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pour la gloire du pyrrhonisme', afin de montrer que l'homme est bien capable des plus extravagantes opinions, puisqu'il est capable de croire qu'il n'est pas dans cette faiblesse naturelle et inévitable, et de croire qu'il est, au contraire, dans la sagesse naturelle.

Rien ne fortifie2 plus le pyrrhonisme que ce qu'il y en a' qui ne sont point pyrrhoniens: si tous l'étaient, ils auraient tort*.

2.

Cette secte se fortifie par ses ennemis plus que par ses amis : car la faiblesse de l'homme paraît bien davantage en ceux qui ne la connaissent pas qu'en ceux qui la connaissent.

Si on est trop jeune, on ne juge pas bien; trop vieil, de même ; si on n'y songe pas assez...'; si on n'y songe trop, on s'entête, et on s'en coiffe. Si on considère son ouvrage incontinent après l'avoir fait, on en est encore tout prévenu; si trop longtemps après, on n'y entre plus. Aussi les tableaux, vus de trop loin et de trop près; et il n'y a qu'un point indivisible qui soit le véritable lieu : les autres sont trop près, trop loin, trop haut ou trop bas. La perspective l'assigne dans

1 « Du pyrrhonisme. » On dit plutôt aujourd'hui scepticisme; mais Pascal, comme Montaigne, n'emploie jamais ce mot. On trouve dans La Mothe le Vayer la sceptique (ý oxinti), mais non le scepticisme.

2 « Rien ne fortifie. » Supprimé dans P. R.

3

«Que ce qu'il y en a. » Ce tour ne s'emploie plus; nous dirions: que ce fait, qu'il y en a.

4 «Ils auraient tort. » Car alors, contrairement à leur thèse, l'esprit humain serait au moins capable d'une vérité, qui serait celle-là même, qu'il n'y a point de vérité. On voit que P. R. a laissé subsister tout ce qu'il y a dans ce fragment de pyrrhonisme réel, en effaçant seulement le mot et comme l'étiquette de pyrrho

nisme.

5 « Cette secte. » 83. P. R., xxv; mais les treize premiers mots sont supprimés. Le fragment précédent explique parfaitement celui-ci.

6 « Si on est trop jeune. » 83. P. R., ibid. Cf. Montaigne, Apol., p. 324 : « S'il est vieil, il ne peult iuger du sentiment de la vieillesse, estant luy mesme >> partie en ce debat; s'il est ieune, de mesme; sain, de mesme; de mesme malade, » dormant et veillant: il nous fauldroit quelqu'un exempt de toutes ces qualitez, >> afin que, sans preoccupation de iugement, il iugeast de ces propositions comme a » luy indifferentes; et à ce compte, il nous fauldroit un iuge qui ne feust pas..

7 « Si on n'y songe pas assez. » Tous les éditeurs se contentent de mettre après ces mots une virgule; mais il n'est pas vrai qu'on s'entête d'une chose et qu'on s'en coiffe en n'y songeant pas assez. Je crois donc que la pensée de Pascal est celleci: Si on n'y songe pas assez, on ne saisit pas, on ne pénètre pas la chose; si au contraire on y songe trop, on s'entête. Il ne s'est pas donné la peine, n'écrivant que pour lui, de finir la première partie de la phrase, parce qu'elle s'entend d'ellemême.

« La perspective l'assigne. » Comme cette opposition, prise des objets sensibles, éclaire la pensée !

rable impose le respect à tout un peuple, se gouverne par une raison pure et sublime, et qu'il juge des choses par leur nature sans s'arrêter à ces vaines circonstances qui ne blessent que l'imagination des faibles? Voyez-le entrer dans un sermon où il apporte un zèle tout dévot, renforçant la solidité de la raison par l'ardeur de la charité. Le voilà prêt à l'ouïr avec un respect exemplaire. Que le prédicateur vienne à paraitre si la nature lui a donné une voix enrouée et un tour de visage bizarre, que son barbier l'ait mal rasé, si le hasard l'a encore barbouillé de surcroit, quelques grandes vérités qu'il annonce, je parie la perte de la gravité de notre sénateur.

