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jour, les moines réunis à Cluny en congrégation seront pleinement affranchis de notre puissance et de celle de nos parens, et ne seront soumis ni aux faisceaux de la grandeur royale, ni au joug d'aucune puissance terrestre. Par Dieu, en Dieu et tous ses saints, et sous la menace redoutable du dernier jugement, je prie, je supplie que ni prince séculier, ni comte, ni évêque, ni le pontife lui-même de l'Église romaine, n'envahisse les possessions des serviteurs de Dieu, ne vende, ne diminue, ne donne à titre de bénéfice à qui que ce soit rien de ce qui leur appartient, et ne se permette d'établir sur eux un chef contre leur volonté! Et, pour que cette défense lie plus fortement les méchans et les téméraires, j'insiste et j'ajoute, et je vous conjure, ô saints apôtres, Pierre et Paul, et toi, pontife des pontifes du siége apostolique, de retrancher de la communion de la sainte Église de Dieu et de la vie éternelle, par l'autorité canonique et apostolique que tu as reçue de Dieu, les voleurs, les envahisseurs, les vendeurs de ce que je vous donne, de ma pleine satisfaction et de mon évidente volonté. Soyez les tuteurs et les défenseurs de Cluny et des serviteurs de Dieu qui y demeureront et séjourneront ensemble, ainsi que de tous leurs domaines destinés à l'aumône, à la clémence et à la miséricorde de notre très-pieux rédempteur. Que si quelqu'un, mon parent ou étranger, de quelque condition ou pouvoir qu'il soit (ce que préviendra, je l'espère, la miséricorde de Dieu et le patronage des apôtres); que si quelqu'un, de quelque manière et par quelque finesse que ce soit, tente de violer ce testament, que j'ai voulu sanctionner par l'amour de Dieu tout-puissant, et par le respect dû aux princes des apôtres Pierre et Paul, qu'il encoure d'abord la colère de Dieu tout-puissant, que Dieu l'enlève de la terre des vivans, et efface son nom du livre

de vie; qu'il soit avec ceux qui ont dit à Dieu : retire-toi de nous; qu'il soit avec Dathan et Abiron, sous les pieds desquels la terre s'est ouverte, et que l'enfer a engloutis tout vivans. Qu'il devienne le compagnon de Judas qui a trahi le Seigneur, et soit enseveli comme lui dans des supplices éternels. Qu'il ne puisse, dans le siècle présent, se montrer impunément aux regards humains, et qu'il subisse dans son propre corps les tourmens de la damnation future, en proie à la double punition d'Héliodore et d'Antiochus, dont l'un s'échappa à peine et demi-mort des coups répétés de la flagellation la plus terrible, et dont l'autre expira misérablement, frappé par la main d'en-haut, les membres tombés en pourriture et rongés par des vers innombrables. Qu'il soit enfin avec tous les autres sacrilèges qui ont osé souiller le trésor de la main de Dieu; et, s'il ne revient pas à résipiscence, que le grand porte-clefs de toute la monarchie des églises, et à lui joint saint Paul, lui ferment à jamais l'entrée du bienheureux paradis, au lieu d'être pour lui, s'il l'eût voulu, de très-pieux intercesseurs. Qu'il soit saisi, en outre, par la loi mondaine, et condamné par le pouvoir judiciaire à payer 100 livres d'or aux moines qu'il aura voulu attaquer, et que son entreprise criminelle ne produise aucun effet. Et que ce testament soit revêtu de toute autorité, et demeure à toujours ferme et inviolable dans toutes ses stipulations. Fait publiquement dans la ville de Bourges. »

Cet acte remarquable, dont la lecture attentive révèle une époque bien mieux que toutes les paroles modernes ne pourraient le faire, est signé de la propre main de Guillaume, revêtu du sceau d'Ingelberge sa femme, fille de Boson, duc de Bourgogne, de l'archevêque de Bourges, de deux évêques, d'un comte, d'un vicomte et de trente

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six autres personnages qui composaient sans doute le conseil et la cour du duc d'Aquitaine. Mais j'ai essayé surtout d'en donner la traduction littérale, parce que, indépendamment de la curiosité historique, il me semble renfermer l'avenir et les destinées du monastère de Cluny.

