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ne les ont pas laissés s'envaser; - ou bien l'on a grand soin de recueillir toute celle qui tombe du ciel; il en tombe si peu, qu'on n'en veut rien laisser perdre. Des citernes étaient creusées sous presque toutes les maisons de quelque importance; et indépendamment de celles qui servaient aux particuliers, il y en avait de beaucoup plus grandes à l'usage du public. Celles de Carthage, qui sont probablement d'origine phénicienne, mais que les Romains ont réparées, font l'admiration des visiteurs. Elles se composaient de deux groupes, dont l'un a été restauré de nos jours et sert à l'alimentation du voisinage; dans l'autre, qui est en ruines, tout un village s'est logé, et les voûtes à moitié effondrées sont devenues des chambres ou des écuries. A Tupusuctu, dont les Romains avaient fait une place de ravitaillement dans la crainte d'une guerre avec les Berbères du Djurjura, ils avaient creusé des citernes qui mesurent trois mille mètres carrés.

Mais voici des travaux encore plus considérables peut-être, et qui ont pour nous plus d'importance, car ils nous montrent clairement ce que nous devons faire. Les fleuves africains ne sont guère que des torrens; à la suite d'un orage, ils débordent et ravagent le pays; le reste du temps, ils sont presque à sec et disparaissent quelquefois dans les sables. Pour retenir ces eaux de passage et les empêcher de se perdre sans profit dans la mer, les Romains construisaient des systèmes de digues et de réservoirs immenses. Il reste assez de ces grands ouvrages pour nous faire admirer l'habileté des ingénieurs qui les exécutèrent. Toutes les précautions étaient prises pour en assurer la durée. Nous voyons, par exemple, qu'on a soin de les placer après une courbe du fleuve, ce qui diminue le choc que les murailles du barrage auront à supporter. Comme on veut dépenser le moins possible, on prend d'ordinaire, pour les construire, les matériaux qu'on a sous la main. Mais avec des cailloux roulés et du ciment, on fait un béton si solide que la pioche a peine à l'entamer. Ces réservoirs, ces barrages existent partout; dans le Hodna, une contrée presque sauvage, on en a retrouvé jusqu'à trois, l'un sur l'autre, et il y en a un dans le nombre qui pouvait contenir douze cent mille litres. L'eau ainsi conservée dans de vastes bassins descendait des hautes régions dans la plaine où de petits canaux la conduisaient à travers les champs. La distribution en était faite très exactement et d'après des lois fixes. Chaque propriétaire y avait droit à son tour et pendant un certain nombre d'heures, comme on fait encore aujourd'hui dans les oasis. On a retrouvé à Lamasba, petite ville qui n'est pas loin de Lambèse, un règlement fort minutieux, qui était affiché sans doute sur la place publique, et qui indique la part qui revenait à

chacun. Il est probable que ces règlemens ont survécu même à la domination romaine. Ils existaient sans doute encore, Procope semble le dire, du temps des Vandales, qui, comme tous les Germains, conservèrent l'administration des anciens maîtres du pays. Ce sont les Arabes qui ont tout laissé périr. Grâce à leur apathie et à leur imprévoyance, les sources ont tari, les barrages se sont effondrés, les fleuves ont de nouveau emporté toutes leurs eaux à la mer; et voilà comment ces plaines, qui semblèrent si belles aux compagnons de Sidi-Okba, et qu'ils appelaient << un jardin fleuri »>, sont devenues presque partout un désert.

II

Naturellement, ce sont les petites propriétés dont il reste aujourd'hui le moins de traces : les paysans ne bâtissent pas pour l'éternité. Salluste nous dit que, dans les premiers temps, les habitations des Africains étaient fort grossières et qu'elles ressemblaient à des barques qui auraient la quille en l'air. On les appelait mapalia ou magalia. Il est probable que lorsque, au contact des Carthaginois, puis des Romains, les indigènes se furent un peu civilisés, leurs demeures devinrent moins rustiques. Elles l'étaient pourtant beaucoup encore. M. de la Blanchère a cru en retrouver quelques débris en parcourant le Sud-Oranais et il nous en fait la description. Ce sont des amas de murailles éboulées dont les ruines reproduisent à peu près la forme des bâtimens d'où elles proviennent, ce qui prouve qu'on ne les a pas renversées avec violence et qu'elles sont tombées toutes seules. Ces murailles se composaient de pierres non taillées, réunies par un mortier, comme celui dont se servent encore les gens du pays, et qui n'est guère que de la boue. « Vienne une pluie un peu forte, le prétendu mortier se détrempe, retourne à la terre, et le mur s'écroule. » Ces bâtisses, où n'entraient encore que très rarement la brique et la tuile, étaient souvent isolées; elles occupaient le milieu d'un petit champ que le propriétaire cultivait en famille. Souvent aussi, dans les endroits qui n'étaient pas sûrs, les cultivateurs s'étaient réunis pour se protéger. Leurs maisons serrées les unes contre les autres, le long des flancs ou sur la crête de quelque colline abrupte, où il est moins facile d'être surpris, formaient des villages inaccessibles, qui devaient ressembler à ceux des Kabyles.

