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l'ange qui m'accompagnait ne paraissait pas avoir un odorat moins bien exercé pour reconnaître les hérétiques vivants. Car, saisissant tout à coup la différence qui existait entre ces chrétiens modernes et les anciens chrétiens si inviolablement attachés à leurs règles, auxquels il était habitué, il me pria tout bas à l'oreille de lui expliquer en peu de mots l'espèce particulière d'hérésie à laquelle ils appartenaient. La tâche était embarrassante; il eût été aussi raisonnable de me demander quelle est la forme et la couleur particulière des atomes qui se meuvent dans un rayon du soleil. Cependant, pour ne point paraître me refuser à lui accorder l'objet de sa demande, j'inventai sur-le-champ un nom générique propre à désigner toute l'assemblée, et je lui dis que le peuple dont nous étions environnés était des suistes (1), ainsi appelés parce qu'en fait de religion ils suivent chacun ses propres idées, et n'ont d'autre soin, en formant leur symbole particulier, que de faire en sorte qu'il ressemble le moins possible à celui de leurs voisins.

Malheureusement pour la définition que je viens de donner, il arriva que le discours du révérend recteur roulait par hasard sur l'unique point sur lequel ses auditeurs se trouvaient entièrement unanimes, savoir, le mépris et la haine qu'ils professent pour l'ancienne Eglise catholique, pour ses doctrines, ses cérémonies, ses traditions et ses pasteurs. Vous peindre l'étonnement de l'ange à la vue de cet échantillon de christianisme que lui présentait Ballymudragget, serait une tâche au-dessus de mes forces. Lorsqu'il vit les saintes et solennelles paroles de Notre-Seigneur dans l'institution de l'eucharistie, « Hoc est « corpus meum,» sacrilégement travesties en «Hocus pocus (2) ; » lorsqu'il entendit le prédicateur affirmer gravement que vouloir soutenir la présence réelle de Jésus-Christ dans le sacrement, est une chose aussi absurde que de dire « qu'un œuf est un éléphant, ou une « balle à mousquet une pique (3), » je vis son front céleste se rembrunir tout à coup en prenant une expression de chagrin et de dédain; et il ne fut arraché aux sombres pensées où l'avaient plongé de pareils blasphèmes, qu'en entendant le prédicateur proclamer Luther comme l'apôtre du nouvel évangile qu'il leur expliquait (4). « Luther! murmura l'esprit Protais), quo nemo fuit in odorandis ac cernendis sub terra quantumvis alta reliquiis sagacior et acu<lior.)

(1) Ne pouvant trouver d'autre nom générique pour désigner en masse tous nos sectaires, que celui de suistes, c'est-à-dire qui ne veut suivre que ses propres rêves on sa propre imagination dans le choix et l'interprétation des Ecritures. › ( Docteur Carrier, Motifs de se convertir à la religion catholique, 1649.) (2) Tillotson lui-même, dans un de ses écrits, n'a pas craint de descendre à cet excès d'indélica

esse.

(3) Il pourrait paraître étrange qu'un homme écrivit un livre pour prouver qu'un œuf n'est pas ‹un éléphant, et qu'une balle à mousquet n'est pas une pique (Tillotson, sur la transsubstantiation ).;

(4) Le révérend prédicateur s'est montré cependant injuste envers Luther, qui, dans toute l'étendue

« céleste en lui-même; puis se tournant brusa quement vers moi, il s'écria: Luther ! qui « est-il ? »

Un peu surpris de voir que l'illustre auteur du protestantisme était si entièrement inconnu de mon céleste ami, je m'empressat de lui faire le récit du petit nombre de détails que je possédais alors sur la vie du grand réformateur, savoir: que c'était un religieux de l'ordre des Augustins qui, vers l'an 1520, entreprit de ramener la pureté primitive de Evangile; qu'un des premiers pas qu'il fit vers ce but fut de renoncer à son vœu de chasteté, et d'épouser une religieuse échappée de son cloître, dont les idées de réforme, à ce qu'il paraît, étaient conformes aux siennes; que, en avançant de plus en plus dans l'exécution de ce pieux dessein, il forma, comme il nous l'apprend lui-même, une liison très-intime avec le diable (1), d'après l'avis amical duquel il déclara que l'ancien sacrifice de la messe était une erreur nuisible, et l'abolit par conséquent (2); que.... Je continuais à exciter ainsi de plus en plus l'étonnement et l'horreur de mon compagnon, lorsque nous nous aperçûmes l'un et l'autre que le majestueux prédicateur avait terminé son discours, et la scène qui suivit mit fin à notre entretien.

