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Dieu ne doit que suivant ses promesses. Il a promis d'accorder la justice aux prières 2: jamais il n'a promis les prières qu'aux enfants de la promesse3.

56.

M. de Roannez disait : Les raisons me viennent après, mais d'abord la chose m'agrée ou me choque sans en savoir la raison, et cependant cela me choque par cette raison que je ne découvre qu'ensuite. Mais je crois, non pas que cela choquait par ces raisons qu'on trouve après, mais qu'on ne trouve ces raisons que parce que cela choque.

57.

Il n'aime plus cette personne qu'il aimait il y a dix ans. Je crois bien: elle n'est plus la même, ni lui non plus. Il était jeune et elle aussi; elle est tout autre. Il l'aimerait peut-être encore, telle qu'elle

était alors.

58.

Craindre la mort hors du péril, et non dans le péril, car il faut être homme.

Mort soudaine' seule à craindre, et c'est pourquoi les confesseurs demeurent chez les grands.

1 Dieu ne doit. » Même page, un peu plus bas.

2 « Aux prières. » Demandez et vous recevrez. » Matth., VII, 7.

3 « De la promesse. » Aux élus. Expression de saint Paul, Rom., IX, 8. Dieu a promis d'adopter les fils d'Abraham, mais non pas ses fils selon la chair. Les vrais fils d'Abraham, ce sont ceux qui suivent Jésus-Christ. C'est à ceux-là que s'appliquait la promesse faite à Abraham, ils sont les fils de la promesse, filii promissionis. Il y a opposition entre ces deux mots, la justice, la promesse. Dieu ne doit la justice qu'à ceux à qui il a donné, par pure faveur, de la mériter. Nous sommes au plus profond des obscurités de la grâce.

M. de Roannez. » Tiré des recueils du P. Guerrier. Cette pensée est bien sceptique. Si on eût dit à Pascal: Vous êtes janséniste, parce que cette dure doctrine flatte votre humeur; vous croyez ensuite trouver des raisons à l'appui, vous vous trompez, vous ne trouvez ces raisons que parce que la passion a pris les devants, comment Pascal eût-il répondu?

« Il n'aime plus. » 427. Il faut rapprocher cette pensée de celle du paragraphe v, 17.

« Craindre la mort. » 437. Il explique dans quel sens la religion veut qu'on craigne la mort. Il faut être homme, c'est-à-dire, homme de cœur.

« Mort sondaine. Tiré des recueils du P. Guerrier. A combien de réflexions pourrait donner licu cette note de Pascal!

59.

Il faut se connaître1 soi-même quand cela ne servirait pas à trouver le vrai, cela au moins sert à régler sa vie, et il n'y a rien de plus juste.

60.

Quand notre passion nous porte à faire quelque chose, nous oublions notre devoir. Comme on aime un livre on le lit, lorsqu'on devrait faire autre chose. Mais pour s'en souvenir, il faut se proposer de faire quelque chose qu'on hait; et lors on s'excuse sur ce qu'on a autre chose à faire, et on se souvient de son devoir par ce moyen'.

8

61.

Que je hais ceux qui font les douteurs de miracles! Montaigne en parle comme il faut dans les deux endroits. On voit en l'un combien il est prudent', et néanmoins il croit en l'autre 10 et se moque des incrédules.

1 « Il faut se connaître. 75. C'est le célèbre principe de la philosophie grecque,

Γνώθι σεαυτόν.

2 << Trouver le vrai. » Comme les philosophes en ont la prétention.

3 « Régler sa vie. » Mais comment peut-on régler sa vie si on n'a pas une vérité pour servir de règle? Pascal essayait-il donc, comme Kant l'a fait depuis, de séparer la raison pratique et la raison pure? Il se montre ailleurs plus conséquent et plus absolu, il pense que l'homme n'a que faire de la science de l'homme non plus que de toute autre science (vi, 23).

4 « De plus juste. » Que de prétendre à régler sa vie.

5 « Quand notre passion. » 403.

6 << Pour s'en souvenir. » De son devoir, comme si la phrase, Comme on aime un livre, était entre parenthèses.

7

« Par ce moyen. » Pour s'analyser si bien, il ne faut pas seulement, je crois, être un observateur très-fin; il faut encore avoir une conscience très-scrupuleuse, qui fait la chasse aux mauvaises pensées obstinément.

8 « Que je hais ceux. » 453. En titre, Miracles.

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« Prudent. » C'est-à-dire circonspect, ne croyant pas légèrement. Voir le chapitre 11 du livre III des Essais.

10 << En l'autre. » Voir le chapitre 26 du premier livre. - On lit encore à la page 449 du manuscrit : « Montagne contre les miracles. Montagne pour les miracles. » La contradiction entre les deux chapitres est en effet si frappante que je doute qu'on puisse les accorder entre eux comme le veut Pascal, et supposer que l'un ne fait que compléter l'autre. Je crois que la vraie pensée de Montaigne est plutôt au livre III, qui n'a été fait qu'assez longtemps après les deux autres, et où Montaigne s'est ouvert davantage, enhardi par l'âge et surtout par le succès. Et c'est là en effet que les auteurs de la Logique de Port Royal l'ont cherché (Logique, quatrième partie, chap. 13). C'est là qu'il paraît, non pas seulement prudent, mais tout à fait rebelle et indocile au sujet du merveilleux, sauf quelques réserves suggérées par une autre espèce de prudence, qui n'est pas celle dont Pascal le loue;

62.

