elle accepta comme vraie cette définition « Le mariage est un contrat dissoluble par divorce.» Rien de plus faux en bonne philosophie; demandez plutôt à M. J. Simon, qui a plaidé et plaide

le

encore avec éloquence, au nom de la seule raison, en faveur de l'indissolubilité du lien conjugal (1). Cependant on peut défier tous les philosophes du monde, y compris M. J. Simon, qui est le premier à confesser cette impuissance, on peut, dis-je, les défier de prouver à une grande assemblée, de persuader à un peuple entier que le mariage est un contrat essentiellement indissoluble. Ils auront beau dire et beau faire, on se rira de leurs thèses.

On ne gouverne pas les hommes avec des arguments, mais avec des dogmes. Une autorité divine. n'est pas de trop pour établir certaines vérités, pour obtenir l'observation de certains devoirs. Le christianisme avait fait triompher partout l'indissolubilité; seul il est capable de la maintenir en dépit des passions qui conspirent contre elle; l'histoire en main, nous prouvons qu'il n'est jamais vaincu qu'elle ne succombe avec lui.

que

Nous avons déjà cité, mais nous citerons encore une fois, afin qu'on s'en souvienne, ces paroles d'un rapporteur à l'Assemblée législative : « Vous avez décrété le divorce aura lieu en France. La déclaration des droits et l'article de la Constitution qui veut que le mariage soit regardé par la loi comme un contrat civil, vous ont paru avoir consacré le principe, et le décret n'en est que la déclaration.... Le comité a cru devoir accorder ou conserver la plus grande latitude à la

(1) La Liberté, seconde partie, ch. 1, liberté du foyer, no 4, du Di

orce.

faculté du divorce, à cause de la nature du mariage qui a pour base principale le consentement des époux, et parce que la liberté individuelle ne peut jamais être aliénée d'une manière indissoluble par aucune convention (1). »

Voilà donc où menait la sécularisation aux mœurs romaines du temps des Césars. Ce fut un débordement épouvantable, comme à la rupture d'une digue longtemps battue par les flots. On dit qu'à Paris seulement, dans les vingt-sept mois qui suivirent la promulgation de cette loi, les tribunaux prononcèrent 5994 divorces! Jamais peuple chrétien n'était tombé si bas.

Mais avez-vous remarqué l'autre principe, bien autrement radical, qui s'unit à celui de la sécularisation, pour achever de renverser toute morale et de livrer l'homme au seul empire de ses passions, de ses caprices les plus désordonnés? Ce n'est plus seulement la loi chrétienne que l'on rejette, c'est toute loi supérieure à l'homme, même la loi naturelle.

L'homme n'a de frein que dans sa volonté, et la liberté sauvage qu'on lui attribue, il n'y renonce que le moins possible, par nécessité, pour s'associer à ses semblables, gardant toujours le droit et l'espoir de la recouvrer tout entière quand il lui plaira; car cette liberté, qui lui est commune avec les brutes, est inaliénable; il ne s'en dépouille que pour un temps, mais il la regarde comme son bien le plus précieux; il est

(1) Rapport de Léonard Robin, présenté à la séance du 7 septembre 1792. Voir le Moniteur du 8 septembre.

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