255 VOYAGES A LA RECHERCHE D'UNE RELIGION. C'est à ce même abaissement servile qu'on doit attribuer cette facilité à se rétracter et à se parjurer que quelques-uns des plus éminents théologiens anglicans acquirent par la pratique, l'ayant fait tant de fois. En effet le spécieux Cranmer ne souscrivit pas moins de six rétractations, et Latimer dépassa encore ce nombre de deux ou trois; mais ce qu'il y avait de plus dégoûtant, c'était le spectacle que présentaient au monde ces hypocrites qui se faisaient persécuteurs pour la cause qu'ils haïssaient en secret, et condamnaient des malheureux au feu pour des opinions qu'ils partageaient au fond avec eux. C'est dans cette monstrueuse combinaison de mensonge et de cruauté que consiste toute la différence entre les persécuteurs anglais et ceux de la Suisse car lorsque ces derniers champions des droits du jugement individuel condarnnent Servet au feu, et envoient au billot Gentilis et Gruet, c'est du moins pour des opinions qu'ils tiennent eux-mêmes pour hérétiques et impies; c'était à ces saints de Eglise anglicane, Latimer et Cranmer, qu'il élait réservé d'assister comme complices au supplice des chrétiens brûlés pour des opinions qu'eux, leurs bourreaux, approu vaient. Tandis que els étaient les fruits moraux de la réformation qui se manifestaient dans ceux qui en furent les principaux chefs et propagateurs, on ne saurait espérer que l'ef fet qu'elle dut produire sur le peuple en général fût plus salutaire. Aussi, les descriptions que nous ont laissées les écrivains protestants les plus distingués, tant de l'Angleterre que de l'Allemagne, de l'état des mœurs publiques dans leurs pays respectifs pendant le premier siècle de cette grande révolution, offrent sur tous les points essentiels, une telle conformité, qu'il ne peut rester aucun doute sur l'origine commune des maux dont ils se plaignent. Commençons par les Allemands. On trouve partout dans les écrits de l'admirable Andreæ, cet homme qui, pour me servir du langage de Herder (1), « fleurit comme une rose parmi les épines », les plaintes les plus amères sur la corruption flagrante de ce temps de désordres. « Les idoles, dit-il, ont été renversées, mais les idoles des crimes sont adorées. Nous avons nié la primauté du pape, mais nous constituons des papes d'un ordre inférieur. On a abrogé les évêques, mais les ministres sont encore acceptés ou rejetés à volonté. La simonie est tombée dans le méprís, mais quel est celui qui maintenant refuse une bourse d'or? On a reproché aux moines leur indolence, comme si on étudiait trop dans nos universités! Les monastères ont été dissous pour rester vides ou servir d'étables pour les bestiaux. On a aboli l'ordre régulier des prières, au point que la plupart maintenant ne prient plus du tout. Les jeunes vile par lequel elle débuta, qu'à la mort de Henri VIII, Cranmer remit son autorité archiepiscopale au momarque enfin, et la reçut de nouveau de ses mains. (4) Cité par M Pusey. publics ont été supprimés, et maintenant les A côté de ces témoignages qui prouvent si D Burnet ne s'exprime pas avec moins de (1) Ailleurs Andrea dit: Celui qui connaît l'avarice du clergé protestant et la vie sans frein qu'il mène ne s'étonnera pas qu'il ne trouve plus dans le peuple le respect dont il devrait être entouré. › Si l'on en doit croire ce pieux et consciencieux érrivain, Luther lui-même prévit, ou plutôt connut déjà, par sa propre expérience, les conséquences funestes des doctrines qu'il avait si témérairement préchées. Il n'est point de plaintes, dit Andreæ, qui me reviennent plus souvent que celles de cet homme divin, Luther, qui prévit la licence de l'Eglise évangélique, et dont la plume invincible à tous ses nemis, a presque failli sous la dissolution de ses partisans et le spécieux prétexte de l'Evangile. » (2) Camden, Introduction aux Annales de la reine Elisabeth. (3) Presque mot pour mot le langage employé par Bucer dans le tableau qu'il trace des effets de la ré n'étaient que trop manifestes dans la plupart des plus éminents