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encore, ces extraits des chefs-d'œuvre de la poésie brahmanique, toute pénétrée de religion et de philosophie, qui devaient être l'un des deux objets de son enseignement comme de ses publications futures, et non pas le plus neuf ni le plus important.

Ce fut encore un petit livre, cette fois gros d'avenir, évidemment inspiré de celui de Frédéric Schlegel pour le plan, pour l'idée même à bien des égards, mais conçu dans un esprit sévèrement scientifique, qui marqua du même coup le début de François Bopp devant le public et l'avénement de la vraie méthode en fait de philologie comparée. Windischmann se chargea de faire imprimer à Francfort, en 1816, et de présenter, dans une préface, à l'Allemagne qui l'ignorait, l'essai de celui qu'il regardait naïvement comme son disciple. C'était, pour donner le titre en français, le Système de conjugaison de la langue san crite, compuré à c lui des langues grecque, lutine, persane et germunique, avec des épisodes tirés du Ramajan et du Mahabharat traduits fidèlement en vers d'après le texte original, et quelques paragraph s des Védas. Ces traductions, calquées savamment sur le mètre sanserit, comme celles de Frédéric Schlegel et à son exemple, leur sont bien inférieures; la nature n'avait pas fait Bopp poëte en même temps que philologue, et il eut le bon esprit d'y renoncer plus tard. Mais, en revanche, la première partie du volume reste capitale, malgré ses lacunes. Bopp y posa nettement et il y résolut, en un point qu'on a justement appelé le point central de la science des langues, c'està-dire la théorie du verbe, le grand problème qu'il ne cessa de poursuivre et d'approfondir jusqu'a la fin de sa vie. C'était l'explication des formes grammaticales et de leur origine, par l'analyse et la comparaison des idiomes de l'Orient et de l'Occident qui constituent avec le sanscrit une même famille, celle que l'on désigne encore sous le nom trop étroit d'indo-germanique, que Bopp, comme Eugène Burnouf, nommait de préfére ce indo-européenne, et pour laquelle a prévalu ou prévaudra soit l'appellation plus précise de famille aryenne, qui est son nom de race, soit celle d'indo celtique, que nous avons proposée autrefois, et qui marquerait les termes extrêmes de son développement géographique.

Dès longtemps l'affinité générale du sanscrit avec les principales langues de l'Occident, soit ancien, soit moderne, avait été reconnue et constatée. Vingt ans avant la fondation de la Société anglaise de Calcutta, en 4784, et les discours de son illustre président, William Jones, qui mettaient en lumière cette affinité, le P. Ceurdoux, un de nos missionnaires dans l'lude, comme le P. Pons, avait adressé à l'Académie des inscriptions, par l'intermédiaire de l'abbé Barthélemy, des lettres, un mémoire même sur ce sujet. Mais, ainsi que l'a rappelé l'éminent disciple de Bopp, ancien élève de notre Ecole normale, qui professe aujourd'hui, au Collège de France, la grammaire comparée, Fréret n'était plus, avec sa curiosité universelle; les rares philologues de l'Académie aimaient ailleurs, et il ne fut pas donné suite a cette importante communication, tardivement insérée dans notre recueil, en 1808.

Cependant la parenté, de plus en plus probable, des langues dont il s'agil n'é ait pas démontrée elle le fut, quand la diversité apparente de leurs formes, dans l'unité originelle de leur vocabulaire, eut été ramenée à des lois certaines; quand l'explication des flexions et des désinences des mots eut été trouvée. Dès lors l'histoire des peuples, leur filiation furent éclairées d'une lumière nouvelle, la plus sûre de

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toutes, celle de leurs idiomes, et l'histoire même de la formation des langues fut révélée, dans la famille arvenne directement, indirectement dans les autres. Il ne fut plus vrai, comme l'avait avancé Fr. Schlegel, que, pour la langue sanscrite, considérée comme la mère des idiomes congénères, le vocabulaire et la grammaire eussent été en quelque sorte coulés d'un seul jet, résultat d'une intuition supérieure, aux temps primitifs du monde. L'analyse savante que fit Bopp de la conjugaison, dans cet ordre de langues dont le sanscrit n'est que la plus parfaite, qui toutes ont découlé d'une source commune, comme déjà l'avait soupçonné William Jones, montra que les terminaisons des verbes furent d'abord des mo's distincts, soit pronoms personnels, soit même verbes auxiliaires, ajoutés à la racine principale, puis combinés et fondus avec elle pour exprimer les rapports divers de la pensée dans le discours. Un pas de plus, et il allait être établi que les langues à flexions ne différaient pas essentiellement, dans l'origine, de colles où les rapports grammaticux sont déterminés par des mots affixes et qu'on nomme aujourd'hui langues agglutinantes Ce pas, déliuitivement franchi par l'étude et le rapprochement d'autres types de langues plus élémentaires ou plus compliqués, soulevait la question générale de la classification de ces langues diverses, de leurs relations entre elles, de leur formation première, et ramenait bon gré mal gié le redoutable problème de l'origine du langage.

