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non pas de les contenter par une molle condes

cendance.

C'est ainsi qu'ont été libres les grands personnages, qui vous ont donné cette règle que vous professez. D'où vient saint Benoît votre patriarche, sentant que l'amour des plaisirs mortels qu'il avoit presque éteint par ses grandes austérités, se réveilloit tout-à-coup avec violence, se déchire-t-il lui-même le corps par des ronces et des épines, sur lesquelles son zèle le jette (1)? N'est-ce pas qu'il veut briser les liens charnels qui menacent son esprit de la servitude? C'est pour cela que saint Bernard votre père a cherché un salutaire rafraîchissement dans les neiges et dans les étangs glacés (2), où son intégrité attaquée s'est fait un rempart contre les délices du siècle. Ses sens étoient de telle sorte mortifiés, qu'il ne voyoit plus ce qui se présentoit à ses yeux (3). La longue habitude de mépriser le plaisir du goût, avoit éteint en lui toute la pointe de la saveur : il mangeoit de toutes choses sans choix; il buvoit de l'eau ou de l'huile indifféremment, selon qu'il les avoit le plus à la main (4). Si quelques-uns trouvoient trop rude ce long et horrible silence, il les avertissoit que s'ils considéroient sérieusement l'examen rigoureux que, le grand Juge fera des paroles, ils n'auroient pas beaucoup de peine à se taire. Il excitoit en lui l'appétit, non par les viandes, mais par les jeûnes; non par la délicatesse ni par le ragoût, mais par le travail : et toutefois pour n'être pas entièrement dégoûté de son

(1) S. Greg. Mag. Dialog. lib. 11, cap. 11; tom. 11, col. 213. (3) Vit. S. Bernard lib. 1, cap. 111, n. 6; tom. 11, col. 1065. (3) Lib, m, c. 11, n. 4 ; col. 1118. — (4) Lib. 1, c. v11, col. 1076, 1077.

pain d'avoine et de ses légumes, il attendoit que la faim les rendît un peu supportables. Il couchoit sur la dure; mais il y attiroit le sommeil par la psalmodie de la nuit et par l'ouvrage de la journée : de sorte que, dans cet homme, les fonctions même naturelles étoient causées, non tant par la nature que par la

vertu.

Quel homme plus libre que saint Bernard? Il n'a point de passions à contenter, il n'a point de fantaisie à satisfaire, et il n'a besoin que de Dieu. Les gens du monde, au lieu de modérer leurs convoitises, sont contraints de servir à celles d'autrui. [C'est ce qui faisoit dire à] saint Augustin, parlant à un grand seigneur : « Vous, qui devez réprimer » vos propres cupidités, vous êtes contraint de sa>>tisfaire celles des autres » : Qui debuisti refrenare cupiditates tuas, explere cogeris alienas (1). C'est à cette liberté que vous aspirez, c'est l'héritage que saint Bernard a laissé à toutes les maisons de son ordre.

Mais voyez l'aveuglement du monde : comme si nous n'étions pas encore assez captifs par le péché et les convoitises, il s'est fait lui-même d'autres servitudes. Il a fait des lois, comme pour imiter JésusChrist; mais plutôt pour le contredire. Il ne faut pas souffrir les injures, on vous mépriseroit: il faut avoir de l'honneur dans le monde, il faut se rendre nécessaire, il faut vivre pour le public et pour les affaires : Patriæ et imperio reique vivendum est (2). C'est une loi à votre sexe, [de prendre ] le temps de se

(1) Ad Bonif. Ep. ccxx, n. 6; tom. 11, col. 813. (a) Tertul. de Pallio, n. 5.

parer, [de rendre] des visites. La bienséance est une loi, qui nous ôte tout le temps, qui fait qu'il se perd véritablement. Tout le temps se perd, et on n'y attache rien de plus immobile que lui. Le temps est précieux, parce qu'il aboutit à l'éternité; on ne demande qu'à le passer : à peine avons-nous un moment à nous; et celui que nous avons, il semble qu'il soit dérobé. Cependant la mort vient avant que nous puissions avoir appris à vivre; et alors que nous servira d'avoir mené une vie publique, puisqu'enfin il nous faudra faire une fin privée? Mais que dira le monde? Et pourquoi voulons-nous vivre pour les autres; puisque nous devons enfin mourir pour nousmêmes? Nemo alii vivit, moriturus sibi(1).