d'entre eux, leur aliénd– rent beaucoup le peuple; plus il s'était d'abord prononcé contre le papisme, plus il commençait à en concevoir des idées plus favorables, et à ne considérer les changements qui avaient eu lieu que comme un moyen dont on s'était servi pour enrichir quelques hommes vicieux, et répandre sur toute la nation un déluge de vices et de corruption (1). Nous avons vu quelle lenteur et quelle résistance presque tous les réformateurs du continent avaient mises à abandonner le grand mystère de la présence réelle. Luther lui-même, malgré tous ses efforts, n'avait pu réussir à s'en débarrasser (2), et Mélanchton, tout en inclinant vers la doctrine des sacramentaires sur les derniers temps de sa vie, n'en laisse pas moins subsister, sans y rien changer, dans les formulaires de foi protestants, l'expression formelle et positive de l'ancienne doctrine que sa main y avait tracée; tandis que Calvin, dans le but de déguiser l'étendue de l'innovation dont il était l'auteur, enveloppa de tant d'ambiguïté dans les termes son rejet de la présence réelle, que Bucer put prétendre y voir comme une acceptation de cette croyance (3). formation en Allemagne (Voyez le passage extrait de sou livre de Regno Chr.). (1) Histoire de la réforme. A ces témoignages irrécusables on peut ajouter celui de Strype: Les ecclésiastiques (protestants) cumulaient beaucoup de 4 bénéfices et ne résidaient dans aucun, négligeant ainsi leurs cures; beaucoup d'entre eux aliénaient leurs terres, passaient des baux déraisonnables, faisaient dévaster leurs bois, et stipulaient des reversions et des patronages pour leurs femmes et leurs enfants, ou pour d'autres, à leur avantage. Les églises subissaient de grandes dilapidations, elles tombaient partout en ruines, et étaient tennes dans un état de saleté et de malpropreté qui faisait qu'on n'y pouvait célébrer avec décence le culte divin. 11 y avait peu de dévotion parmi les laïques; le jour ‹ du Seigneur était étrangement profané et peu observé; les prières publiques n'étaient point fréquentées; quelques-uns vivaient même sans remplir aucun devoir religieux, beaucoup étaient de vrais païens et des athées; la cour même de la ‹ reinc était un refuge pour les épicuriens et les athées, et une sorte de lieu affranchi de toute loi, puisqu'elle ne dépendait d'aucune paroisse (Vie de ♦ Parker ). › (2) Luther, en effet, devint même encore plus papiste sur ce point avant sa mort; et dans une thèse publiée par lui contre les docteurs de Louvain, en 1545, un an seulement avant sa mort, il appelle l'eucharistic l'adorable sacrement; ce qui ne consterna pas peu les sacramentaires qu'il avait tant réjouis en abolissant l'élévation, et que, par conséquent, cet aveu inconséquent devait d'autant plus confondre. Calvin écrivit à Bucer, à cette occasion Il a élevé l'idole dans le temple de Dieu. › (3) On retrouve ce même style vague et ambigu daus le pe it nombre de controversistes protestants qui, pour garder quelque apparence de conformité avec le catéchisme de l'Eglise anglicane, affectent de soutenir la présence réelle. Ainsi les théologiens du Britisch critic affirment avec insistance que une • présence réelle est la doctrine de l'Eglise angli‹ cane; › tandis que M. Fabert parle 4 d'un change‹ ment dans les éléments, un changement moral. - Longtemps aussi on vít se manifester en Angleterre la même répugnance à renoncer à cette doctrine vitale. Sous Henri Vill, le zèle tant du monarque que de l'Eglise pour le maintien de ce dogme parut avec éclat dans le soin qu'ils eurent de livrer aux flammes ceux qui osaient ouvertement le contredire; et sous le règne suivant nous voyous celui même qui introduisit eu ce pays le zwinglianisme, Pierre le martyr, reconnaître expressément, comme Fox nous l'apprend, « un changement de substance dans le pain et le vin (1). » Sous le règne d'Elizabeth, qu'on supposait favorable à cette doctrine, un paragraphe ajouté au vingt-huitième article du temps d'Edouard VI, et qui était expressément dirigé contre la présence