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CHAPITRE IV.

LE PREMIER CONSUL LÉGISLATEUR. DISCUSSION
DU CONSEIL D'ÉTAT.

On a changé tout cela! Lisez Marcadé, vous verrez le peu de cas qu'il fait de la vieille jurisprudence et des vieux jurisconsultes. Le malheur est qu'il n'est pas seul de cet avis, particulièrement dans la question qui nous occupe. La distinction entre les causes de nullité et les causes d'annulation a fait, dit-on, fortune dans l'école, et on la retrouve dans des écrits généralement estimés; bref, on accorde au juge, en cette matière, je ne sais quel pouvoir discrétionnaire que nos pères ne connaissaient pas. Eh bien ! je le repète, c'est un grand mal, sur lequel il faut appeler l'attention de tous les gens sensés, jaloux de préserver la société des derniers périls. Pour l'amour de Dieu, gardons la famille intacte parmi tant de ruines; travaillons à raffermir sur sa base antique et sacrée le foyer où nous goûtons nos meilleures et plus pures joies, si nous voulons qu'il résiste au choc redoublé des révolutions dont il a déjà ressenti les tristes atteintes. A l'heure qu'il est, le divorce est le cri de ralliement

d'une démagogie en délire; elle sait bien ce qu'elle veut, son instinct est sûr; tenons-nous done pour avertis. Ii serait digne de notre grande magistrature, si intègre et si grave, des professeurs savants et distingués qui se vouent dans nos Facultés à l'enseignement du droit, de tous les philosophes et politiques chrétiens, de tous les Français animés d'un vrai patriotisme, il serait digne de tant d'hommes d'élite d'opposer une digue au torrent des doctrines antisociales, et ils n'y arriveront jamais, s'ils ne remettent en honneur, dans les lois comme dans les mœurs, la sainteté, l'inviolabilité du mariage chrétien.

Quel est done le fondement de cette jurisprudence si nouvelle, si inconnue à nos pères? Quel est ce prineipe si mystérieusement renfermé dans le Code civil, jusqu'à ces derniers temps, que ses propres rédacteurs, on en convient, - ne s'en doutaient pas?

Les travaux préparatoires du Conseil d'État, étudiés de plus près, mieux approfondis, mieux compris, nous ont valu cette lumière. Il est vrai que les Tronchet, les Maleville, les Berlier et les Portalis, qui avaient trop vécu sous l'ancien régime, trop étudié Domat et Pothier, s'y montrent encore imbus_des vieilles maximes; mais, grâce à Dieu, ils n'étaient pas seuls; un jeune législateur était au milieu d'eux, dont le génie dissipait les ombres accumulées par eux sur ces grandes questions, et un beau jour, dans une séance à jamais mémorable, le FIAT LUX est tombé de la bouche du Premier Consul.

Je n'invente rien; bien plutôt j'atténue, par la pâ

leur et le terne de mon expression, le lyrisme d'enthousiasme avec lequel on nous annonce une si belle découverte. Il faut lire Marcadé; il est instructif et curieux, par ce rôle de Moïse sur le Sinaï qu'il attribue, de la meilleure foi du monde, au Premier Consul (1). Le passage est long, mais il importe de n'en rien retrancher, car il contient en substance tout le système. En le citant, nous y ajouterons quelques notes; puis nous en dégagerons les points qui méritent l'honneur d'une réfutation en règle. Que l'on écoute donc Marcadé, narrateur admiratif et charmé des travaux préparatoires du Conseil d'État. Voici comment, d'après lui, fut discuté le chapitre des demandes en nullité, comment le droit nouveau remporta la victoire sur l'ancien droit, en dépit des vieux conseillers qui faillirent un instant faire pencher la balance du côté de la routine et des absurdités du moyen âge.

