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14.

L'extrême esprit est accusé de folie, comme l'extrême défaut. Rien que la médiocrité n'est bon. C'est la pluralité qui a établi cela, et qui mord quiconque s'en échappe2 par quelque bout que ce soit. Je ne m'y obstinerai pas, je consens bien qu'on m'y mette', et me refuse d'être au bas bout, non pas parce qu'il est bas, mais parce qu'il est bout '; car je refuserais de même qu'on me mît au haut. C'est sortir de l'humanité que de sortir du milieu : la grandeur de l'âme humaine consiste à savoir s'y tenir; tant s'en faut que la grandeur soit à en sortir, qu'elle est à n'en point sortir.

15.

6

On ne passe point dans le monde pour se connaître en vers si l'on n'a mis l'enseigne de poëte, de mathématicien, etc. Mais les gens universels ne veulent point d'enseigne, et ne mettent guère de différence entre le métier de poëte' et celui de brodeur. Les gens universels ne sont appelés ni poëtes, ni géomètres, etc.; mais ils

1. L'extrême esprit.» 409. En titre, Pyrrhonisme. Manque dans P. R. Montaigne, Apol., p. 107: « De quoy se faict la plus subtile folie, que de la plus subtile sa»gesse?» etc. Et p. 218: « La fin et le commencement de science se tiennent en » pareille bestise. » Et enfin, p. 241 « Tenez-vous dans la route commune; il ne » faict pas bon estre si subtil et si fin, » etc.

2 << Et qui mord quiconque s'en échappe. » Cf. v, 19.

3 « Je consens bien qu'on m'y mette. » Dans la médiocrité.

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« Parce qu'il est bout. » Cette expression familière est piquante, surtout en ce que l'écrivain trouve une raison dans le mot même; le mot dit tout.

« Qu'elle est à n'en point sortir. » Voilà Pascal; il a mis sa grandeur dans le prodigieux effort qu'il a fait pour réduire sa pensée à la pensée du vulgaire de son siècle; il a employé à demeurer dans le milieu cette vigueur d'esprit qui pouvait l'emporter si loin en avant.

« On ne passe point dans le monde. » 129. P. R., XXIX. Cité par Nicole, de la Charité et de l'Amour-propre, chapitre 6. - De mathématicien.» Ni pour se connaître en mathématiques si on n'a mis celle de mathématicien.

« Le métier de poëte. » On se rendra compte de ces expressions en lisant le portrait de Cydias le bel esprit dans La Bruyère (De la Conversation): « Ascagne est >> statuaire, Hégion fondeur, Æschine foulon, et Cydias bel esprit, c'est sa profes»sion. Il a une enseigne, un atelier, des ouvrages de commande, et des compagnons » qui travaillent sous lui: il ne vous saurait rendre de plus d'un mois les stances » qu'il vous a promises, s'il ne manque de parole à Dosithée, qui l'a engagé à faire » une élégie; une idylle est sur le métier, c'est pour Crantor... Il a un ami qui n'a » point d'autre fonction sur la terre que de le promettre longtemps à un certain » monde, et de le présenter enfin dans les maisons comme homme rare et d'une > exquise conversation; et là, ainsi que le musicien chante et que le joueur de luth >> touche son luth devant les personnes à qui il a été promis, Cydias,... » etc. Voir encore le portrait d'Euripile dans le chapitre des Jugements.

sont tout cela1, et jugent de tous ceux-là. On ne les devine point. Ils parleront de ce qu'on parlait2 quand ils sont entrés. On ne s'aperçoit point en eux d'une qualité plutôt que d'une autre, hors de la nécessité de la mettre en usage; mais alors on s'en souvient : car il est également de ce caractère qu'on ne dise point d'eux qu'ils parlent bien, lorsqu'il n'est pas question du langage; et qu'on dise d'eux qu'ils parlent bien, quand il en est question. C'est donc une fausse louange qu'on donne à un homme quand on dit de lui, lorsqu'il entre, qu'il est fort habile en poésie; et c'est une mauvaise marque', quand on n'a pas recours à un homme quand il s'agit de juger de quelques vers.

