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» des lectures de philosophie dont il s'occupait le plus. Il le mit sur ce su
» jet aux premiers entretiens qu'ils eurent ensemble. M. Pascal lui dit
» que ses deux livres les plus ordinaires avaient été Épictète et Mon-
» taigne, et il lui fit de grands éloges de ces deux esprits. M. de Saci,
» qui avait toujours cru devoir peu lire ces auteurs, pria M. Pascal de
» lui en parler à fond. »

« Epictète, lui dit-il, est un des philosophes du monde qui ait le mieux connu les devoirs de l'homme. Il veut, avant toutes choses, qu'il regarde Dieu comme son principal objet; qu'il soit persuadé qu'il gouverne tout avec justice; qu'il se soumette à lui de bon cœur, et qu'il le suive volontairement en tout, comme ne faisant rien qu'avec une très-grande sagesse : qu'ainsi cette disposition arrêtera toutes les plaintes et tous les murmures, et préparera son esprit à souffrir paisiblement les événements les plus fâcheux. Ne dites jamais, dit-il ['Eyzetp., 11], J'ai perdu cela; dites plutôt, Je l'ai rendu. Mon fils est mort, je l'ai rendu. Ma femme est morte, je l'ai rendue. Ainsi des biens et de tout le reste. Mais celui qui me l'ôte est un méchant homme, dites-vous. De quoi vous mettez-vous en peine, par qui celui qui vous l'a prêté vous le redemande? Pendant qu'il vous en permet l'usage, ayez-en soin comme d'un bien qui appartient à autrui, comme un homme qui fait voyage se regarde dans une hôtellerie. Vous ne devez pas, dit-il, désirer que ces choses qui se font se fassent comme vous le voulez; mais vous devez vouloir qu'elles se fassent comme elles se font. Souvenez-vous, dit-il ailleurs [17], que vous êtes ici comme un acteur, et que vous jouez le personnage d'une comédie, tel qu'il plaît au maître de vous le donner. S'il vous le donne court, jouez-le court; s'il vous le donne long, jouezle long: s'il veut que vous contrefassiez le gueux, vous le devez faire avec toute la naïveté qui vous sera possible; ainsi du reste1. C'est votre fait de jouer bien le personnage qui vous est donné; mais de le choisir, c'est le fait d'un autre. Ayez tous les jours devant les yeux la mort et les maux qui semblent les plus insupportables; et jamais vous ne penserez rien de bas, et ne désirerez rien avec excès.

» Il montre aussi en mille manières ce que doit faire l'homme. Il veut qu'il soit humble, qu'il cache ses bonnes résolutions, surtout

« Ainsi du reste. » Toute cette phrase, depuis s'il vous le donne court, qui est traduite exactement d'Epictète, manque dans le texte reproduit par M. Faugère, où on l'a remplacée par cette espèce d'analyse : « Soyez sur le théâtre autant de temps » qu'il lui plaît: paraissez-y riche ou pauvre, selon qu'il l'a ordonné. »

C.

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dans les commencements, et qu'il les accomplisse en secret : rien ne les ruine davantage que de les produire. Il ne se lasse point de répéter que toute l'étude et le désir de l'homme doivent être de reconnaître la volonté de Dieu et de la suivre.

>> Voilà, monsieur, dit M. Pascal à M. de Saci, les lumières de ce grand esprit qui a si bien connu les devoirs de l'homme. J'ose dire qu'il méritait d'être adoré1, s'il avait aussi bien connu son impuissance, puisqu'il fallait être Dieu pour apprendre l'un et l'autre aux hommes. Aussi comme il était terre et cendre, après avoir si bien compris ce qu'on doit, voici comment il se perd dans la présomption de ce que l'on peut. Il dit que Dieu a donné à tout homme les moyens de s'acquitter de toutes ses obligations; que ces moyens sont toujours en notre puissance; qu'il faut chercher la félicité par les choses qui sont en notre pouvoir, puisque Dieu nous les a données à cette fin il faut voir ce qu'il y a en nous de libre; que les biens, la vie, l'estime ne sont pas en notre puissance, et ne mènent donc pas à Dieu; mais que l'esprit ne peut être forcé de croire ce qu'il sait être faux, ni la volonté d'aimer ce qu'elle sait qui la rend malheureuse : que ces deux puissances sont donc libres, et que c'est par elles que nous pouvons nous rendre parfaits; que l'homme peut par ces puissances parfaitement connaitre Dieu, l'aimer, lui obéir, lui plaire, se guérir de tous ses vices, acquérir toutes les vertus, se rendre saint, et ainsi compagnon de Dieu. Ces principes d'une superbe diabolique le conduisent à d'autres erreurs, comme : que l'âme est une portion de la substance divine; que la douleur et la mort ne sont pas des maux; qu'on peut se tuer quand on est tellement persécuté qu'on peut croire que Dieu appelle, et d'autres.

