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nent tous le prêt à intérêt; mais il s'étudient plutôt à restreindre qu'à étendre la portée de cette réprobation; beaucoup l'interprètent dans le sens de l'indulgence plus volontiers que celui de la rigueur. C'est à ce point de vue que nous paraît notamment s'être placé le chancelier Gerson dans son traité des Contrats. On peut, sans doute, extraire de cet ouvrage plus d'un passage sévère contre l'usure; mais, chez le pieux chancelier, la raison politique se trouvait-elle pleinement d'accord avec certaines décisions du théologien ? Il est au moins permis d'en douter. Quelles que fussent la tournure mystique de son esprit et ses aspirations vers la vie cachée en Dieu, Gerson avait longtemps vécu au milieu du monde; il s'était trouvé mêlé à ses agitations, et dans ce contact prolongé avec les réalités de l'existence, il avait appris que la loi civile ne doit pas être aussi inflexible que la loi religieuse, et qu'elle ne renverse pas ni ne blesse pas celle-ci en s'accommodant aux besoins sociaux. De là cette page remarquable dans laquelle, sans absoudre le prêt à intérêt, Gerson absout le législateur humain qui l'autorise.

« Il ne faut pas, dit-il (1), reprocher à la loi civile d'être contraire à la loi divine ou à la loi ecclésiastique, lorsqu'elle tolère certaines usures. Le législateur civil a surtout en vue la conservation de l'Etat et le maintien de la paix entre les citoyens; il cherche à prévenir les vols, les rapines, les meurtres et les autres crimes qui troublent la société. Et, comme il arrive souvent que les excès de la méchanceté ne peuvent pas être entièrement réprimés, le législateur agit à la manière d'un médecin prudent; il tolère de moindres maux pour en éviter de pires. Or, de légères usures, moyennant lesquelles il est pourvu à des nécessités urgentes, sont un moindre mal que le défaut de ressources qui entraîne des malheureux soit à voler et à piller, soit à se défaire de leurs biens mobiliers et immobiliers à vil prix, avec une perte bien autre que le payement d'un intérêt modique. On échapperait par cet expédient à l'incroyable oppression que les usuriers font peser sur les chrétiens et qui leur crée à eux-mêmes d'opulents loisirs. Il est constant qu'une parcille tolérance est conforme au jugement de la raison naturelle; j'oserais même dire, n'était le péché commis par celui qui en profite, qu'elle n'est pas contraire à la loi divine. Et, comme les biens temporels, et surtout ceux des laïques, ne relèvent pas immédiatement du pape, il est constant aussi que le pape ne doit pas casser les lois utiles qui sont faites pour la conservation de ces biens, encore que l'usure implique un péché qui ferme à son auteur les portes de la vie éternelle. »>

Ce qui contribuait assurément à discréditer le rigorisme aux yeux de l'Ecole, c'était son impuissance de jour en jour plus manifeste. A quoi bon lancer des anathèmes contre le prêt à intérêt, si ces anathèmes n'étaient pas' respectés? Déjà, au treizième siècle, un glossateur de Guillaume Duranti avançait qu'on ne rougissait plus du péché d'usure, si grand était le nombre de ceux qui le commettaient. Que fut-ce donc au quatorzième siècle, lorsque certains gouvernements italiens ouvrirent des emprunts publics avec stipulation d'intérêts, lorsqu'ils créèrent des institutions, comme le Mont de Florence et comme la célèbre banque de Saint-Georges à Gênes, qui attiraient les capitaux par de séduisantes promesses, et

(4) De Contractibus, P. II, pr. 17. Opp., Antwerpiæ, 4706, t. III. col. 183.

qui les appliquaient aux besoins de l'Etat, non sans profit pour les préteurs (1)? Là, en vue de l'utilité commune, dans une pensée en quelque sorte nationale, l'usure était pratiquée en grand, nou point avec l'assentiment tacite, mais sous les auspices et avec le concours du pouvoir civil. Comment de tels exemples n'auraient-ils pas rendu inutiles les recommandations des casuistes?

