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la retraite, celle de l'humilité vous y oblige beaucoup davantage : c'est ce qu'il faut encore montrer, en un mot, par l'exemple de la sainte Vierge. Lorsque toute la Judée accourt à son Fils, étonnée de ses prédications et de ses miracles, elle ne se mêle sẻ pas dans ses actions éclatantes, elle demeure enfermée dans sa maison; et depuis le temps bienheureux de la manifestation de Jésus-Christ, à peine paroîtelle une ou deux fois dans tout l'Evangile. Au reste, durant trente années qu'elle le possède toute seule, elle ne se vante pas d'un si grand bonheur; elle garde partout le silence, et nous voyons bien dans l'Histoire sainte, qu'elle écoute attentivement ce qui se disoit de son Fils, qu'elle l'admire en ellemême, qu'elle le médite en son cœur; mais nous ne lisons pas qu'elle en parle, si ce n'est à sa cousine sainte Elisabeth, à laquelle elle ne pouvoit se cacher; parce qu'il a plu au Saint-Esprit de lui révéler le mystère.

Ne voyez-vous pas, chrétiens, cette pudeur de l'humilité, qui se sent comme violée par les regards et par les louanges des hommes? Imitez un si grand exemple, et croyez que, pour plaire à l'Epoux céleste, vous ne pouvez jamais être trop cachés : que si vous en demandez la raison, je vous dirai, en peu de paroles, qu'il est un amant jaloux. Il est ordinaire aux jaloux de cacher soigneusement ce qu'ils aiment, afin de le réserver tout entier à leur cœur avide, que le moindre soupçon de partage offense à l'extrémité. Jésus, votre amant, est jaloux d'une jalousie extraordinaire: car il n'est pas seulement jaloux, si vous avez pour les autres quelque com

plaisance; mais il est si sévère et si délicat, qu'il se pique si vous en avez pour vous-même. « Si la droite » fait quelque bien, que la gauche, dit-il, ne le » sache pas (1)». Il demande tout votre amour pour lui seul, et tellement pour lui seul, que vous-même, tant il est jaloux, ne devez point entrer dans ce partage. Pour satisfaire à sa jalousie, vous ne sauriez vous chercher, ma Sœur, une trop profonde retraite. Cachez-vous avec Jésus-Christ, dans la sainte obscurité de cette clôture; et pour être entièrement selon son cœur, arrachez du vôtre, jusqu'à la racine, tout le désir de paroître et de plaire au monde.

Un auteur profane a écrit, au rapport de saint Augustin, que les grands et les puissans de la terre, et pour user de son mot, les princes, c'est-à-dire, les personnes de votre naissance et de votre rang, devoient être nourries par la gloire : Principem civitatis alendum esse glorid (2). Et moi au contraire, je vous dis, ma Sœur, que le mépris de la gloire doit être votre nourriture; que vous devez effacer de votre mémoire toutes les marques de grandeur : et afin que vous commenciez à les oublier, je ne vous parlerai plus, ni des titres illustres qui sont si bien dus à la grandeur de votre maison, ni des avantages glorieux de votre naissance. Je n'ignore pas néanmoins, que j'en pourrois parler plus librement à une personne qui les quitte et qui les foule aux pieds, et qu'on peut en discourir de la sorte, pour en inspirer le mépris. Mais cette manière détournée d'en parler en les rabaissant, ne me semble pas encore

(1) Matth. vi. 3. col. 130.

(2) De Civit. Dei, lib. v, cap. xi; tom. vi,

assez pure pour la prise d'habit d'une carmelite. Il est des passions délicates que l'on réveille, nonseulement quand on les chatouille, mais encore quand on les pique et quand on les choque; il vaut mieux les laisser dormir éternellement, et qu'il ne s'en parle jamais, parce qu'on ne peut les rabaisser de la sorte, sans en rappeler les idées. Ainsi l'on imprime insensiblement ce que l'on vouloit effacer, et l'on réveille quelquefois la vanité qu'on pensoit détruire.

Aussi ai-je remarqué, dans les saintes Lettres, que l'Esprit de Dieu qui les a dictées, parle aux épouses de Jésus-Christ des avantages de la naissance, avec une précaution admirable. Il ne les avertit pas seulement de les mépriser, il veut qu'elles en perdent jusqu'au souvenir: « Ecoutez, ma fille, et voyez, >> et oubliez votre peuple et la maison de votre » père (1) »; nous montrant, par cette parole, que le remède le plus efficace contre ces douces pensées, qui flattent l'ambition et la vanité, dans la partie la plus délicate et la plus sensible, c'est de n'y faire plus de réflexion, et de les ensevelir, s'il se peut, dans un oubli éternel.