Aussitôt après le sermon du révérend recteur, un choeur d'Amen, qui semblait proféré en opposition directe à la touchante symphonie que nous avions entendue quinze siècles auparavant, s'éleva du sein de la multitude qui nous entourait et qui se composait de toutes les sectes diverses de pro

de la foi à la présence réelle, à part le mode, était parfaitement orthodoxe.

(1) Voici le grave et imposant langage dans lequel Luther rend compte de sa controverse théologique avec le diable: Contigit me semel sub mediam noclem subito experge fieri. Ibi Satan mecum cœpit ejusmodi disputationem: Audi, inquit, Luthere, doctor prædocte. Nescis etiam te quindecim annis celebrasse missas privatas pene quotidie? Quid si tales missæ privatæ horrenda esset idololatria? Cui respondi: Sum unctus sacerdos... Hæc omnia feci ex mandato et obedientia majorum hæc nosti. Hoc, inquit, totum est verum; sed Turca el gentiles etiam faciunt omnia in suis templis ex obedientia. In his angustiis, in hoc agone contra diabolum volebam retundere hostem armis quibus assuetus sum sub papatu, etc. Verum Sutan e contra fortius et vehementius instans: Age, inquit, prome ubi scriptum est quod homo impius possit consecrare, etc. Hæc fere eral disputationis summa. (De uncl. et miss. priv.).

Chillingworth pense que l'intention de Satan, en argumentant contre la messe, était d'engager son antagoniste à continuer à la dire (Relig. des protest.).

(2) Voyez le récit qu'a fait Luther lui-même de la fameuse conférence qu'il croyait certainement avoir eue avec le diable, au sujet des messes privées, et le résultat qui s'ensuivit (c'est ce qui est raconté dans la note précédente). De abrog. miss. priv.- Si le réformateur ne nous eût pas fait lui-même le récit de cette étrange illusion, en décrivant dans les plus petits détails le ton de voix du diable, sa manière d'argumenter, etc., une pareille aberration d'esprit dans un homme qui se donnait comme envoyé pour réformer l'esprit humain, paraîtrait vraiment inconcevable. Il nous dit encore que ces sortes de scènes avee le diable lui étaient fréquentes. Multas noctes miki satis amarulentas et acerbus reddere ille novit.

testantisme. Cieux ! quel horrible fracas! Le fameux instrument (c'étaient des cochons) qu'on inventa pour l'amusement spécial de Louis XV, avec son échelle de grognements et de cris perçants, multipliés un million de fois (1), n'était point, en aucune manière, à mettre en comparaison avec la variété de sons discordants qui nous déchirèrent les oreilles pendant qu'on faisait retentir cet Amen général et prolongé. Le sombre et désespérant grognement du calviniste et le cri exclusif de l'anabaptiste particulier, aigre et perçant comme celui des oiseaux de mer dans la tempête, formaient le dessus et la basse de cette échelle discordante. A chaque instant aussi, quelque nouvelle subdivision de dissonance venait s'ajouter à la première masse de voix, jusqu'à ce qu'enfin le charivari devint si bruyant et si tumultueux que l'envie la plus forcenée de dormir ne pouvait y résister. En un clin d'œil, tout ce visionnaire assemblage disparut, et, à mon réveil, je me trouvai couché avec un des volumes de controverse du Rév. G. S. Faber, recteur de Long-Newton, pesamment appuyé sur ma poitrine. J'étais occupé à lire ce volume, lorsque le sommeil s'était emparé de moi, et son influence et la fatigue qui m'accablait sont plus que suffisantes pour expliquer le long et profond assoupissement dans lequel j'étais plongé, et l'espèce de cauchemar protestant au milieu duquel je m'éveillai.

