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de la vanité; s'attachant, pour ainsi parler, à suivre par sa vengeance toutes les diverses parures qu'une vaine curiosité a inventées. A ces menaces du SaintEsprit, l'ame qui s'est sentie long-temps attachée à ces ornemens, commence à rentrer en elle-même. Quoi, Seigneur, dit-elle, vous voulez détruire toute cette vaine parure? Pour prévenir votre colère je commencerai moi-même à m'en dépouiller. Entrons dans un état où il n'y ait plus d'ornement que celui de la vertu.

Ici cette ame dégoûtée du monde, s'avisant que ces ornemens marquent dans les hommes quelque dignité, et venant à considérer les honneurs que le monde vante, elle en connoît aussitôt le fond. Elle voit l'orgueil qu'ils inspirent; et découvre dans cet orgueil, et les disputes, et les jalousies, et tous les maux qu'il entraîne: elle voit en même temps que si ces honneurs ont quelque chose de solide, c'est qu'ils obligent de donner au monde un grand exemple. Mais on peut en les quittant donner un exemple plus utile; et il est beau, quand on les a, d'en faire un si bel usage. Loin donc, honneurs de la terre : tout votre éclat couvre mal nos foiblesses et nos défauts; il ne les cache qu'à nous seuls, et les fait connoître à tous les autres. Ah! « j'aime mieux avoir » la dernière place dans la maison de mon Dieu, » que de tenir les plus hauts rangs dans la demeure » des pécheurs (1) ».

L'ame se dépouille, comme vous voyez, des choses extérieures; elle revient de son égarement, et commence à être plus proche d'elle-même. Mais osera(1) Ps. LXXXIII. 11.

t-elle toucher à ce corps si tendre, si chéri, si ménagé? N'aura-t-on point de pitié de cette complexion délicate? Au contraire, c'est à lui principalement que l'ame s'en prend, comme à son plus dangereux séducteur. J'ai, dit-elle, trouvé une victime: depuis que ce corps est devenu mortel, il sembloit n'être devenu pour moi qu'un embarras, et un attrait qui me porte au mal; mais la pénitence me fait voir que je le puis mettre à un meilleur usage. Grâce à la miséricorde divine, j'ai en lui de quoi réparer mes fautes passées. Cette pensée la sollicite à ne plus rien donner à ses sens : elle leur ôte tous leurs plaisirs ; elle embrasse toutes les mortifications; elle donne au corps une nourriture peu agréable; et afin que la nature s'en contente, elle attend que la nécessité la rende supportable. Ce corps si tendre couche sur la dure; la psalmodie de la nuit, et le travail de la journée y attirent le sommeil; sommeil léger qui n'appesantit pas l'esprit, et n'interrompt presque point ses actions. Ainsi toutes les fonctions, même de la nature, commencent dorénavant à devenir des opérations de la grâce. On déclare une guerre immortelle et irréconciliable à tous les plaisirs; il n'y en a aucun de si innocent, qui ne devienne suspect : la raison, que Dieu a donnée à l'ame pour la conduire, s'écrie en les voyant approcher : « C'est ce serpent » qui nous a séduits »: Serpens decepit me (1). Les premiers plaisirs qui nous ont trompés sont entrés dans notre cœur avec une mine innocente, comme un ennemi qui se déguise pour entrer dans une place, qu'il veut révolter contre les puissances légitimes.

(1) Genes. III. 13.

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Cés désirs, qui nous sembloient innocens, ont remué peu à peu les passions les plus violentes, qui nous ont mis dans les fers que nous avons tant de peine à rompre.

L'ame, délivrée par ces réflexions de la captivité des sens, et détachée de son corps par la mortification, est enfin venue à elle-même. Elle est revenue de bien loin, et semble avoir fait un grand progrès: mais enfin, s'étant trouvée elle-même, elle a trouvé la source de tous ses maux. C'est donc à elle-même qu'elle en veut encore : déçue par sa liberté, dont elle a fait un mauvais usage, elle songe à la contraindre de toutes parts; des grilles affreuses, une retraite profonde, une clôture impénétrable, une obéissance entière, toutes les actions réglées, tous les

