Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

leur mérite, à ne pas comprendre qu'on ne peut pas anéantir le néant, détruire ce qui n'est pas, démolir l'édifice qui n'est pas encore construit! Tant est grande l'influence des idées reçues, des préjugés de tout genre, de ces principes de pure convention auxquels l'esprit semble tenir d'autant plus qu'il a eu plus de peine à se les approprier; tant est funeste le respect exagéré de l'autorité; tant il est vrai que la science peut abêtir.... C'est peut-être uniquement pour avoir été moins savant que nos devanciers que nous avons plus facilement évité l'écueil (1). »

Vous l'entendez: c'est une sorte d'initiateur, un homme à découvertes, qui a mieux lu et mieux vu que ses devanciers; on l'écoute et on le suit, du moins il l'affirme; il se vante à plusieurs reprises d'avoir rallié à son sentiment le respectable et savant doyen de la Faculté de Caen, M. Demolombe. C'est possible, nous verrons toutefois dans quelle mesure. Le dirai-je? Marcadé m'a tout l'air d'un homme qui s'exagère son importance, et, de prime abord, je l'ai eru Gascon.

En revanche, il fait trop bon marché de la tradition, qu'il appelle dédaigneusement « la routine ». Certes, je ne suis pas l'admirateur passionné des jurisconsultes qui prirent part à la rédaction du Code civil; j'estime qu'il leur manquait à presque tous l'élévation des vues, plus encore du caractère; mais je ne voudrais pas faire litière de ce qu'ils savaient en fait de jurisprudence et de droit. Qu'on y songe, c'est le la

() Eléments du droit civil français, préface, p. xI, XII.

beur des siècles, dont ils étaient les dépositaires; droit romain, droit canonique, ancien droit français écrit et coutumier, tout cela leur composait un trésor de connaissances juridiques, de principes surtout, de principes non pas improvisés pour les besoins de la cause, mais éprouvés par une longue expérience, passés au crible de la discussion, définis, contrôlés par une foule de judicieux et fermes esprits, théologiens, canonistes, magistrats de tous les pays et juristes de toutes les écoles. S'appelât-on Napoléon, je ne vois pas trop ce qu'on gagne à ignorer ces choses et à n'en tenir nul compte, dès qu'on se mêle de législation. On se rappelle ce mot aussi sensé qu'original : « Je connais quelqu'un qui a plus d'esprit que Voltaire. - Eh! qui donc, s'il vous plaît? Tout le monde. » Eh bien ! Napoléon lui-même, si supérieur à Voltaire, n'a pas à lui seul autant d'esprit que ce terrible « tout le monde ».

Mais venons au fait. Comment M. Marcadé arrivera-t-il à prononcer la nullité du mariage lorsque l'un des conjoints refuse, au sortir de la mairie, de procéder à la célébration religieuse que l'autre réclame et sur laquelle il avait droit de compter?

Par une théorie assez neuve, tout à fait inconnue à l'ancien droit, mais qui tend de jour en jour à s'accréditer, appuyée qu'elle est par des arguments dont les plus plausibles sont empruntés aux discussions du Conseil d'État et aux autres travaux préparatoires du Code civil. Donnons une idée succincte de cette théorie, qui nous fait envisager sous un jour particulier le cha

pitre du Code intitulé: Des demandes en nullité de mariage (Tit. V, ch. Iv), et, dans ce chapitre, l'article 180, par lequel il s'ouvre. Cet article est ainsi conçu :

« 180. Le mariage qui a été contracté sans le con« sentement libre des deux époux, ou de l'un d'eux, ne « peut être attaqué que par les époux, ou par celui des « deux dont le consentement n'a pas été librc.