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(1) C'était une sorte d'instrument qui avait un clavier comme un clavecin ou un orgue, inventé, dit-on, par un abbé pour l'amusement de Louis XV. Des cochons de différents âges et d'un ton de voix différent, depuis le plus jeune jusqu'au plus vieux, y étaient disposés de manière à y former le dessus et la basse de l'échelle musicale. Lorsque l'inventeur touchait le clavier, une pointe placée au bout de ch.que touche produisait les tons désirés, tandis qu'une muselière placée à dessein, venait saisir le groin de chaque cochon aussitôt qu'il avait fait entendre sa note. Le tout était convert et arrangé de manière à présenter l'apparence d'un instrument de musique,

l'abbé, dit-on, en joua en présence de la cour. (2) Le Tirrea Bede, ou cinquième Veda. Voyez pour cette amusante histoire, qui ressemble en pare fie au janvier et mai de Chaucer, la collection appelé le Bahardanush.

DEMONST. Evang. XIV.

voir que j'y avais perdu tant de temps, je pris le parti sur-le-champ même de renoncer pendant quelques semaines à toute penséc de conversion, et retombai aussi avant que jamais dans ce que l'abbé de la Mennais appelle indifférence sur ce sujet. Il arriva cependant alors même que quelques circonstances, qui avaient une liaison intime avec le secret domestique auquel j'ai si souvent fait allusion, mais que je dois laisser encore quelque temps caché sous le voile du mystère, vinrent m'arracher à la profonde apathie dans laquelle j'étais tombé, et me firent sentir que, quels que fussent mes scrupules ou mes convictions, il fallait de suite me dé cider pour le protestantisme, n'importe l'espèce particulière de secte.

On juge bien qu'il n'était plus question maintenant de penser à trouver chez les fidèles de la primitive Eglise d'autres croyances que les croyances actuelles du papisme. Je conservais cependant encore un penchant violent pour ces premiers âges; et sachant combien l'antiquité est propre à donner du crédit à l'erreur, je pensai que si, parmi les hérétiques mêmes de cette époque vénérable, je pouvais découvrir quelque légère trace de ce protestantisme primitif, à la recherche duquel je travaillais, ce ne serait plus, du moins, une hérésie qui ne compte encore que deux ou trois siècles de durée, mais il aurait alors une auréole d'antique hétérodoxie qui donnerait à ma conduite un certain air de dignité, si ma conscience devait enfin céder au penchant qui m'entraîne vers la religion réformée. Je n'avais pas beaucoup à craindre d'être désappointé dans ce modeste désir de mon ambition abattue, car voici comme je raisonnais : Si l'Eglise catholique, comme il ne l'a été que trop clairement démontré, a, dès ces premiers âges, professé les mêmes doctrines qu'elle professe présentement, ceux qui, à cette époque, faisaient schisme avec elle ou protestaient contre ses doctrines, doivent avoir été, sous ce rapport, des protestants; et quoiqu'il ne soit pas toujours d'une conséquence nécessaire et rigoureuse que deux choses qui diffèrent d'une troisième s'accordent l'une avec l'autre, il était toutefois tout naturel d'espérer que parmi les prétextes et les raisons sur lesquelles les anticatholiques de ces temps-là bâtissaient leurs hérésies, il pourrait se trouver quelquesuns des motifs qui ont depuis servi de base au protestantisme. Cette lueur d'espérance ranima mes forces pour me livrer à de nouvelles recherches, et comme un basset qui a retrouvé la piste qu'il avait perdue, je me lançai de nouveau, avec plus d'ardeur que jamais, à la poursuite de ma proie.