Quand on veut poursuivre les vertus jusqu'aux extrêmes de part et d'autre, il se présente des vices qui s'y insinuent insensiblement, dans leurs routes insensibles, du côté du petit infini2; et il s'en présente, des vices, en foule du côté du grand infini, de sorte qu'on se perd dans les vices, et on ne voit plus les vertus3.

63.

La théologie est une science, mais en même temps combien estce de sciences! Un homme est un suppôt : mais si on l'anatomise, sera-ce la tête', le cœur, l'estomac, les veines, chaque veine, chaque portion de veine, le sang, chaque humeur du sang?

Une ville, une campagne, de loin est une ville et une campagne;

prudence de politique, non de philosophe. Au chapitre 26 du livre premier il montre une foi plus complaisante, qu'on peut expliquer, je crois, par deux choses. D'abord il est entraîné par sa thèse de prédilection, je veux dire le pyrrhonisme : où est la distinction, pour un sceptique qui ne sait rien, entre la nature et le surnaturel, entre le raisonnable et l'irraisonnable? il est crédule à force d'être douteur (voir sur cette logique le paragraphe XXIV, 24 des Pensées, et la note 7 sur ce paragraphe). Ensuite et surtout, l'hérésie protestante, qu'il n'aime pas comme politique, lui a fait voir le danger d'appliquer l'esprit de critique à certaines matières. « Car aprez que selon votre bel entendement, vous avez estably les limites de la verité et » de la mensonge, et qu'il se trouve que vous avez necessairement à croire des » choses où il y a encores plus d'estrangeté qu'en ce que vous niez, yous vous » estes desia obligé de les abandonner... Ou il fault se soubmettre du tout à l'auc» torité de nostre police ecclesiastique, ou du tout s'en dispenser: ce n'est pas à »nous à establir la part que nous lui debvons d'obeïssance. » J'imagine que Pascal n'acceptait pas de Montaigne un principe aussi contraire aux prétentions du jansénisme; mais je me figure aussi que Montaigne n'eût pas aisément accepté de Pascal le miracle de la Sainte Epine, en faveur duquel le champion des saints de Port Royal invoque ici son autorité profane.

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» Du petit infini. » Il faut se rappeler ce principe dominant de la philosophie de Pascal, que tout dans la nature est placé entre deux infinis, l'un de petitesse, l'autre de grandeur (voir I, 4). Il applique cela maintenant aux choses morales. Soit par exemple le courage au-dessous de cette vertu, et à mesure qu'elle diminue, il y a la trop grande prudence, la faiblesse, la pusillanimité, la poltronnerie, la lâcheté, et ainsi à l'infini, en décroissant; c'est le petit infini. Au-dessus, ou au delà, il y a la trop grande hardiesse, la témérité, l'emportement, l'extravagance; c'est le côté du grand infini.

3 a Les vertus.» En marge: «On se prend à la perfection même. C'est-àdire sans doute qu'on peut attaquer la perfection même, la perfection humaine du moins, en la faisant voir qui penche toujours vers l'un ou vers l'autre extrême.

« La théologie. » 73. En titre, Diversité. C'est encore pour montrer qu'on retrouve l'infini partout. Cf. 1, 4, page 5.

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Un suppôt. Expression de l'école : Un homme est un sujet, une unité pour la pensée.

« Sera-ce la tête. » Qui sera l'élément, l'unité?

mais à mesure qu'on s'approche, ce sont des maisons, des arbres, des tuiles, des feuilles, des herbes', des fourmis, des jambes de fourmi, à l'infini. Tout cela s'enveloppe sous le nom de campagne 2.

64.

Deux sortes de gens égalent les choses, comme les fêtes aux jours ouvriers, les chrétiens aux prêtres, tous les péchés entre eux, etc. Et de là les uns concluent que ce qui est donc mal aux prêtres l'est aussi aux chrétiens; et les autres, que ce qui n'est pas mal aux chrétiens est permis aux prêtres.

65.

La nature s'imite'. Une graine, jetée en bonne terre, produit. Un principe, jeté dans un bon esprit, produit. Les nombres imitent l'espace, qui sont de nature si différente. Tout est fait et conduit par un même maître : la racine, la branche, les fruits; les principes, les conséquences.

1 « Des herbes. Voir le paragraphe 3.

2

« De campagne. » On lit encore page 110 du manuscrit : « La diversité est » si ample, que tous les tons de voix, tous les marchers, toussers, mouchers, éter>> nuers... On distingue des fruits les raisins, et entre ceux-là les muscats, et >> puis Coindrieu [sic], et puis Dezargues [?], et puis... [illisible]. Est-ce tout? en > a-t-elle jamais produit deux grappes pareilles? et une grappe a-t-elle deux grains » pareils? etc.