Mais tout s'enchaîne ici-bas dans la sphère des choses de l'esprit comme dans l'ordre matériel. En même temps que la nécessité Sociale du prêt à intérêt commençait à être mieux appréciée, les conditions de l'échange et de la vente étaient aussi mieux comprises. Dans leur défiante sévérité à l'égard du négoce, les docteurs du treizième siècle s'étaient efforcés de maintenir un exact rapport entre le prix de vente et la, valeur des choses vénales. Mais comment apprécier celle valeur? Est-eile absolue et immuable? Ou bien est-elle relative et varie-t-elle? Et, dans ce dernier cas, quelle est la règle qui sert à la fixer? La question valait assurément la peine d'être examinée; car l'économie politique en offre peu qui soient plus intéressantes. Or voici la réponse, entrevue par Aristote et commentée dès le treizième siècle, qui, par un notable progrès dans les idées, tend à prévaloir au siècle suivant: c'est que les choses n'ont point par elles-mêmes de valeur; que leur valeur est proportionnée au besoin qu'on en a, et que, par conséquent, elle trouve sa mesure dans ce besoin même. Ici encore nous ne pouvons mieux faire que de laisser parler Jean Buridan.

Les besoins de l'homme, dit-il (?), sont la mesure naturelle de la valeur des choses échangeables; ce qui se démontre de la manière suivante. La bonté où la valeur d'une chose s'apprécie d'après la fin pour laquelle cette chose existe aussi n'y a-t-il rien de bon, suivant Averroès, que par rapport aux causes finales. Mais la fin à laquelle les choses échangeables sont naturellement destinées, c'est de pourvoir aux besoins de l'homme. Par exemple, si j'ai besoin de blé, dout vous possédez une grande quantité, et si vous avez vous-même besoin de vin, que j'ai en abondance, je vous donne du vin pour du blé, et nous nous trouvons ainsi pourvus tous deux de ce qui nous manque. Il suit de là que la vraie mesure des choses échangeables, c'est la part qu'elles ont dans la satisfaction de nos besoins, et qui se trouve à son tour mesurée par ces besoins mêmes. Cette part, en effet, a d'autant plus de valeur que nos besoins sont plus grands; de même que plus est grande la capacité d'un tonneau vide, plus il faut de vin pour le remplir. C'est ainsi que, dans les années où le vin manque, il est d'un prix plus élevé, parce qu'on en éprouve plus généralement le besoin. C'est ainsi encore que, le vin coûte plus cher daus les pays qui n'en produisent pas, que dans les pays de vignobles; en effet, dans les premiers, le besoin qu'on a de vin est ressenti plus vivement que dans les seconds. Ajoutons que dans l'échange le prix des objets à échanger ne se règle pas d'après leur valeur naturelie; car, dans ce cas, une mouche vaudrait plus que tout l'or du monde. La valeur des choses s'apprécie d'après l'usage que nous en faisons, c'està-dire d'après les services qu'elles nous rendent, en nous procurant ce qui nous manque. »

(1) Voyez l'Histoire de la législation italienne, par M. le comte Frédéric Sclopis, Paris, in-8°, t. I, p. 489, et t. II, p. 214 et ss. (2) Quæstiones super libros Ethicorum, lib. V, q. 16.

Après avoir expliqué en ces termes, aussi clairement, ce semble, que pourraient le faire les écrivains de nos jours, le fondement de la valeur que les hommes attachent aux choses, Buridan se pose deux objections la première, c'est que le pauvre, à ce comple-là, devrait payer le blé plus cher que le riche; la seconde, c'est que beaucoup de choses sont très-coûteuses, qui cependant sont médiocrement nécessa res, et que les riches se procurent, non pour leurs besoius véritab.es, mais par superfluité et pour des plaisirs luxueux.