J'ai déjà remarqué que l'immuable unité de foi que l'Eglise catholique, en exécution du commandement divin qui lui en a été fait, a conservée dans tous les âges, n'a pu se maintenir par aucun autre des moyens que la politique humaine est capable d'inventer, que celui qui fut toujours adopté et employé par le siége de Rome, en qualité de chef viši ble de tout le monde chrétien, savoir, la ré

́Quatre.)

pression de toute interprétation privée de 'Ecriture, et le soin qu'il a eu de s'attribuer à lui seul le droit d'être dans tous les temps et sur tous les points de la foi, le guide de la vérité, l'interprète des Ecritures et le juge des controverses. « Vraiment, dit saint Grégoire de Nazianze, en parlant des inconvénients qui résultent de l'exercice du ju«gement individuel, il a dû y avoir parmi « nous une loi, en vertu de laquelle, comme « chez les Juifs, où il n'était pas permis aux « jeunes gens de lire certains livres de l'E«criture, il ne fût pas permis non plus à « toute espèce de personnes et dans tous les « temps, mais seulement à certaines per<« sonnes, et en certaines occasions, de discu«ter les points de foi (Oratio XXVI). » Saint Jérôme aussi, dans un passage où se trouve un sarcasme qui ne tombe pas avec moins d'à-propos sur quelques-uns de ceux qui se mêlent d'interpréter la Bible de nos jours, que s'il eût été fait à leur adresse, s'exprime ainsi : « Dans tous les arts domes«tiques, il faut quelqu'un pour instruire les autres; l'art d'interpréter les Ecritures « est seul livré à la merci de toute espèce de « lecteurs! Ici, savants ou ignorants, nous « pouvons tous également interpréter. La « vieille femme qui radote, le vieillard qui « déraisonne, le sophiste verbeux, tous se «< croient doués de la capacité nécessaire « pour cela; ils morcellent les textes et ont « le front de devenir maitres avant d'avoir « appris (Ep. L. t. IV. part. 11). »

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Chercher le protestantisme, dont la pierre angulaire est le droit de s'en rapporter au jugement individuel, dans une Eglise qui a fait profession, dès les premiers temps, de ne pas reconnaître un droit pareil, était, je le voyais alors, une grosse erreur dans laquelle je n'avais pu être entraîné que par mon ignorance complète de la règle de foi prescrile aux premiers chrétiens. Car c'est en cela, en dernière analyse, c'est dans la latitude donnée à l'exercice du jugement individuel que consiste la différence essentielle et capitale qui distingua toujours l'Eglise catholique de ses ennemis, sous quelque forme et à quelque époque qu'ils aient paru. C'est là la véritable pierre de touche à laquelle on peut soumettre les parties opposantes, c'est-à-dire l'Eglise et ses ennemis, dans le premier comme dans le dix-neuvième siècle; et à toutes les époques, quelque reculées qu'elles puissent être, où nous trouvons des chrétiens qui mettent en question ou qui rejettent l'autorité de l'Eglise, basant leur opposition à ses rites ou à ses doctrines sur les Ecritures interprétées comme ils l'entendent, nous devons tenir pour certain que là, déjà l'esprit du protestantisme est à l'œuvre.

Une fois arrivé à cette conclusion, je me remis à mes in-folio, me replongeant encore dans cette mer Morte de la science qui convenait si peu à un plongeur d'aussi peu de poids que moi (1), et sur laquelle on n'a pas

(1) Pour expliquer ces métaphores de mon jeune

connaissance que l'aile de l'imagination ait jamais plané sans succomber de fatigue. I est vrai que dans le genre d'étude auquel je me livrais alors, je suivais une ligue bien plus variée que la route par laquelle j'avais marché auparavant. Jusque-là, dans mes recherches, je m'étais principalement attaché à ce que les Pères appel!ent « la voie royalo de l'orthodoxie,» tandis que j'allais traquer l'hérésie dans ses voies tortueuses et détournées, pour explorer, en quelque sorte, les repaires de l'hétérodoxie, et m'assurer jusqu'à quel point le protestantisme s'y était caché. En fait d'amusement, mes lecteurs, j'ai tout lieu de l'espérer, n'auront qu'à gagner à ce changement de route. La bonne com. pagnie, dit un roué français, est une bonne chose, mais la mauvaise est quelque chose de meilleur encore; et c'est là tout justement ce que me parut être la balance de plaisir et d'agrément entre mes Pères et mes hérétiques. En effet, du côté des premiers, on trouve, sans contredit, tout ce qui peut inspirer le respect, tandis que du côté des seconds s'offre une ample matière d'amusement et de plaisir; car on ne saurait imaginer d'égarements et de folies en fait d'opinion, où le jugement individuel n'ait entraîné ses faibles partisans dans les premiers âges de l'Eglise dont je vais parler tout à l'heure.

