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DE

J. ROUSSEAU,

J. J.

A MONSIEUR

PHILO POLIS.

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ous voulez, Monsieur, que je vous reponde, puisque vous me faites des questions. Il s'agit, d'ailleurs, d'un ouvrage dédié à mes concitoyens; je dois, en le défendant, justifier l'honneur qu'ils m'ont fait de l'accopter. Je laisse à part dans votre lettre ce qui me regarde en bien et en mal, parce que l'un compense l'antre à-peu-près, que j'y prends peu d'intérêt, le Public encore moins, et que tout cela ne fait rien à la recherche de la vérité. Je commence donc par le raisonnement que vous me proposez, comine essentiel à la question que j'ai tâché, de résoudre.

L'état de société, me dites-vous, résulte immédiatement des facultés de l'homme, et par

conséquent de sa nature. Vouloir que l'homme ne devînt point sociable, ce seroit donc vouloir qu'il ne fût point homme, et c'est attaquer l'ouvrage de Dieu que de s'élever contre la société humaine. Fermettez-moi, Monsieur, de vous proposer à mon tour une difficulté avant de résoudre la vôtre. Je vous épargnerois ce détour, si je connoissois un chemin plus sûr pour aller au but. 1.

Supposons que quelques Savans trouvassent un jour le secret d'accélérer la vieillesse, et l'art d'engager les hommes à faire usage de cette rage découverte. Persuasion qui ne seroit peut-être pas si difficile à produire qu'elle paroît au premier aspect; car la raison, ce grand véhicule de toutes nos sottises, n'auroit garde de nous manquer à celle-ci. Les Philosophies sur-tout et les gens sensés, pour secouer le joug des passions et goûter le précieux repos de l'ame, gagneroient à grands pas Page de Nestor, et renoncercient volontiers aux desirs qu'on peut satisfaire, afin de se garantir de ceux qu'il faut étouffer. Il n'y auroit que quelques étourdis qui, rougissant même de leur foiblesse, voudroient follement rester jeunes et heureux, au lieu de vieillir pour être sagess

Supposons qu'un esprit singulier, bizarre, et pour tout dire, un homme à paradoxes s'avisât alors de reprocher aux autres l'absurdité de leurs maximes, de leur prouver qu'ils courent à la mort en cherchant la tranquillité, qu'ils ne font que radoter à force d'être raisonnables; et que s'il faut qu'ils soient vieux un jour, ils devroient tâcher au moins de l'être le plus tard qu'il seroit possible.

Il ne faut pas demander si nos sophistes craignant le décri de leur arcane, se bâteroient d'interrompre ce discoureur importun.

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Sages vieillards, diroient-ils à leurs secta» turs, remerciez le ciel des grâces qu'il » vous accorde, et félicitez-vous sans cesse » d'avoir si bien suivi ses volontés. Vous êtes » décrépits, il est vrai, languissans, caco

chymes; tel est le soft inévitable de l'hom» me, mais votre entendement est sain; vous » êtes perclus de tous les membres, mais » votre tête en est plus libre; vous ne sauriez

agir, mais vous parlez comme des oracles; » et si vos douleurs augmentent de jour en »jour, votre philosophie augmente avec » elles. Plaignez cette jeunesse impétueuse » que sa brutale santé prive des biens atta

chés à votre foiblesse. Heureuses infirmités

» qui rassemblent autour de vous tant d'ha»biles Pharmaciens fournis de plus de dro»gues que vous n'avez de maux; tant de » savans Médecins qui connoissent à fond votre »pouls, qui savent en grec les roms de tous » vos rhumatismes; tant de zélés consolateurs » et d'héritiers fidèles qui vous conduisent agréablément à votre dernière heure. Que » de secours perdus pour vous, si vous » n'aviez su vous donner les maux qui les ont rendus nécessaires ! »

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Ne pouvons-nous pas imaginer qu'apostrophant ensuite notre imprudent avertisseur, ils lui parleroient à-peu-près ainsi ́:

« Cessez, déclamateur téméraire, de tenir » ces discours impies. Osez-vous blâmer ainsi » la volonté de celui qui a fait le genre» humain? L'état de vieillesse ne découle-t-il » pas de la constitution de l'homme ? N'est-il » pas naturel à l'homme de vieillir ? Que » faites-vous donc dans vos discours séditieux » que d'attaquer une loi de la nature, et par » conséquent la volonté de son Créateur ? » Puisque l'homme vieillit, Dien veut qu'il » vieillisse. Les faits sont-ils autre chose que » l'expression de sa volonté? Apprenez qu'un

homme jeune n'est point celui que Dieu a

» voulu faire, et que pour s'empresser d'obéir » à ses crdrés, il faut se hater de vieillir.»

Tout cela supposé, je vous demande, Monsieur, si l'homme aux paradoxes doit se taire on répondre; et dans ce dernier cas de vouloir bien m'indiquer ce qu'il doit dire, je tâcherai de résondre alors votre objection.

Puisque vous prétendez m'attaquer par mon propre systême, n'oubliez pas, je vous prie, que selon moi, la société est naturelle à l'espèce humaine comme la décrépitude à l'individu, et qu'il faut des arts, des loix, des gouvernemens aux peuples, comme il faut des béquilles aux vieillards. Toute la différence est que l'état de vieillesse découle de la seule nature de l'homme, et que celui de société découle de la nature du genre-humain; non pas immédiatement comme vous le dités, mais seulement comme je l'ai prouvé, à l'aide de certaines circonstances extérieures qui pouvoient être ou n'être pas, ou du moins ariver plus tôt ou plus tard, et par conséquent ́accélérer ou ralentir le progrès. Plusieurs mênies de ces circonstances dépendent de la volonté des hommes; j'ai été obligé, pour établir une parité parfaite, de supposer dans l'individu le pouvoir d'accélérer sa vieil

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