>> Pour Montaigne, dont vous voulez aussi, monsieur, que je vous parle 2, étant né dans un État chrétien, il fait profession de la religion catholique, et en cela il n'a rien de particulier 3. Mais comme il a voulu chercher quelle morale la raison devrait dicter sans la lu

1 « D'être adoré. » Ce grand trait a été supprimé dans Bossut, qui met seulement: « Heureux s'il avait aussi connu sa faiblesse ! Il supprime également cette ligne, où est tout Pascal : puisqu'il fallait étre Dieu pour apprendre l'un et l'autre aux hommes. Et cette reprise aussi comme il était terre et cendre. Que reste-t-il? 2 «Que je vous parle. » Bossut a supprimé cette espèce d'excuse, si bien placée quand il s'agit de parler d'un homme comme Montaigne à un homme comme Saci.

3 « De particulier. » Cela est bientôt dit; mais Montaigne était-il en effet, et de bonne foi, chrétien et catholique? On est étonné que Pascal n'examine pas cela de plus près. Voyez page XLIII, note 4.

mière de la foi, il a pris ses principes dans cette supposition; et ainsi en considérant l'homme destitué de toute révélation, il discourt en cette sorte. Il met toutes choses dans un doute universel et si général, que ce doute s'emporte soi-même, c'est-à-dire s'il doute, et doutant même de cette dernière proposition, son incertitude roule sur elle-même dans un cercle perpétuel et sans repos; s'opposant également à ceux qui assurent2 que tout est incertain et à ceux qui assurent que tout ne l'est pas, parce qu'il ne veut rien assurer. C'est dans ce doute qui doute de soi et dans cette ignorance qui s'ignore, et qu'il appelle sa maîtresse forme3, qu'est l'essence de son opinion, qu'il n'a pu exprimer par aucun terme positif. Car s'il dit qu'il doute, il se trahit, en assurant au moins qu'il doute; ce qui étant formellement contre son intention, il n'a pu s'expliquer que par interrogation; de sorte que ne voulant pas dire « Je ne sais,» il dit : « Que sais-je ?» Dont il fait sa devise, en la mettant sous des balances [Apol., p. 177] qui pesant les contradictoires se trouvent dans un parfait équilibre: c'est-à-dire qu'il est pur pyrrhonien. Sur ce principe roulent tous ses discours et tous ses Essais; et c'est la scule chose qu'il prétende bien établir, quoiqu'il ne fasse pas toujours remarquer son intention. Il y détruit insensiblement tout ce qui passe pour le plus certain parmi les hommes, non pas pour établir le contraire avec une certitude de laquelle seule il est ennemi, mais pour faire voir seulement que, les apparences étant égales de part et d'autre, on ne sait où asseoir sa créance.

» Dans cet esprit il se moque de toutes les assurances; par exemple, il combat ceux qui ont pensé établir dans la France un grand remède contre les procès par la multitude et par la prétendue justesse des lois : comme si l'on pouvait couper la racine des doutes d'où naissent les procès, et qu'il y eût des digues qui pussent arrèter le torrent de l'incertitude et captiver les conjectures! C'est là que, quand il dit qu'il vaudrait autant soumettre sa cause au premier passant, qu'à des juges armés de ce nombre d'ordonnances [Essais, III, 13, p. 125], il ne prétend pas qu'on doive changer l'ordre de l'État, il

1 « C'est-à-dire s'il doute. » C'est-à-dire porte même sur cette supposition qu'il doute.

2 « Qui assurent. » M. Faugère : qui disent. Mais le mot assurer est ici le mot essentiel.

« Et qu'il appelle sa maîtresse forme. » Ces mots manquent dans M. Faugère.

n'a pas tant d'ambition; ni que son avis soit meilleur, il n'en croit aucun de bon. C'est seulement pour prouver la vanité des opinions les plus reçues; montrant que l'exclusion de toutes lois diminuerait plutôt le nombre des différends que cette multitude de lois qui ne sert qu'à l'augmenter, parce que les difficultés croissent à mesure qu'on les pèse ; que les obscurités se multiplient par le commentaire; et que le plus sûr moyen pour entendre le sens d'un discours est de ne le pas examiner et de le prendre sur la première apparence: si peu qu'on l'observe, toute sa clarté se dissipe. Aussi il juge à l'aventure de toutes les actions des hommes et des points d'histoire, tantôt d'une manière, tantôt d'une autre, suivant librement sa première vue, et sans contraindre sa pensée sous les règles de la raison, qui n'a que de fausses mesures1, ravi de montrer par son exemple les contrariétés d'un même esprit. Dans ce génie tout libre, il lui est entièrement égal de l'emporter ou non dans la dispute, ayant toujours, par l'un et l'autre exemple, un moyen de faire voir la faiblesse des opinions; étant porté avec tant d'avantage dans ce doute universel, qu'il s'y fortifie également par son triomphe et par sa défaite.