Buridan examine tour à tour ces deux objections. Il établit d'abord que le besoin qui sert de mesure à la valeur des choses échangeables n'est pas le besoin particulier de tel ou tel individu; ce sont les besoins ordinaires de la généralité de ceux, pauvres ou riches, entre lesquels l'échange est susceptible de s'opérer. Il analyse ensuite, non sans subtilité, la position différente du riche et du pauvre. Le premiera des espèces monnayées en grande quantité; le second, s'il n'en possè le pas, a un fonds qui manque au riche, c'est le travail. Lorsqu'il s'agira de se procurer du blé, chacun sera disposé à donner ce qu'il a en abondance, le riche son argent, le pauvre son travail; mais le pauvre ne consentira à payer que le rix le plus bas; car il est dépourvu d'or autant que de froment. Ainsi, par la force des choses. L'équilibre se rétablira pour le bé entre les prix d'achat payés par le riche et par le pauvre. Quant a ces objets dispendieux et superflus dont le prix est hors de proportion avec leur utilité, Buridan fart ob-erver qu`il y a deux sortes de pauvreté et de richesse; d'où résultent deux natures de besoins et, par conséq ent de v. leurs. En un sens, la pauvreté consiste à être privé des biens de la fortune, et, en un autre sens, à manquer non pas des choses qui sout absolument nécessaires, mais de celles qu'on désire, b'en qu'elles soient superflues. Ce dernier genre de pauvreté se remarque chez les geus qui, en dépit des leçons de la philosophie, ne savent pas se contenter de ce qu'ils possè fent. Les besoins qu'ils éprouvent sont fartices; mais ils sont dispendieux, et ils contribuent, comme les besoins naturels, à régler la valeur des choses. De là vient que tant de superfluités sont si coûteuses.

Assurément, ce sont là des vérités très-simples, très-élémentaires; et toutefois, au quatorzième siècle, n'y avait il pas quelque mé ite à les dégager, pour la première fois peut-être, aussi nettement que l'a fait ce maître ignoré aujourd'hui, mais alors célèbre et populaire, de l'Université de Par ́s?

Nous recueillerons avec soin dans les ouvrages des écrivains antérieurs à la Renaissance toutes les traces qui rappellent la première apparition de l'économie politique dans la controverse des écoles. C'est le motif qui nous engage à relever dans le traité du chancelier Gerson sur les contrats une page très-curieuse en faveur de l'établissement d'un prix officiel et légal pour toutes les marchandises généralement Il y a cu, à toutes les époques, un certain nombre de denrées qui ont été taxées. Ainsi, au treizième siècle, dans l'Université de Paris, on taxait le loyer des habitations destinées aux étudiants; on taxait aussi le louage des livres de théologie, de jurisprudence et de philosophie à leur usage (1). Au siècle suivant, en 1350, le roi

(1) Nous avons publié deux taxes de ce genre dans notre Index chronologicus chartarum ad historiam Universitatis Parisiensis pertinentium, Parisiis, 1862, in-fol., p. 54 el 74.

Jean Ier rendit une ordonnance qui réglait non-seulement le prix de beaucoup de denrées de consommation, mais le taux des salaires dans la plupart des corps d'état (1). Par amour de la paix, afin de prévenir entre les vendeurs et les acheteurs ces discussions qui dégénèrent fréquemment en rixes, Gerson proposait de taxer toute espèce de marchandises sans exception.

«Il serait possible, dit-il, de régler par une loi équitable les prix des marchandises de toutes sortes, meubles, immeubles, cens, etc. Au-delà de ce prix, il ne serait pas permis au vendeur de rien exiger, ni à l'acheteur de rien offrir de lui-même. Dans le contrat de vente. le prix convenu est en quelque sorte l'équivalent de l'objet cédé; mais, comme les passions contraires et dépravées des hommes rendent difficile la fixation de cet équivalent, il est bon qu'il soit déterminé par un sage. Or, dans un Etat, nul ne doit être censé plus sage que le législateur. C'est donc surtout au législateur qu'il appartient de régler autant que possible, pour chaque chose, le juste prix qui ne doit pas être dépassé par des particuliers, en dépit de leurs caprices qu'il faut enchaîner et réprimer dans la mesure où l'exige le bien de l'Etat. Plût à Dieu que le prix de toutes les denrées fût réglé comme l'a été le prix du pain et celui du vin! Combien on éviterait par là d'altercations non-seulement inutiles, mais impies, qui s'élèvent chaque jour entre les vendeurs et les acheteurs! De tels débals seraient impossibles dès que l'on pourrait dire, sans beaucoup de paroles et en termes absolus: Cette aune de drap vaut tant; cette mesure de blé, tant; cette pièce de vin, tant; ce fromage, tant. Paycrait le prix qui voudrait; celui qui le trouverait trop élevé s'éloignerait sans tenir de mauvais propos. La mesure est d'une application difficile, j'en tombe d'accord; mais combien elle aurait d'effets salutaires! Elle serait une source de paix pour les hommes de bonne volonté, et de gloire pour Dieu (2). »