Bopp n'en était pas là; il se contenta d'avoir prouvé, dans son premier essai, la sûreté de sa nouvelle méthode grammaticale, d'en avoir fait en revoir la puissance par l'évidence des résultats de ces combinaisons, et par une foule d'observations aussi justes qu'ingénieuses. Il sentait, d'ailleurs, le besoin, avant d'aller plus loin, d'affermir la base de ses recherches en se perfectionnant dans la connaissance de la langue sanscrite, en liant des relations directes avec les hommes qui l'avaient le mieux possédée jusque-là et puisée à la source même; enfin, en s'entourant de tous les matériaux, de tous les secours nécessaires à la continuation de ses travaux. Pour cela, il fallait. de Paris, se transporter à Londres, se mettre à portée des riches collections de la compagnie des Indes, entrer en commerce avec Wilkins, le père des études sanscrites en Europe, avec Colebrooke, le plus grand philologue indianiste depuis la mort de William Jones. La lecture qui fut faite à l'excellent roi de Bavière, Maximilien, par le secourable Windischmanu, d'un des fragments épiques, traduits en vers par Bopp, détermina sa mission à Londres avec un traitement honorable,

en 1817

Ce fut là qu'il trouva, chargé d'affaires de Prusse, un des esprits les plus éminents de 1 Allemagne, ami de Schiller et de Goethe, littérateur profoud, sans être populaire, politique dévoué a son pays, mais ne relevant que de sa conscience, qui joua, pour nous, un trop grand rôle, mais un rôle patriotique dans des temps désastreux, et q'un goût dominant avait entraîné de bonne heure vers l'étude des langues, considérée surtout dans leurs rapports avec les races et le génie divers des peuples. Guillaume de Humboldt, frère aîné d'Alexandre, qui s'inclinait sans fausse modestie devant sa hante intelligence, devait être le protecteur naturel de Bopp, et il le fut avec un zè e fondé sur une estime égale pour son talent philologique. Ce talent, il le mit à l'épreuve en lui demandant des leçons de sanscrit, qui fructifierent comme on peut le voir dins plusieurs de ses mémoires lus devant l'Académie de Berlin. Ainsi fut-il donné à Bopp

d'initier à cette étude encore nouvelle, dans un intervalle de quelques années, deux grands esprits d'une trempe fort différente, qui contribuèrent puissamment l'un et l'autre, chacun dans sa voie, à la répandre en Allemagne, Guillaume de Schlegel et Guillaume de Humboldt.

Le premier, dans un de ces articles de critique où il recommandait, comme dans ses leçons, l'application des méthodes éprouvées de la philologie classique à l'enseignement du sanscrit, appelait de ses vœux trois œuvres, selon lui également nécessaires au succès de cet enseignement une chrestomathie ou un choix de textes fait avec goût, une grammaire simplifiée, enfin un glossaire alphabétique d'une étendue raisonnable. Bopp eut l'honneur de satisfaire successivement à ces trois besoins, sans perdre un instant de vue l'objet principal de ses travaux, la science à laquelle il avait dévoué sa vie. C'est ce qui perce déjà dans les notes et dans la préface de la chrestomathie, dont il donna le premier morceau en publiant à Londres, dès 1819, en français et en latin, le Nalus, le plus beau peut-être des innombrables épisodes semés à travers cette forêt vierge de la poésie indienne, selon le mot spirituel de M. Benfey, c'est-à-dire le Mâha-. bharata, que Bopp avait explorée à Paris. Ce fut encore près de vingt ans plus tard, par la traduction en vers allemands, dans la mesure de l'original, de cette touchante histoire de Nala et Damayanti, tant de fois reproduite, qu'il termina, en 1838, la série de ses essais plus ou moins heureux en ce genre. Dans l'intervalle, après l'édition maîtresse du texte de la Bhagavat-gita, cet autre épisode, d'un caractère si différent, si poétiquement sublime, du même poëme, publié par G. de Schlegel avec une traduction en prose latine qui en est presque digne, et que suivit de près un examen littéraire et philosophique par G. de Humboldt, qui ne l'est pas moins, Bopp avait donné coup sur coup plusieurs autres morceaux de l'immense épopée religieuse, légendaire et métaphysique, mais cette fois pour son propre enseignement, En effet, de retour en Allemagne, où il était déjà bien connu, dans le cours de l'année 1820, il passa l'hiver suivant à Göttingue où il vit 0. Müller, ce grand helléniste, qui commençait lui-même à se produire. De là il se rendit à Berlin, où il retrouva G. de Humboldt, devenu ministre de l'instruction publique. Ce fidèle protecteur n'eut qu'une pensée ce fut de conquérir pour la Prusse et pour l'université déjà florissante de sa capitale celui qu'il regardait comme le premier indianiste de l'Allemagne. Mais Bopp se crut lié avec la Bavière par la pension qu'il recevait de l'université de Munich. Il offrit, pour se dégager, quoiqu'il fût loin d'être riche, de restituer cette pension. L'Académie, en déclinant cette offre, lui fit une réponse aussi honorable pour elle que pour lui : « Un savant tel que võus, lui fut-il écrit en son nom, appartient à tous les pays. »

