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INTRODUCTION.

Lorsque la Revue des Deux Bourgognes chercha, en 1836, à ranimer les études et les souvenirs de notre double province, la nouvelle école historique avait déjà répandu ses ensens. On savait déjà que, presque jusqu'aux temps les plus rapprochés des nôtres, la véritable histoire de France est dans les histoires locales. On n'était plus la dupe de cette ignorante fiction qui, malheureusement incarnée encore dans les livres et dans les esprits vulgaires, ne tient aucun compte de l'immense intervalle écoulé, dans les institutions aussi bien que dans les temps, de l'empire romain à nos monarchies modernes ; prend les pouvoirs européens pour les héritiers directs de l'empereur du Code et des Pandectes; donne les mêmes titres et les mêmes droits à Auguste, à Dioclétien, à Charlemagne; confond la royauté naissante et barbare de Clovis avec l'autorité accidentelle et conquérante de Charlemagne,

celle de Charlemagne avec le sceptre féodal et brisé d'Hugues Capet; ne met nulle différence entre la souveraineté militaire, errante, sans doctrines fixes, des premières races de nos rois, et la souveraineté croissante et envahissante de la troisième dynastie. A croire ces préjugés, toutes les institutions vivaces qui s'attachaient au sol de la patrie, avant que les rois français fussent arrivés à l'omnipotence, avant même qu'il n'y eût des rois de France, étaient autant d'usurpations insignes; et tout ce que l'autorité monarchique a successivement ôté à ce qui l'entourait et la gênait, n'a été qu'une sorte de retour au droit commun et à l'ordre légitime. Voilà ce que l'esprit des légistes, qui n'est pas encore bien passé parmi nous, avait fait doctrinalement de la vieille France; voilà ce que les historiens ont dit, ce que les masses ont cru et commenté, jusqu'à ce qu'enfin la centralisa complette, cette grande machine gouvernementale, soit venue tout écraser et tout effacer sous son implacable niveau, et faire de nos gouvernemens unitaires comme une vaste plaine sans aspérités, sans ombrages et sans repos.

Tout le monde sait bien à présent que la centralisation peut être la nécessité fatale d'une société grande et vieillie, mais qu'aussi elle est comme un géant social qui dévore tout, et semble s'asseoir au sommet des grands empires pour leur prédire leur décrépitude et leur déclin. Tout le monde sait bien à présent que le royaume de France ne s'est pas fait d'un seul coup, mais province à province, de même que les droits et les institutions n'ont cessé de changer, de se modifier, de

lutter, de s'entre-dévorer, et que les jalousies plébéiennes, qui ont combattu pendant de longs siècles pour donner à la royauté une prépondérance décisive sur les élémens sociaux et résistans de l'ancienne France, ont fini par se trouver face à face avec le pouvoir royal souverain, en qui tout s'était absorbé de complicité avec elles, et par faire rendre à la royauté tout ce qu'elles lui avaient donné, plus même qu'elles ne lui avaient donné, et jusqu'à son propre sang. Aussi cette centralisation, instrument vigoureux des civilisations contemporaines, est-elle la fille de tous les régimes que nous avons subis des rois comme des juges de rois. On la voit prôner également par les admirateurs de l'ancienne monarchie, par les séides de la Convention et les serviteurs de l'Empire: elle survit même, parmi nous, au régime représentatif qui devrait lui résister, et en devenir le correctif et le remedle: Chaque pouvoir qui passe la recueille, en use, en abuse, et la transmet entière au pouvoir qui le suit. Il n'est si mince écrivain de journal, ou si petit parleur de tribune, qui ne croie trancher du Napoléon, ou tout au moins du Richelieu, en prônant sans limites les merveilles de la centralisation moderne. Tous passent, à ce sujet, par les mêmes phrases formulées, par les mêmes pensées toutes faites. On est convenu d'abandonner à un faux esprit de parti, sans avenir et sans franchise, le rêve des libertés et des institutions locales. Monarchie, république, empire, gouvernement constitutionnel; tous s'accordent à mailler et remailler l'immense et invariable réseau d'unité qui de toutes parts nous enserre,

nous enveloppe et nous étouffe. Et pourtant, sans méconnaître ce qu'il y a de grand, d'utile et même de fatal, dans ce vaste système unitaire qui tient dans sa main, rassemblées comme un seul homme, les populations les plus nombreuses, qui ne voit ce qu'il y a de fausse grandeur à traiter tout un peuple comme un régiment, sorte d'automate collectif, habillé des mêmes habits, obéissant aux mêmes signes, partant du même pied et cédant à des mouvemens uniformes bien moins intelligens que mécaniques? Qui ne voit que la vraie grandeur est la variété dans l'unité, et non pas cette uniformité aplatie qui éteint la vie morale, abaisse les caractères, décourage les nobles cœurs, fait une révolution avec un coup de main et un télégraphe, et traite la science du gouvernement comme une immense machine à vapeur? Je ne sais si je m'abuse : mais je crois qu'il n'y a point de vraie liberté, de vrai régime représentatif, dans ces idées étroites qui ne laissent à nulle chose sa force légitime d'expansion, qui compriment et ne dirigent point, paralysent plutôt qu'elles n'excitent, apauvrissent sans fin la circonférence sans ennoblir le centre, et font de la France entière une capitale, et de la capitale un point unique où toutes les ambitions aspirent, se pressent, se heurtent, se bouleversent, au risque de faire éclater à chaque instant la force gouvernementale trop condensée, tandis que les provinces s'éteignent et meurent sans énergie, sans espoir, vivant d'imitation et d'emprunt, laissant s'étioler de plus en plus ce qui végéte au milieu d'elles, perdant sans cesse le goût et l'ambition des

belles et bonnes choses, des lettres, des sciences, des arts; s'endormant sans dignité dans leur inaction morale, et livrant périodiquement aux perditions de la grande Babylone le peu d'ames d'élite qui n'ont pu s'assoupir tout-à-fait dans une existence sans aliment et sans but. Y a-t-il une guérison à tant de mal dans les destinées du gouvernement représentatif? Ne sommesnous pas déjà trop énervés et trop individualisés par la vieille habitude de regarder, les bras pendans, le pouvoir qui fait tout, de quelque nom qu'il se nomme; par l'absence funeste de toute croyance, de tout principe, de tout sentiment fécond; et, plus que tout le reste, par les préjugés d'ignorance et d'égalité démocratiques? Grave problême qui décidera de l'avenir du pays! Question profonde, hors de laquelle il n'y a point de solution possible pour nos mœurs nationales, notre éducation politique et le balancement réel du pouvoir!

Nous avons beau être fiers de nos guerres populeuses, de nos immenses armées et de nos champs de bataille couverts de milliers de morts; nous avons beau montrer nos trentre-trois millions de Français parlant la même langue, du nord au midi, de l'est à l'ouest, sans égard aux climats, aux fleuves et aux montagnes; obéissant à une législation unique, systėmatiquement serrés dans l'égalité du même habit noir; il n'est pas sûr que ces prodiges d'unité ne soient pas les symptômes d'une décadence imminente; il n'est pas sûr que nous ne ressemblions point à ces anciens peuples que l'histoire nous montre, commençant à tomber

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