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Dahara-sútra pâli correspond de la manière la plus certaine au Kumâra-dṛstanta-sûtra tibétain.

II

Néanmoins, les deux sûtras ne sont pas la reproduction exacte et textuelle l'un de l'autre ; ils racontent les mêmes faits, développent les mêmes idées, mais ils ne coïncident pas, et l'on ne peut admettre que l'un ait été traduit de l'autre. En voici le contenu général, commun à tous deux : le roi Prasênajit apprenant l'arrivée de Gôtama (on ne lui donne pas d'autre nom, soit en pâli, soit en tibétain) à Crâvasti, sa capitale, va le trouver, pour s'informer de lui s'il est véritablement un parfait Buddha; Gôtama répond affirmativement. Le roi alors lui objecte et son jeune âge et l'àge bien plus avancé de six docteurs très-célèbres, qui sont loin d'avoir une aussi exorbitante prétention. Gôtama réplique qu'il est quatre êtres dont il faut bien se garder de mépriser même la jeunesse; le roi qui dispose du châtiment, le serpent qui mord, le feu qui consume et le Bhixu, ou moine bouddhiste, qui, en décidant les hommes à embrasser la vie religieuse, détruit les familles dans leur germe. Eclairé par cette instruction, le roi approuve et témoigne sa satisfaction.

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Sur ce fond commun se détachent certains traits qui différencient les deux textes; le tibétain parle, au début, de la curiosité éveillée dans la ville de Crâvasti par la présence de Gôtama ; le pâli y fait à peine allusion. La question du roi et la réponse de Gòtama au sujet de la qualité de Buddha usurpée ou acquise par Gôtama, est surchargée, dans le tibétain, d'énonciations et d'interrogations qui manquent totalement dans le pâli. Le tibétain fait dire au roi, dans sa réplique, qu'il n'ajoute pas foi à la déclaration de Gôtama, ce qui est une véritable imputation de mensonge et d'imposture, dont la trace ne se retrouve pas dans le pâli. En opposant à Gôtama les six docteurs, ses rivaux, le roi insiste, dans le pâli, sur le succès de leur enseignement; dans le tibétain, sur leur âge avancé. — Quand Gôtama énumère pour la première fois quatre « jeunes gens », le tibétain renferme au

sujet du 4o, le Bhixu, une phrase qui manque au pâli et paraît bien avoir été ajoutée postérieurement pour résumer la pensée du sûtra, c'est que le Bhixu doit être respecté, parce qu'il est appelé à devenir un Arhat, doué de la puissance surnaturelle.Enfin, dans le dernier paragraphe, tandis que le pâli, bien plus développé que le tibétain (dans tout le reste du sûtra, il l'est moins), nous montre le roi devenant un upasaka, c'est-à-dire un adhérent laïque, le tibétain, par une réticence difficile à expliquer, reste absolument muet sur ce point important, et parle seulement de la satisfaction, de la joie ressentie par le roi; de telle sorte que ce sûtra, si souvent proclamé dans le Kandjour, comme l'instrument de la conversion de Frasênajit, ne contient pas même la mention expresse de cette conversion.

III

Quelle que puisse être la valeur de ces divergences, assez secondaires en définitive, il y a dans les deux textes une partie qu'on peut considérer comme véritablement commune, on pourrait presque dire, malgré quelques apparences contraires, comme identique: c'est la partie en vers. L'explication donnée par Gôtama sur les « quatre jeunes-gens » se dédouble: elle est d'abord résumée dans une prose brève et sèche, qui est comme le programme du discours; elle est développée ensuite dans une série de vers qu'on peut partager en cinq stances, dont une pour chacun des «< quatre jeunes gens », le roi, le serpent, le feu, le Bhixu, et une cinquième servant de conclusion. Or, par divers motifs, on est fondé à croire que ces vers, mis dans la bouche du maître, sont la partie essentielle du sûtra; le reste n'est qu'un récit, un accessoire pour lequel on a pu prendre certaines libertés, ce qui aura introduit des différences dans le texte; mais les vers, étant la parole du Buddha, le vrai sûtra, ont dû rester intacts; en effet, c'est dans cette partie et dans celle-là seule, que les textes coïncident véritablement. Ce n'est pourtant pas qu'on ne puisse noter, même dans les vers, de notables variations entre l'un et l'autre ; mais en les discutant on

trouve qu'elles proviennent uniquement des difficultés de l'interprétation, et des remaniements que le texte a dû subir pour être intelligible.

IV

En effet, les vers pâlis se composent de 23, les vers tibétains de 29 hémistiches. D'où vient en faveur du tibétain cet excès de 6 hémistiches? De ce qu'un refrain, reproduit après chaque stance, est néanmoins, dans le pâli, supprimé, par exception, après l'une d'elles (la 4°), et réduit dans les autres à un hémistiche, tandis que, dans le tibétain, le refrain n'est jamais supprimé et compte toujours deux hémistiches: en réalité donc le tibétain n'ajoute qu'un seul hémistiche, celui qui, dans chaque stance, complète le refrain; mais cette adjonction elle-même est plus apparente que réelle, car les éléments s'en retrouvent dans le texte pâli lui-même. Il n'y a donc rien, dans le tibétain, qui n'ait son équivalent dans le pâli; et l'on peut dire qu'il n'a rien ajouté; mais ce qu'on ne peut nier, c'est qu'il y a entre les deux textes une assez grave différence: on va voir à quoi elle tient.

