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aux puissances terrestres. Mais ce devait être une délicieuse et singulière surprise à ceux que leur exemple attirait, sortant du conflit des inégalités politiques, où l'humiliation est même plus fréquente et plus poignante pour les grands que pour les petits, d'entrer dans la fraternité réelle de la vie cénobitique; tous à même titre enfans d'un même père, tous unis, portés, reposés par la charité et l'humilité de chacun d'eux. Car, comme l'ont avoué à la Trape de Mortagne deux jeunes mondains, qui y étaient venus pour se moquer du froc et de l'étroite observance, il n'y a de véritable égalité que dans l'Évangile, et de véritable république que dans un couvent. C'est surtout dans les grandes crises de la société, quand toutes ses bases ébranléés laissent tout en question, que les âmes fortes, comprenant mieux les illusions terrestres, et cherchant quelque chose de stable au milieu de la confusion des idées et des événemens, vont demander à la vie monastique ou l'entier oubli du monde, ou le courage d'y revenir pour guérir ses maux et ses erreurs. Ceci est de nouveau sensible aujourd'hui. Le dix-huitième siècle croyait avoir à jamais aboli les ordres religieux, et les voilà qui se relèvent d'eux-mêmes pour tendre la main à notre lassitude. Déjà le patient sourire des fils de saint Ignace, le studieux labeur du Bénédictin, la couronne d'épine du Trapiste et du Chartreux ont ranimé les solitudes; la France, la patrie du rosaire, attend avec joie encore le retour de ceux qui lui ont enseigné les premiers ce doux hommage envers la reine du ciel. Bientôt ils reparaitront ces frères Prêcheurs, ramenés par ce prêcheur ardent, dont la vibrante parole sait si bien de ses éclairs imprévus réveiller l'engourdissement du scepticisme, la colonie française de Viterbe ne sera point étrangère sous les vieux ombrages qui ont abrité Blanche de Castille et saint Louis, et peut-être y foulera-t-elle les traces de son grand docteur, l'évangélique saint Thomas, qui sans doute plus d'une fois visita les ermites de ces pieux déserts et promena ses suaves regards sur ces lieux sauvages. Qu'on se représente maintenant la Gaule dans la triste situation que lui

avaient faite soixante-dix ans de révolutions et de guerres, vivant chaque journée avec la plus complète incertitude du lendemain, et cela durant dix années encore. Nulle puissance politique n'a remplacé l'empire. Le Visigoth a conclu sa paix avec le Burgunde et le Frank; il n'y a plus d'événement notable, chacun semble craindre de remuer, ne sachant ce qui en peut arriver. Sidonius n'écrit plus; il se fait comme un silence d'attente pendant ces dix ans. La Providence par tant de calamités, par tant d'avertissemens avait invité, attendu le vieux monde à résipiscence, et l'engourdissement s'accroissait, le gouvernement et la société se décomposaient en proportion. Cet intervalle de langueur inquiète et souffrante, où rien ne subsistait plus que par le catholicisme, montrait mieux que jamais d'où venait le mal, où était le remêde. Nul des empereurs ni des conquérans barbares ne l'avait compris. Dieu appela Clovis, le petit roi de Tournai, un jeune homme de vingt ans, simple chef d'une tribu franque, comme pour rendre plus évidente la cause de ses succès par leur facilité. Clovis avait peu de ressources; il ne commandait pas à plus de quatre ou cinq mille guerriers. Il ne pouvait compter sur les autres roitelets de sa famille, établis à côté de lui, tous jaloux de leur indépendance et de leurs faibles états. Ses premières victoires ne lui acquirent sur eux qu'une supériorité honoraire, puisqu'il ne réunit toutes les tribus franques à sa royauté qu'à la fin de sa vie et par une suite de crimes. On veut à toute force lui attribuer une habileté de politique que son âge, son éducation, son caractère, que les faits même n'admettent pas; cette interprétation banale des événemens au bout de treize siècles n'explique qu'une chose, la difficulté d'expliquer par des causes ordinaires la transplantation si subitement enracinée de la nation et de la monarchie franque sur le sol de la Gaule. Clovis, en réalité, n'était qu'un barbare ignorant, qui pouvait aisément trouver la vie des empereurs, la magnificence de leur cour et les arts de la civilisation plus agréables que l'obscure résidence et la subsistance grossière de la Germanie; mais qui ne connaissait