Il devint donc professeur à l'Université de Berlin, en 4822, avec la mission d'y enseigner le sanscrit, comme il l'entendait, c'est-à-dire en y joignant la grammaire comparée. Déjà, en 4820, lorsqu'il résidait encore à Londres, il avait fait paraître en anglais, dans les Annales de littérature orientale, un travail où il dépassait, en l'élargissant, le sujet de son premier traité, et où il préludait manifestement à son grand ouvrage. Elu bientôt membre de l'académie de Berlin, il lut successivement devant elle, de 1823 à 4831, cinq mémoires qui en furent des préparations. Il faut en dire autant d'un sixième et d'un septième, réunis plus tard avec les autres, et qu'il avait communiqués

à l'académie en 1833, l'année même où commençait la publication de la Grammaire comparée.

Tandis qu'il méditait ce livre, fondement de la science et de sa renommée, il n'oubliait ni l'intérêt des étudiants, avides de ses leçons, ni deux des trois vœux formés pour l'enseignement du sanscrit par G. de Schlegel, auxquels il n'avait point encore satisfait. De 1824 à 4827, il publia par livraisons, en allemand, sa Grammaire développée de la langue sanscrite, d'après celles de Wilkins, de Forster, en partie de Colebrooke, elles-mêmes fondées, mais trop servilement, sur les ouvrages des anciens grammairiens de l'Inde. Dans ce premier essai d'exposition élémentaire d'une langue si difficile, il se montra dès l'abord supérieur aux Anglais pour la méthode, pour la clarté et la simplicité. S'affranchissant avec hardiesse de toute autorité consacrée, et dominant son sujet du haut des principes qu'il avait tant contribué à établir, il expliqua l'idiome sanscrit d'après les lois propres de son développement, et, quoiqu'on lui ait reproché d'avoir trop négligé les grammairiens indiens et l'histoire de la langue dans ses transformations à travers les âges, depuis les Védas, on peut répondre avec le savant auteur de la Grammaire sanscrite complète, d'après celles mêmes des Brahmanes, que là n'était pas et ne devait pas être l'objet de Bopp s'adressant à des Européens, pour lesquels il sera toujours, comme s'exprime M. Benfey, le grammairien généralisateur par excellence, en même temps que le plus grand comparateur. Tel fut, du reste, le succès de son ouvrage, qui répondait à un besoin senti dans toute l'Europe, qu'à peine terminé il dut être reproduit en latin par l'auteur, de 1828 à 1832. En 1834, il publia en allemand sa Grammaire critique abrégée, vrai chef-d'œuvre en son genre, dont les éditions se succédèrent rapidement.

Comme complément indispensable de ses grammaires, il.fit paraître, en 1830, un court Glossaire sanscrit-latin, destiné aux commençants, qu'il développa dans une seconde édition, de 1840 à 1847, et qu'il marqua en quelque sorte de son cachet, en y faisant une large place à la comparaison des langues, depuis le grec jusqu'au celtique. Une troisième édition, accompagnée d'un index alphabétique et comparatif, fut publiée de 1866 à 1867, l'année même de sa mort.

On voit à quel point la sphère des comparaisons de Bopp s'était élargie, combien les résultats en étaient acceptés, puisqu'ils passaient ainsi dans des livres élémentaires tant de fois reproduits. C'est que l'auteur de ces livres, dont le nom devenait de plus en plus célèbre en Allemagne et dans toute l'Europe, avait, depuis son premier ouvrage, étendu ses rapprochements à des langues que le vrai précurseur de ces grandes études, Fr. Schlegel, soupçonnait déjà d'une parenté au moins éloignée avec les idiomes indo-germaniques.

