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rents et amis prient Dieu pour eux, afin qu'ils ne tombent pas d'un si grand bonheur et d'un si grand honneur que Dieu leur a faits. Tous les honneurs du monde n'en sont que l'image; celui-là seul est solide et réel, et néanmoins il est inutile sans la bonne disposition du cœur. Ce ne sont ni les austérités du corps, ni les agitations de l'esprit', mais les bons mouvements du cœur qui méritent, et qui soutiennent les peines du corps et de l'esprit. Car enfin il faut ces deux choses pour sanctifier, peines et plaisirs. Saint Paul a dit que ceux qui entreront dans la bonne vie trouveront des troubles et des inquiétudes en grand nombre [Act., XIV, 21]. Cela doit consoler ceux qui en sentent 2, puisque, étant avertis que le chemin du ciel qu'ils cherchent en est rempli, ils doivent se réjouir de rencontrer des marques qu'ils sont dans le véritable chemin. Mais ces peines-là ne sont pas sans plaisirs, et ne sont jamais surmontées que par le plaisir. Car de même que ceux qui quittent Dieu pour retourner au monde, ne le font que parce qu'ils trouvent plus de douceur dans les plaisirs de la terre que dans ceux de l'union avec Dieu, et que ce charme victorieux les entraîne, et, les faisant repentir de leur premier choix, les rend des pénitents du diable, selon la parole de Tertullien3: de même on ne quitterait jamais les plaisirs du monde pour embrasser la croix de JÉSUSCHRIST, si on ne trouvait plus de douceur dans le mépris, dans la pauvreté, dans le dénûment et dans le rebut des hommes, que dans les délices du péché. Et ainsi, comme dit Tertullien, il ne faut pas croire que la vie des chrétiens soit une vie de tristesse. On ne quitte les plaisirs que pour d'autres plus grands. « Priez toujours, » dit saint Paul, rendez grâces toujours, rejouissez-vous toujours » [I Thess., V, 16-18]. » C'est la joie d'avoir trouvé Dieu qui est le principe de la tristesse de l'avoir offensé et de tout le change

1 « Les agitations de l'esprit. » C'est une expression bien humble, et par là même bien haute, pour désigner cette poursuite ardente de la vérité, ces élans de logique, d'imagination et de passion, qui faisaient son éloquence.

2 << Qui en sentent. » Il revient à Mlle de Roannez et à ses peines.

3 « De Tertullien. » De pænitentia, 5: Ita qui per delictorum pœnitentiam insti tuerat Domino satisfacere, diabolo per aliam pœnitentiæ pœnitentiam satisfaciet.

4 « Tertullien. » De spectaculis, 28: Quæ major voluptas, quam fastidium ipsum voluptatis! et la suite. Il est à remarquer que ces deux passages de Tertullien se trouvent dans les Sentences et instructions chrétiennes tirées des anciens Pères de l'Église, par le sieur de Laval, 4680, et se trouvaient probablement déjà dans le recueil que lisait Mlle de Roannez (voir page 486, note 1). Je pense que c'est là que Pascal les avait lus.

ment de vie. Celui qui a trouvé le trésor dans un champ en a une telle joie, que cette joie, selon JÉSUS-CHRIST, lui fait vendre tout ce qu'il a pour l'acheter [Matth., XIII, 44]. Les gens du monde n'ont point cette joie a que le monde ne peut ni donner, ni ôter, » dit JÉSUS-CHRIST même [Jean, XIV, 27, et XVI, 22]. Les bienheureux ont cette joie sans aucune tristesse; les gens du monde ont leur tristesse sans cette joie, et les chrétiens ont cette joie mêlée de la tristesse d'avoir suivi d'autres plaisirs, et de la crainte de la perdre par l'attrait de ces autres plaisirs qui nous tentent sans relâche. Et ainsi nous devons travailler sans cesse à nous conserver cette joie qui modère notre crainte, et à conserver cette crainte qui conserve notre joie, et selon qu'on se sent trop emporter vers l'une, se pencher vers l'autre pour demeurer debout. « Souvenez-vous des » biens dans les jours d'affliction, et souvenez-vous de l'affliction » dans les jours de réjouissance, » dit l'Écriture [Ecclésiastique, XI, 27], jusqu'à ce que la promesse que JÉSUS-CHRIST nous a faite [Jean, XVI, 24] de rendre sa joie pleine en nous soit accomplie. Ne nous laissons donc pas abattre à la tristesse, et ne croyons pas que la piété ne consiste qu'en une amertume sans consolation. La véritable piété, qui ne se trouve parfaite que dans le ciel, est si pleine de satisfactions, qu'elle en remplit et l'entrée et le progrès et le couronnement. C'est une lumière si éclatante, qu'elle rejaillit sur tout ce qui lui appartient; et s'il y a quelque tristesse mêlée, et surtout à l'entrée, c'est de nous qu'elle vient, et non pas de la vertu; car ce n'est pas l'effet de la piété qui commence d'être en nous, mais de l'impiété qui y est encore 2. Otons l'impiété, et la joie sera sans mélange. Ne nous en prenons donc pas à la dévotion, mais à nous-mêmes, et n'y cherchons du soulagement que par notre correction.