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Il est triste de penser combien l'hérésie ful prompte à s'introduire dans le sein du christianisme. De même que le bienheureux séjour de nos premiers parents avait à peine commencé d'exister, que l'esprit du mal chercha à y pénétrer et vint y répandre les ténèbres du doute; ainsi le christianisme avait à peine ouvert son nouvel Eden au genre humain, que le même esprit, avec cette même langue raisonnable et ce cœur fourbe el trompeur, y vint mettre en question ses mystères et obscurcir ses bienfaits.

Un des premiers exemples, et le plus frappant de tous les exemples qu'offre l'histoire du christianisme, de cette espèce d'esprit questionneur, de cette insurrection du jugement contre la foi, à laquelle toutes les hérésies et tous les schismes qui se sont élevés dans la suite doivent leur origine, se trouve dans la mémorable parole que se dirent entre eux les Juifs de Capharnaum, lorsque NotreSeigneur leur annonça pour la première fois le grand mystère de l'eucharistie: «Comment cet homme peut-il nous donner sa chair à manger? C'est là, je le répète, la premièr protestation connue du jugement individuel contre les mystères de l'Eglise de Jésus-Christ. ami, il faut dire ici que la difficulté de plonger dans la mer Morte était signalée dès le temps de Strabon, et que l'effet attribué à ses exhalaisons, par rapport aux oiseaux qui volent sur cette mer, est une opinion commune, quoique sans fondement, à mon avis.

Il est donc important de nous arrêter un instant à examiner les diverses circonstances du grand événement auquel elle se rattache. et nous demeurerons convaincus, je pense, que quand les divers textes de l'Ecriture qui condamnent la sagesse de ce monde nous laisseraient quelque lieu de douter du peu de poids qu'ont aux yeux de Dieu la raison humaine et ses conclusions, le peu de cas que fit Jésus-Christ, en cette occasion, du raisonnement de ses auditeurs, serait lui seul une preuve suffisante de cette humiliante vérité, et nous enseignerait assez avec quel soin on doit veiller à défendre le sanctuaire de la foi, contre l'invasion du présomptueux esprit du jugement individuel.

Notre divin Sauveur leur avait dit : « Le pain que je vous donnerai est ma chair, que je donnerai pour la vie du monde (1). » Si ceux qui entendirent ces paroles avaient pensé qu'elles fussent employées dans un sens métaphorique par celui qui les avait prononcées, il n'aurait pu en résulter d'étonnement ni de scandale; mais il est évident que toute l'assemblée prit le langage de Jésus-Christ dans le sens littéral, et tandis que les apôtres gardaient le silence et croyaient d'une foi implicite « à celui que Dieu avait envoyé, » les Juifs, et plusieurs même de ses disciples murmurèrent en entendant une doctrine si dure. Nous pouvons nous figurer, à ce moment, quelque théologien capharnaïte, quelque Tillotson de la synagogue, s'adressant à ses auditeurs en ces termes : « Assurément, mes frères bien