Le plus grand philosophe du monde, sur une planche plus large qu'il ne faut, s'il y a au-dessous un précipice, quoique sa raison le convainque de sa sûreté, son imagination prévaudra. Plusieurs n'en sauraient soutenir la pensée sans pâlir et suer.

Qui ne sait que la vue de chats, de rats, l'écrasement d'un charbon, etc., emportent la raison hors des gonds? Le ton de voix 5

Voyez-le entrer. » Les éditeurs de P. R. ont craint que tout ce passage ne fût une occasion de scandale; ils ont substitué au sermon une audience, et au prédicateur un avocat; mais il n'y a rien de bien extraordinaire à rire à l'audience, et un juge ne se contient pas beaucoup pour cela. Voyez au contraire que de circonstances Pascal rassemble, qui font au magistrat un devoir et comme une nécessité d'être grave. C'est un sermon, il y apporte un zèle tout dévot, il a une raison solide, renforcée encore par une charité ardente. Il se dispose à écouter avec un respect exemplaire, et le prédicateur annonce les plus grandes vérités. S'il rit après tout cela, s'il rit pour une voix enrouée ou une barbe mal faite, quelle force est-ce donc que celle de l'imagination? La supposition de P. R. ne prouve pas assez; mais P. R. a cru que celle de Pascal prouvait trop, et a été effrayé de cette verve d'ironie s'exerçant même sur les choses saintes. Ils l'avaient goûtée dans les Provinciales, parce qu'elle flattait leurs passions; maintenant ils la redoutent, mais c'est la même. — « Voyez-le entrer... Le voilà prêt... Que le prédicateur... » Tours vifs et animés. C'est une scène.

2 « L'ardeur de la charité. » « C'est-à-dire de l'amour de Dieu. Voir xvi, 43. 3. Je parie la perte. » Expression leste et moqueuse. - - a Notre sénateur.» Autre ironie. P. R. la détruit en écrivant, de la gravité du magistrat.

4 « Qu'il ne faut.» Pascal avait mis d'abord : « Plus large que le chemin qu'il ⚫ occupe en marchant à son ordinaire. » Cf. Montaigne, Apol., p. 313: « Qu'on loge ⚫ un philosophe dans une cage de menus filets de fer clair-semez, qui soit suspendue » au hault des tours Nostre Dame de Paris; il verra, par raison evidente, qu'il est impossible qu'il en tumbe; et si [et pourtant] ne se sçauroit garder (s'il n'a ac» coustumé le mestier des couvreurs) que la veue de cette haulteur extreme ne l'es»povante et ne le transisse... Qu'on iecte une poultre entre ces deux tours, d'une » grosseur telle qu'il nous la fault a nous promener dessus, il n'y a sagesse philoso» phique de si grande fermeté qui puisse nous donner courage d'y marcher comme » si estoit à terre. »

sa Le ton de voix. » Voir Montaigne, Apol., p. 311.

impose aux plus sages, et change un discours et un poëme de face.

L'affection ou la haine changent la justice de face; et combien un avocat bien payé1 par avance trouve-t-il plus juste la cause qu'il plaide! combien son geste hardi le fait-il paraître meilleur aux juges, dupés par cette apparence! Plaisante raison qu'un vent manie2, et à tout sens!

Je ne veux pas rapporter tous ses effets; je rapporterais presque toutes les actions des hommes qui ne branlent presque que par ses secousses. Car la raison a été obligée de céder, et la plus sage prend pour ses principes ceux que l'imagination des hommes a témérairement introduits en chaque lieu 5.

Nos magistrats ont bien connu ce mystère. Leurs robes rouges, leurs hermines, dont ils s'emmaillottent en chats fourrés, les palais où ils jugent, les fleurs de lis, tout cet appareil auguste était fort nécessaire; et si les médecins n'avaient des soutanes et des mules, et que les docteurs n'eussent des bonnets carrés et des

1 « Un avocat bien payé.» Cf. Montaigne, Apol., p. 258: « Vous recitez simple>>ment une cause à l'advocat, il vous y respond chancellant et doubteux : vous >> sentez qu'il luy est indifferent de prendre à soutenir l'un ou l'aultre party : » l'avez-vous bien payé pour y mordre et pour s'en formaliser, commence il d'en > estre interessé, y a il eschauffé sa volonté, sa raison et sa science s'y eschauffent » quand et quand; voylà une apparente et indubitable verité qui se presente à son >> entendement; il y descouvre une toute nouvelle lumiere, et le croit à bon escient, » et se le persuade ainsi. » Mais ce trait qui peint: Combien son geste hardi..., est de Pascal. - Le fait-il paraître. » Le est au neutre.