réelle, fut supprimé, suivant le désir qu'elle en avait manifesté (2). « Elle inclinait, dit Burnet, pour que le mode de la présence du Christ dans le sacrement fût laissé en certains termes généraux, de manière que ceux qui croyaient à la présence réelle ne fussent point poussés à se séparer de l'Eglise par une explication trop claire de ce dogme.» Et même jusqu'au règne de Jacques I et de son successeur, le langage de plusieurs des prélats les plus éminents touchant ce sacrement ne différait encore guère de celui des catholiques eux-mêmes sur ce sujet. Tout cela cependant n'est qu'une répétition uséc de la vieille ruse de l'hérésie, qui consiste à dire les mêmes choses en les entendant différemment usia μὲν λαλοῦντες, ἀνόμοια δὲ φρονοῦντες. • C'était de cette manière, nous dit saint Irénée, qu'agissaient les premiers gnostiques; ils employaient le même langage que l'Eglise orthodoxe, mais ils pensaient différemment. (1) Dans une des discussions qui curent lieu entre les protestants et les catholiques sous le règne d'Edou ird VI, la présence réelle fut expressément professée par l'avocat de la cause protestante, M. Perne, qui s'exprime ainsi : « Nous ne nions rien moins que sa présence ou l'absence de sa substance dans le pain. Riddley présidait à cette conférence. Leur liturgie (qui commença sous la minorité d'Edouard VI, et qui, après quelques années d'interruption, fut remise en vigueur par un acte du parlement du temps de la reine Elisabeth), est maintenant décriée; elle a été annulée par le parlement actuel, méprisée par le peuple, ci remplacée par une nouvelle chose, appelée directoire, qui, après quatre ou cinq ans d'existence passés dans l'agitation, commence déjà à tomber dans le discrédit parmi ceux qui les premiers l'avaient adoptée (docleur Carier, Motifs, etc., 1649). › (2) Voici ce paragraphie: Puis donc que la vérité de la nature humaine exige que le corps d'un seul et même homme ne puisse être en même temps en divers lieux, mais qu'il faut qu'il soit en un cerLain lieu, il s'en suit que le corps du Christ ne peut être en même temps en lieux divers; et puisque. comme la sainte Ecriture nous l'enseigne, le Christ est monté au ciel, et qu'il doit y demeurer jusqu'à la fin du monde, un fidèle ne doit ni croire ni coufesser ouvertement la présence réelle ou corporelle, comme ils le disent, de la chair et du sang du Christ dans le sacrement de la cène du Sei (gueur.) En expliquant ce que les protestants entendent par présence réelle, Gilbert dit : « En ce sens, cette expression est innocente, et on peut légitimement s'en « Nous adorons avec Ambroise (1), dit l'évêque Andrews, la chair du Christ dans les mystères.» Le même théologien s'adressant à Bellarmin, et faisant profession de répondre tant pour le roi Jacques que pour luimême, dit : « Nous croyons à une présence qui n'est pas moins vraie que celle à laquelle Vous croyez vous-même (2). » L'archevêque Laud tirait de la réalité de la présence de Jésus-Christ dans l'eucharistie un motif d'avoir du respect pour l'autel, comme étant, « dans cette hypothèse, le lieu où Dieu réside d'une manière toute particulière sur la terre; » et l'évêque Forbes déclare que c'est « une erreur effrayante de la part de ces protestants rigides qui nient que le Christ doive être adoré dans l'eucharistie (3). » De même encore l'évêque Cousin, dans son Histoire de la transsubstantiation, s'exprime en ces termes: « Quoiqu'il semble incroyable qu'à une si grande distance, la chair du Christ vienne vers nous pour être notre nourriture, nous devons cependant nous rappeler combien le pouvoir du Saint-Esprit est audessus de notre intelligence, et combien il serait insensé de mesurer son immensité d'après les bornes étroites de notre raison (4). » ‹ servir, quoique peut-être il soit plus prudent de ne point en user, puisqu'on en a voulu tirer avantage et l'étendre bien plus loin que nous ne l'enten‹ dons. › (4) Nos vero in mysteriis carnem Christi adoramus cum Ambrosio (Réponse à l'Apologie de Bellarmin). Quand on se rappelle