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La libérale tolérance de l'Académie a, depuis longtemps, autorisé cette extension du programme. Toutefois, on ne saurait oublier complétement le véritable point de départ du présent concours, spécialement institué, il y a quarante et quelques années, pour provoquer, et encourager et diriger même au besoin l'étude de nos antiquités nationales.

Dans l'intérêt de la science, nous voudrions, quant à nous, voir s'établir et se maintenir toujours un parfait équilibre entre ces différentes natures d'études qui se contrôlent si utilement les unes les utres car à nos yeux, c'est de leur action simultanée que peut sortir le plus sûrement la vérité historique.

La Commission, du reste, entend donner toujours la plus large interprétation à son programme. Le regret qu'elle éprouve de voir se ralentir ainsi l'étude de nos antiquités monumentales ne l'empêchera donc pas plus aujourd'hui que par le passé d'accueillir avec empressement et d'encourager, autant qu'il dépendra d'elle, tous les travaux véritablement méritants, qui, sous un rapport quelconque, peuvent offrir des matériaux utiles au grand édifice de notre histoire nationale.

Elle va même, dans cette voie, jusqu'à décerner, cette année, la première des récompenses dont elle dispose à un ouvrage exclusivement consacré aux origines de notre langue, au Dictionnaire critique et historique de l'ancienne langue française, depuis ses premiers débrouillements jusqu'à la formation de la langue moderne, par M. Frédéric Godefroy.

Cet ouvrage (dont le titre, croyons-nous, pourrait être utilement modifié dans sa seconde partie) est le résumé de vingt années de consciencieuses et incessantes recherches consacrées par l'auteur à fouiller sans relâche tous les vieux documents français de nos bibliothèques et ceux d'un grand nombre d'archives; vingt années tellement absorbées par ce seul labeur qu'à peine M. Godefroy en est-il aujourd'hui à la mise au net des deux premières lettres de son dictionnaire. Il n'a même pu soumettre à la Commission que les feuilles manuscrites de la lettre A.

Couronner dès à présent un ouvrage aussi peu avancé paraîtra peut-être, au premier abord, une faveur quelque peu excessive. La Commission, on doit bien le penser, n'a pu y être déterminée que par des considérations exceptionnelles.

La première de ces considérations est l'utilité toute particulière de l'entreprise. Celle-ci, on ne saurait le méconnaître, intéresse au plus haut point, non-seulement les personnes, aujourd'hui en grand nombre, qui s'occupent spécialement de notre vieux langage, mais encore toutes celles qui, à un titre quelconque, sont obligées de recourir aux sources originales de notre histoire nationale. Une pareille clef de l'ancien français peut et doit, en effet, si elle est bonne, leur rendre des services analogues à ceux que nous tirons tous de l'admirable glossaire de Du Cange. Aussi la publication depuis longtemps désirée d'un dictionnaire historique de la vieille langue française avait-elle été provoquée par l'Académie elle-même au nom du monde savant.

Mais l'entreprise était lourde. Qui se chargerait du colossal dépouillement exigé, au préalable, par un travail de ce genre? Qui aurait la patience, la persévérante énergie, le dévouement enfin de se livrer, pendant de longues années, à ces arides recherches dont le résultat

rémunérateur pouvait paraître au moins douteux? A peine semblait-il qu'on pût l'espérer de l'action collective d'un groupe d'érudits officiellement encouragés.

Eh bien! cette pénible tâche, tracée en quelque sorte par l'Académie elle-même, il s'est trouvé un homme de bonne volonté pour l'entreprendre à lui seul; l'oeuvre à laquelle il a travaillé si longtemps en silence lui semble mûre aujourd'hui, et il nous en apporte les premiers fruits.

Cela seul, Messieurs, ne justifierait-il pas la faveur exceptionnelle dont M. Godefroy est l'objet de notre part?

La Commission, d'ailleurs, a pensé qu'elle acquérait ainsi plus complétement le droit de signaler à l'auteur certaines imperfections dans le plan ou l'exécution de son ouvrage, de lui offrir quelques conseils dont il pourrait mieux profiter actuellement que si son livre était déjà en cours de publication.