Dans ces villages ou dans ces fermes vivait une population sobre et robuste. Le pays, en somme, est sain. Les fièvres sans

doute y sont à craindre (1); mais nous savons par notre expérience qu'elles s'atténuent beaucoup ou même disparaissent entièrement quand le sol est drainé et assaini par la culture. Hérodote nous dit qu'il n'y a pas de gens au monde qui se portent aussi bien que les Africains, et Salluste prétend qu'ils ne connaissent pas la maladie et ne meurent que de vieillesse. Tous ceux qui ont fait quelque étude de l'épigraphie africaine ont été frappés du grand nombre de centenaires qui sont mentionnés dans les inscriptions. La chose était même si ordinaire que les parens des morts s'étonnent et s'indignent quand ils ne sont pas devenus très vieux. Une femme d'Haïdra, qui a perdu son mari à quatre-vingt-deux ans et sept mois, lui dit : « Tu es mort trop tôt; tu devais vivre cent ans; et pourquoi pas? » Dans une ville de la Byzacène, à Cillium, on a découvert un vaste mausolée bâti en forme de pyramide, et qui était surmonté d'un coq, comme nos clochers de village; une longue épitaphe de plus de deux cents vers nous apprend que c'était la tombe d'un notable de l'endroit, Flavius Sabinus, et de sa femme. Le mari avait vécu cent dix ans et la femme cent cinq; ce qui n'empêche pas l'auteur des vers de se plaindre douloureusement que l'existence des hommes soit si fugitive.

Sint licet exiguæ fugientia tempora vitæ (2).

Quelques-uns de ces petits fermiers, à force d'ordre, de travail, d'économie, arrivaient à la fortune. Il y en a un, à Mactaris, qui a pris la peine de nous le faire savoir, dans une inscription métrique qu'il nous a laissée. Assurément il ne l'avait pas faite lui-même, car son éducation avait dû être fort négligée; mais, comme c'était l'usage que les gens d'importance plaçaient volontiers quelques vers sur leur tombe, ses héritiers ou lui durent s'adresser à quelqu'un des beaux esprits de la province. Ils ne le choisirent pas trop mal, car l'épitaphe a un accent de simplicité et de sincérité assez rare dans les morceaux de ce genre. « Je suis né, nous dit le paysan enrichi, dans une pauvre cabane, d'un père misérable, qui ne m'a laissé ni argent ni maison. » Heureusement il avait de l'activité, du courage, ce qui supplée à tout. Il n'a fait autre chose en sa vie que de cultiver la terre, mais il n'y avait pas de cultivateur plus laborieux que lui. « Dès que la saison avait mûri le blé, j'étais le premier à le couper; puis, quand les gens qui portent la faucille s'en allaient moissonner dans les plaines de Cirta ou les

(1) Dans l'épitaphe d'une femme d'Auzia (Aumale), son mari fait remarquer comme un miracle qu'elle a vécu 40 ans sans avoir la fièvre : Quæ vixit sine febribus.

(2) Au temps d'Ibn-Khaldoun, dit Tissot, la durée habituelle de la vie chez les Touareg était de 80 ans. C'est encore la moyenne actuelle; les centenaires sont nombreux, et l'on cite des individus qui ont vécu jusqu'à 130 et 150 ans.

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champs de Jupiter (Zagouan?), je marchais en tête, le premier à l'ouvrage, et je laissais des amas de gerbes liées derrière moi. J'ai ainsi coupé, sous un soleil de feu, deux fois six moissons jusqu'au jour où je devins moi-même le chef de la troupe. Pendant onze ans encore, j'ai moissonné avec eux l'épi mûr dans les campagnes numides. » Voilà comment il gagna de l'argent et finit par devenir propriétaire d'une maison et d'une ferme « qui ne manquaient de rien. » Avec la fortune, vinrent les honneurs, il fut élu décurion c'est-à-dire conseiller municipal - dans son pays, et même il fut choisi par les décurions ses collègues pour être le premier magistrat de sa ville, en sorte que, de pauvre laboureur qu'il était, il en vint un jour à siéger, en qualité de président, au beau milieu de la curie. « C'est ainsi, ajoute-t-il, que mon travail m'a valu des années brillantes qu'aucune langue envieuse n'osa jamais troubler; » et, comme un paysan ne perd pas l'occasion de faire un peu de morale, il prend un ton plus solennel et termine en disant : «< Apprenez, mortels, par mon exemple à passer une vie sans reproche, et, comme moi, méritez par une existence honnête une douce mort. »>