>> C'est dans cette assiette, toute flottante et chancelante qu'elle est, qu'il combat avec une fermeté invincible les hérétiques de son temps, sur ce qu'ils s'assuraient de connaître seuls le véritable sens de l'Ecriture; et c'est de là encore qu'il foudroie plus vigoureusement l'impiété horrible de ceux qui osent assurer 2 que Dieu n'est point. Il les entreprend particulièrement dans l'apologie de Raimond de Sebonde; et les trouvant dépouillés volontairement de toute révélation, et abandonnés à leur lumière naturelle, toute foi mise à part, il les interroge de quelle autorité ils entreprennent de juger de cet Être souverain qui est infini par sa propre définition, eux qui ne connaissent véritablement aucunes choses de la nature! Il leur demande sur quels principes ils s'appuient; il les presse de les montrer. Il examine tous ceux qu'ils peuvent produire; et y pénètre si avant, par le talent où il excelle, qu'il montre la vanité de tous ceux qui passent pour les plus naturels et les plus fermes. Il demande si l'âme

1 « Qui n'a que de fausses mesures. » Bossut ajoute, selon lui.

2 « Qui osent assurer. » M. Faugère: dire. Mais Montaigne ne trouve pas mauvais qu'on dise, il défend seulement qu'on assure.

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connaît quelque chose; si elle se connaît elle-même; si elle est substance ou accident, corps ou esprit ; ce que c'est que chacune de ces choses, et s'il n'y a rien qui ne soit de l'un de ces ordres; si elle connait son propre corps, ce que c'est que matière, et si elle peut discerner entre l'innombrable variété des corps qu'on en produit1; comment elle peut raisonner si elle est matérielle; et comment elle peut être unie à un corps particulier et en ressentir les passions, si elle est spirituelle : quand a-t-elle commencé d'être ? avec le corps ou devant? et si elle finit avec lui ou non; si elle ne se trompe jamais; si elle sait quand elle erre, vu que l'essence de la méprise consiste à ne la pas connaître; si dans ses obscurcissements elle ne croit pas aussi fermement que deux et trois font six qu'elle sait ensuite que c'est cinq; si les animaux raisonnent, pensent, parlent; et qui peut décider ce que c'est que le temps, ce que c'est que l'espace ou étendue, ce que c'est que le mouvement, ce que c'est que l'unité, qui sont toutes choses qui nous environnent et entièrement2 inexplicables; ce que c'est que santé, maladie, vie, mort, bien, mal, justice, péché, dont nous parlons à toute heure; si nous avons en nous des principes du vrai, et si ceux que nous croyons, et qu'on appelle axiomes ou notions communes, parce qu'elles sont communes dans tous les hommes, sont conformes à la vérité essentielle. Et puisque nous ne savons que par la seule foi qu'un Être tout bon nous les a donnés véritables, en nous créant pour connaitre la vérité, qui saura sans cette lumière si, étant formés à l'aventure, ils ne sont pas incertains, ou si, étant formés par un être faux et méchant, il ne nous les a pas donnés faux afin de nous séduire? montrant par là que Dieu et le vrai sont inséparables, et que si l'un est ou n'est pas, s'il est certain ou incertain, l'autre est nécessairement de même. Qui sait donc si le sens commun, que nous prenons pour juge du vrai, en a l'être, de celui qui l'a créé? De plus, qui sait ce que c'est que vérité, et comment peut-on s'assurer de l'avoir sans la connaître?

1 « Qu'on en produit. » Il y a dans le P. Des Molets: quand on en a produit, ce qui ne paralt pas faire de sens. Dans le texte reproduit par M. Faugère, je lis et si elle peut discerner les corps dans l'innombrable variété qu'on en produit. De toutes manières cette phrase reste obscure. Qu'on en produit peut signifier qu'on produit comme formés de la matiere.

2 « Entierement. » Des Molets: intérieurement. Je pense que c'est une faute.

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3 « En a l'être. » Ces mots obscurs, qui paraissent signifier en a reçu l'essence, ont été remplacés, dans le texte reproduit par M. Faugère, par cette phrase, a été destiné à celle fonction par celui qui l'a créé.

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