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que j'étais un homme charnel et vendu au péché, et que je sentais en mon ame une telle langueur qu'il lui fallait un remède plus énergique. Aux maladies diverses il est bon d'approprier des remèdes divers; au mal le plus violent le plus violent remède....

<< Vous direz peut-être : Mais comment observent-ils la Règle de saint Benoît, ceux qui sont revêtus de fourrures, qui se nourrissent, en santé, de chair ou de graisse de viande ; qui admettent, contre la Règle, trois ou quatre mets dans un seul jour, ne se livrent point au travail des mains qu'elle ordonne, enfin changent, augmentent ou diminuent beaucoup de choses selon leur fantaisie? Ces reproches sont fondés, on ne le peut nier; mais prenez garde au précepte divin avec lequel l'institut bénédictin ne peut être en désaccord. Le royaume de Dieu, est-il dit, est au-dedans de vousméme, c'est-à-dire, ne consiste pas dans les choses extérieures, dans les vêtemens ou les alimens du corps, mais dans les vertus de l'homme intérieur. Voilà pourquoi l'Apôtre dit : « Le royaume de Dieu, ce n'est pas le boire et le manger, mais la paix et la justice, et la joie dans l'Esprit-Saint; » et encore : <<< le royaume de Dieu n'est pas dans les paroles, mais dans la vertu. » Vous dressez vos accusations contre vos frères, à propos des observances corporelles, et vous ne songez point à la partie capitale de la Règle, aux préceptes spirituels ! Vous avalez un chameau, et vous ne pouvez digérer un moucheron ! Vous mettez un grand soin à couvrir votre corps de l'habit régulier, et, contre la Règle, vous ne

songez point à vêtir votre ame nue et abandonnée ! Vous mettez tant d'importance et de zèle à donner à votre corps une tunique et une cuculle, que celui à qui elles manquent n'est plus à vos yeux un moine: pourquoi donc n'avez-vous pas la même prévoyance à donner à votre esprit la piété et l'humilité qui sont des vêtemens spirituels ? Entourés d'une tunique et de notre orgueil, nous détestons les fourrures! comme si l'humilité enveloppée de fourrures ne valait pas mieux que l'orgueil en tunique; surtout, puisque Dieu donna aux premiers hommes des tuniques de peaux d'animaux ; que Jean, dans le désert, ceignit ses reins d'une ceinture de peau de bête, et que ce fondateur de la vie solitaire se vêtit de la dépouille des animaux sauvages? Le ventre rempli de fêves, et l'esprit plein d'orgueil, nous condamnons ceux qui se nourrissent de choses grasses! comme s'il ne valait pas mieux manger modérément des alimens gras, que de se soûler de légumes venteux jusqu'à la nausée! surtout, quand nous voyons Esaü être repris, non à propos de viande, mais au sujet de lentilles; Adam lui-même condamné, non pour avoir mangé de la chair, mais un fruit; Jonathas voué à la mort, pour avoir goûté le miel, et non la chair; et au contraire, Elie manger de la viande innocemment, Abraham en offrir aux anges comme une nourriture agréable, et Dieu même ordonner qu'on lui offre des animaux en sacrifice. N'est-il pas meilleur de boire un peu de vin, à cause de sa faiblesse, que de se gorger avidement d'une grande quantité d'eau ? car saint Paul a conseillé à Timothée d'user du vin avec modération;

le Seigneur lui-même a bu du vin, de manière à ètre appelé buveur de vin; il en a fait boire à ses apôtres : bien plus, il a voulu que le vin représentat son sang dans le divin sacrifice; il n'a pas souffert même qu'on bût de l'eau aux noces de Cana.... David aussi a redouté de boire l'eau qu'il avait désirée; et les soldats de Gédéon, pour avoir bu avidement dans le fleuve et le corps tout étendu à terre, n'ont pas été dignes de combattre. Quant au travail des mains, à quoi bon en tirer gloire ? Marthe n'a-t-elle pas été blâmée dans son travail, et Marie louée dans son repos; Paul ne dit-il pas ouvertement : « Le travail du corps sert à peu de chose, c'est la piété qui est toute-puissante. » Le meilleur travail est celui dont le Prophète disait : « J'ai travaillé à gémir; » et ailleurs : « Je me suis souvenu de Dieu, je me suis réjoui et je me suis exercé en lui. »

Pierre-le-Vénérable lui-même, qui réforma et flagella aussi, bien qu'avec plus de mansuétude, les relâchemens de ses frères, leur reproche de se jeter sur la viande comme des corbeaux, more corvino; il ne cesse d'adresser à leur orgueil et à leur paresse les conseils les plus pénétrans et les plus salutaires.