L'homme est plein de besoins: il n'aime que ceux qui peuvent les remplir tous. C'est un bon mathématicien, dira-t-on. Mais je n'ai que faire de mathématiques; il me prendrait pour une proposition. C'est un bon guerrier. Il me prendrait pour une place assiégée. Il faut donc un honnête homme qui puisse s'accommoder à tous mes besoins généralement.

«

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<< Ils sont tout cela. » Les gens universels peuvent juger des poètes, faire même des vers au besoin, mais ils ne sont pas poètes pour cela, dans le vrai sens de ce mot, ils n'ont pas le génie de la poésie. Il en est de même en mathématiques, quoique le connaisseur soit plus près du savant dans les sciences que de l'artiste dans les arts. On peut se connaître à tout, mais on n'a pas du génie en tout.

2 « De ce qu'on parlait. » Il faut, de ce dont on parlait.

3 « C'est une mauvaise marque. » Cela prouve du moins qu'il n'est pas complet, qu'il y a des choses auxquelles son esprit n'est pas ouvert.

4 « L'homme est plein de besoins. » 44. P. R. a réuni cette pensée à la précédente.

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« Pour une proposition. » P. R. a supprimé cette boutade et la suivante.

« Un honnête homme. » Cf. 32. On trouve dans le manuscrit (p. 440) cette autre forme de la même pensée : « Il faut qu'on n'en puisse dire, ni, Il est mathématicien, ni » prédicateur, ni éloquent; mais, Il est honnête homme. Cette qualité universelle me » plaît seule. Quand en voyant un homme on se souvient de son livre, c'est mauvais » signe; je voudrais qu'on ne s'aperçût d'aucune qualité que par la rencontre et » l'occasion d'en user. Ne quid nimis, de peur qu'une qualité ne l'emporte, et ne » fasse baptiser. Qu'on ne songe point qu'il parle bien, sinon quand il s'agit de bien » parler, mais qu'on y songe alors. » Cette pensée nous paralt plus nette et plus vive que celle qui a été donnée par P. R. M. Collet a justement rapproché ces fragments de divers passages du chevalier de Méré (voir la note 46 sur la vie de Pascal): La guerre est le plus beau métier du monde, il en faut demeurer d'accord; >> mais, à le bien prendre, un honnéte homme n'a point de métier. Quoiqu'il sache » parfaitement une chose, et que même il soit obligé d'y passer sa vie, il me semble [que « A tous mes besoins.» P. R., à tous nos besoins. P. R. fait parler Pascal en auteur, tandis qu'il parle en homme (VIII, 28). Cf. 55.

16.

Quand on se porte bien1, on admire comment on pourrait faire si on était malade; quand on l'est, on prend médecine gaiement; le mal y résout. On n'a plus les passions et les désirs de divertissements et de promenades, que la santé donnait, et qui sont incompatibles avec les nécessités de la maladie. La nature donne alors des passions et des désirs conformes à l'état présent. Il n'y a que les craintes 2, que nous nous donnons nous-mêmes, et non pas la nature', qui nous troublent; parce qu'elles joignent à l'état où nous sommes les passions de l'état où nous ne sommes pas'.

17.

Les discours d'humilité sont matière d'orgueil aux gens glorieux, et d'humilité aux humbles. Ainsi ceux du pyrrhonisme sont matière d'affirmation aux affirmatifs. Peu parlent de l'humilité humblement; peu, de la chasteté chastement; peu, du pyrrhonisme

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» que sa manière d'agir ni son entretien ne le font point remarquer (t. 1, p. 490). » Et ailleurs (t. 11, p. 80): « C'est un malheur aux honnêtes gens d'être pris à leur » mine pour des gens de métier; et quand on a cette disgrâce, il s'en faut défaire » à quelque prix que ce soit. Voir aussi la définition de l'homme d'esprit dans La Bruyère (Des jugements). Le fond de ces idées se trouve déjà dans Montaigne, particulièrement au chapitre de l'Institution des Enfants (1, 25) : « Or nous qui cherchons icy, au rebours, de former, non un grammairien ou logicien, mais un » gentilhomme, etc. (p. 271). Montaigne prend aussi le mot d'honnête homme dans le sens qu'il a si généralement au XVIIe siècle, de galant homme, d'homme qui est comme il faut être. Voir le passage cité dans les notes sur l'art, 111, 18. « Quand on se porte bien. » 441. P. R., xxix.

