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sein duquel s'agitent ces graves questions qui touchent par tant d'endroits à la religion et à la morale, et par quel pontife il est présidé! C'est à peine si de loin en loin une voix s'élèvera timidement en faveur des droits imprescriptibles de la conscience; ou elle sera étouffée par une brusque repartie, ou elle expirera dans le silence. Portalis, Maleville essayent de faire accepter de sages conseils; mais le Premier Consul est si persuadé qu'il faut rompre avec le passé et qu'il ne s'agit en tout cela que de politique, il est si convaincu de l'omnipotence du législateur, que la discussion avec ui n'est pas possible. Portalis croit que le mariage tient aux conditions essentielles de la nature humaine et que par conséquent il ne peut être régi par des lois arbitraires; c'est ce qu'il affirme en termes un peu vagues, il est vrai, et encore empreints de l'esprit philosophique du XVIII siècle : « L'homme est le ministre de la nature la société vient s'enter sur elle. On lit dans les livres le pacte social (sans doute le Contrat social de Rousseau), je n'entends pas cela : l'homme est sociable, et le mariage est dans la nature. Je nie cela,» réplique à l'instant le Premier Consul. « Le mariage ne dérive point de la nature, mais de la société et des mœurs. La famille orientale est entièrement différente de la famille occidentale. La première est composée de plusieurs épouses et de concubines; cela paraît immoral, mais cela marche; les lois y ont pourvu (1). »

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(1) Thibaudeau, le Consulat et l'Empire, t. III, p. 203.

En général, le Premier Consul ne se pique pas de délicatesse en ces matières; il est trop soldat et trop païen, et il évoque plus d'une fois, fort mal à propos, ses souvenirs classiques au mépris de toutes les convenances. On discute pour savoir après combien de temps pourra se remarier la femme dégagée des liens d'un premier mariage, et Tronchet dit que le délai doit être assez long pour obvier à ce que les légistes ont nommé confusion de part (confusio partus). Le Premier Consul n'est pas satisfait de cette raison. L'inconvénient de la confusion de part, répond-il, ne faisait nulle impression sur les anciens, et il allègue l'exemple d'Auguste pour prouver que les Romains ne craignaient pas d'épouser des femmes enceintes (1).

Au reste, Portalis lui-même n'est pas plus heureux lorsqu'il rappelle, dans la même séance, que le divorce a été admis en France « sous les rois de la première race. » On voulait nous ramener à Chilpéric!

Si on en croit Locré, secrétaire général du Conseil d'État, le divorce et l'adoption intéressaient la politique du Premier Consul, qui cependant se gardait de laisser entrevoir ses projets.

Il songeait dès lors à s'assurer une postérité; ne pouvant pas espérer d'enfants de Mme Bonaparte, il n'avait à choisir qu'entre deux partis, celui de divorcer pour contracter un nouveau mariage, ou celui de se donner des enfants adoptifs. Suivant le même écrivain, le Premier Consul haïssait le divorce, et il répu

(1) Voir Locré, séance du 14 vendémiaire an X.

gnait encore plus à rompre son mariage. Sa bonté naturelle avait le dessus toutes les fois que la politique le laissait à lui-même. Mme Bonaparte, alarmée, ne cachait pas ses inquiétudes; chaque soir elle s'informait avec anxiété de ce qui s'était fait au Conseil d'État, si l'on avait admis le divorce, de quelles conditions il dépendrait. Selon toute apparence, il y eut alors entre elle et le Premier Consul des explications et des pourparlers. Bonaparte voulut se ménager dans la loi commune un moyen de contracter une alliance nouvelle, si un jour l'intérêt de sa politique l'exigeait. Par cette raison, il ne combattit point l'institution du divorce, «< quoiqu'il la détestât. » Elle fut adoptée sans discussion. Mais il soutint vivement la nécessité d'admettre des causes indéterminées qui permissent aux époux de se séparer sans déshonneur. C'était pour se ménager le moyen d'user du divorce avec bienséance, s'il venait lui-même à y recourir.