Mais là, comme partout, ceux qui faisaient fortune ne devaient pas être les plus nombreux. Il suffisait à la plupart d'avoir de quoi vivre; encore n'arrivaient-ils à gagner leur vie qu'à la condition d'être fort industrieux. Ils tiraient parti de tout. Sur les coteaux, dans les plaines mal arrosées, ils plantaient l'olivier et la vigne. On voit bien au nombre des pressoirs, qu'on rencontre à tous les pas dans les ruines, que l'olivier devait être une des richesses du pays; c'est là que Rome se fournissait de l'huile qui lui était nécessaire pour ses gymnases et ses bains publics. La vigne est en train de reconquérir, en Algérie et en Tunisie, le terrain qu'elle avait perdu; elle en fera bientôt la fortune. Mais la principale culture était celle des céréales; tout le monde vantait l'abondance des récoltes africaines, elle était devenue proverbiale; pour faire entendre qu'un homme possédait une fortune incalculable, on disait «< qu'il avait dans ses greniers tout le blé que récolte l'Afrique. » Le blé d'Afrique passait pour produire beaucoup plus que les autres; on racontait qu'un procurateur d'Auguste lui avait un jour envoyé quatre cents grains qui étaient sortis d'un seul, et pourtant ces moissons étaient obtenues par les moyens les plus simples: « J'y ai vu, nous dit Pline, la terre retournée, après les pluies, par une charrue à laquelle étaient attelés d'un côté un pauvre petit âne, de l'autre une femme. >> C'est un spectacle qu'on peut se donner encore, et Tissot, qui en a souvent été témoin, nous apprend que l'indigène d'aujourd'hui ne se fait pas plus de scrupule que le Libyen d'autrefois d'atta

cher au joug sa femme avec son âne, surtout si elle est vieille. Ajoutons que la charrue à l'époque romaine, comme celle dont on se sert de nos jours, était d'une simplicité toute primitive. Le soc écorchait à peine le sol; mais qu'importe? la terre y est si naturellement fertile qu'elle n'a presque pas besoin d'être travaillée pour produire. Vienne, à l'entrée du printemps, une pluie favorable et la plaine sera jaune d'épis en quelques semaines. Puis, la moisson finie, quand les silos sont pleins, le laboureur charge la récolte sur son âne ou sur une méchante voiture et va la porter au marché.

Les Africains de cette époque fréquentaient beaucoup les marchés, ainsi que le font encore leurs descendans; c'est un usage qui, comme tant d'autres, s'est conservé. Il n'en manquait pas, dans les villes, de commodes, d'élégans, de bien installés, dont les débris existent encore. Il y en avait aussi au milieu des champs, auprès des grands domaines, dans les endroits où les paysans des environs pouvaient se réunir. Les riches propriétaires, qui trouvaient leur intérêt à en établir chez eux, en demandaient la permission au Sénat, si la province était sénatoriale, ou au représentant du prince, si elle était impériale. Il existait à l'époque romaine, au pied des montagnes qui séparaient la Proconsulaire de la Numidie, et qui sont aujourd'hui la frontière de la régence de Tunis, à la hauteur de Tébessa, un domaine très important, qui s'appelait Saltus Beguensis (aujourd'hui El-Begar): on y a trouvé, au milieu d'un champ, les restes encore visibles d'un grand portique qui entoure des débris moins considérables, dans lesquels on a reconnu des boutiques ruinées. C'était donc un marché, et celui qui l'a construit, L. Africanus, qui voulait faire savoir à tout le monde qu'il était en règle, a eu soin de reproduire deux fois le sénatus-consulte qui en autorisait l'établissement. Nous l'avons en deux exemplaires, avec la signature des témoins qui en affirment l'authenticité. Il y est dit «que L. Africanus, dans la province d'Afrique, sur le territoire de Begua, occupé par les Musulamiens, dans le lieu appelé Ad Casas, aura le droit de tenir un marché deux fois par mois, le quatrième jour avant les nones et le douzième avant les calendes (le 2 et le 21 de chaque mois); que les gens d'alentour et les étrangers pourront s'y réunir, mais seulement pour vendre et pour acheter (on redoutait toujours les réunions politiques), et à la condition qu'ils ne commettront aucun acte illégal et ne feront de tort à personne. » Le propriétaire avait tout intérêt à attirer dans son marché les petits fermiers du voisinage et à faire de son domaine le centre d'un commerce important. Ces sortes de trafics profitent toujours au plus riche: comme sa fortune lui permet d'attendre et qu'il peut garder sa récolte dans ses

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