A côté de l'éloge, nous devons, en effet, fairc aussi une juste part à la critique. Si estimable que soit l'ouvrage de M. Godefroy, il offre certains côtés faibles, et même quelques défauts assez graves pour que nous ne puissions les dissimuler ou les passer complétement sous silence.

A nos yeux, le premier tort de M. Godefroy est de scinder le résultat de ses recherches, d'en faire la matière de deux dictionnaires distincts, dont l'un consacré à la langue du XIX* siècle, et l'autre (celui dont nous sommes régulièrement saisis) comprenant exclusivement les mots tombés actuellement en désuétude. Ce plan, si l'auteur y persistait, aurait, dans la pratique, des inconvénients de toute sorte. Ainsi, par exemple, pour un groupe de mots solidaires les uns des autres, il devrait nécessairement arriver que les dérivés seuls figurassent dans le dictionnaire historique si, comme cela peut trèsbien se rencontrer, le mot principal qui leur sert de racine est encore usité aujourd'hui; inconvénient grave, qui rendrait à peu près impossible le rapprochement et la comparaison entre eux d'une foule de termes de l'ancien langage.

L'avis de la Commission est donc que, pour donner à son travail toute l'utilité désirable, M. Godefroy devrait fondre en un seul les deux dictionnaires dont il a si laborieusement réuni les matériaux.

Le savant ouvrage de M. Godefroy ne pourra que gagner également à une dernière révision où l'auteur aurait le courage d'élaguer un certain nombre de citations d'une valeur contestable. Les dépouillements qu'il a faits sont immenses; mais il semble qu'au moins dans le principe il ait visé à la quantité plutôt qu'à la qualité. Ses citations n'ont pas toujours été choisies avec autant de discernement qu'on pourrait le désirer; on y voit trop souvent revenir d'insignifiants ouvrages du XVe siècle justement oubliés aujourd'hui, tandis que les exemples empruntés aux auteurs classiques de notre littérature primitive y sont relativement trop peu nombreux. L'indication des sources elle-même n'est pas toujours suffisamment exacte ou complète. Entin, il serait bon de classer plus rigoureusement dans leur ordre chronologique les exemples rapportés pour l'histoire des diverses acceptions de certains mots.

Toutes les imperfections que nous venons d'indiquer, l'auteur, du reste, pourra facilement les faire disparaître de son travail. Nous ne doutons pas qu'encouragé par les suffrages de l'Académie il ne prenne à cœur de les justifier en apportant encore de nombreuses et

importantes améliorations à son livre d'ici au jour où ce livre sera définitivement publié.

C'est sous une forme plus arrêtée, et à l'état d'ouvrage dès aujourd'hui achevé, que se présente à nous le Livre des vassaux du comté de Champagne et de Brie, par M. Longnon, excellente étude de géographie féodale, que la Commission a jugée digne de la seconde médaille.

Les comtes de Champagne avaient fait, à diverses reprises, dresser l'état de leurs vassaux au XIIe siècle et au commencement du XIII®. Vers 1220, ces divers dénombrements furent refondus et résumés dans un seul registre rédigé en français, que possèdent aujourd'hui les Archives de l'Empire. C'est ce registre que M. Longnon a entrepris de publier avec des commentaires et des éclaircissements qui en font un livre fort important pour l'histoire de la Champagne.

La reproduction exacte et intelligente d'un texte historique de cette valeur est déjà, par elle-même, un service réel rendu à l'érudition. Mais ce qui constitue surtout ici le mérite de M. Longnon, c'est la rare sagacité avec laquelle il a su reconnaître d'innombrables noms de lieux défigurés, souvent d'une manière incroyable, dans ce texte passablement incorrect, qui n'est lui-même que la traduction d'anciens textes souvent très-mal compris.

La table des noms de personnes a été rédigée avec le même soin, avec la même intelligence, à l'aide de renseignements biographiques généralement puisés aux meilleures sources contemporaines et trèsjudicieusement employés. Enfin, dans le cours de ce travail, M. Longnon a trouvé aussi l'occasion de dater et de coordonner utilement bon nombre de documents dont les diverses parties étaient restées jusqu'alors dispersées, à peu près sans ordre, dans les cartons du trésor des Chartes.

C'est donc une œuvre d'érudition, dans la meilleure acception de ce mot, que le livre envoyé par M. Longnon à notre concours.