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2 Il n'y a que les craintes. » Far exemple, la crainte d'être malade, dans laquelle nous joignons à notre désir actuel de mouvement, qui vient de la santé, la langueur et l'abattement que produit la maladie. - Nous ponctuons autrement qu'on n'a fait jusqu'ici, en mettant une virgule après le mot craintes. Pascal ne distingue pas les craintes que nous nous donnons d'avec des craintes d'une autre espèce; mais il distingue les craintes en général, lesquelles viennent de nous-mêmes, d'avec les maux, dont la nature est l'auteur.

3 « Et non pas la nature. » La suite des idées est, que nous nous donnons, et non la nature; c'est-à-dire, ce n'est pas la nature qui nous les donne.

« Les passions. » C'est-à-dire les affections, les impressions: tà ály.

5 « Où nous ne sommes pas. » C'est la même chose, en sens contraire, que ce qu'il a dit au sujet de l'illusion qu'il y a dans nos désirs, iv, 3. Quand nous désirons, par exemple, la santé, étant malades, nous nous trompons en joignant au plaisir de cet état de santé le malaise de notre état actuel qui nous rend ce plaisir bien plus sensible. Si nous l'avions, nous le sentirions beaucoup moins.

• Les discours d'humilité. » 437. P. R., XXIX.

7 « Aux affirmatifs. » Pascal adresse cela, je crois, à Descartes et à son doute méthodique, qui ne lui sert qu'à dogmatiser plus hardiment. On pourrait, dans un autre sens, l'appliquer à Pascal lui-même.

en doutant. Nous ne sommes que mensonge, duplicité, contrariété, et nous cachons et nous déguisons à nous-mêmes.

18.

Les belles actions cachées sont les plus estimables. Quand j'en vois quelques-unes dans l'histoire (comme page 1842), elles me plaisent fort. Mais enfin elles n'ont pas été tout à fait cachées, puisqu'elles ont été sues : et quoiqu'on ait fait ce qu'on a pu pour les cacher, ce peu par où elles ont paru gâte tout; car c'est là le plus beau, de les avoir voulu cacher'.

19.

Diseur de bons mots", mauvais caractère.

20.

Le Moi est haïssable: vous, Miton, le couvrez', vous ne l'ôtez pas pour cela; vous êtes donc toujours haïssable'. — Point,

1 « Les belles actions cachées. » 440. Manque dans P. R.

car

2 « Comme page 184.» On est porté à croire que Pascal renvoie ici à la page 184 de l'édition des Essais de Montaigne dont il se servait. Je trouve en effet à la page 184 de l'édition de 4635, en un volume in-folio (celle que mademoiselle de Gournay a dédiée au cardinal de Richelieu), des traits qui paraissent être ceux que Pascal avait en vue: « Cette belle et noble femme de Sabinus, patricien romain, pour >> l'interest d'aultruy, supporta seule sans secours, et sans voix et gemissement, >> l'enfantement de deux iumeaux. Un simple garsonnet de Lacedemone ayant desrobbé » un regnard..., et l'ayant mis sous sa cappe, endura plustost qu'il luy eust rongé » le ventre que de se descouvrir. Et un aultre, donnant de l'encens à un sacrifice, se » laissa brusler iusques à l'os par un charbon tumbé dans sa manche, pour ne trou» bler le mystere... » (I, 40, p. 157 du tome 11 de l'édition de M. Le Clerc). Voilà trois belles actions cachées, et pas assez cachées pourtant au gré de Pascal.

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3 De les avoir voulu cacher.» Voir Montaigne, III, 10, p. 44.

« Diseur de bons mots. 423. » P. R., XXIX.

La Bruyère (de la Cour): « Diseur de bons mots, mauvais caractère je le dirais, s'il n'avait été dit. » Remarquez cet il, qui est neutre.