Bopp fit d'abord entrer dans son cadre, en la substituant au persan moderne, d'après des travaux que les siens avaient provoqués en partie, la langue de l'Avesta, c'est-à-dire des livres sacrés attribués à Zoroastre, langue qu'au lieu de zend on est fondé à nommer aujourd'hui l'ancien bactrien. Rask, Olshausen et surtout notre illustre Eugène Burnouf l'avaient ressuscitée par la connaissance du sanscrit et l'application des principes de la grammaire comparée. Bopp en rapprocha l'ancien perse, le perse des inscriptions cunéiformes des rois achéménides, que Burnouf et le savant indianiste Lassen étaient parvenus à déchiffrer, chacun de son côté. Il fit aussi une place, et une place importante, aux langues slaves, avant tout au lithuanien, au lettique,

à l'ancien prussien, qui ont conservé, mieux que d'autres membres de la famille, des formes d'une époque singulièrement reculée. Le gothique prit son rang à la tête des dialectes teutoniques, dont Jacob Grimin avait fondé à la fois la grammaire et l'histoire avec une grandeur de vues et une finesse d'analyse qui n'ont de comparable que les travaux mêmes de Bopp. D'un autre côté, I arménien vint s'intercaler entre le zend et le grec, comme tenant de près au premier; le grec lui-même et ses dialectes, le vieux latin et les idiomes italiques, furent sévèrement comparés entre eux et avec les autres langues. Bopp, dans le premier des nouveaux mémoires lus par lui à l'Académie de Berlin, de 4838 à 4851, ayant réussi à résoudre, par sa mer veilleuse sagacité, nombre de difficultés grammaticales des idiomes celtiques qui l'avaient d'abord arrêté, n'hésita plus à les admettre dans la famille indo-européenne. Zeuss, et daprès lui Schleicher, tous deux ravis trop tôt à la science, out, depuis, pleinement confirmé son opinion à cet égard. D'autres tentatives du même genre lui furent moins heureuses peut-être, pour quelques-uns des dialectes caucasiques, sinon pour l'albanais. Il osa même, sur les pas de Guillaume de Humboldt, dont les belles recherches sur la langue sacrée de l'île de Java l'avaient frappé, s'aventurer dans le domaine des idiomes de l'archipel malayo-polynésien, et y risquer des conjectures qui ne sont pas toutes demeurées stériles.

Depuis longtemps déjà et dans une voie plus sûre, celle de l'étude méthodique et complète du développement intérieur des langues. vraiment aryennes, Bopp avait donué à ses travaux une direction nouvelle et féconde. Par l'analyse des formes grammaticales successivement appliquée, depuis son écrit sur la conjugaison, à la déclinaison des noms, des pronoms et à toutes les parties du discours; par l'explication des flexions des mots, dont il avait, en quelque sorte, fait sou propre domaine, il fut conduit à examiner de plus près les molifications des sons, voyelles et consonnes, étude qui, grâce à lui et surtout à Grimin, constitue aujourd'hui cette partie importante de la science qu'on nomme la phonétique. Il assigna le rôle capital de ces modifications dans la formation même des mots et dans la méta morphose des idiomes, par la permutation des consonnes d'ordre différent et par les variations bien plus délicates des voyelles; mais il ne voulut point ici reconnaître, avec Grimm, un nouveau mystère du langage, comme celui qu'avait cru trouver Fr. Schlegel dans les flexions. Ainsi que pour celles-ci, il chercha l'origine des phénomènes vocaux qu'exprime le nom d'apophonie, par lequel M. Bréal traduit avec bonheur l'Ablaut allemand, dans la comparaison attentive des langues analogues, et il en détermiua les lois par le seul rapprochement des faits, celles entre autres qu'il a ingénieusement appelées « les lois de gravité des voyelles » Ce fut le sujet d'articles critiques d'un grand retentissement, réunis, en 4836, dans un volume intitulé: le Vocalisme, et dont les résultats passèrent dans la Grammaire comparée. Il en fut de même plus tard, non pas toutefois avec le même succès, d'un dernier traité qui se rattachait également à la phonétique, le Système comparatif d'eccentuation, publié en 1854, à propos d'un Mémoire de M Böhtlingk sur l'accent en sanscrit. Bopp fit ressortir avec son talent ordinaire certains rappor's frappants de l'intonation dans la déclinaison et la conjugaison sanscrites et grecques; mais ses vues générales sur le principe de l'accentuation indienne et les

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