Que la cellule, écrit-il à un religieux, que la cellule qui te sépare du monde, au milieu du monde même, et semble te faire pénétrer dans les retraites les plus intérieures des profondes solitudes, sans que tu aies rien à envier aux déserts les plus reculés de l'Egypte, que ta cellule, selon la parole de l'un de nos Pères, t'instruise seule et plus éloquemment par son silence que tous nos maîtres ensemble. Il est impossible

que tu ne l'écoutes pas, lorsque, chaque jour, elle t'avertit de ton salut. Fuis les hommes, dit un Père du désert, garde le silence, et tu seras sauvé. A croire saint Jérôme, il faut parer la mort avec son bouclier, ou l'éviter par la fuite; et Jérémie dit quelque part : Il s'asseoira solitaire et il se taira..... L'ennemi du genre humain ne se sert pas des mêmes armes contre tous les hommes, il prépare contre chacun d'eux une attaque différente. Il attire dans des piéges divers les laïques, les moines, les maîtres, les sujets, les oisifs et les hommes occupés: contre tous sa malice est la même, mais sa ruse change de formes. — Et comme, selon l'Écriture, tout homme oisif vit dans les désirs, avec l'inoccupation arrivent tous les désirs vains. Tout le temps que dévore la paresse est en proie à de vaines et périlleuses pensées. C'est comme une armée de tentations multiples qui se précipite sur le désœuvré; c'est comme toute la troupe des vices qui parcourt en quelque sorte avec des cris confus une maison qu'elle trouve vide. Le monde entier entre alors dans la cellule, et cette étroite enceinte, capable à peine de contenir un seul homme, renferme désormais des villes et des royaumes. Le repos le plus profond devient la plus agitée des préoccupations. Et comme les sens du religieux ne rencontrent autour de lui que la solitude, son imagination se représente l'univers entier. Tantôt il se place juge souverain sur un auguste tribunal; tantôt il orne sa tête de la mître épiscopale, tantôt il commande à des milliers de moines: tantôt il parcourt toutes les fonctions et les dignités ecclésiastiques. Il pleure sur

sa torpeur oisive, et son repos le tourmente et le fatigue plus que ne le feraient tous les travaux. Je ne parle point des innombrables pensées, plus coupables que celles-là, qui viennent assaillir la misère de l'homme, dès qu'il a fui lâchement une fois devant l'ennemi. Ainsi, des ambitions violentes envahissent une ame vide comme sa cellule. Il s'endort d'ennui; et ce n'est pas en Dieu, mais dans le monde, ce n'est pas en luimême, mais en-dehors de lui, qu'il cherche un remède contre l'ennui qui le ronge. Or, voilà son pire malheur..... car celui qui avait fait profession de pauvreté amasse peu à peu des richesses; il ne s'arrête pas que du bien d'autrui il n'ait garni son épargne. Il a l'air de ne recueillir que ce qui est nécessaire à sa propre indigence, et promet son superflu aux pauvres. Celui qui avait renoncé à la possession de ce qui lui appartenait veut ainsi devenir le dispensateur du bien des autres. Alors le serviteur de Dieu devient l'esclave de la richesse en feignant de veiller aux intérêts des indigens, il se réserve de se livrer lui-même plus librement à sa cupidité. Il exhorte tout le monde à secourir les pauvres ; il passe pour un ministre saint, un véritable Paul, et personne ne le juge ce qu'il est, un Ananias sans foi. Par cette fourberie, la cabane du pauvre devient le garde-trésor des rois; la pauvreté du religieux se fait plus opulente que Salomon; et de la retraite de l'indigence se répandent avec largesse tous les trésors des Indes. Du soin des pauvres, l'esprit du religieux est emporté au sommet des plus somptueux édifices. De là, il examine attentivement tout ce qui

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