2 « Qu'un vent manie. » Montaigne, Apol., p. 315: « Vraiment il y a bien de quoy » faire si grande feste de la fermeté de cette belle piece [le jugement], qui se laisse >> manier et changer au bransle et accidents d'un si legier vent! »

3 « Ses effets. » De l'imagination.

4 « Témérairement. » Dans le sens du latin temere, au hasard.

5 « En chaque lieu. >> Ici, Pascal avait écrit la phrase suivante, qu'il a barrée : « Il faut travailler tout le jour pour des biens reconnus pour imaginaires; et quand le » sommeil nous a délassés des fatigues de notre raison, il faut incontinent se lever >> en sursaut pour aller courir après les fumées et essuyer les impressions de cette » maîtresse du monde. »

6 « Nos magistrats. » 369. Cet alinéa et les trois suivants manquent dans P. R. Bossut les a transportés ailleurs (I, VIII, 9).

a

7 « Chats fourrés.» Pascal emploie là un mot de Rabelais. Voir dans le Pantagruel la description des Chatz fourrez (V, 44).

9

8 « Des soutanes et des mules. » Soutane ne se dit plus aujourd'hui que de la robe des prêtres. Les mules étaient une chaussure; on dit encore: la mule du pape. « Les docteurs. » Il y avait des docteurs dans les quatre Facultés, de théologie, de droit, de médecine, et des arts. C'est à cette dernière classe qu'appartiennent les docteurs de la comédie, comme le docteur Pancrace dans Molière. Mais la raillerie de Pascal atteint jusqu'aux docteurs en théologie. On entendait alors le plus souvent

robes trop amples de quatre parties, jamais ils n'auraient dupé le monde qui ne peut résister à cette montre si authentique2, Les seuls gens de guerre' ne se sont pas déguisés de la sorte, parce qu'en effet leur part est plus essentielle : ils s'établissent par la force, les autres par grimace'.

C'est ainsi que nos rois n'ont pas recherché ces déguisements. Ils ne se sont pas masqués d'habits extraordinaires pour paraitre tels'; mais ils se sont accompagnés de gardes, de hallebardes: ces trognes armées' qui n'ont de mains et de force que pour eux, les trompettes et les tambours qui marchent au-devant, et ces légions qui les environnent, font trembler les plus fermes. Ils n'ont pas l'habit seulement, ils ont la force. Il faudrait avoir une raison bien épurée pour regarder comme un autre homme le Grand Seigneur environné, dans son superbe sérail, de quarante mille janissaires.

S'ils avaient la véritable justice, si les médecins avaient le vrai art de guérir, ils n'auraient que faire de bonnets carrés : la majesté de ces sciences serait assez vénérable d'elle-même. Mais n'ayant que des sciences imaginaires, il faut qu'ils prennent ces vains in

par un docteur, un théologien; on entend aujourd'hui par le même terme, un médecin. (Les deux Facultés des sciences et des lettres ont remplacé celle des arts.) - « De quatre parties. » C'est-à-dire des quatre cinquièmes.

D

1 a Dupé le monde. » P. R. supprime tout ce passage, pour ne blesser ni les docteurs, ni les magistrats, ni les médecins.

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« Authentique. » C'est-à-dire qui témoigne, aussi bien que le ferait un acte authentique, de la capacité qui est dans ces personnages.

3 « Les seuls gens de guerre. » Aujourd'hui les gens de guerre ont un costume, et les médecins n'en ont plus. L'explication de Pascal n'est donc pas bonne.

4 « Est plus essentielle. » A plus de réalité.

