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greniers, il lui est loisible de profiter des circonstances, de se procurer le blé à bon marché dans les temps d'abondance et de le revendre très cher dans les momens difficiles.

Une partie du blé qui se récoltait en Afrique était réservée à l'alimentation de Rome. Il y avait longtemps que Rome ne parvenait plus à se nourrir; elle avait eu d'abord recours aux provinces les plus rapprochées, à la Sicile et à la Sardaigne, pour suppléer à ce qui lui manquait; mais elles n'y suffirent pas longtemps. Il fallut alors s'adresser à l'Égypte et à l'Afrique, qui devinrent, après Auguste, sa principale ressource. Les bons citoyens étaient fort attristés de cette nécessité: « Ils gémissaient, nous dit Tacite, de voir que la subsistance du peuple romain était le jouet des vents et des tempêtes. » Mais qu'y faire? On ne pouvait pas songer à ramener les cultivateurs de l'Italie dans les champs qu'ils avaient désertés pour habiter les villes. Ce qu'il y avait de mieux, puisqu'on était forcé de s'adresser aux pays voisins, c'était d'éviter tous les mécomptes et de se mettre à l'abri de toutes les surprises, en réglant d'une manière fixe la part que chaque pays devait fournir et en prenant des mesures pour qu'elle arrivât sans encombres et sans retard à sa destination : c'est ce qui fut fait. On décida que l'Égypte et l'Afrique enverraient chacune un tiers de ce qui se consommait à Rome, près de 1800000 hectolitres; le reste venait de la Sicile et de l'Italie. Les Africains payaient donc une partie de leurs contributions en nature. Le blé qu'ils devaient à I'État était réuni sous la surveillance des procurateurs de l'empereur, et on l'amenait dans les ports d'où il devait être expédié. On sait qu'à Rusicade (Philippeville) des greniers immenses furent construits dans lesquels il était gardé jusqu'au départ. Pour le faire parvenir de là en Italie, Commode institua une flotte particulière, à l'exemple de celle d'Égypte, qui devait, à époque fixe, l'apporter à Pouzzoles et à Ostie. Nous savons que l'arrivée de ces flottes donnait une grande animation aux ports italiens: on se précipitait, pour les voir venir, sur les jetées et le long des rivages; on suivait des yeux les petits navires, qu'on reconnaissait à leurs voiles légères, et qui précédaient et annonçaient l'approche des grandes galères chargées de blé; on saluait de loin ces vaisseaux impatiemment attendus qui apportaient la nourriture de Rome. On comprend que le service des subsistances, ou, comme on disait, l'annone, eût une très grande importance: aussi l'avait-on déifié. L'Annona sancta était une déesse qu'on représentait l'épaule et le bras nus, un croissant de lune sur la tête, à la main des épis, des cornes d'abondance devant elle. On la fêtait beaucoup dans les ports de mer où le blé était recueilli et embarqué pour Rome, et qui lui devaient ainsi une partie de leur animation. Les portefaix,

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les mesureurs, les ouvriers de toute sorte, à qui l'Annona faisait gagner leur vie, lui témoignaient leur reconnaissance en lui élevant des autels. Les Romains aussi devaient avoir pour elle une grande vénération, car ils savaient bien que, le jour où elle leur distribuerait ses dons moins libéralement, ils seraient exposés à mourir de faim. L'Afrique était donc, suivant le mot d'un écrivain du temps, l'âme de la République; et Juvénal a bien raison de demander qu'on traite avec égard ces vaillans moissonneurs qui nourrissent Rome et lui permettent de se livrer sans crainte aux plaisirs du cirque et du théâtre :

Qui saturant urbem circo scenæque vacantem.

III

Après avoir étudié quelles étaient les conditions de la petite propriété dans l'Afrique romaine, occupons-nous un peu de la grande.

Dans le passage célèbre où Pline l'Ancien attribue à l'extension des grands domaines la ruine de l'Italie, il ajoute que le mal avait gagné les provinces, et que six propriétaires possédaient la moitié de l'Afrique. Il est aisé de comprendre comment ces propriétés énormes s'étaient formées. Les indigènes, après leurs défaites, avaient été plus d'une fois ou transportés en masse dans des contrées éloignées, ou cantonnés dans les montagnes. Les terres, qu'ils laissaient libres, appartenaient de droit aux vainqueurs. L'État en garda sans doute une bonne part; mais il dut en vendre aussi ou en donner à quelques personnages d'importance, et ce ne fut pas un mal, car il fallait des capitaux pour entreprendre des travaux d'utilité publique et mettre en rapport un sol fertile qui n'avait guère été cultivé. Dès la fin de la république, de grandes spéculations de terrains se sont faites en Afrique. C'est là, disait-on, que le père de Cælius, un chevalier romain de Pouzzoles, avait gagné cette fortune que son fils s'entendait si bien à dépenser. Cornélius Népos rapporte qu'un certain Julius Calidus fut mis sur la liste des proscriptions parce qu'on voulait lui prendre les biens immenses qu'il possédait en Afrique. Le mouvement continue sous l'empire: les grands personnages, que le prince envoyait commander les troupes ou gouverner les provinces, séduits par la richesse du pays, ne manquaient pas d'y acheter des terres et d'y placer une partie de leur fortune. Nous voyons que Julius Martialianus, qui fut légat de Numidie sous Alexandre Sévère, possédait des domaines considérables dans les environs de Lambèse, à Mascula; on peut croire qu'il les avait