encore pour régner que les armes et la violence; et il ne s'en fit pas faute. Lorsqu'on lit dans Grégoire de Tours les perfidies et les meurtres qu'il exécuta de sang-froid pour supplanter tous les autres rois franks, on est surpris d'horreur. Si on parcourt d'un autre côté les chroniques des saints du temps, c'est un tableau tout opposé; on est tenté de douter du récit du saint évêque et de prendre Clovis aussi pour un saint, tellement que < quelques auteurs lui en donnent la qua‹lité, présumant que le Seigneur lui a fait la grâce de réparer ses fautes (1). Je crois, pour ma part, que la dévotion serait très hasardée; Grégoire de Tours est fort loin de conjecturer un repentir de Clovis ; mais, après avoir raconté ses premiers meurtres, il ajoute naïvement: Ainsi Dieu chaque jour abattait les en‹ nemis du prince par la main du prince même, et il augmentait son royaume parce que Clovis marchait d'un cœur ‹ droit devant lui et faisait ce qui était ‹ agréable à ses yeux (2). C'est qu'en effet Clovis servit franchement la reli ́gion catholique par un grossier instinct d'intérêt mêlé ensuite d'une foi aussi grossière, qui honorait le vrai Dieu de la même manière qu'autrefois ses idoles par un culte tout extérieur; et il eut sa récompense par les prospérités temporelles. Il faut dire aussi qu'il commença par vingt-deux ans de la conquête la plus douce. On ne pouvait guère soupçonner qu'il acheverait son règne par de si atroces cruautés.

Ardent comme un jeune homme, brave comme sa framée, il vit d'abord avec inquiétude l'influence voisine de Syagrius, aimé des Barbares aussi bien que des Gaulois. Son père Chilpérik avait régné avec le père de Syagrius. Incapable d'égaler ce pacifique rival, il sentit le danger de la comparaison s'il laissait ce Romain s'affermir, et, comme le pouvoir romain était condamné, et que Syagrius en était le dernier représentant, Clovis lui porta un défi, et le vainquit à Soissons, malgré le petit roi de Terouenne, Chararik, qui, se tenant à l'écart avec ses Franks pendant le combat, trahissait

(1) Longueval, Église gallicane, liv. 5. (2) Greg. Tur., 2-40, 41, 42.

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la cause franque. En même temps Clovis avait tout d'un coup aperçu l'importance du clergé catholique ; il fut donné à ce jeune Sicambre, à cet enfant guerrier, de comprendre ce que les autres rois barbares, ce que les empereurs n'avaient pas compris. Non seulement il montra un grand respect pour la religion catholique, mais encore il protégea hautement les évêques, lui idolâtre, tandis que les Vandales, Suèves et Goths, déjà chrétiens, les persécutaient. Que l'on songe à la haine farouche et opiniâtre de toutes les autres peuplades idolâ tres de la Germanie contre le christianisme jusqu'au dixième siècle, et qu'on se demande si cette disposition des chefs franks n'est pas une exception singulière. L'usage que fit Clovis de sa victoire, la restitution du vase sacré à St-Remi, toute cette bienveillance, qui ne se démentit pas un moment, lui donna les villes intérieures et les troupes romaines isolées dans leurs garnisons. Dès lors les deux rois ariens, Alaric et Gondobald, sont frappés de crainte et ne pensent pas même à troubler son succès. Bientôt, pendant ses négociations avec le Burgunde, il entend parler de Clotilde, il la demande en mariage; le Burgunde n'ose refuser sa nièce. Clovis ayant vu

la jeune princesse, est transporté de joie et l'épouse. Qu'y a-t-il autre chose dans cette alliance que le bonheur si naturel pour un jeune homme de posséder une belle et sage épouse (1)? Assurément s'il eût agi par cette habileté d'ambition qu'on lui suppose, il n'eût pas hésité aussitôt à se faire chrétien; tout l'y invitait, et il achevait de gagner toute la population déjà pleine d'espérance. Cependant l'amour, d'accord avec la politique, ne décidait point le barbare; rien ne pouvait l'émouvoir à croire. Il fallut le péril et la victoire de Tolbiac (2). Toutefois il craignait encore l'improbation de ses guerriers ; car s'il y avait, comme le pense Dubos, bon nombre de Franks chrétiens parmi les anciennes colonies militaires et parmi les tribus depuis leur séjour fixe en Gaule, si même plusieurs étaient déjà dans les rangs du clergé,

(1) Greg. Tur., 2-28. (2) Greg, Tur., 2-29, 30.

