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Il n'est pas possible que les hommes n'aient fait enfin des réflexions sur une situation aussi misérable, et sur les calamités dont ils étoient accablés. Les riches sur-tout durent bientôt sentir combien leur étoit désavantageuse une guerre perpétuelle dont ils faisoient seuls tous les frais, et dans laquelle le risque de la vie étoit commun, et celui des biens, particuliers. D'ailleurs, quelque couleur qu'ils pusssent donner à leurs usurpations, ils sentoient assez qu'elles n'étoient établies que sur un droit précaire et abusif, et que n'ayant été acquise que par la force, la force pouvoit les leur ôter, sans qu'ils eussent raison de s'en plaindre. Ceux même que la seule industrie avoit enrichis, ne pouvoient guères fonder leur propriété sur de meilleurs tit es. Ils avoient beau dire: C'est moi qui ai bâti ce mur; j'ai gagné ce terrain par mon travail. Qui vous a donné les alignemens, leur pouvoit-on répondre, et en vertu de quoi prétendez-vous être payés à nos dépens d'un t avail que nous ne vous avons point imposé? Ignorez-vous qu'une multi-. tude de vos frères périt ou souffre du besoin de ce que vous avez de trop, et qu'il vous falloit un consentement exprès et unanine

du genre-humain pour vous approprier sur la subsistance commune tout ce qui alloir au-delà de la vôtre ? Destitué de raisons valables pour se justifier, et de forces suffisantes pour se défendre, écrasant facilement un particulier, mais écrasé lui-même par des troupes de bandits, seuls contre tous, et ne pouvant, à cause des jalousies mutuelles, s'unir avec scs égaux contre des ennemis unis par l'espoir commun du pillage, le riche, pressé par la nécessité, conçut enfin le projet le plus réfléchi qui soit jamais entré dans l'esprit humain; ce fut d'employer en sa faveur les forces même de ceux qui l'attaquoient, de faire ses défenseurs de ses adversaires, de leur inspirer d'autres maxi

mes,

et de leur donner d'autres institutions qui lui fussent aussi favorables que le droit naturel lui étoit contraire.

Dans cette vue, après avoir exposé à ses voisins l'horreur d'une situation qui les armoit tous les uns contre les autres, qui leur rendoit leurs possessions aussi onéreuses que leurs besoins, et où nul ne trouvoit sa sûreté ni dans la pauvreté, ni dans la richesse, il inventa aisément des raisons spécieuses pour les amener à son but. « Unissons-nous,

I

»leur dit-il, pour garantir de l'oppression les » foibles, contenir les ambitieux, et assurer » à chacun la possession de ce qui lui ap» partient; instituons des règlemens de jus»tice et de paix auxquels tous soient obligés » de se conformer, qui ne fassent acception » de personne, et qui réparent en quelque » sorte les caprices de la fortune, en soumet» tant également le puissant et le foible à » des devoirs mutuels. En un mot, au lieu » de tourner nos forces contre nous-mêmes, » rassemblons-les en un pouvoir suprême qui »nous gouverne selon de sages loix, qui

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protège et défende tous les membres de » l'association, repousse les ennemis com» muns, et nous maintienne dans une con» corde éternelle. »

Il en fallut beaucoup moins que l'équi valent de ce discours pour entraîner des hommes grossiers, faciles à séduire, qui d'ailleurs avoient trop d'affaires à démêler entr'eux pour pouvoir se passer d'arbitres, et trop d'avarice et d'ambition pour pouvoir longtemps se passer de maîtres. Tous coururent au-deyant de leurs fers, croyant assurer leur liberté; car avec assez de raison pour sentir les avantages d'un établissement politique, ils n'avoient pas assez d'expé

rience pour en prévoir les dangers; les plus capables de pressentir les abus, étoient précisément ceux qui comptoient d'en profiter, et les sages même virent qu'il falloit se résoudre à sacrifier une partie de leur liberté à la conservation de l'autre, comme un blessé se fait couper le bras pour sauver le reste du corps.

Telle fut ou dut être l'origine de la société et des loix, qui donnèrent de nouvelles entraves au foible et de nouvelles forces au riche, (18.) détruisirent sans retour la liberté naturelle, fixèrent pour jamais la loi de la propriété et de l'inégalité, d'une adroite usurpation firent un droit irrévocable, et pour le profit de quelques ambitieux assujettirent désormais tout le genre-humain au travail, à la servitude et à la misère. On voit aisément comment l'établissement d'une seule société rendit indispensable celui de toutes les

es autres, et coinment, pour faire tête à des forces unies, il fallut s'unir à son tour. Les sociétés se multipliant ou s'étendant rapidement, couvrirent bientôt toute la surface de la terre, et il ne fut plus possible de trouver un seul coin dans l'univers où l'on put s'affranchir du joug; et soustraire sa tête au glaive souvent mal conduit que chaque homme vit perpétuellement suspendu

tur la sienne. Le droit civil étant ainsi devenu la règle commune des citoyens, la loi de nature n'eut plus lieu qu'entre les diverses sociétés, où, sous le nom de droit des gens, elle fut tempéree par quelques conventions tacites pour rendre le commerce possible et suppléer à la commisération naturelle, qui, perdant de société à société presque toute la force qu'elle avoit d'homme à homme réside plus que dans quelques grandes ames cosmopolites, qui franchissent les barrières imaginaires qui séparent les peuples, et qui, à l'exemple de l'Etre souverain qui les a créés, embrassent tout le genre-humain dans leur bienveillance.

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Les corps politiques restant ainsi entr'eux dans l'état de nature, se ressentirent bientôt des inconvéniens qui avoient forcé les particuliers d'en sortir, et cet état devint encore plus funeste entre ces grands corps, qu'il ne l'avoit été auparavant entre les individus dont ils étoient composés. De-là sortirent les guerres nationales, les batailles, les meurtres, les représailles, qui font frémir la nature et cho quent la raison, et tous ces préjugés horribles qui placent au rang des vertus l'honneur de répandre le sang humain. Les plus honnêtes gens apprirent à compter parmi leurs devoirs

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