acquis pendant qu'il était à la tête de la troisième légion. C'est ainsi qu'avec le temps des familles illustres de Rome s'établirent en Afrique, les Lollii à Tidsis, les Arrii Antonini à Milève, et bien d'autres encore. Ces grands seigneurs se bâtissaient des résidences somptueuses, avec des greniers pour les denrées, des étables pour les bêtes, des logemens pour les serviteurs, et naturellement il a dû rester plus de traces de ces vastes constructions que de l'humble demeure de ces pauvres fermiers dont je viens de parler.

Le hasard nous a précisément conservé quelques débris d'une de ces grandes maisons, et nous pouvons, en les visitant, nous représenter la façon dont l'aristocratie africaine s'installait dans ses terres (1). Sur la route de Constantine à Sétif, près du petit village d'Oued-Atménia, dans une grande plaine ondulée qui est encore aujourd'hui fertile et bien arrosée, un Arabe qui labourait un champ rencontra un obstacle sur lequel vint se briser le soc de sa charrue on fouilla le sol pour savoir d'où venait la résistance, et l'on découvrit d'abord une muraille, puis un commencement de mosaïque, qui parut très bien conservée.

Les travaux furent continués avec soin, et l'on finit par mettre au jour les restes d'un édifice qui mesurait plus de 800 mètres carrés. Il fut aisé de voir que c'étaient des bains, et qu'il n'y manquait rien de ce qu'on trouve à Rome et ailleurs dans les établissemens de ce genre. A l'une des extrémités, on reconnaît l'hypocauste, entouré de corridors pour faciliter le service, avec des bancs de pierre où les esclaves chargés d'allumer et d'entretenir le fourneau s'asseyaient pour se reposer; puis viennent les salles où l'on passait par des degrés divers de chaleur, le caldarium, le sudatorium, le tepidarium; le pavé y est suspendu sur des piliers de brique, pour qu'on puisse chauffer par-dessous; les plinthes de marbre qui couvrent les murs sont séparées de la grosse maçonnerie par un vide de trois centimètres pour faire circuler partout la chaleur, tandis que des tuyaux de grès la dis

(1) Les fouilles, dont je vais parler, ont été faites par la Société archéologique de Constantine, une de celles qui, en Algérie, ont le mieux servi la science. M. Poulle, qui la présidait alors, en a rendu compte dans un mémoire détaillé que je me contenterai de résumer. La Société a publié aussi un plan de l'édifice et une reproduction des mosaïques dans de très belles planches dont Tissot s'est servi dans sa Géographie de l'Afrique, et M. Duruy dans son Histoire romaine. Malheureusement on s'est aperçu depuis que les planches n'étaient pas toujours d'une exactitude rigoureuse. Pour être renseigné sur les libertés que le dessinateur avait prises avec l'original, je me suis adressé à M. Mercier, président actuel de la Société de Constantine, dont je savais l'obligeance, et qui est connu par d'excellens travaux sur l'histoire de l'Algérie. M. Mercier a bien voulu m'indiquer les petites irrégularités de détail qu'on a relevées dans la copie, et me faire parvenir une reproduction nouvelle, et cette fois absolument exacte, d'une partie de la mosaïque, celle qui couvrait le sol de l'Atrium. Il ajoute qu'aujourd'hui tout est irrémédiablement perdu.

tribuent dans les couloirs et empêchent qu'on ne passe trop brusquement d'une température à une autre. D'autres salles, grandes ou petites, rondes, carrées, avec des absides à leur extrémité, devaient servir aux divertissemens, aux entretiens, aux repas, à toutes ces occupations variées qui faisaient du bain un des plus grands plaisirs et des plus compliqués de la vie antique. Mais la partie la plus somptueuse et la mieux ornée est un atrium de près 10 mètres de long, séparé en trois compartimens par des colonnes de marbre ornées de chapiteaux corinthiens. L'atrium, qui devait être un lieu charmant de réunion et de promenade, donne accès à un grand bassin de natation entouré d'une galerie demi-circulaire. Cet ensemble, qui se composait de vingt et une pièces, devait former un édifice d'une commodité rare et d'une parfaite élégance. Toutes les salles étaient pavées de mosaïques qui furent trouvées dans un état merveilleux de conservation; les débris des ornemens de marbre et de stuc qui devaient revêtir les murailles couvraient le sol.

