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vous cela à dessein ou par ignorance? Ah! sans aucun doute, tous ces vices que vous laissez percer au-dehors partent du fond de vos cœurs. Un cœur vain communique au corps toutes ses vanités, et les superfluités extérieures sont une marque infaillible des vanités du dedans. On ne se donnerait pas tant de peine à orner son corps, si l'on n'avait d'abord négligé la pratique des vertus. »

La vie luxueuse des chefs des monastères n'échappe point à la vive censure de saint Bernard et à ses ardentes apostrophes :

« Comment la lumière du monde s'est-elle obscurcie? comment le sel de la terre s'est-il perdu ? ceux dont la vie devait être pour nous la voie de notre vie, ne nous donnent plus dans leurs œuvres que des exemples d'orgueil. Ils sont devenus aveugles eux-mêmes, ceux qui devaient servir de guide aux aveugles; car quel modèle d'humilité est-ce offrir, pour ne rien dire du reste, que de marcher avec tant de pompe et de chevaux, entouré des services empressés de tant d'hommes chevelus, que la suite d'un seul abbé pourrait suffire à deux évêques ? grand Dieu ! n'ai-je pas vu un abbé avoir dans son cortège plus de soixante chevaux ? On dirait, à les voir passer, que ce sont des seigneurs de châteaux, et non les pères des monastères ; des chefs de provinces, et non des directeurs d'ames. Puis ils font porter à leur suite leur linge de table, leurs coupes, leurs aiguières, leurs candélabres, leurs valises chargées, non point de leurs simples couches, mais des ornemens de leurs lits. Ils s'éloignent à peine de

quatre lieues de leur résidence, qu'ils emportent avec eux tout leur mobilier, comme s'ils allaient à la guerre, ou qu'ils se préparassent à traverser un désert où l'on ne peut rien trouver de ce qui est nécessaire à la vie. Ne pourraient-ils se servir du même vase pour boire et pour leurs ablutions? Ne pourraient-ils s'éclairer d'ardens flambeaux, sans les faire briller dans des candélabres, et dans des candelabres d'or ou d'argent? Ne pourraient-ils dormir, si ce n'est sur des tapis variés et sous des couvertures exotiques? Un seul et même domestique ne pourrait-il soigner leur monture, les servir à table et préparer leur lit? et pourquoi du moins, avec une telle multitude de serviteurs et de bêtes de somme, ne portons-nous pas avec nous tout ce dont nous avons besoin pour ne pas surcharger les hôtes qui nous reçoivent ? >>

L'opulence des églises, les merveilles monumentales, les chefs-d'œuvre des arts, ne trouvent pas même grace devant le grand puritain du catholicisme : « Ceci n'est rien encore : voici qui est bien plus grave, et qui le parait moins pourtant, parce qu'un usage plus fréquent l'a consacré. Je ne parle pas de l'immense hauteur de nos églises, de leur longueur immodérée, de leur inutile largeur, de leur somptueuse recherche, de leurs peintures curieuses, qui attirent sur elles les regards de ceux qui prient, empêchent l'attention du cœur, et me rappellent à moi l'antique culte judaïque. Que tout cela se fasse en l'honneur de Dieu, je le veux. Mais, moine moi-même, j'adresserai aux moines la question qu'un Gentil adressait aux Gentils : Dites-moi, ô Pon

tifes ! leur criait le poète, à quoi bon l'or dans les choses saintes ? Et moi je répète, en gardant le sens et non la mesure du vers: dites-moi, simples et pauvres moines, si tant est que vous soyiez pauvres, à quoi bon l'or dans les choses saintes ? et prenez garde, la situation des évêques n'est pas la même que celle des religieux. Nous savons, en effet, qu'ils ont des devoirs à remplir envers les fous comme envers les sages, et qu'ils excitent la dévotion charnelle du peuple par des ornemens corporels, parce qu'ils ne peuvent l'émouvoir par les choses spirituelles; mais nous qui nous sommes séparés du peuple, nous qui avons quitté pour le Christ tout ce qui a du prix et de la beauté dans le monde; nous qui, pour gagner le Christ, avons regardé comme un vil fumier tout ce qui brille, tout ce qui flatte les yeux, tout ce qui est doux à voir, à goûter, à sentir, à toucher, en un mot, tout ce qui caresse le corps et les sens, de qui avons-nous à exciter la piété par de telles choses? et quel fruit espérons-nous en retirer ? est-ce l'admiration des sots, ou le plaisir des simples? pour avoir été mêlés jadis aux nations, avons-nous par hasard appris leurs œuvres, et sommes-nous encore les serviteurs de leurs arts et de leur luxe ?

