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ARTICLE XI.

1

1.

La vraie religion doit avoir pour marque d'obliger à aimer son Dieu. Cela est bien juste. Et cependant aucune autre que la nôtre ne l'a ordonné; la nôtre l'a fait. Elle doit encore avoir connu la concupiscence et l'impuissance 2; la nôtre l'a fait. Elle doit y avoir apporté les remèdes; l'un est la prière. Nulle religion n'a demandé à Dieu de l'aimer et de le suivre 3.

4

2.

La vraie nature de l'homme, son vrai bien, et la vraie vertu, et la vraie religion, sont choses dont la connaissance est inséparable.

Il faut, pour qu'une religion soit vraie, qu'elle ait connu notre nature. Elle doit avoir connu la grandeur et la petitesse, et la raison de l'une et de l'autre. Qui l'a connue, que la chrétienne?

3.

Les autres religions', comme les païennes, sont plus populaires; car elles sont en extérieur mais elles ne sont pas pour les gens habiles. Une religion purement intellectuelle serait plus propor

Pourquoi P. R. a-t-il retranché cette prière, dont l'effet touchant répare la sécheresse de ces conseils ?

1 « La vraie religion. » 455. P. R., 11.

cence.

2 Et l'impuissance. » L'impuissance de faire le bien, de vaincre la concupisRapprocher de cet article, parmi les Pensées de Nicole, la 74 et la 75*: Religion chrétienne rend seule raison des biens et des maux. Nulle religion n'a pris soin des mœurs que la chrétienne.

3 « De l'aimer et de le suivre. » Juvénal dit bien :

Orandum est, ut sit mens sana in corpore sano (x, 356).

« Ce qu'il faut demander, c'est une âme saine dans un corps sain. » Mais, outre qu'il ne parle pas d'aimer Dieu, il ajoute, contrairement à la doctrine chrétienne de la grâce :

Monstro quod ipse tibi possis dare.

« Tout cela, vous pouvez vous le donner vous-même. »

4 « La vraie nature. » 487. P. R., 11.

5 « Il faut pour qu'une religion. » 465. En titre: Après avoir entendu la nature de l'homme. P. R., ibid.

6 << La grandeur et la petitesse. » De notre nature.

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« Les autres religions. » 454. P. R., 11.

«Les gens habiles. » Les gens éclairés. Cf. v, 3.

tionnée aux habiles; mais elle ne servirait pas au peuple. La seule religion chrétienne est proportionnée à tous, étant mêlée d'extérieur et d'intérieur. Elle élève le peuple à l'intérieur, et abaisse les superbes à l'extérieur 2; et n'est pas parfaite sans les deux, car il faut que le peuple entende l'esprit de la lettre, et que les habiles soumettent leur esprit à la lettre.

3

4.

Nulle autre religion 3 n'a proposé de se haïr. Nulle autre religion ne peut donc plaire à ceux qui se haïssent, et qui cherchent un être véritablement aimable. Et ceux-là, s'ils n'avaient jamais ouï parler de la religion d'un Dieu humilié, l'embrasseraient incontinent.

... Nulle autre n'a connu que l'homme est la plus excellente créature. Les as, qui ont bien connu la réalité de son excellence, ont pris pour lâcheté et pour ingratitude les sentiments bas que les hommes ont naturellement d'eux-mêmes; et les autres, qui ont bien connu combien cette bassesse est effective, ont traité d'une superbe ridicule ces sentiments de grandeur, qui sont aussi naturels à l'homme.

Levez vos yeux vers Dieu, disent les uns; voyez celui auquel yous ressemblez, et qui vous a fait pour l'adorer. Vous pouvez vous rendre semblable à lui; la sagesse vous y égalera, si vous voulez la sui

a A l'intérieur.

D

G'est-à-dire jusqu'à l'intérieur, jusqu'à l'esprit.

2 « A l'extérieur. » C'est-à-dire les fait descendre jusqu'à l'extérieur, jusqu'à l'eau bénite, etc. On lit encore page 90 du manuscrit : « Il faut que l'extérieur » soit joint à l'intérieur pour obtenir de Dieu, c'est-à-dire que l'on se mette à ge»> noux, prie des lèvres, etc., afin que l'homme orgueilleux qui n'a voulu se sou» mettre à Dieu soit maintenant soumis à la créature [c'est-à-dire au corps, à la » machine]. Attendre de cet extérieur le secours est superstition; ne vouloir pas le » joindre à l'intérieur est être superbe.

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4 « Qui se haïssent. » Parce qu'ils haissent en eux la nature humaine.

5 « D'un Dieu humilié. » Un Dieu humilié! qui a pu faire cela? nos péchés, haïssons-nous donc; sa charité, aimons-le donc. Il y a là de quoi haïr et de quoi aimer en proportion, pour ainsi dire, d'un si étrange mystère. Telle est la penséc de Pascal.