» Je n'ai jamais jugé d'une même chose exactement de même. Je ne puis juger » de mon ouvrage en le faisant; il faut que je fasse comme les peintres, et que je » m'en éloigne; mais non pas trop de combien donc? Devinez. [Cf. 111, 2.] »

3 « Deux sortes. »> 486. Les jansénistes n'inclinaient-ils pas vers l'un des deux excès que signale ici Pascal, et leurs adversaires vers l'autre excès?

« Aux prêtres. » Il aurait pu dire également : Les uns concluent que ce qui est défendu les jours de fête, est défendu les jours ouvriers; et les autres, que ce qui est permis aux jours ouvriers l'est aussi aux jours de fête? etc.

« La nature s'imite. » 435. Voir le paragraphe 9.

« Qui sont. » Les nombres, qui sont d'une nature si différente de celle de l'espace. Ils l'imitent pourtant, en ce que, comme l'espace, ils s'ajoutent à l'infini et se divisent à l'infini; en ce que les lignes géométriques se mesurent par les nombres simples ou à la première puissance, les surfaces se mesurent par la seconde puissance des nombres, et les solides, par la troisième. C'est du principe énoncé ici qu'est née toute une science, l'application de l'algèbre à la géométrie, où on voit la loi d'un lieu géométrique exprimée par une équation. Mais en quoi les nombres et l'espace sont-ils de nature si différente? Sont-ce des choses réellement existantes, et qui aient une nature? Le nombre est en général l'expression d'un rapport de quantité; et la première et la plus sensible des quantités n'est-elle pas l'étendue?. Ce qu'il y a de vrai et de profond, ici et au paragraphe 9, c'est que dans le monde physique comme dans le monde moral tout se tient, tout est un; la nature est un continu sans solution.

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66.

L'admiration' gâte tout dès l'enfance. Oh! que cela est bien dit! qu'il a bien fait! qu'il est sage! etc. Les enfants de Port-Royal, auxquels on ne donne point cet aiguillon d'envie et de gloire, tombent dans la nonchalance2.

67.

L'expérience' nous fait voir une différence énorme entre la dévotion et la bonté.

68.

Quel déréglement de jugement, par lequel il n'y a personne qui ne se mette au-dessus de tout le reste du monde, et qui n'aime mieux son propre bien, et la durée de son bonheur et de sa vie que celle de tout le reste du monde !

5

69.

On aime à voir l'erreur, la passion de Cléobuline, parce qu'elle ne la connait pas. Elle déplairait, si elle n'était trompée".

1 « L'admiration. » 69. En titre, La gloire.

2

« La nonchalance. » Voir, pour le commentaire de ce fragment, Sainte-Beuve, t. III, Ecoles de Port Royal, page 406. Voir aussi, page 402, ce passage des Mémoires de Fontaine : « Quand il y avait quelque bien dans quelqu'un de ces enfants, >> il [M. de Saci] me conseillait toujours de n'en point parler, et d'étouffer cela » dans le secret. » Quintilien au contraire: « Je veux un enfant que la louange >> excite, qui aime la gloire, qui pleure d'être vaincu [1, 3]. » Quintilien prépare un artiste en éloquence, et Saci un solitaire. Si nous voulons un honnéte homme, suivons la nature en la tempérant.

3 « L'expérience.» 412. Les célèbres tirades de Célimène et de Cléante dans Molière sont là en germe (Misanthrope, III, 5; Tartufe, I, 6).

« Quel déréglement. » Ce fragment, qu'on a déjà vu sous le numéro 2, est répété ici par erreur.

5 « On aime à voir, » etc. 444. Un roman intitulé: Cléobuline, ou la veuve inconnue, avait paru en 1658; je ne l'ai pas lu, mais la Cléobuline de Pascal n'est pas celle-là. Un mot de madame de Sévigné nous met sur la voie. Elle écrit à sa fille, en lui parlant d'une madame des Pennes, qui a été aimable comme un ange: Mademoiselle de Scudéri l'adorait; c'était la princesse Cléobuline [c'est-à-dire » c'était elle que mademoiselle de Scudéri avait représentée dans la princesse Cléo>> buline]; elle avait un prince Thrasybule en ce temps-là; c'est la plus jolie his» toire de Cyrus [43 mai 1671]. » Cléobuline, princesse, puis reine de Corinthe, figure en divers endroits dans Artamène, ou le grand Cyrus. Mais on trouvera particulièrement l'histoire de sa passion au livre second de la septième partie. Elle est amoureuse d'un de ses sujets, Myrinthe, qui n'est pas même Corinthien d'origine; mais elle l'aimait sans penser l'aimer, et elle fut si longtemps dans cette erreur » que cette affection ne fut plus en état d'être surmontée lorsqu'elle s'en aperçut. » Toute cette histoire, beaucoup moins charmante aujourd'hui qu'elle ne le semblait alors (ainsi que le roman tout entier), ne paraît pas cependant indigne d'avoir in

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« Trompée. » Trompée par elle-même, se trompant elle-même.

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