Nous ne chercherons pas dans cette page, empreinte des sentimen's pacifiques de l'auteur, la preuve du savoir ou du génie économique de Gerson. Elle donne en effet aux législateurs un fort mauvais conseil, qui n'a jamais profité aux Etats assez mal inspirés pour le suivre. Mais, quelque erronées que puissent être les vues du pieux chancelier en matière de commerce, nous les signalerons comme un nouvel indice des préoccupations qui, sur la fin du moyen âge, avaient pénétré dans les écoles, tandis que, durant la période qui s'étend de la mort de Charlemagne à la fin des Croisades, on n'en trouvait la trace nulle part. La science de l'économie politique n'est pas alors constituée : le sera-t-elle même avant le dix-huitième siècle? Saura-t-elle discerner, avant Smith, en dépit de quelques essais originaux, son objet propre et sa méthode vraie? Mais il est arrivé plus d'une fois que certaines questions, qui devaient entrer un jour dans le domaine d'une science, fussent agitées avec ardeur, alors qu'on ne s'était pas rendu compte du but que cette science poursuivait, ni de la voie qu'elle devait suivre pour l'atteindre. Telle nous paraît avoir été dans la seconde moitié du moyen âge la situation de l'économie politique. Elle n'est pas même soupçonnée dans les écoles chrétiennes

(4) Ordonn., t. II, p. 530 et s.; Levasseur, Histoire des classes ouvrières depuis la conquête de César jusqu'à la révolution, t. I, p. 393. (2) De Contractibus. prop. 19, col. 175.

aussi longtemps que la Bible, quelques ouvrages des Pères de l'Eglise et les premières parties de l'Organon d'Aristote sont les seuls livres qu'on y explique. Mais, dès qu'une version latine de la Morale et de la Politique a commencé à circuler, de nouveaux points de vue se découvrent aux esprits; de nouvelles questions sont posées; le prêt à intérêt, l'échange et quelques parties essentielles de la théorie de la monnaie servent de thème à des controverses plus ou moins sérieuses. Aristote a donné le signal; il a fourni les premiers éléments de ces discussions; le progrès du commerce et les vicissitudes de la politique les ont favorisées en appelant l'attention des esprits sur des problèmes sociaux qui jusque-là n'avaient pas eu la même opportunité ni le même attrait. Ainsi s'est formé peu à peu un courant d'idées économiques, encore bien faible, sans doute, mais qui était destiné à grossir de siècle en siècle, et à devenir, par les efforts persévérants de plusieurs générations, une des branches les plus considérables du savoir humain. Peut-être n'était-il pas inutile de remonter à la source première de ce courant et de décrire sa marche obscure et pénible durant les années qui ont suivi son apparition. C'est la tâche assez laborieuse que nous nous étions proposée dans les pages qui précèdent; puissions-nous ne pas l'avoir remplie d'une manière trop incomplète ni trop aride!

Séance du vendredi 26.

PRÉSIDENCE DE M. REGNIER.

Le procès-verbal de la séance précédente est lu et la rédaction en est adoptée.

Le SECRÉTAIRE donne lecture d'une lettre de M. le Ministre de l'Instruction publique, qui invite l'Académie à s'occuper dans une de ses plus prochaines séances de la désignation de deux candidats pour la chaire de poésie latine devenne vacante au Collège de France par la mort de M. Sainte-Beuve.

Une seconde lettre de M. le Ministre de l'Instruction publique accuse réception de deux mémoires de M. Paul Vidal-Lablache et de M. Ch. Bigot, qui lui ont été renvoyés par l'Académie avec un exemplaire du rapport de la commission de l'école d'Athènes sur ces travaux.

M. Loiseleur achève la lecture de son Mémoire sur la doctrine secrète des Templiers.

A propos des corporations de francs-maçons, dont M. Loi

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