6 «Nulle autre. » Conservé dans la Copie. P. R., II.

7 « Les uns... les autres... » Les stoïques, les épicuriens.

8

« Levez vos yeux. » P. R, 111. P. R. a placé ce passage au milieu d'un grand morceau qu'on trouvera plus loin (x11, 4).

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vre Et les autres disent 2: Baissez vos yeux vers la terre, chétif ver que vous êtes, et regardez les bêtes, dont vous êtes le compagnon. Que deviendra donc l'homme? Sera-t-il égal à Dieu ou aux bétes! Quelle effroyable distance! Que serons-nous done? Qui ne voit par tout cela que l'homme est égaré, qu'il est tombé de sa place, qu'il la cherche avec inquiétude, qu'il ne la peut plus retrouver? Et qui l'y adressera donc ? les plus grands hommes ne l'ont pu.

Nulle religion que la nôtre n'a enseigné que l'homme nait en péché, nulle secte de philosophes ne l'a dit : nulle n'a donc dit vrai3.

5.

S'il n'y avait qu'une religion, Dieu y serait bien manifeste '. S'il n'y avait des martyrs qu'en notre religion, de même.

... Dieu étant ainsi caché, toute religion qui ne dit pas que Dieu est caché n'est pas véritable; et toute religion qui n'en rend pas la raison n'est pas instruisante. La nôtre fait tout cela: Vere tu eso Deus absconditus.

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Cette religion, qui consiste 10 à croire que l'homme est déchu d'un état de gloire et de communication avec Dieu en un état de tristesse, de pénitence et d'éloignement de Dieu, mais qu'après cette vie nous serons rétablis11 par un Messie qui devait venir, a

1 « Si vous voulez la suivre. » Ici, en marge « Haussez la tête, hommes libres,

>> dit Epictète. » 'Oplög mepinátet, dhoúðɛpog (ÉPICT., I, 48, à la fin).

2

« Et les autres disent. » Sur tout ce parallèle, voir, au commencement du volume, l'entretien de Pascal avec Sacy. Voir aussi le dernier fragment du paragraphe XII, 3.

3

« Qui ne voit par tout cela. » Cette fin manque dans P. R. et les éditions, par suite du déplacement du passage. Tout cela est plein d'émotion.

4 « Nulle religion que la nôtre. » 8. P. R., 11.

3 « Nulle n'a donc dit vrai. » Car notre penchant au mal et nos misères de toute espèce prouvent évidemment, suivant Pascal, qu'il en est ainsi.

6 Sil n'y avait qu'une religion. » 55. En titre : Que Dieu s'est voulu cacher. P. R., 11. P. R. ne commence qu'aux mots, Dieu étant caché; mais ce qui précède se retrouve au titre XVIII.

Y serait bien manifeste. » Et, suivant Pascal, il le serait trop. Cf. ix, 1, et tout l'article xx.

8 « Qui n'en rend pas la raison. » Cette raison, suivant Pascal, est que les hommes se sont rendus indignes de connaître Dieu. Voir xx, 4.

9

« Vere tu es. » On a déjà vu (ix, 4) ce texte d'Isaïe.

10 « Cette religion, qui consiste. » 248. En titre, Perpétuité, P. R., 11.

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toujours été sur la terre. Toutes choses ont passé1, et celle-là a subsisté pour laquelle sont toutes les choses.

2

4

Les hommes dans le premier âge' du monde ont été emportés dans toutes sortes de désordres, et il y avait cependant des saints, comme Énoch, Lamech et d'autres, qui attendaient en patience le CHRIST promis dès le commencement du monde 3. Noé a vu la malice des hommes au plus haut degré; et il a mérité de sauver le monde en sa personne, par l'espérance du Messie dont il a été la figure. Abraham était environné d'idolâtres, quand Dieu lui fit connaître le mystère du Messie qu'il a salué de loin. Au temps d'Isaac et de Jacob, l'abomination s'était répandue' sur toute la terre: mais ces saints vivaient en la foi; et Jacob, mourant et bénissant ses enfants, s'écrie, par un transport qui lui fait interrompre son discours: J'attends, ô mon Dieu, le Sauveur que vous avez promis Salutare tuum exspectabo, Domine.

8

Les Égyptiens étaient infectés et d'idolatrie et de magie; le peuple de Dieu même était entraîné par leurs exemples. Mais cependant Moïse et d'autres croyaient celui qu'ils ne voyaient pas', et l'adoraient en regardant aux dons éternels qu'il leur préparait.

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« Toutes choses ont passé. » Cette phrase pourrait servir d'épigraphe au Discours sur l'Histoire universelle de Bossuet. Et on pourrait donner à ce morceau le titre que Bossuet a donné à sa seconde partie : La suite de la Religion.