Que si le monde à ses contraintes, que je vous estime, ma très-chère Sœur, qui, estimant trop votre liberté pour la soumettre aux lois de la terre, professez hautement de ne vouloir vous captiver que pour l'amour de celui, qui, étant le maître de toutes choses, s'est rendu esclave pour l'amour de nous, afin de nous exempter de la servitude. C'est dans cette voie étroite que l'ame est dilatée par le SaintEsprit, pour recevoir l'abondance des grâces divines. Déposez donc, ma très-chère Sœur, cet habit, cette vaine pompe et toute cette servitude du siècle : vous êtes libre à Jésus-Christ, son sang vous a mise en liberté, ne vous rendez point esclave des hommes.

(1) Tertul. de Pallio, n. 5.

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SERMON

POUR UNE VÊTURE,

PRÊCHÉ

LE JOUR DE LA NATIVITÉ DE LA S.TE VIERGE.

Combien les inclinations des hommes sont diverses, et les mœurs dissemblables. Superfluité de tant de soins, et vanité de la multitude de nos desseins. L'empressement et le trouble, principes de nos maladies. D'où vient en nous l'amour de la dissipation. Pourquoi ne pouvons-nous trouver la santé de nos ames et le repos, en nous répandant dans la multitude des objets sensibles : l'un et l'autre attachés à la vie intérieure et recueillie, et à la recherche de l'unique nécessaire.

Martha, Martha, sollicita es, et turbaris erga plurima : porrò unum est necessarium.

Marthe, Marthe, vous vous empressez, et vous vous troublez dans le soin de beaucoup de choses : cependant une seule chose est nécessaire. Luc. x. 41, 42.

QUAND je considère, mes Sœurs, les diverses agitations de l'esprit humain, et tant d'occupations différentes qui travaillent inutilement les enfans des hommes, je ne puis que je ne m'écrie avec le Psalmiste (1): « Qu'est-ce que l'homme, ô grand Dieu,

(1) Ps. vin. 5.

» pour que vous en fassiez état, et que vous en ayez » souvenance »? Notre vie, qu'est-ce autre chose qu'un égarement continuel? nos opinions sont autant d'erreurs, et nos voies ne sont qu'ignorance. Et certes, quand je parle de nos ignorances, je ne me plains pas, chrétiens, de ce que nous ne connoissons point quelle est la structure du monde, ni les influences des corps célestes, ni quelle vertu tient la terre suspendue au milieu des airs, ni de ce que tous les ouvrages de la nature nous sont des énigmes inexplicables. Car encore que ces connoissances soient très- dignes d'être recherchées, ce n'est pas ce que je déplore aujourd'hui. La cause de ma douleur nous touche de bien plus près. Je plains le malheur de notre ignorance, en ce que nous ne savons pas ce qui nous est propre; en ce que nous ne connoissons pas le bien et le mal, et que nous errons deçà et delà, sans savoir la véritable conduite qui doit gouverner notre vie.

Et pour vous convaincre manifestement d'une vérité si constante, figurez-vous, ma très-chère Sœur, que venue tout nouvellement d'une terre inconnue et déserte, séparée de bien loin du commerce et de la société des hommes, ignorante des choses humaines; vous êtes tout-à-coup transportée au sommet d'une haute montagne, d'où, par un effet de la puissance divine, vous découvrez la terre et les mers, et tout ce qui se fait dans le monde. Elevée donc sur cette montagne, vous voyez du premier aspect cette multitude infinie de peuples et de nations, avec leurs mœurs différentes et leurs humeurs incompatibles; puis descendant plus exactement au détail

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