Le pâli, énumérant le roi, le serpent, le feu avec leurs attributs terribles, dit de chacun d'eux qu'il faut les « éviter», parivajjêyya, c'est le mot du refrain: mais ce mot ne pouvait s'appliquer au Bhixu: aussi le refrain est-il supprimé après la stance qui le concerne. Le tibétain au contraire, disant dans son refrain, qu'il faut « honorer » (bag-bya) le roi, le serpent, le feu, n'a pas de raison pour ne pas appliquer cette expression au Bhixu; aussi maintient-il le refrain après la quatrième stance. Dans la cinquième stance, les deux expressions qui viennent d'être citées reparaissent, mais interverties, c'est-à-dire que le pâli, réunissant dans une même énumération le roi, le serpent, le feu, le Bhixu, dit qu'il faut les « honorer» (samâcarê, terme pâli, dont le tibétain bag-bya, cité plus haut, est l'équivalent), et le tibétain dit qu'il faut les éviter » (spang-býa, traduction du pâli parivajjêyya). Il est aisé de voir que les

ANNÉE 1869.

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textes, ou plutôt les docteurs qui les interprétaient ont hésité sur la définition à donner de l'attitude qu'on doit prendre, soit envers le Bhixu, soit surtout envers les êtres auxquels on le compare. Faut-il en avoir horreur et les fuir? Faut-il leur faire honneur et les rechercher? Ce doute provient de ce que l'assimilation entre le Bhixu, d'une part, le roi, le serpent et le feu, de l'autre, cst forcée. Car l'action de ceux-ci est surtout nuisible et redoutable; celle du Bhixu est essentiellement bienfaisante. C'est à l'aide d'une sorte de sophisme qu'on parvient à réaliser l'assimilation cherchée; et il n'est pas étonnant que l'expression soit vacillante et indécise.

Parmi les autres différences des deux textes, il importe de notér celle-ci le pâli, après avoir dit que le roi châtie, que le serpent, par sa morsure, fait périr homme, femme et enfant (c'est-à-dire des familles entières), reproduit, pour le feu, le vers relatif au serpent, en changeant seulement un mot, et dit que le feu, en brûlant, fait périr homme, femme et enfant. Cette répétition n'existe pas dans le tibétain qui dit, en parlant du feu, qu'il peut consumer un village et même une ville. La leçon que suppose le tibétain, et qu'il serait facile de rétablir en pâli, paraît la plus satisfaisante; on verra cependant qu'une troisième, peut-être préférable, pourrait être proposée.

V

Quand on se demande si ce discours a pu être prononcé par le Buddha, s'il y a lieu de le compter parmi celles de ses paroles qu'on peut, tout en faisant les réserves indispensables, considérer comme authentiques, on hésite à répondre affirmativement, frappé que l'on est du caractère brahmanique de ce discours : il suffirait de substituer le mot « brahmane » à celui de « Bhixu > pour que toute l'argumentation, assez fragile, du sûtra pût se retrouver dans un livre brahmanique : il est en effet bouddhique uniquement par la phrase relative au Bhixu ; mais cela ne suffit-il pas? Que peut-on demander de plus? Il ne faut pas s'étonner de trouver dans le sûtra des idées brahmaniques; le

bouddhisme en est rempli; et dans l'espèce, la situation étant donnée, un emprunt directement fait au brahmanisme était tout à fait à sa place. En quoi consiste ici l'emprunt ? Dans le rôle attribué au feu. Les Brahmanes comparent au feu, et le roi (Manu, VI, 9), et le Brahmane (Id., IX, 317). Or, dans nos textes, le Bhixu est comparé au feu d'une manière toute particulière : car il y est dit « qu'une forêt brûlée par le feu peut renaître de ses cendres, mais qu'un homme converți par un Bhixu ne peut laisser de postérité après lui. » Là est évidemment l'argument vital du discours; le reste (les trois premières stances) n'est sans doute qu'un accessoire, et même un accessoire joint assez maladroitement au principal: car le vers auquel le pâli et le tibétain font dire, l'un, que le feu détruit des familles, l'autre, que le feu détruit des villes, devrait sans doute exprimer que le feu détruit des forêts; il serait très-facile de restituer dans le texte pâli cette nouvelle leçon qui fournirait une transition toute naturelle pour passer à la 4o stance, qui compare précisément l'action du Bhixu à celle du feu. Il ne serait donc pas impossible que le sûtra, c'est-à-dire l'argument attribué au Buddha eût consisté d'abord en une simple comparaison entre le feu et le Bhixu, comparaison qu'on aurait étendue plus tard, en y ajoutant, par des rapprochements, pour ainsi dire, tout faits dans l'esprit des Hindous, et le roi comparé lui-même au feu, et le serpent, cet animal si redouté, si vénéré, et sujet de tant de légendes. Le rôle important prêté au feu, cet agent si puissant, et l'un des plus anciens objets d'adoration de la race âryenne, n'a rien qui doive étonner; c'est le terme de comparaison qui se présente naturellement lorsqu'on veut donner l'idée d'une force irrésistible. Si le sûtra a réellement passé par l'évolution qui vient d'être définie, qu'on ne peut pas prouver, mais qu'on est autorisé à conjecturer, cette évolution est assurément fort ancienne, car elle est nécessairement antérieure à la rédaction actuelle des deux sûtras, qui nous la représentent l'un et l'autre comme accomplie, et que leur ressemblance générale oblige de faire remonter à un passé éloigné.

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