(1) Ne soyons pas surpris que le Christ ait exigé quelque chose de plus que la foi et la soumission aux préceptes moraux de la loi, comme nécessaire pour le salut éternel. Dans le paradis terrestre même, il fut donné à l'homme, outre les lois de la nature et de la raison, une loi positive, savoir, la défense de manger du fruit de l'arbre de la science du bien et du mal. Lors même qu'il aurait été fidèle et obéissant en ce point, il n'aurait pu arriver au bonheur éternel sans manger de l'arbre de vie, pour faire voir que la vie éternelle et une obéissance parfaite sont deux choses qui n'ont pas une dépendance nécessaire l'une de l'antre. Pour la même raison il n'a pas seulement imposé aux chrétiens, l'obligation de croire et d'obéir dans tout le reste; mais il nous oblige, en outre, pour mériter une résurrection bienheureuse, de nous nourrir du pain de vie, la sainte eucharistie. Car, en nous faisant de cela une condition nécessaire, sans laquelle nous ne pouvons arriver au bonheur éternel, il nous montre bien clairement que la vie éternelle est un don de Dieu, et non pas seulement la récompense et le salaire de notre fidélité et de notre obéissance. Lors donc que notre Sauveur dit: Celui qui croit en moi a la vie éternelle, le sens de ces paroles n'est pas que la foi seule suffit pour le salut, mais qu'un vai croyant, par là même qu'il est membre de l'Eglise du Christ et qu'il jouit du bienfait de l'Eucharistie, possède les moyens d'arriver à la vie éternelle qui lui sent fournis par Jésus Christ, comme on pouvait dire d'Adam, vivant dans le paradis terrestre, et ayant à sa disposition le fruit de l'arbre de vie, qu'il avait la vie éternelle. Il est en effet digne de remarque comb.en les anciens écrivains de l'Eglise sont unanimes à reconnaître, non-seulement que ce sacrement est écessaire au salut, mais encore que c'est lui qui communique à nos corps le principe ou germe d'une résurrection bienheureuse (Johnson).

aimés, il ne saurait jamais entrer dans l'es'prit d'aucun de nous que cet homme veuille littéralement se tenir lui-même dans ses mains, et se donner lui-même de ses propres mains (1). » Avec combien plus de fondement et de raison les capharnaïtes n'auraient-ils pas pu élever une pareille objection, puisqu'ils entendirent dans un sens charnel la promesse de couper le corps du Seigneur; à tel point, dit saint Augustin, qu'ils s'ima→ ginaient qu'il voulait couper sa propre chair par morceaux et la distribuer à ceux qui croiraient en lui (2).

Le Rédempteur voyait ce qui se passait dans leur esprit, aussi bien que dans celui de ses disciples (3). Ces derniers, qui pou

(1) Voyez Tillotson sur la transsubstantiation. Ses paroles sont ici rapportées mot pour mot. Il est assez curieux que la manière dont Tillotson représente ce miracle pour le rendre ridicule est absolument la inême que les Pères n'ont pas hésité à adopter pour montrer et mieux faire ressortir ce qu'il renferme de merveilleux. Ainsi saint Augustin, dans un passage déjà cité, s'exprime ainsi : Quand en nons livrant son corps, il dit: ceci est mon corps, le Christ se portait dans ses propres mains, Notre-Seigneur, dit saint Jacques de Nisibe, nous donna, de ses propres mains, son corps pour nourriture. ›

(2) Beaucoup de ceux qui étaient présents, ne comprenant pas ce qu'il disait, en furent scandalisés; car, en l'entendant, ils ne pensaient qu'à leur propre chair. C'est pourquoi il leur dit: La chair ne sert de rien, c'est-à-dire comme ils l'entendaient, s'imagicant qu'il voulait parler de la chair telle qu'elle est dans un corps mort, ou qu'elle se vend au marché, et non d'une chair animée et vivante (August., Tract. XXVI). »

D'autres théologiens pensent que ces mots, la chair ne sert de rien, c'est l'esprit qui vivifie, se rapportent plutôt à l'action du Saint-Esprit qui, en descendant sur les éléments, les transforme, ainsi que le croyait la primitive Eglise, au corps de Jésus-Christ, et leur communique une vertu vivifiante.