Le conseiller d'État Thibaudeau, qui rapporte ce sentiment de Locré, ne le partage pas entièrement. D'après lui, sans doute il était impossible que la discussion sur cette matière ne réveillât pas dans la pensée du Premier Consul l'intérêt personnel qu'il pouvait y avoir. «Mais que ce fût dans la vue de cet intérêt et malgré sa haine pour le divorce qu'il adopta l'institution et qu'il proposa le mode d'en user, c'est ce que les procès-verbaux mêmes (rédigés par Locré) ne nous permettent pas d'admettre. On voit au contraire dans ses discours qu'il était convaincu de l'indispensable nécessité du divorce en général, et particulièrement

dans un pays où la liberté des cultes était constitutionnellement établie; qu'il niait le dogme de l'indissolubilité du mariage; qu'il préférait le divorce à la séparation de corps; qu'il professait, en un mot, les principes des législateurs philosophes sur cette matière. Si plus tard, — ajoute Thibaudeau, -Napoléon interdit le divorce aux membres de la famille impériale, c'est qu'en cela, comme sur beaucoup d'autres points, l'Empereur avait abjuré les opinions du Premier Consul (1). »

Cela nous paraît trop certain, le Premier Consul niait l'indissolubilité du mariage, et aucun scrupule religieux ne mettait obstacle à sa politique.

Peut-être cependant un reste d'instinct catholique survivait-il encore dans son âme et suffisait-il pour lui faire comprendre qu'il y a plus de grandeur dans le mariage chrétien, tel qu'il a été institué par JésusChrist, et voilà pourquoi, tout en usant lui-même du divorce, par raison d'État, il ne le souffrait pas dans la famille impériale.

Quoi qu'il en soit, il n'hésitait pas à mettre le mariage au rang des choses profanes et il persistait dans la pensée de séculariser entièrement la vie du citoyen, de la soustraire légalement à toute influence religieuse. « Les trois grands sacrements de la vie étaient, » disaitil, « la naissance, le mariage et le décès. » Sacrements purement civils et dont des fonctionnaires laïques devaient être les seuls ministres. Un homme en habit noir ceint d'une écharpe fut chargé d'apprendre aux époux,

(1) Thibaudeau, le Consulat et l'Empire, t. III, p. 205 et suiv.

au nom de la loi, qu'ils se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance; que le mari doit protection à la femme, la femme obéissance à son mari; que la femme est obligée d'habiter avec le mari, le mari obligé de la recevoir et de lui fournir ce qui est nécessaire pour les besoins de la vie (Code Napoléon, art. 212-214). Ainsi le prescrivait le nouveau rituel à l'usage des maires et des adjoints. N'aurait-on pu dispenser les catholiques de ces formalités, qui n'ont à leurs yeux aucune signification sérieuse, aucune dignité? Le prêtre ne suffisait-il pas pour enseigner aux nouveaux époux leurs obligations réciproques et pour attirer sur leurs têtes les bénédictions des patriarches? Mais c'eût été porter atteinte à l'omnipotence de l'État, et il n'eût pas été bon qu'on semblât tenir de Dieu seul, et non de la loi civile, le droit de fonder une famille et de mettre au monde des enfants légitimes.

Veut-on voir jusqu'où va sur ce chapitre l'infatuation du nouveau législateur, comment la loi est devenue pour lui aussi sacrée que la nature, comment il aspire à lui conférer une sorte de vertu créatrice? Il faut qu'une religion en remplace une autre, et si l'État se substitue à l'Église, c'est pour faire ce que l'Église faisait avant lui et pour initier les citoyens à la vie sociale par de véritables sacrements.

Il y eut un moment où le Premier Consul, à défaut de postérité directe, songea à prendre pour héritier un de ses neveux et à fonder sa dynastie par l'adoption, à l'exemple de Jules César. Dès lors l'adoption devint tout pour lui; il fallut la revêtir de solennités extraor

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