<«< Heureusement, les choses ne se sont point ainsi pas<«<sées. Les étranges incohérences et les bizarreries <«< immorales de l'ancien droit étaient, à la vérité, dans « presque toutes les têtes, mais non pas dans toutes. « Au milieu de ces vieux jurisconsultes pleins de << science et riches de souvenirs, mais qui (nous << sommes bien forcé de le dire ici) obéissaient à l'au

(1) On peut lire aussi un mémoire couronné par l'Académie de législation Le Premier Consul Législateur, étude sur la part que prit Napoléon aux travaux préparatoires du Code, par Amédée Madelin, Paris, A. Durand, 1865. Mais le langage de M. Madelin pâlit auprès du style imagé de Marcadé, dont les doctrines sont d'ailleurs reproduites et approuvées par l'auteur du Mémoire.

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<< torité de la tradition, c'est-à-dire à la routine, plus << souvent qu'à l'autorité de la logique, on voit un « homme qui, tout jeune encore, s'élève au-dessus << d'eux de toute la hauteur du génie; un homme que << sa raison supérieure, et aussi son ignorance d'une législation désormais usée, affranchissaient de cette << routine funeste; et qui, saisissant avec sa vue d'aigle «<les théories droites, les idées justes, les hautes conceptions, qui échappaient souvent aux autres, usait << de sa magique et précieuse influence pour les faire pénétrer dans les textes, à l'insu quelquefois, ou « même contre le gré de ces vieux légistes qui se << disaient avec étonnement : « Mais cet homme-là est « à lui seul la législation incarnée. » (Paroles du con« sul Cambacérès.)

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Napoléon qui, âgé alors de trente et un ans seule« ment, exerçait cependant sur les conseillers une au<< torité beaucoup plus grande qu'on ne pourrait le

croire; qui, dans le titre des Actes de l'état civil, avait « fait admettre de vive force et malgré tout le conseil, « le principe, honni tout d'abord, mais bientôt ad« miré, que « là où est le drapeau français, là est la « France; » qui, dans la discussion de notre titre, alla jusqu'à reprocher aux conseillers de ne pas même « se faire une idée de l'institution du mariage; Napo<< léon sut ici saisir et faire écrire dans ces articles les << idées que nous avons développées plus haut, et ce n'est point par hasard que le texte du Code se trouve d'ac« cord avec la théorie que nous venons de présenter.

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<< Pendant que Portalis, Tronchet, Maleville, Ber

«lier, Cambacérès, Réal et les autres reproduisaient << éternellement les idées fausses critiquées plus haut; << par exemple, celle qu'un mariage non-existant par « défaut de consentement se ratifie s'il n'est pas attaqué; «< celle encore qu'il n'y a pas consentement quand il y a « violence ou séduction, Napoléon, entraîné tout d'a<< bord par cette manière générale de voir (Fenet, t. IX, « p. 15), s'en affranchit bientôt, et c'est pour n'y re<< venir jamais. A partir du milieu même de la pre«mière séance tenue sur ce titre (5 vend. an X, 27 sept. <«< 1801), on le voit reproduire avec la parole brève, « saccadée, énergique et saisissante qui lui était pro« pre, et quelquefois avec humeur de n'être pas mieux « compris, le grand principe de la différence entre le <«< mariage non-existant pour défaut de consentement, << et le mariage annulable pour consentement vicieux; « la réalité du consentement dans les cas de violence, « de séduction ou d'erreur par substitution à une « personne qu'on ne connaît pas, et dès lors existence << du mariage dans ces différents cas, sauf annula« tion, s'il y a lieu; l'immoralité de la faculté << absolue d'annuler pour cette substitution à une per<< sonne inconnue; la chimère, l'impossibilité com« plète d'une substitution à une personne connue; « la source du droit ancien dans le préjugé de la dis<< tinction des castes, dans la crainte des mésalliances « pour les familles riches et nobles et dans l'habitude « de se marier par procureur; en un mot, toutes « les idées précisément que nous avons essayé de << faire comprendre plus haut.

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