pas comptés, cent yeux qui vous observent; encore trouve-t-elle qu'il n'y en a pas assez pour l'empêcher de s'égarer. Elle se met de tous côtés sous le joug: elle se souvient des tristes jalousies du monde, et s'abandonne sans réserve aux douces jalousies d'un Dieu bienfaisant, qui ne veut avoir les cœurs que pour les remplir des douceurs célestes. De peur de retomber sur ces objets extérieurs, et que sa liberté ne s'égare encore une fois en les cherchant, elle se met des bornes de tous côtés mais de peur de s'arrêter en elle-même, elle abandonne sa volonté propre. Ainsi, resserrée de toutes parts, elle ne peut plus respirer que du côté du ciel : elle se donne donc en proie à l'amour divin; elle rappelle sa connoissance et son amour à leur usage primitif. C'est alors que nous pouvons dire avec David : « O Dieu, votre » serviteur a trouvé son cœur pour vous faire cette

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» prière (1) ». L'ame, si long-temps égarée dans les choses extérieures, s'est enfin trouvée elle-même; mais c'est pour s'élever au-dessus d'elle, et se donner tout-à-fait à Dieu.

Il n'y a rien de plus nouveau que cet état où l'ame pleine de Dieu s'oublie elle-même. De cette union avec Dieu, on voit naître bientôt en elle toutes les vertus. Là est la véritable prudence; car on apprend à tendre à sa fin, c'est-à-dire, à Dieu, par la seule voie qui y mène, c'est-à-dire, par l'amour. Là est la force et le courage; car il n'y a rien qu'on ne souffre pour l'amour de Dieu. Là se trouve la tempérance parfaite; car on ne peut plus goûter les plaisirs des sens, qui dérobent à Dieu les cœurs et l'attention des esprits. Là on commence à faire justice à Dieu, au prochain et à soi-même : à Dieu, parce qu'on lui rend tout ce qu'on lui doit, en l'aimant plus que soi-même : au prochain, parce qu'on commence à l'aimer véritablement, non pour soimême, mais comme soi-même, après qu'on a fait l'effort de renoncer à soi-même : enfin on se fait justice à soi-même, parce qu'on se donne de tout son cœur à qui on appartient naturellement. Mais en se donnant de la sorte, on acquiert le plus grand de tous les biens, et on a ce merveilleux avantage d'être heureux par le même objet qui fait la félicité de Dieu.

L'amour de Dieu fait donc naître toutes les vertus; et pour les faire subsister éternellement, il leur donne pour fondement l'humilité. Demandez à ceux qui ont dans le cœur quelque passion violente, s'ils conservent quelque orgueil ou quelque fierté en pré

(1) II. Reg. vn. 27.

sence de ce qu'ils aiment : on ne se soumet que trop, on n'est que trop humble. L'ame possédée de l'amour de Dieu, transportée par cet amour hors d'ellemême, n'a garde de songer à elle, ni par conséquent de s'enorgueillir; car elle voit un objet au prix duquel elle se compte pour rien, et en est tellement éprise qu'elle le préfère à elle-même, non-seulement par raison, mais par amour.

Mais voici de quoi l'humilier plus profondément encore. Attachée à ce divin objet, elle voit toujours au-dessous d'elle deux gouffres profonds, le néant d'où elle est tirée, et un autre néant plus affreux encore, c'est le péché, où elle peut retomber sans cesse pour peu qu'elle s'éloigne de Dieu, et qu'elle l'oblige de la quitter. Elle considère que si elle est juste, c'est Dieu qui la fait telle continuellement. Saint Augustin (1) ne veut pas qu'on dise que Dieu nous a fait justes; mais il dit qu'il nous fait justes à chaque moment. Ce n'est pas, dit-il, comme un médecin qui ayant guéri son malade, le laisse dans une santé qui n'a plus besoin de son secours; c'est comme l'air qui n'a pas été fait lumineux pour le demeurer ensuite par lui-même, mais qui est fait tel continuellement par le soleil. Ainsi l'ame attachée à Dieu sent continuellement sa dépendance, et sent que la justice qui lui est donnée ne subsiste pas toute seule, mais que Dieu la crée en elle à chaque instant : de sorte qu'elle se tient toujours attentive de ce côté-là; elle demeure toujours sous la main de Dieu, toujours attachée au gouvernement et comme au rayon de sa grâce. En cet état elle se connoît, et ne

(1) De Gen. ad litt. lib. v111, n, 25; tom. 111, part. 1, col. 234.

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