« Le Moi est haissable. » 73. P. R., xxix. P. R. ajoute cette note: « Le mot » MOI, dont l'auteur se sert dans la pensée suivante, ne signifie que l'amour-propre. » C'est un terme dont il avait accoutumé de se servir avec quelques-uns de ses amis.»> On lit encore dans la Logique de Port Royal (troisième partie, chapitre xix, Des sophismes d'amour-propre, etc., 6) : « Feu M. Pascal, qui savait autant de véritable » rhétorique que personne en ait jamais su, portait cette règle [de ne point parler de soi] jusques à prétendre qu'un honnéte homme devait éviter de se nommer, et même >> de se servir des mots de je et de moi, et il avait accoutumé de dire à ce sujet » que la piété chrétienne anéantit le mor humain, et que la civilité humaine le cache » et le supprime. »

Vous, Miton, le couvrez. » P. R. a supprimé cette apostrophe. Miton était un homme à la mode, ami du chevalier de Méré, par qui il paraît avoir été mis en rapport avec Pascal. Cf. vII, 20.

2 « Vous êtes donc toujours haïssable. » P. R.: Ainsi ceux qui ne l'ôtent pas,

en agissant, comme nous faisons, obligeamment pour tout le monde, on n'a plus sujet de nous haïr. Cela est vrai, si on ne haïssait dans le moi que le déplaisir qui nous en revient. Mais si je le hais parce qu'il est injuste, qu'il se fait centre du tout, je le haïrai toujours. En un mot, le moi a deux qualités : il est injuste en soi, en ce qu'il se fait centre du tout; il est incommode aux autres, en ce qu'il les veut asservir: car chaque мOI est l'ennemi et voudrait être le tyran de tous les autres. Vous en ôtez l'incommodité, mais non pas l'injustice1; et ainsi vous ne le rendez pas aimable à ceux qui haïssent l'injustice: vous ne le rendez aimable qu'aux injustes, qui n'y trouvent plus leur ennemi; et ainsi vous demeurez injuste, et ne pouvez plaire qu'aux injustes.

21.

Je n'admire point 2 l'excès d'une vertu ', comme de la valeur, si je ne vois en même temps l'excès de la vertu opposée, comme en Epaminondas, qui avait l'extrême valeur et l'extrême bénignité; car autrement ce n'est pas monter, c'est tomber. On ne montre pas sa grandeur pour être à une extrémité, mais bien en touchant les deux à la fois, et remplissant tout l'entre-deux . Mais peut-être que ce n'est qu'un soudain mouvement de l'âme de l'un à l'autre de ces extrêmes, et qu'elle n'est jamais en effet qu'en un point, comme le tison de feu. Soit, mais au moins cela marque l'agilité de l'âme', si cela n'en marque l'étendue.

et qui se contentent seulement de le couvrir, sont toujours haissables. Cela n'est pas seulement lourd, cela paraît dur et exagéré, parce que P. R. étale gravement en forme de réflexion générale, ce que Pascal ripostait vivement, dans la chaleur du discours, à l'honnête homme suivant le monde.

1 « Mais non pas l'injustice. » Nous avons admiré déjà cet esprit d'analyse qui démêle si bien ce que l'on confond d'ordinaire, et procède toujours par distinctions. 2 « Je n'admire point. » 425. P. R., XXIX.

3 « L'excès d'une vertu.» P. R. a mis la perfection, parce que le mot excès n'exprime pas quelque chose qu'on doive admirer. Mais Pascal voulait un mot qui flt sentir qu'il y a plus d'emportement que de force dans les vertus humaines.

4 « Comme en Epaminondas. » Exemple pris de Montaigne, II, 36, p. 85, et III, 4, p. 173: « Voyla une ame de riche composition; il marioit aux plus rudes et vio» lentes actions humaines la bonté et l'humanité, » etc.

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5 a Et remplissant tout l'entre-deux. » Image déjà bien ingénieuse; ce qui suit est plus fin encore, et montre un esprit capable de la plus délicate observation en morale comme en physique.

« Le tison de feu. » P. R. supplée, que l'on tourne. Dans cette expérience, le feu paraît à la fois sur toute une circonférence, quoiqu'il ne soit qu'en un point. « L'agilité de l'âme. » Cette expression si originale sort, comme on voit, toute seule de ce qui précède; c'est là le bon style.

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