(3) Sur cette exclamation des Juifs: Coinment cet homme peut-il nous donner sa chair à manger? ► saint Cyrille d'Alexandrie dit: Ils ne réfléchissaient pas que rien n'est impossible à Dieu. Mais si tu veux encore, ô Juif, insister sur ce comment, je te demanderai:Comment la baguette de Moïse fut-elle changée en serpent? comment les eaux furent-lles changées en sang?.... Pour notre part, tirons de grandes instructions de l'iniquité des autres; et, pleins d'une foi ferme en ces mystères, ne nous permettons jamais, sur un point aussi sublime, d'exprimer en paroles ou d'entretenir dans notre pensée ce comment (Comment. iu Joann.). ›

La déclaration suivante, rédigée par saint Cyrille et approuvée par le troisième concile général, pent être regardée comme l'expression fidèle de la croyance de l'Eglise catholique sur ce sujet : « Nous ne la recevons pas (l'Eucharistie) comme une chair commune: loin de nous une pareille pensée; ni comme la chair d'un homme sanctifié et uni au Verbe par une égalité d'honneur, ou parce que l'Esprit de Dieu habiterait en lui; mais nous la recevons comme la ‹ chair vraiment vivifiante et la propre chair du Verbe fait homme. Car, comme le Verbe, en tant que Dieu, est essentiellement vie, du moment qu'il s'unit à la ‹ chair, il communique à cette chair une vertu vivifiante. Ainsi donc, quoique le Christ ait dit: Si vous ne mangez la chair du Fils de l'Homme, et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez point la vie en ‹ vous (S. Jean, VI, 54), il ne faut pas s'imaginer que ce soit la chair d'un homme comme nous, mais vrai –

vaient avoir des idées moins grossières et moins charnelles sur ce mystère, n'en murmuraient pas moins de son incompréhensibilité, et inéditaient en conséquence, celte séparation de leur Maître dont ils se rendirent depuis coupables (1). C'était donc là le moment important, important pour l'éternité, où, le divin Maître et ses disciples se trouvant en face les uns des autres, la question entre la raison et la foi, entre le jugement individuel et l'autorité, devait, pour servir de règle aux siècles futurs, recevoir une solution solennelle et définitive. C'était là le moment, sans contredit, où JésusChrist, s'il n'avait pas réellement voulu dire ce que ses paroles exprimaient naturellement; s'il y avait quelque figure de langage ou quelque allégorie dans ses paroles, de la fidèle interprétation desquelles ne dépendait rien moins que la vie éternelle du genre humain, avait, je ne dis pas seulement une occasion favorable de dissiper toute espèce d'ambiguïté aussi dangereuse, mais était même, j'ose le dire, rigoureusement tenu de le faire, à raison de sa haute et sublime mission, qui ne lui permettait pas de laisser un sacrement de sa nature déjà si mystérieux, enseveli en outre dans Finutile obscurité d'un langage métaphorique. Si, en un mot, il fût entré le moins du monde dans ses idées de se coucilier la raison humaine, en adoucissant des difficultés qui devaient, il le savait bien, jusqu'à la fin des temps, rebuter et lui aliéner les « faibles dans la foi; » si, dis-je, il fût entré dans ses desseins de montrer une pareille déférence aux doutes et aux jugements des hommes, c'était là, je le répète, le vrai moment de témoigner cette déférence et de sanctionner à tout jamais, par cette conduite, la juridiction de la raison sur la foi.

Mais Notre-Seigneur en agit-il ainsi? Montra-t-il en effet tant d'égards pour le jugement de ses auditeurs? essaya-t-il le moins du monde d'expliquer ou d'adoucir l'étrange doctrine qu'il venait d'annoncer? Déclara-t-il, comme on l'a fait pour lui dans les temps modernes, que, dans une circonstance aussi solennelle, il s'était servi d'une métaphore tout à fait forcée et nullement naturelle; et que par manger sa chair et boire son sang il voulait dire tout simplement croire à sa doctrine? Le grand révélateur de ce miracle chercha-t-il à le dégager de tout ce qu'il avait de merveilleux, et à le réduire au niveau de la foi de ses auditeurs, en affirmant avec les sacramentaires que le pain et le vin n'étaient que les signes ou symboles de son corps; ou bien en leur assurant, avec les calvinistes, que ce n'était que par un simple acte de foi qu'ils devaient participer à sa chair, qui, à ce moment même, serait aussi éloignée d'eux que le ciel l'est de l'autel? Est-ce ainsi, je le de