7.

Je suis bien aise de l'espérance que vous me donnez du bon succès de l'affaire dont vous craignez de la vanité'. Il y a à craindre partout, car si elle ne réussissait pas, j'en craindrais cette mauvaise tristesse dont saint Paul dit qu'elle donne la mort, au lieu

1. Pour demeurer debout. » Cf. Pensées, xxv, 12.

2 Qui y est encore. » Cf. Pensées, XXIV, 61.

3 « De la vanité. » Voir la note suivante.

qu'il y en a une autre qui donne la vie [II Cor., VII, 10]. Il est certain que cette affaire-là était épineuse, et que si la personne en sort, il y a sujet d'en prendre quelque vanité; si ce n'est à cause qu'on a prié Dieu pour cela, et qu'ainsi il doit croire que le bien qui en viendra sera son ouvrage. Mais si elle réussissait mal, il ne devrait pas en tomber dans l'abattement, par cette même raison qu'on a prié Dieu pour cela, et qu'il y a apparence qu'il s'est approprié cette affaire aussi il le faut regarder comme l'auteur de tous les biens et de tous les maux, excepté le péché. Je lui répéterai là-dessus ce que j'ai autrefois rapporté de l'Écriture1. « Quand » vous êtes dans les biens, souvenez-vous des maux que vous mé» ritez, et quand vous êtes dans les maux, souvenez-vous des biens » que vous espérez. » Cependant je vous dirai sur le sujet de l'autre personne que vous savez 2, qui mande qu'elle a bien des choses dans l'esprit qui l'embarrassent, que je suis bien faché de la voir en cet état. J'ai bien de la douleur de ses peines, et je voudrais bien l'en pouvoir soulager; je la prie de ne point prévenir l'avenir, et de se souvenir que, comme dit notre Seigneur, « à chaque jour suffit « sa malice » [Matth., vi, 34].

Le passé ne nous doit point embarrasser, puisque nous n'avons qu'à avoir regret de nos fautes; mais l'avenir nous doit encore moins toucher, puisqu'il n'est point du tout à notre égard, et que nous n'y arriverons peut-être jamais. Le présent est le seul temps qui est véritablement à nous, et dont nous devons user selon Dieu. C'est là où nos pensées doivent être principalement comptées. Cependant le monde est si inquiet, qu'on ne pense presque jamais à

1 De l'Ecriture. » Il me semble que l'homme à qui s'adresse ici Pascal ne peut être que le duc de Roannez. C'est la supposition qui explique le mieux ces paroles : Le bon succès de l'affaire dont vous craignez de la vanité; » et celles-ci : « Je lui » répéterai là-dessus ce que j'ai autrefois rapporté de l'Ecriture. » Car il répète en effet ce qu'il avait écrit à Mlle de Ronnez (sixieme Extrait). Les lettres à la sœur étaient aussi pour le frère, comme il le dit dans le premier Extrait. Mais je ne puis dire ce que c'est que cette affaire épinense.

2 a Que vous savez. » Je suis persuadé qu'ici surtout, en ayant l'air de parler d'une tierce personne, Pascal ne parle à Mile de Roannez que d'elle-même C'est elle qui, à la veille de se dérober à sa mère pour s'enfuir dans un couvent, mande qu'elle a bien des choses dans l'esprit qui l'embarrassent, et ne songe qu'avec effroi aux suites de sa résolution C'est elle a qui Pascal compatit avec une sincérité qui attendrit un moment sa parole sévère. Remarquons qu'il dit elle et la: on peut dire, il est vrai, que c'est à cause du mot de personne, mais tout à l'heure ce même mot de personne ne l'avait pas empêché de se servir du pronom il. L'emploi du feminin est encore plus remarquable dans l'Extrait suivant.

la vie présente et à l'instant où l'on vit, mais à celui où l'on vivra. De sorte qu'on est toujours en état de vivre à l'avenir, et jamais de vivre maintenant'. Notre Seigneur n'a pas voulu que notre prévoyance s'étendit plus loin que le jour où nous sommes. C'est les bornes qu'il faut garder, et pour notre salut, et pour notre propre repos. Car, en vérité, les préceptes chrétiens sont les plus pleins de consolations je dis plus que les maximes du monde.