Le vieux duc alla lui-même à Rome faire ratifier sa donation, et payer à l'église des apôtres la redevance promise. Bernon conduisit à Cluny douze moines de ses monastères, suivant le commandement de saint Benoît, et y bâtit une habitation pour la congrégation nouvelle, qui demeura soumise, pendant dix-sept ans, à son gouvernement, comme une simple dépendance de ses autres établissemens monastiques. Mais Bernon, avant de mourir, suivant un exemple que d'illustres antécédens légitimaient, distribua le gouvernement de ses monastères entre ses deux disciples chéris, Vidon, son parent, et saint Odon. Le premier reçut Gigny, Baume et autres lieux; Cluny fut réservé à Odon. C'est ce partage qui attribua au monastère de Cluny le titre de chef-d'ordre; et c'est saint Odon qui mérite seul, à vrai dire, la renommée de chef et de créateur de la congrégation de Cluny, réservée à tant de grandeur et d'éclat. Et, pour montrer, par un seul fait, à quel degré d'insouciante ignorance nous sommes tombés à l'égard des plus illustres monastères antiques, saint Odon dont nous allons parler, saint Odon, auteur d'ouvrages religieux remarquables en son siècle, saint Odon, fondateur véritable d'un des plus illustres monastères du monde, n'a pu obtenir une seule ligne dans la biographie universelle, répertoire banal pourtant d'une foule de célébrités obscures et de réputations plus que contestées.

CHAPITRE IV.

Saint Odon, premier abbé de Cluny.

Sa haute influence sur son siècle. C'est lui qui crée les aggrégations de monastères.

Odon était réservé à devenir la gloire et le restaurateur de l'ordre de saint Benoît. Il était d'une noble famille franque, comme son nom seul l'indique; ex militari Francorum prosapia, disent les contemporains. Cette circonstance n'est pas indifférente; car elle prouve, avec tant d'autres exemples, combien la race conquérante, en se plaçant à la tête des établissemens religieux, s'était déjà profondément mêlée aux populations et aux sentimens généraux du pays. Elle prouve encore combien, étendue hors des premières origines de notre histoire, la distinction entre les Francs et les Gaulois est chose vaine et forcée. On comprend aussi quel empire dut exercer sur l'esprit des peuples le double ascendant des idées religieuses et de la haute naissance réuni dans un seul homme, à une époque surtout où le défaut absolu d'unité et de force gouvernementales laissait à toutes les puissances locales une liberté complète d'influence et d'extension. L'institut monastique devenait

une société à part dans la société générale, de même que, dans un autre sens, chaque contrée devenait féodalement le centre d'une société partielle. La nécessité des choses conduisait là.

Louis IV (d'outre-mer), en 939; le pape Agapet, en 946, et avant lui Jean XI, confirmèrent, il est vrai, par des chartes expresses les origines et l'existence du monastère de Cluny mais, à ce moment, l'autorité royale était sans vigueur, la puissance pontificale ne faisait encore que préluder à son agrandissement moral; et la splendeur de Cluny devait venir alors, non pas tant de la consécration du pouvoir public, civil ou religieux, que de la science et de la sainteté de ses premiers habitans.

Odon ne manqua point à son rôle de fondateur. Son éducation avait été grande. Il avait passé plusieurs années de sa jeunesse à la cour de Guillaume, duc d'Aquitaine; son père, Abbon, fort versé lui-même dans l'histoire et la jurisprudence, l'avait nourri de bonnes traditions domestiques. Mais Odon ne tarda point à préférer aux sciences du siècle les méditations religieuses. Après avoir étudié la grammaire à Tours, la dialectique et la musique à Paris, il revint se livrer à l'étude et aux pieuses pratiques, près du tombeau de saint Martin de Tours, auquel sa mère l'avait voué dès son enfance. Le respect des peuples ne manqua point aux austérités de sa vie. Il couchait à terre, il jeûnait sans cesse, il jeta plus d'une fois sa tunique aux enfans nus abandonnés dans le vestibule des temples. On remarquait avec admiration qu'il ne mangeait qu'une demilivre de pain par jour, et qu'il buvait peu de vin, contre la coutume des Francs (extra naturam Francorum), dit naïvement la chronique.

L'imagination populaire l'entoure de merveilleux évé

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