que saint Ambroise professait, dans toute l'étendue du sens catholique, le dogme de la transsubstantiation, on est beaucoup plus à même d'apprécier la force de cette déclaration de l'évêque Andrews. Voyez l'extrait que j'ai donné de la littérature ecclésiastique de Clarke (vol. I, p. 168). — ‹ En fait de doctrine, dit ce savant écrivain protestant, saint Ambroise est • tout ce que Rome peut désirer. › (2) Præsentiam, inquam, credimus, nec minus quam vos veram (Réponse à Bellarmin). (3) Imanis est rigidorum protestantium error qui negant Christum in eucharistia esse adorandum si adoratione interna et mentali, nos autem externo aliquo ritn, etc. (De Euchar.). (4) Les témoignages de Hooker et de Jérémie Tay for sur ce sujet, quoique bien connus, sont d'une trop grande importance pour n'être pas ajoutés à ceux que nous avons déjà produits : Je désirerais, dit Hooker, que l'on consacrât plus de temps à méditer en silence sur ce que nous avons dans le sacrement, et qu'on disputât moins sur la manière dont cela se fail. Si nous reconnaissons tous unanimement que le Christ accomplit réellement et véritablement ça nous sa promesse par le sacrement, • pourquoi nous fatiguer à disputer avec tant d'ahimosité si c'est par la consubstantiation ou bien par la transsubstantiation (Gouvernement ecclésiast.). » Le passage de Jérémie Taylor est d'un plus grand poids encore, parce qu'il n'est pas seulement l'expression de l'opinion d'un si grand théologien sur ce point, mais encore une justification qui venge les catholiques du crime d'idolâtrie dont on les accusait à cause qu'ils adorent la sainte encharistie. ‹ L'objet de leur adoration dans le sacrement, dit-il en parlant des catholiques, est le seul éternel et vrai Dien, hypostatiquement uni à la sainte humanité, qu'ils croient actuellement et réellement présente; et tant s'en fant i qu'ils aderent le pain, qu'ils déclarent que ce serait Plus tard encore, au temps de Charles II, on trouve dans l'Exposition de l'aimabic et pieux évêque Ken, les phrases suivantes, si pleines de sentiment et d'onction : « O Dicu incarné, comment peux-tu nous donner ta chair à manger et ton sang à boire ? Comment ta chair est-elle vraiment une nourriture? Comment toi, qui es dans le ciel, cs-tu présent sur l'autel? Je ne saurais l'expliquer, mais je le crois fermement, parce que tu l'as dit, et je me repose pleinement sur ton amour et la toute-puissance du soin d'accomplir la parole, quoique je ne puisse comprendre quelle est la manière dont la chose peut se faire. » La croyance catholique qu'il y a dans l'eucharistie un véritable sacrifice était encore plus généralement répandue parmi les protestants, à l'époque dont je parle; et, entre autres, Joseph Mède, ce profond érudit, prête à cette doctrine la haute sanction de sa puissante autorité (1). Dans sa réponse au fameux calviniste Twisse, qui avait dit qu'il y avait dans l'antiquité peu de preuves en faveur du sacrifice eucharistique, Mède demande : « Quelle croyance y a-t-il dans le christianisme en faveur de laquelle on une idolâtrie de le faire. Il est d'usage d'opposer à ce passage de l'évêque Taylor un autre passage qui paraît exprimer un sentiment opposé; ce dernier est tiré d'un ouvrage plus récent de cet homme éminent, intitulé Dissuasion du papisme. Mais quand on couspare le langage travaillé et étudié dans lequel la dernière opinion se trouve exprimée, à la manière simple et éclairée dont la doctrine que nous venous de citer est énoncée, on ne saurait guère douter quel est celui des deux passages qu'on doit prendre pour la fidèle expression de sa pensée. Un homme qui s'exprime de la façon toute scholastique que voici, ne saurait échapper au soupçon d'être mû par un secret désir de se tromper lui-même on de tromper les antres. En l'appelant corps spirituel, le mot spirituel n'est pas un attribut substantiel, mais une déclaration de la manière, quoique dans la discussion on en fasse l'attribut d'une proposition et le membre opposé d'une distinction (Dissuasion du papisme).► (1) