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cessaires pour les contenir: mais outre que les désordres et les crimes que celles-ci causent tous les jours parmi nous, montren assez l'insuffisance des loix à cet égard, il seroit encore bon d'examiner si ces désordres ne sont point nés avec les loix mêmes; car alors, quand elles seroient capables de les réprimer, ce seroit bien le moins qu'on en dût exiger que d'arrêter un mal qui n'existeroit point sans elles.

Commençons par distinguer le moral du physique dans le sentiment de l'amour. Le physique est ce desir général qui porte un sexe à s'unir à l'autre. Le moral est ce qui détermine ce desir et le fixe sur un seul objet exclusivement, ou qui du moins lui donne pour cet objet préféré, un plus grand degré d'énergie. Or, il est facile de voir que le moral de l'amour est un sentiment factice, né de l'usage de la société, et célébré par les femmes avec beaucoup d'ha bileté et de soins pour établir leur empire, et rendre dominant le sexe qui devroit obéir. Ce sentiment étant fondé sur certaines notions du mérite ou de la beauté qu'un Sauvage n'est point en état d'avoir, et sur des comparaisons qu'il n'est point en état de faire, doit être presque nul pour lui: car

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comme son esprit n'a pu se former des idées abstraites de régularité et de proportion, són cœur n'est point non plus susceptible des sentimens d'admiration et d'amour, qui, même sans qu'on s'en apperçoive, najssent de l'application de ces idées; il écoute uniquement le tempérament qu'il a reçu de la nature) et non le dégoût qu'il n'a pu acquérir; et toute femme est bonne pour lui.

Bornés au seul physique de l'amour, et assez heureux pour ignorer ces préférences qui en irritent le sentiment et en augmentent les difficultés, les hommes doivent sentir moins fréquemment et moins vivement les ardeurs du tempérament, et par conséquent avoir entr'eux des disputes plus rares et moins cruelles. L'imagination qui fait tant de ravages parmi nous ne parle point à des cœurs sauvages; chacun attend paisiblement l'impulsion de la nature, s'y livre sans choix, avec plus de plaisir que de`fureur, et le besoin satisfait, tout le desir est éteint.

C'est donc une chose incontestable que l'amour même, ainsi que toutes les autres passions, n'a acquis que dans la société cette. ardeur impétueuse qui le rend si souvent funeste aux hommes; et il est d'autant plus ridicule de représenter les Sauvages comine

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s'entr'égorgeant sans cesse pour assouvir leur brutalité, que cette opinion est directement contraire à l'expérience, et que les Caraïbes, celui de tous les peuples existans qui jusqu'ici s'est écarté le moins de l'état de la nature, sont précisément les plus paisibles dans leurs amours et les moins sujets à la jalousie, quoique vivant sous un climat brûlant qui semble toujours donner à ces pas sions une plus grande activité.

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A l'égard des inductions qu'on pourroit tirer dans plusieurs espèces d'animaux, des combats des mâles qui ensanglantent en tout temps nos basses-cours, ou qui font retentir au printemps les forêts de leurs cris en se disputant la femelle, il faut commencer par exclure toutes les espèces où la nature a manifestement établi dans la puissance relative des sexes d'autres rapports que parmi nous ainsi les combats des coqs ne forment point une induction pour l'espèce humaine. Dans les espèces où la proportion est mieux observée, ces combats ne peuvent avoir pour causes que la rareté des femelles, en égard au nobre des mâles, ou les intervalles exc usifs, durant lesquels la femelle refuse constamment l'approche du mâle, ce qui revient à la première

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eause; car si chaque femelle ne souffre
le mal que durant deux mois de l'année,
c'est à cet égard, comme si le nombre des
femelles étoit moindre des cinq sixièmes.
Or, aucun de ces deux cas n'est applicable
à l'espèce humaine, où le nombre des fe-
melles surpasse généralement celui des
mâles, et où l'on n'a jamais observé que,
même parmi les Sauvages, les femelles aient,
comme celles des autres espèces, des temps
de chaleur et d'exclusion. De plus, parmi
plusieurs de ces animaux, toute l'espèce en-
trant à la fois en effervescence, il vient un
moment terrible d'ardeur commune, de tu-
multe, de désordre et de combat: moment
qui n'a point lieu parmi l'espèce humaine,
où l'amour n'est jamais périodique. On ne
peut donc pas conclure des combats de cer-
tains animaux pour la possession des femelles,
que
la même chose arriveroit à l'homme dans
l'état de nature; et quand même on pourroit
tirer cette conclusion, comme ces dissentions
ne détruisent point les autres espèces, on
doit penser au moins qu'elles ne seroient pas
plus funestes à la nôtre, et il est très-appa-
rent qu'elles y causeroient encore moins de
ravages qu'elles ne font dans la société, sur-
tout dans les pays où les moeurs étant encore

comptées pour quelque chose, la jalousie des amans et la vengeance des époux causent chaque jour des duels, des meurtres, et pis encore; où le devoir d'une éternelle fidélité ne sert qu'à faire des adultères, et où les loix mêmes de la continence et de l'honneur étendent nécessairement la débauche et multiplient les avortemens.

Concluons qu'errant dans les forêts, sans industrie, sans parole, sans domicile, sans guerre et sans liaison, sans nul besoin de ses semblables, comme sans nul desir de leur nuire, peut-être même sans jamais en reconnoitre aucun individuellement, l'homme, sauvage, sujet à peu de passions, et se suffisant. à lui-même, n'avoit que les sentimens et les lumières propres à cet état, qu'il ne sentoit que ses vrais besoins, ne regardoit que ce qu'il croyoit avoir intérêt de voir, et que son intelligence ne faisoit pas plus de progrès que sa vanité. Si par hasard il faisoit quelque découverte, il pouvoit d'autant moins la communiquer qu'il ne reconnoissoit pas même ses enfans. L'art périssoit avec l'inventeur. Il n'y avoit ni éducation, ni progrès; les générations se multiplioient inutilement; et chacun partant toujours du même point, les siècles s'écouloient dans toute la grossièreté

des

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