[ocr errors]

« Lorsqu'il y a eu erreur dans la personne, le ma

riage ne peut être attaqué que par celui des deux époux qui a été induit en erreur. »>

<< Lorsqu'il y a eu erreur dans la personne... », c'est le cas, dit notre auteur, là est le principe de la solution. En effet, l'époux catholique croyait épouser une personne partageant jusqu'à un certain point ses propres convictions religieuses; mais il n'en est rien et il se trouve que cette personne est totalement dépourvue de religion, puisqu'elle se refuse obstinément à la célébration religieuse; le juge pourra donc très-bien, en tenant grand compte de toutes les circonstances. de fait qui varient à l'infini, prononcer la nullité du mariage pour cause d'erreur dans la personne. Ce sera une des nombreuses applications de l'article 180.

Remarquez-le bien, Marcadé ne dit pas que, dans ce cas, le mariage est nul de droit; il dit simplement qu'il est annulable, c'est-à-dire susceptible d'être annulé par l'autorité du juge, seul appréciateur des mille et une circonstances qui peuvent vicier le consentement et rendre le mariage, en un certain sens, caduc et dissoluble.

Il y a donc des mariages nuls et des mariages annulables?

Assurément. Cette distinction est fondamentale dans la matière présente; sans elle, impossible de rien comprendre à tout ce chapitre des demandes en nullité. C'est un habile jurisconsulte d'outre-Rhin, M. Zachariæ (1), qui l'a introduite; M. Marcadé s'en est fait, en France, le propagateur zélé; elle a passé depuis dans maint commentaire du Code, et M. Demolombe lui-même l'adopte; sous de prudentes réserves, mais enfin il l'adopte.

« Quand un mariage est nul, » dit Marcadé, « je n'ai pas besoin de l'attaquer pour qu'il ne nuise pas; et non-seulement je n'ai pas besoin de l'attaquer, mais je ne le puis pas. En effet, comment annuler ce qui est nul? comment anéantir le néant? » Donc, les demandes en nullité concernent essentiellement les mariages annulables, et non pas nuls de droit.

Il est triste, fait-il encore observer, de voir la plupart des auteurs confondre le mariage non-existant avec le mariage annulable. Les auteurs qui font cette confusion, ce sont notamment Delvincourt, Vazeille, Toullier, Duranton, on le voit, des hommes d'une certaine autorité et d'un certain renom, mais probablement imbus des préjugés de l'ancien droit, comme l'étaient du reste les Maleville, les Tronchet, les Portalis, et les autres membres du Conseil d'État qui tra

(1) Né en 1769, à Meissen, en Saxe, il fut professeur de droit d'abord à Wittenberg, puis à Heidelberg, et mourut en 1843. Son Manuel du droit civil français, écrit en allemand, a été traduit par MM. Aubry et Rau.

vaillèrent, sous la présidence du Premier Consul, à la rédaction du Code civil. Heureusement, ajoute ici Marcadé, cette distinction si indispensable entre le mariage nul et le mariage annulable commence à pénétrer dans les traités de droit; sur quoi il cite M. Demolombe. (III, no 239-241.)

Cette distinction une fois admise, l'article 180, tout à fait inintelligible dans l'ancien système, devient de la plus grande clarté. Il s'applique non pas aux mariages nuls, mais aux mariages annulables. En effet, le premier alinéa a pour objet le mariage qui a été contracté sans le consentement libre des époux. Peut-on dire, avec Toullier et Duranton, qu'il s'agit ici tout à la fois et du mariage nul par défaut de consentement, et du mariage nul par défaut de liberté dans le consentement? Non, puisqu'il y a un autre article spécial pour le mariage nul par défaut de consentement, l'article 146, qui porte: Il n'y a pas de mariage quand il n'y a pas de consentement. Or, cet article 146 ne figure pas dans le chapitre des demandes en nullité; la raison en est simple dans l'absence de tout consentement, il n'y a pas même lieu à exercer une demande en nullité, le mariage n'existant pas. L'article 180, au contraire, traite des demandes en nullité, et il parle du mariage nul, -- c'est-à-dire annulable, par défaut de liberté dans le consentement, ce qui est bien différent! Dans ce second cas, il y a consentement, mais ce consentement n'est pas libre; il y a mariage, mais mariage annulable; c'est au juge de prononcer la nullité, de casser le mariage.

« ZurückWeiter »