comme le comte Arbogaste, alors évêque, et le saint prêtre de Toul Vaast ou Védast, par qui Clovis commença de se faire instruire; la masse de la nation demeurait attachée aux idoles. Mais la

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‹ puissance de Dieu prévint le roi avant ‹ qu'il parlât; tout son peuple s'écria : Nous rejetons des dieux mortels, pieux ‹ roi, et nous sommes prêts à suivre le ‹ Dieu immortel que prêche Remi. Et lorsque le saint évêque eut dit: Incline ‹ avec douceur la tête, Sicambre (1), adore ce que tu as brûlé, brûle ce que ‹ tu as adoré ›, plus de trois mille guerriers reçurent à leur tour le baptême. Ce fut une joie universelle parmi les catholiques. Le pape saint Anastase et l'archevêque de Vienne, saint Avitus, petit-fils de l'empereur, écrivirent à Clovis pour le féliciter. Les cités armoricaines le reconnurent, et toute la Gaule souhaitait d'un extrême désir d'avoir les Franks pour maîtres (2). Gondobald, qui était déjà tributaire du seul roi catholique, adoucit les lois burgondes en faveur des Romains (3), pour se les rattacher, et hésita s'il n'abjurerait pas l'arianisme. Alaric envoya dire à Clovis : ‹ Si mon ‹ frère voulait, mon intention serait, ‹ Dieu aidant, que nous eussions ensemble une entrevue (4). › Ce ne sont que fondations pieuses de Clovis et nobles déférences pour les personnes consacrées à Dieu. Il sent la puissance nouvelle que lui donne sa conversion.

Je

(1) Greg. Tur., 2-31: Mitis depone colla, Sicamber. Est-il nécessaire de parler de la sainte ampoule, fable imaginée, dit-on, au neuvième siècle par Hincmar? Hincmar cependant n'a rien imaginė, mais il a rapporté la tradition de l'Église de Reims, confirmée par une ancienne messe sur les miracles de saint Remi. Il y est fait mention de deux fioles ou ampoules miraculeusement remplies de saintchrême par le saint évêque, et une sœur de Clovis, qui était arienne, se convertissant aussi, reçut seulement l'onction, probablement avec ce saintchrême. Il n'en est pas question à l'égard du roi, mais ce souvenir mêlé à la pompe extraordinaire que l'on déploya alors dans le baptistère, a pu don ner lieu à l'opinion vulgaire du sacre de Clovis par la sainte ampoule ; la cérémonie du sacre n'eut pas lieu pour les Mérovingiens. Voy. Longueval, Eglise gallicane, 5.

(2) Greg. Tur., 2-36.

(3) Ib., 2-33, 34.

(4) Ib., 2-35.

TOME VIII, → yo 45, 1859.

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‹ supporte avec peine, dit-il aux siens, que ces ariens tiennent une part des Gaules (1), et il déclare la guerre au roi visigoth, et, suivant les conseils de saint Remi, il défendit à ses soldats de piller les églises, de porter le moindre dommage même aux esclaves, et de rien prendre que de l'eau et de l'herbe. Un soldat ayant pris du foin à un pauvre homme par violence, le roi tua (2) ce soldat de sa main, en disant : ‹ Où sera l'espérance de la victoire, si le bien« heureux Martin est offensé? › Il écrivit enfin à tous les évêques d'Aquitaine après la victoire de Vouillé, pour les inviter à réclamer tout ce qu'ils auraient perdu par la guerre. Alaric périt dans la bataillé, et dès ce moment il fut décidé que les Visigoths ne pouvaient plus subsister en Gaule. C'est la cause du catholicisme défendue par Clovis qui a donné évidemment aux Franks, la moins puissante des nations barbares, de si rapides progrès. Les voilà ainsi les premiers, tout d'un coup solidement établis, en possession de la plus importante contrée de l'Occident. Les voilà placés désormais sur le front de bandière de la civilisation moderne. Quel en sera le résultat?