2 « Les hommes dans le premier âge. » Avant cette phrase, P. R. intercale une partie d'un fragment qu'on trouvera après celui-ci : Dieu voulant se former, etc.

3 « Dès le commencement du monde. » Pascal, ainsi que Bossuet, regarde le Christ comme prédit dans les paroles que Dieu adresse au serpent après le péché, quand il lui dit que la race de la femme lui écrasera la tête. Gen., 111, 45. Voir plus loin.

a Et il a mérité. » P. R. substitué à cette phrase la phrase sur Noé qui est dans le fragment suivant.

5 Dont il a été la figure. » C'est-à-dire qu'en se sauvant du déluge, et le monde avec lui, il a été la figure du Messie sauvant les hommes, et il l'a fait espérer. L'arche est la figure de l'Eglise. Voir sur les Figures l'article XVI. Il faut avouer que ces expressions, sauver le monde par l'espérance du Messie, sont obscures, et ne disent pas bien ce qu'elles veulent dire.

« Le mystère du Messic. » Je ne vois pas cela dans la Genèse, mais Jésus dit dans l'Évangile de saint Jean (VIII, 56) qu'Abraham a été transporté par l'espérance de voir son avénement, qu'il l'a vu et qu'il s'est réjoui.

« L'abomination s'était répandue. » Remarquez la vivacité des termes que Pascal trouve à chaque phrase pour peindre la corruption du monde, et faire mieux ressortir la conservation de la foi chez les élus. Remarquez aussi que la répétition continuelle du même tour, image de l'immobilité de la religion, est une beauté que les altérations de Port-Royal faisaient disparaltre.

8 « Salutare tuum. >> Genèse, XLIX, 48. Ce verset n'a en effet aucun rapport apparent avec ce qui précède et ce qui suit.

9 a

XX, 29.

Celui qu'ils ne voyaient pas. » Beati qui non viderunt, et crediderunt. Jean,

Les Grecs et les Latins ensuite ont fait régner les fausses déités; les poëtes ont fait cent diverses théologies; les philosophes se sont séparés én mille sectes différentes : et cependant il y avait toujours au cœur de la Judée des hommes choisis qui prédisaient la venue de ce Messie, qui n'était connu que d'eux.

1

Il est venu enfin 2 en la consommation des temps et depuis, on a vu naître tant de schismes et d'hérésies, tant renverser d'États, tant de changements en toutes choses; et cette Église, qui adore celui qui a toujours été adoré 5, a subsisté sans interruption. Et ce qui est admirable, incomparable et tout à fait divin, c'est que cette religion, qui a toujours duré, a toujours été combattue. Mille fois elle a été à la veille d'une destruction universelle; et toutes les fois qu'elle a été en cet état, Dieu l'a relevée par des coups extraordinaires de sa puissance. C'est ce qui est étonnant, et qu'elle s'est maintenue sans fléchir et plier sous la volonté des tyrans. Car il n'est pas étrange qu'un État subsiste, lorsque l'on fait quelquefois céder ses lois à la nécessité, mais que..."

6

Dieu, voulant se former un peuple saint, qu'il séparerait de toutes les autres nations, qu'il délivrerait de ses ennemis, qu'il mettrait dans un lieu de repos, a promis de le faire, et a prédit par ses prophètes le temps et la manière de sa venue. Et cependant, pour affermir l'espérance de ses élus dans tous les temps, il

« Au cœur de la Judée. » Au lieu de dire simplement, dans la Judée; cela montre mieux que la foi est comme réfugiée là.

2

«

Il est venu enfin. » Ces mots très-simples frappent, parce que l'écrivain nous a fait sentir, en s'arrêtant à chaque pas, la longue attente du monde.

3 «En la consommation des temps. » Expression biblique et solennelle, pour dire, quand le temps marqué fut accompli.

4 a Et cette Église. » P. R. altère ce tour et le gåte.

5 « Celui qui a toujours été adoré. » Il suffit de ce retour du même verbe pour nous faire franchir les siècles, et reconnaitre dans le Dieu de Pascal le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Voir le papier mystique cité dans la note 16, sur sa Vie.

« Mille fois elle a été. » Voir le Discours sur l'Histoire universelle : « Cette » Église toujours attaquée, et jamais vaincue, est un miracle perpétuel, » etc. I partie, XIII, au commencement.

7 « Mais que... » Le manuscrit porte ici, entre parenthèses : Voyez le rond » dans Montaigne. » Ce rond est sans doute la marque que Pascal avait mise à un passage de Montaigne. Voir le paragraphe 6.

8 << Dieu voulant se former. » 77. En titre, Figures. (Voir l'art. xvi). P. R. a intercalé ce fragment dans précédent.

9a A promis de le faire. » P. R. complète la pensée et de venir au monde pour

cela.

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