Cela seul eût assurément suffi pour lui concilier les suffrages de la Commission; mais nous les lui avons décernés avec un double bonheur, lorsque nous avons su quelles difficultés l'auteur avait dû vaincre, quelle persistance lui avait été nécessaire, quels vaillants efforts il avait dû faire pour réussir si bien dans un ordre de travaux auquel, on peut le dire aujourd'hui, son éducation première ne l'avait aucunement préparé. A l'homme d'étude, comme à tout autre, la justice veut qu'on tienne compte de la distance parcourue depuis le point de départ jusqu'au point d'arrivée. Aussi ne doutons-nous point que l'Académie, en couronnant un travail que recommandent d'ailleurs si bien ses qualités intrinsèques, ne se plaise, comme nous, à honorer la force de volonté par laquelle M. Longnon, seul et presque sans ressources, a su parvenir jusqu'au point où nous le trouvons aujourd'hui.

Des mérites d'un autre genre recommandaient également à nos suffrages les Chants populaires de la basse Bretagne, recueillis et traduits par M. Luzel. Nous avons décerné notre troisième médaille à l'auteur de ce travail.

Le titre seul de l'ouvrage rappelle tout d'abord les intéressantes publications d'un de nos savants confrères, qui, le premier parmi nous, a eu le mérite de mettre en lumière les chants populaires de la vieille Armorique. C'était rendre un grand service à la science que

de donner cette première base à une si intéressante branche d'étude. Toutefois, on doit le reconnaître, le sens et la valeur historique des pièces dont il s'agit ne pouvaient être définitivement fixés que par une comparaison attentive avec les différentes versions encore aujourd'hui vivantes dans la tradition populaire.

C'est là précisément la tâche qu'a entreprise M. Luzel; c'est de la bouche même des paysans qu'il s'est attaché à recueillir ces chants traditionnels, n'ajoutant rien, ne laissant jamais l'interprétation réagir sur le texte, et notant toutes les variantes avec un scin minutieux. On ne saurait, en vérité, mieux pratiquer qu'il ne l'a fait l'art difficile de recueillir les chants populaires.

Peut-être le commentaire dont M. Luzel a accompagné son travail pourrait-il donner lieu à certaines critiques de détail; mais quelques opinions plus ou moins contestables hasardées par l'auteur ne sauraient faire méconnaître le service très-réel et très-grand qu'il a rendu en sauvant ainsi de l'oubli des textes ou des particularités de textes qui, dans une ou deux générations, seront peut-être oubliés du peuple de ces contrées.

Tout en faisant ressortir l'importance des chants populaires de la Bretagne au point de vue philologique, les résultats du travail de M. Luzel tendent, il faut bien le dire, à diminuer beaucoup leur importance historique. L'étude critique qu'il a faite de ces textes et la comparaison de leurs variantes sembleraient effectivement démontrer qu'ils ne portent pas en réalité les traces de l'époque celtique qu'on avait cru y reconnaître.

Le dernier mot n'est sans doute pas encore dit sur cette difficile question. Toutefois, comme la science ne saurait vivre d'illusions, il faut savoir un gré particulier à ceux qui s'appliquent, ainsi que l'a fait M. Luzel, à contrôler rigoureusement les opinions admises, qui ne craignent pas de les combattre et s'efforcent sincèrement de les rectifier, lorsqu'elles leur semblent erronées.

La Commission, nous l'avons déjà dit, a eu, cette année, le regret de ne pouvoir comprendre dans la première catégorie de ses encouragements plusieurs ouvrages dont le mérite était assez incontestable à ses yeux pour que cette faveur pût leur être très-légitimement accordée. Mais nous ne disposons, on le sait, que de trois médailles.

C'est du moins sans hésitation que nous avons décerné la première de nos mentions honorables à M. Aimé Chérest pour son Histoire de Vézelay, ouvrage considérable, plein de recherches et conduit d'un bout à l'autre avec beaucoup de méthode.