Pratiquez cette leçon salutaire; et si vous jetez les yeux sur ceux dont vous tenez la naissance, que ce soit pour contempler leurs vertus; que ce soit pour considérer cette conversion admirable, où tous les intérêts politiques cédèrent à la force de la vérité, et furent sacrifiés si visiblement à la gloire de la religion; que ce soit pour vous fortifier dans la piété par l'exemple de cette héroïne chrétienne,

(1) Ps. XLIV. II.

qui vous a donné plus que la naissance, et qui n'auroit rien désiré avec tant d'ardeur sur la terre, que de vous voir aujourd'hui renaître, s'il avoit plu à la Providence qu'elle eût été présente à cette action. Mais que dis-je? Elle la voit du plus haut des cieux; et si la félicité dont elle y jouit est capable de recevoir de l'accroissement, vous la comblez d'une joie nouvelle. Suivez sa dévotion exemplaire; et comme Dieu l'a choisie pour remettre la vraie foi dans votre maison, tâchez d'achever un si grand ouvrage. Vous savez, ma Sœur, ce que je veux dire; et quelque illustre que soit cette assemblée, on ne s'aperçoit que trop de ce qui lui manque. Dieu veuille que l'année prochaine la compagnie soit complète; que ce grand et invincible courage se laisse vaincre une fois; et qu'après avoir tant servi, il travaille enfin pour lui-même (*). Votre exemple lûi peut faire voir que le Saint-Esprit agit dans l'Eglise avec une efficace extraordinaire, et de moins sera-t-il forcé d'avouer que, dans le lieu où il est, il ne se verra jamais un tel sacrifice.

Mais il est temps, ma Sœur, de vous le laisser accomplir; votre piété s'ennuie de porter si longtemps les livrées du monde et les marques de sa vanité. J'entends que vous soupirez après cet heureux habit, que l'Eglise va bénir pour vous. Vous aurez cet honneur extraordinaire, de le recevoir par les mains de cet illustre prélat, qui représente ici, par sa charge, la majesté du Siége apostolique, et qui en soutient si bien la grandeur par ses vertus

(*) Le personnage pour lequel l'orateur forme ici des vœux, est le maréchal de Turenne, dont on espéroit la conversion; mais qui ne fit son abjuration qu'en 1668. ( Edit. de Versailles.)

éminentes. J'ose dire qu'il vous devoit cet office: il falloit que Rome, où vous êtes née, s'intéressât par ce moyen à l'exemple de piété que vous donnez à Paris. Entrez donc dans cette clôture avec la sainte bénédiction de ce très-digne archevêque : mais souvenez-vous éternellement, que dès le premier pas que vous y ferez, vous devez renoncer de tout votre cœur jusqu'au moindre désir de paroître, et prendre, pour votre partage, la sainte et mystérieuse obscurité, en laquelle il a plu à notre Seigneur que sa divine mère fût enveloppée.

Madame (*), la grandeur qui vous environne, empêche sans doute Votre Majesté de goûter cette vie cachée, qui est si agréable aux yeux de Dieu, et qui nous unit si saintement au Sauveur des ames. Votre gloire, déjà élevée si haut, a reçu encore un nouvel éclat, où nos expressions ne peuvent atteindre. Car qui pourroit dire, Madame, combien il est glorieux d'avoir contribué, avec tant de force,ì pacifier éternellement ces deux puissantes maisons, qui semblent ne se pouvoir quitter, tant elles se sont souvent embrassées; qui sembloient ne se pouvoir joindre, tant elles se sont souvent désunies, et que nous voyons maintenant réconciliées par cet admirable traité, qui nous promet enfin la paix immuable; parce que jamais il ne s'en est fait, où le présent ait été réglé par des décisions plus tranchantes, ni où l'avenir ait été prévu avec des précautions plus sages: tant a été pénétrant ce noble génie, que Votre Majesté nous a conservé, par une si constante et si charitable prévoyance, comme l'instrument nécessaire pour achever un si grand ouvrage.

(*) A la Reine mère.

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