Si nous en devions croire M. Beugnot, Dieu aurait si mal pris ses mesures en mettant l'Église sur la terre, que, après quatre siècles, le christianisme était

devenu impuissant à sauver la société, ‹ que la régénération de l'Europe devait ‹ être le résultat de l'invasion des Barbares, presque tous idolâtres. C'est, ‹ selon lui, la pensée triste, mais vraie, que seul entre tous les Pères de cette ‹ époque, Salvien a eu le mérite de con<cevoir (3). Nos lecteurs ont eu déjà assez de faits devant les yeux pour se convaincre qu'on n'a jamais rien dit de moins exact. Nous verrons bientôt quel secours les Barbares ont prêté à la société; il suffit en ce moment d'une simple observation, autrement vraie que celle de l'érudit académique, savoir, que tout concours humain aux oeuvres divines est une épreuve autant qu'un service. N'est-il pas temps bientôt que ceux

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qui n'y entendent rien renoncent à nous | moins ne serait pas très difficile à comendoctriner? Le moindre inconvénient prendre. pour eux sera toujours d'y perdre leur peine et leurs frais d'érudition; car on n'enseignera jamais l'Église, et tant qu'on n'aura pu la dissuader de sa foi, il n'y a rien de fait contre elle. Ceci du

La quinzième leçon commencera l'examen de la période mérovingienne et des institutions franques par les origines des assemblées nationales. EDOUARD DUMONT.

Sciences Religieuses.

COURS D'HISTOIRE SUR L'ORIGINE, L'ACCROISSEMENT
ET L'INFLUENCE DES ORDRES MONASTIQUES.

TROISIÈME LEÇON (1).

dames romaines venaient vouer leur vie à la pénitence, et sous l'inspiration savante de Jérôme étudiaient l'Écriture sainte et les langues orientales, et copiaient les livres des Pères. Si nous avons

Saint Grégoire de Nazianze. — Sa vie retirée dans la solitude. Saint Basile. Ses constitutions pour les moines orientaux. Lois des conciles sur les moines. Comment les esclaves pouvaient être reçus moines. Lois des empereurs commencé par saint Jérôme, c'est que son nom et sa mémoire se rattachent aux malheurs de l'Orient et à la chute de Rome.

sur les moines.

Maintenant que nous connaissons l'état du monde oriental, nous apprécierons mieux les institutions monastiques. Malgré mon désir et mes efforts pour me renfermer strictement dans mon sujet, qui est déjà une carrière assez vaste à parcourir, je me vois souvent forcé de faire quelques explorations dans l'histoire générale de l'Église, comme l'historien du Christianisme est presque toujours l'historien universel du monde. Nous sommes arrivé à une époque où l'histoire monastique embrasse ce qu'il y á de plus glorieux dans les annales de l'Église; presque tous les Pères de l'Église ont été moines, ont été nourris dans les institutions cenobitiques, et même le patriarche des moines est un des plus illustres pontifes de l'Eglise orientale, un de ses plus savans docteurs. Ainsi, nous allons étudier l'histoire des Pères de l'Église dans ses rapports intimes avec l'histoire des institutions monastiques. Déjà nous avons vu saint Jérôme et son monastère de Bethléem, où les grandes

(1) Voir la 2a leçon dans le no 45 ci-dessus, p. 15.

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Il est impossible de séparer la vie de Grégoire de Nazianze de celle de Basile ; ils ont vécu toujours appuyés l'un sur l'autre. L'Église catholique les représente toujours ainsi à la vénération des fidèles, et l'homme ne doit pas séparer ce que Dieu a uni. Je prendrai dans la vie de ces deux hommes ce qui regarde la vie întime, la vie de la solitude; leur vie épiscopale, leur existence publique appartiennent à l'histoire de l'Église.

Saint Grégoire de Nazianze est né en 328, saint Basile en 329. Grégoire révèle ainsi son âme et celle de Basile : « Nous ‹ vivions à Athènes; Dieu et le désir de 、 la. science nous y avaient conduits, ‹ comme deux fleuves qui se réunissent après avoir parcouru plusieurs pays, ‹ Je m'y étais rendu quelque temps

t

avant Basile; il m'y suivit de bien ‹ près.....> [ls eurent quelques victoires littéraires qui leur attirèrent des envieux. «Quand on a conçu de grandes es‹ pérances et qu'on obtient trop aise ‹ment ce que l'on souhaite, il est naturel de le mépriser, parce que la pos

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grave et austère de ces deux jeunes amis, dont l'âme si triste, și pieuse, si mélancolique, contrastait d'une manière frap. pante avec les esprits enjoués, la joie bruyante, et la science brillante, pointilleuse et encore un peu païenne de leurs

éparses dans les sermons d'un théologien sévère sont pour moi d'un prix inestimable; elles nous font connaître toute la vie intime de ces hommes qui ont joué un si grand rôle dans leur siècle, et qui tous deux ont fondé et agrandi les institutions monastiques; de sorte que je puis dire avec saint Grégoire : « Je me laisse ‹ emporter sans garder ni règle, ni mesure; je ne sais comment je pourrais « m'empêcher de vous faire ce récit, car ‹ ce que j'ai oublié me paraît toujours < meilleur que ce que j'ai dit (1). »