Et, pour parler ouvertement, tout cela n'est-il pas œuvre d'avarice et d'idolâtrie, et ne cherchons-nous pas plutôt à recevoir qu'à produire ? en quoi donc, direz-vous? en vérité, d'une façon merveilleuse. On dépense ses richesses avec tant d'art qu'elles se multiplient. On les dissipe pour les augmenter; et la prodigalité amène l'abondance. A la vue de ces vanités somptueu

ses, mais admirables, les hommes s'enflamment à la libéralité plus qu'à la prière. Ainsi les richesses épuisent les richesses, l'argent attire l'argent car, je ne sais pourquoi, on donne plus volontiers là où l'on aperçoit déjà plus de splendeur. Les yeux sont éblouis de reliques couvertes d'or, et les bourses s'ouvrent. On expose les magnifiques représentations d'un Saint ou d'une Sainte; et plus elles éclatent en couleurs, plus on croit à leur sainteté. Les populations courent embrasser les reliques, et sont excitées à faire des dons; elles admirent bien plus les belles choses, qu'elle ne vénèrent les choses sacrées. Puis, on expose dans les églises, non plus seulement des couronnes précieuses, mais des roues entourées de lampes ardentes, plus éclatantes encore par l'éclat des pierreries. Nous voyons s'élever en candélabres comme des arbres de pesant airain, d'un admirable travail, bien moins étincelans par les flambeaux qui les surmontent que par les diamans qui les décorent. Que pensez-vous qu'on recherche en tout cela : les contritions de la pénitence, ou les admirations de la curiosité? ô vanité des vanités, mais moins vaine encore qu'insensée ! L'église est brillante dans ses murailles, mais elle est besogneuse dans ses pauvres. Elle revêt d'or ses pierres, et elle laisse ses enfans nus. On prend sur la nourriture des nécessiteux pour flatter les yeux des riches. Les curieux trouvent à se charmer, et les malheureux ne trouvent pas à se nourrir. Et ne poussons-nous pas notre vénération pour les images des Saints jusqu'à en couvrir le pavé que nous foulons aux pieds? On crache souvent sur la face d'un Ange, et

souvent le visage d'un saint est heurté par la chaussure des passans. Si vous ne ménagez pas mieux ces images sacrées, ménagez du moins vos belles couleurs. Pourquoi ornez-vous ce qui va bientôt être souillé ? pourquoi chargez-vous de peintures ce qui sera nécessairement foulé aux pieds ? à quoi bon toutes ces belles figures, destinées à être continuellement tachées de poussière? et enfin, quel rapport tout cela a-t-il avec les pauvres, avec les moines, avec les hommes de l'esprit? Au vers du poète que je vous ai cité, vous répondrez peut-être par ces mots du prophète : « Seigneur, j'ai chéri la beauté de ton temple, et l'habitation de ta gloire. » J'y consens encore: souffrons que cela se passe ainsi dans les églises; car si cela est dangereux pour les ames vaniteuses et cupides, cela peut ne pas l'être pour les cœurs simples et pieux.

«Mais dans les cloîtres, devant des frères occupés de lectures, à quoi bon ces ridicules monstruosités, ces admirables beautés difformes, ou ces difformités si belles? que font là ces figures de singes immondes, de lions féroces, de monstrueux centaures, de moitié d'hommes, de tigres tachetés, de guerriers combattans, de chasseurs sonnant de la trompette ? vous pourriez y voir plusieurs corps sous une seule tête, puis plusieurs têtes sur un seul corps; là un quadrupède avec une queue de serpent, ici un poisson avec une tête de quadrupede: là, une bête affreuse, cheval par-devant, chèvre par-derrière; ici, un animal à cornes qui porte la croupe d'un cheval. C'est enfin un tel nombre, une telle variété de formes bizarres ou merveilleuses, qu'on a plus de plai

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