ment la chair de celui (îõta› àì7,0ws gevoμtry) qui pour nous a été fait et appelé le Fils de l'Homme. (1) A partir de ce moment plusieurs de ses disciples se retièrent et cessèrent d'aller avec lui (S. Jean, VI, 66). ›

mande, qu'en a agi Notre-Seigneur? Laissons le texte sacré répondre lui-même à celle question. Loin de donner aucune explication de ce genre, dont une seule eût suffi pour dissiper toutes les difficultés de sa doctrine el la rendre aisée et acceptable au jugement opiniâtre et rebelle de ses auditeurs, le divin Maître, comme pour montrer combien il lui est facile « de réduire à rien la prudence des «<sages,» ne daigna point faire d'autre réponse à leurs objections et à leurs murmures que de répéter, d'une manière plus emphatique et plus affirmative encore, la déclaration qui les avait si fort étonnés : « En vérité, en « vérité (1), je vous le dis, si vous ne mangez « la chair du Fils de l'homme, et si vous ne « buvez son sang, vous n'aurez pas la vie en

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On voit par là que toute la conduite et le langage de notre Sauveur dans toute cette scène si mémorable, s'élève comme une éternelle réprobation contre la présomption de la raison humaine, dans ses vains efforts pour sonder ces choses divines; » tandis que l'annonce si inconcevable qu'il fit alors du festin miraculeux qu'il se proposait d'instituer (2),

(1) Quelques-uns pensent que le mot amen, ici répété, est un serment positif, et Basnage est, si je me le rappelle bien, un de ceux qui soutiennent qu'il était employé en ce sens par les Juifs Quoi qu'il en soit, ce mot emporte nécessairement l'idée d'une très-forte affirmation, et supposer (comme le remarque Johnson), que Notre-Seigneur ne s'en est servi que - pour justifier une expression très-métaphorique, c'est supposer qu'un maître sage et humble était si jaloux d'une figure, que, pour ne pas la sacrifier, il donna à ses auditeurs l'occasion de l'abandonner.

Dans la curieuse conférence qui eut lieu, dit-on, à Ragland, entre Charles I et le marquis de Worcester, ce dernier en parlant de l'opinion de ceux qui prétendent que Jésus Christ usa, en cette occasion, d'un langage figuré, dit avec raison. Il n'y aurait pas eu tant de difficulté dans la foi, s'il n'y en ent pas eu davantage dans le mystère: on ne se serait pas tant offensé d'un mémorial, ni tellement rebuté d'une simple figure.›

(2) Les anciens chrétiens étaient si loin de supposer que Notre-Seigneur eût institué un rite si important et si mystérieux, sans l'avoir annoncé, sans avoir aucunement préparé l'esprit de ses disciples à un pareil événement, qu'ils expliquaient tout naturellement le calme avec lequel les apôtres entendirent les redoutables paroles de l'institution, par la connaissance que le Christ leur avait donnée précédemment, dans le discours rapporté en saint Jean, VI, de la nature de ce sacrement. Ainsi saint Chrysostome dit : ell les fit passer à un autre banquet, à un banquet terrible, en disant: Prenez et mangez, ceci est mon corps, d'où vient qu'ils ne furent pas saisis de terreur en entendant ces paroles? De ce qu'il les avait ‹ déjà entretenus longuement sur ce sujet (Homil. • LXXXII in Matth.). › Mais ce sacrement aurait été une institution tout à fait nouvelle et absolument inouïe jusqu'alors, quand Notre-Seigneur l'administrą pour la première fois. Dans l'opinion de ceux qui nient que le chap. VI de saint Jean ait rapport à cette ma tière, il faudrait supposer alors que notre Sauveur iustitua tout à coup ce sacrement et obligea les apôtres à le recevoir, sans leur avoir rien dit précédemment qui pût, les y préparer : car si on ne veut pas reconnaitre qu'il leur en ait dit quelque chose dans le chapitre en question, il n'y a pas le moindre indice qu'il J'ait fait dans aucun autre endroit des saints évangis

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