‹ session ne remplit pas toutes les espé- | rances. Voilà ce qui chagrinait Basile <et ce qui lui causait de grandes inquié«tudes; il ne s'applaudissait point du ‹ succès qu'il avait eu, ni de son arrivée dans cette ville si fameuse : il n'y trouvait que ce qu'il avait espéré y trou-jeunes condisciples d'Athènes. Ces lignes ver; il se plaignait que le bonheur dont il jouissait à Athènes n'était <qu'imaginaire. Je n'épargnais rien Je n'épargnais rien ‹ pour adoucir ses ennuis par les meilleures raisons que je pouvais apporter pour le calmer; je lui disais qu'on ne connaît le génie des hommes qu'avec le temps, après la familiarité et un long usage, et qu'il est impossible de savoir au juste en peu de temps jus‹ qu'où va la science d'un homme, à ⚫ quelque épreuve qu'on le mette. Ces discours remirent le calme dans son « esprit; nous nous découvrîmes toutes ‹ nos pensées les plus secrètes, et le désir que nous avions de nous appliquer à la philosophie : la maison, la table, les inclinations, les vues, tout était commun entre nous, et notre amitié <croissait chaque jour; nous n'avions « qu'une affaire et qu'un désir, nous n'é<tions touchés que de la vertu et des espérances de l'avenir, nous n'avions ‹ d'amitié et de commerce qu'avec des gens modestes et vertueux, avec lesquels il y avait à profiter, persuadés qu'il est bien plus aisé de se laisser en< trainer au vice que d'inspirer la vertu. Nous nous appliquions aux sciences utiles plutôt qu'aux sciences agréables; car là est la source de la vertu ou du libertinage des jeunes gens (1). Nous ‹ ne connaissions que deux chemins l'un nous conduisait à l'église, pour y ‹ entendre les interprètes de la loi di‹vine; l'autre nous conduisait chez nos <maîtres. >

En vérité, je ne sais comment les jeunes esprits turbulens et dissipés de nos jours recevront ces détails sur la vie

(1) Μαθημάτων δὲ οὐ τοῖς ἡδίστοις πλέον, ἢ τοῖς καλλίστοις ἐχαίρομεν· ἐπειδὴ κἀντεῦθεν ἐστιν, ἢ πρὸς ἀρετὴν τυποῦσθαι τοὺς νέους, ἢ πρὸς κακίαν. D. Greg. Naz. Opera, édit. bénédict., I, p. 786, in-fo.

M. l'abbé Caillau, connu par son édition latine des Pères, continue cette belle collection des œuvres de saint Grégoire.

Les progrès de Basile et de Grégoire dans la vie spirituelle et dans la science furent rapides ; ils passèrent ensemble de longues années. Enfin arriva le jour de la séparation. Laissons parler Grégoire : << Tout était prêt; nos adieux faits, on ‹ s'était embrassé, on avait pleuré, car

il n'est rien de plus triste et de plus < douloureux que de quitter Athènes et « ceux avec qui l'on a vécu dans une « ville si agréable (2). Il partit; je demeurai à Athènes. Combien cette séparation fut cruelle; il nous semblait ‹ qu'on divisait nos corps en deux par <ties et que nous étions prêts à expirer. ‹ Aussitôt que, quittant l'adolescence, je fus libre de ma volonté, je volai vers mon cher Basile; mais l'amour ‹ que j'avais pour mon père et ma mère, et les soins que j'étais obligé de leur <rendre dans leur extrême vieillesse me ‹ séparèrent de nouveau de mon ami. Je

ne sais si j'eus raison de le quitter de ‹ la sorte; mais enfin je le quittai. Peutêtre est-ce là la source de tous les chagrins et de tous les embarras où je suis ‹ tombé, et des obstacles qui ont tra versé le désir que j'avais d'embrasser ‹ entièrement la vertu; mais il faut que

(1) Αεὶ γάρ μοι τὸ παρεθὲν ἀναγκαῖον φαίνεται, καὶ κρεῖττον τοῦ προληφθέντος. D. Greg., t. 1, p. 788. (2) Οὐδὲν γὰρ οὕτως οὐδενὶ λυπηρόν, ὡς τοῖς ἐκεῖσε συννόμοις, Αθηνῶν, καὶ ἀλλήλων τέμνεσθαι. D. Greg., t. I, p. 789.

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