Le nom de Vézelay se rattache par un grand souvenir à la rénovation de nos études historiques. C'est là qu'Augustin Thierry trouva l'un des premiers éléments de ses belles recherches sur l'émancipation des communes. Thierry, du reste, n'avait à prendre, de Î'histoire de Vézelay, que ce qui se rapportait à son sujet. A propos d'une localité, c'était de l'histoire générale qu'il entendait faire. Telle n'est point la prétention de M. Chérest. Son cadre, à lui, est plus restreint; mais il avait à le remplir complétement. Il s'agit ici, avant tout, de l'histoire de la célèbre abbaye de la Madeleine, que l'auteur nous montre, pendant plusieurs siècles, en lutte, non pas seulement contre la population locale (ce qui eût été son moindre souci), mais aussi contre le pouvoir féodal des comtes de Nevers, contre l'autorité diocésaine elle-même, et surtout contre la supré

matie toujours contestée dont les clunisiens se prévalaient en vertu d'un bref de Pascal II; étrange conflit de prétentions opposées, d'ambitions rivales toujours prêtes à s'appuyer sur la population laïque, à rechercher son alliance, quitte à la trahir le lendemain et à l'abandonner, lorsqu'on n'en avait plus besoin, aux vengeances et aux rancunes féodales ou cléricales.

M. Chérest a résumé avec beaucoup d'impartialité et de clarté l'histoire de ces interminables luttes presque toujours engendrées par les tentatives d'usurpation d'un pouvoir sur l'autre. Il s'appuie sur des autorités, sinon très-variées, au moins très-dignes de confiance, particulièrement sur une chronique manuscrite jusqu'ici trèsincomplétement mise à profit, et dont il publie, à titre de pièces justificatives, plusieurs fragments inédits d'un très-grand intérêt. Cette chronique, aujourd'hui conservée à la bibliothèque d'Auxerre, est due à Hugues de Poitiers, moine de Vézelay. Comme telle, les indications qu'on en peut tirer, sur les faits contemporains, sont assurément d'un grand prix. Cependant M. Chérest nous paraît dépasser un peu la mesure, lorsqu'il va jusqu'à lui emprunter la reproduction textuelle des longues harangues que le chroniqueur, selon la mode du temps, met dans la bouche de ses principaux personnages. Peutêtre, sous ce rapport et quelques autres, y aurait-il un peu à élaguer dans les récits.

Enfin, pourquoi ne le dirions-nous pas ? l'Histoire de Vézelay, pour nous satisfaire complétement, aurait dû contenir au moins quelques chapitres consacrés à l'étude monumentale de la magnifique église, seul vestige encore existant de l'ancienne abbaye. Cette étude, si bien ébauchée par un de nos savants confrères, se rattachait étroitement au programme du concours. M. Chérest, en la complétant par de nouvelles recherches, se serait donc acquis des titres encore plus grands aux encouragements de l'Académie.

L'extrême diversité des sujets traités par les concurrents rend difficile de classer bien rigoureusement leurs travaux par ordre de mérite comparatif. Cependant une certaine similitude entre la donnée des deux ouvrages et plusieurs qualités communes à leurs auteurs nous ont fait rapprocher du travail de M. Chérest les Etudes historiques sur la ville de Bayonne, par M. Balasque, à qui nous avons décerné la seconde de nos mentions honorables.

Non moins consciencieux assurément que son compétiteur, M. Balasque a peut-être moins d'habitude des travaux d'érudition. Cette inexpérience relative se trahit surtout lorsque l'auteur, privé de documents authentiques pour guider sa marche, en est réduit à reconstituer par induction les origines et l'histoire première de la contrée dont il s'est fait l'historien. Cette partie de son travail en est évidemment le côté faible. M. Balasque nous paraît s'être égaré plus d'une fois dans les questions d'étymologie et de géographie ancienne: et nous lui reprocherons également de s'étre montré un peu trop aveuglément complaisant pour des prétentions fondées sur une tradition apocryphe, en cherchant à faire remonter jusqu'aux temps apostoliques la venue du premier évêque connu de Bayonne, saint Léon, que les historiens les plus accrédités se contentent avec raison, croyons-nous, de placer au IXe siècle.

Mais, à partir du moment où les monuments écrits lui viennent en aide, à partir de l'époque où s'offrent à lui les inépuisables ressources des Archives locales, le travail de M. Balasque, nous nous plaisons à ANNÉE 1869.

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