Je prévois aussi bien des peines et pour cette personne, et pour d'autres, et pour moi2. Mais je prie Dieu, lorsque je sens que je m'engage dans ces prévoyances, de me renfermer dans mes limites; je me ramasse dans moi-même, et je trouve que je manque à faire plusieurs choses à quoi je suis obligé présentement, pour me dissiper en des pensées inutiles de l'avenir, auxquelles, bien loin d'être obligé de m'arrêter, je suis au contraire obligé de ne m'y point arrêter. Ce n'est que faute de savoir bien connaître et étudier le présent qu'on fait l'entendu pour étudier l'avenir. Ce que je dis là, je le dis pour moi, et non pas pour cette personne, qui a assurément bien plus de vertu et de méditation que moi; mais je lui représente mon défaut pour l'empêcher d'y tomber : on se corrige quelquefois mieux par la vue du mal que par l'exemple du bien; et il est bon de s'accoutumer à profiter du mal, puisqu'il est si ordinaire, au lieu que le bien est si rare.

8.

Je plains la personne que vous savez dans l'inquiétude où je

1 « De vivre maintenant. » Cf. Pensées, 111, 5.

2 « Et pour moi. » Rien ne s'explique mieux que ces paroles si on les rapporte à la résolution de Mlle de Roannez. On pouvait prévoir aisément les transports d'une mère contristée et offensée, ses réclamations déjà si pénibles à repousser par elles-mêmes, et qui sans doute seraient appuyées, comme elles le furent en effet, par la puissance publique. L'éclat de ce pieux détournement devait d'ailleurs ranimer contre Port Royal toutes les colères de la cour et du monde. Quant à Pascal, il n'était pas douteux qu'on n'imputât à lui surtout une telle démarche de la part de la sœur de son ami. Déjà auparavant, en arrachant au monde un jeune duc et pair, en lui faisant refuser un très-beau mariage, il avait irrité profondément les parents de M. de Roannez, et cette colère se répandant chez tous les domestiques de l'hôtel de Roannez, où Pascal logeait alors, « la concierge de la maison alla un matin, sur >> les huit heures, avec un poignard pour le tuer; heureusement elle ne le trouva » point; il était sorti ce jour-là, contre son ordinaire, de grand matin. Il fut averti » de cette aventure, et n'y retourna plus. » Manuscrits de Marguerite Perier. 3 << Que moi. » Quelle délicate et puissante séduction dans ce respect!

4 « Que vous savez. » Nous savons aussi maintenant qui est cette personne si agitée.

sais qu'elle est, et où je ne m'étonne pas de la voir. C'est un petit jour du jugement, qui ne peut arriver sans une émotion universelle de la personne, comme le jugement général en causera une générale dans le monde, excepté ceux qui se seront déjà jugés eux-mêmes, comme elle prétend faire cette peine temporelle garantirait de l'éternelle, par les mérites infinis de JÉSUS-CHRIST, qui la souffre et qui se la rend propre; c'est ce qui doit la consoler. Notre joug est aussi le sien; sans cela il serait insupportable. « Portez, dit-il, » mon joug sur vous. » Ce n'est pas notre joug, c'est le sien, et aussi il le porte. « Sachez, dit-il, que mon joug est doux et léger. » [Matth., x1, 29, 30.] Il n'est léger qu'à lui et à sa force divine. Je lui voudrais dire qu'elle se souvienne que ces inquiétudes ne viennent pas du bien qui commence d'être en elle, mais du mal qui y est encore et qu'il faut diminuer continuellement; et qu'il faut qu'elle fasse comme un enfant qui est tiré par des voleurs d'entre les bras de sa mère, qui ne le veut point abandonner; car il ne doit pas accuser de la violence qu'il souffre la mère qui le retient amoureusement, mais ses injustes ravisseurs'. Tout l'office de l'Avent est bien propre pour donner courage aux faibles, et on y dit souvent ce mot de l'Écriture : « Prenez courage, lâches et pusilla>> nimes, voici votre rédempteur qui vient'; » et on dit aujourd'hui ȧ Vêpres: « Prenez de nouvelles forces, et bannissez désormais toute » crainte; voici notre Dieu qui arrive, et vient pour nous secourir >> et nous sauver. »

2

9.

Votre lettre m'a donné une extrême joie. Je vous avoue que je

1 « Prétend faire. » Quel peut donc être ce petit jour du jugement, image de celui où l'âme se trouvera tout à coup devant Dieu, séparée de son corps et de la vie, sinon le jour où M1l de Roannez, mettant le pied hors de la maison de sa mère pour n'y plus rentrer, rompra brusquement les liens de la nature et du monde? Voir l'Extrait suivant.

2 « Qu'elle se souvienne. » Il la renvoie à ce qu'il lui a écrit déjà : voir l'Extrait sixième.

3

a Injustes ravisseurs. » Cf. Pensées, xxv, 64.

4 « Qui vient.

Isare, xxxv, 4.

Pusillanimes confortamini, ecce Dominus Deus noster veniet.

5 « Et nous sauver. » Constantes estote, videbitis auxilium Domini super vos. Ces paroles se trouvaient, d'après le Bréviaire de Paris de 4653, dans le capitule des vepres de la veille de Noël, ce qui donne la date précise de cette lettre. N'admire-ton pas comme à chaque instant Pascal fait entendre la voix même de Dieu qui appelle à lui son élue?

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