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«Par grimace. » Par représentation, par comédie. Voir xxv, 22. On lit encore, à la page 283 du manuscrit autographe : « Le chancelier est grave et revêtu » d'ornements, car son poste est faux. Et non le roi; il a la force, il n'a que faire » de l'imagination. Les juges, médecins, etc., n'ont que l'imagination,»

6 « Pour paraître tels. » Pour paraître rois.

7 a Ces trognes armées.» Trivialité de génie. On y sent à plein le mépris qu'inspire la force brutale à une intelligence supérieure enfermée dans un corps frėle. Ces satellites ne sont pas des hommes, ce sont des trognes qui ont des mains. Ce mot exprime une grosse face rébarbative. Mais un roi n'a pas toujours des gardes autour de lui. Pascal répond à cela, V, 7.

Le Grand Seigneur. » Pascal le choisit parmi les souverains comme pouvant

faire couper des tétes à sa volonté.

On sait que les janissaires n'existent plus, et

que le Grand Seigneur n'est plus si terrible.

9 S'ils avaient. » Nos magistrats. On revient à eux après une longue parenthèse.

struments qui frappent l'imagination à laquelle ils ont affaire; et par là, en effet, ils s'attirent le respect.

Nous ne pouvons pas seulement voir un avocat en soutane et le bonnet en tête, sans une opinion avantageuse de sa suffisance1.

L'imagination2 dispose de tout; elle fait la beauté, la justice, et le bonheur, qui est le tout du monde. Je voudrais de bon cœur voir le livre italien, dont je ne connais que le titre, qui vaut lui seul bien des livres : Della opinione' regina del mondo. J'y souscris sans le connaître, sauf le mal, s'il y en a.

Voilà à peu près les effets de cette faculté trompeuse qui semble nous être donnée exprès pour nous induire à une erreur nécessaire. Nous en avons bien d'autres principes".

Les impressions anciennes ne sont pas seules capables de nous abuser les charmes de la nouveauté ont le même pouvoir". De là viennent toutes les disputes des hommes, qui se reprochent ou de suivre leurs fausses impressions de l'enfance, ou de courir témérairement après les nouvelles. Qui tient le juste milieu? Qu'il paraisse, et qu'il le prouve. Il n'y a principe, quelque naturel qu'il puisse être, même depuis l'enfance', qu'on ne fasse passer pour une fausse impression, soit de l'instruction, soit des sens. Parce, dit-on, que vous avez cru dès l'enfance qu'un coffre était vide' lorsque vous n'y voyiez rien, vous avez cru le vide possible; c'est une illusion de vos sens, fortifiée par la coutume, qu'il faut que la science

« De sa suffisance. Ce mot ne se dit plus en ce sens.

2 « L'imagination. » P. R., L'opinion.

1

3 « Della opinione.» Nicole se sera sans doute autorisé de ce titre pour substituer partout l'opinion à l'imagination. Montaigne, I, 22, p. 467, parlant de la coutume : « Et avecques raison l'appelle Pindarus, à ce qu'on m'a dict, la royne et emperiere » du monde. Dans Hérodote, III, 38 : Νόμος πάντων βασιλεύς. Charles Legendre, dans son Traité de l'Opinion, t. I, p. 8 (éd. de 1758), dit que le livre dont parle Pascal ne se trouve point, et n'a vraisemblablement jamais été composé. On peut voir dans le Manuel du Libraire le titre d'un livre italien sur le même sujet, mais postérieur à Pascal (par Carlo Flosi, 1690). « Oui, l'imagination gouverne le » monde. » Mémorial de Sainte-Hélène (4 janvier 4816).

- a

4 « Nous être donnée exprès.» P. R. ne pouvait manquer de supprimer cet alinéa. 5 « Nous en avons bien d'autres principes.» D'erreur.

6 « Le même pouvoir. » La Bruyère, Des jugements: « Deux choses toutes con

» traires nous préviennent également, l'habitude et la nouveauté. »

7 « Qu'il paraisse. » C'est le même ton de défi que nous avons remarqué plus haut.

8 « Même depuis l'enfance. » Même étant en nous depuis l'enfance.

9

« Qu'un coffre était vide.» Voir dans les Opuscules le morceau qui commence par ces mots : Le respect que l'on porte à l'antiquité, et qui faisait partie d'un Traité du vide.

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