En présence d'un monument si vaste et si riche, on a été d'abord tenté de croire que tant de dépense n'était pas faite pour une seule personne, et que c'étaient des bains publics qu'on avait découverts. Mais il est bien difficile de s'arrêter à cette opinion. Si ces bains étaient publics, à qui pouvaient-ils servir? On ne connaît pas de ville romaine dans les environs; les plus rapprochées sont à vingt ou trente kilomètres de distance. On n'a même trouvé, dans un rayon de plusieurs lieues, aucune ruine importante : il est donc vraisemblable qu'un seul domaine occupait toute la plaine. Le propriétaire, qui devait être fort riche, et qui sans doute y habitait avec sa famille, avait dû y réunir toutes les commodités de la vie; c'est pour lui et pour les siens qu'il avait fait bâtir ce bel édifice, et nous n'avons pas lieu d'être surpris qu'il soit si vaste et si somptueux, quand nous songeons que dans toute l'étendue de l'empire, surtout en Afrique, les bains étaient devenus une nécessité pour tout le monde, et que les riches y déployaient un luxe extravagant. Sénèque raconte qu'étant allé visiter, à Literne, la villa du grand Scipion, il fut émerveillé de voir combien les bains y étaient simples, étroits, nus, obscurs. « Qui s'en contenterait aujourd'hui ? dit-il. Qui ne se croirait un mendiant s'il se baignait dans une salle dont les murs n'étincelleraient pas du feu des pierreries? si le marbre d'Égypte n'y était incrusté de marbre de Numidie et encadré de mosaïques? si le plafond n'était lambrissé de cristal? si les piscines n'étaient taillées dans le marbre de Paros? si l'eau ne coulait pas de robinets d'argent? Et je ne parle encore que des bains du vulgaire : que sera-ce si nous en venons à ceux des affranchis? Que de statues, que de colonnes

qui ne soutiennent rien, et qui ne sont qu'un pur ornement! quelles masses d'eau qui tombe en cascade avec fracas! Nous sommes arrivés à un tel raffinement de délicatesse que nos pieds ne peuvent plus fouler que des pierres précieuses. » Voilà les folies que se permettaient les riches Romains au premier siècle de l'empire. L'exemple de Rome était imité dans tout l'univers, et l'on comprend qu'un grand propriétaire d'Afrique qui voulait se mettre à la mode ait tenu à reproduire quelque chose de ces prodigalités.

S'il s'était fait construire des bains si magnifiques, soyons assurés que sa maison devait être plus grande encore et plus belle; mais il n'en existe plus rien, ou du moins on n'en a rien découvert jusqu'à ce jour. Heureusement nous n'avons pas besoin de faire des fouilles pour la connaître, et, sans sortir des bains, nous allons avoir le moyen de nous figurer ce qu'elle était. Je viens de parler des mosaïques qui en tapissent le sol; elles ont un caractère qui nous les rend particulièrement précieuses. Le propriétaire aurait pu se contenter, comme tant d'autres, d'y faire copier un sujet banal, le triomphe d'Amphitrite ou de Bacchus, les travaux d'Hercule, etc.; mais il a voulu quelque chose qui fût fait pour lui et ne convînt qu'à lui; il a demandé à l'artiste de reproduire sa maison, son parc, ses jardins avec leurs agrémens, comme nos rois ont fait décorer quelquefois leurs palais de tableaux ou de tapisseries qui représentaient leurs principales résidences. Le maître mosaïste a dû prendre sans doute de grandes licences avec la réalité; il n'a pas dû tenter de donner à un travail purement décoratif la perfection et l'exactitude qu'on apporte à des œuvres d'art achevées : c'est un à peu près qu'il faut juger d'ensemble, mais qui nous donne pourtant une idée d'un grand domaine romain à l'époque impériale. Puisque le voilà sous nos yeux, ne résistons pas à la tentation de le parcourir un moment.

Remercions d'abord l'auteur des mosaïques des indications précieuses qu'il nous a données; comme il craignait qu'on ne se reconnût pas toujours dans ses peintures, il a pris le parti de placer à côté de chacun des tableaux des légendes qui nous font connaître les lieux et les hommes. Au-dessus de la maison s'étale en grosses lettres le nom du propriétaire : il s'appelait Pompéianus. Sa maison, qui occupe le haut d'une des mosaïques, ne présente pas ce large développement de façade et ces belles apparences de régularité qui sont à la mode chez nous, surtout depuis la Renaissance. Les Romains paraissent y avoir médiocrement tenu. Leurs villas, faites pour l'usage, se composaient d'ordinaire d'une réunion de corps de logis différens, plus juxtaposés qu'unis, et qu'on avait construits à mesure qu'on en sentait le besoin. C'est bien ainsi

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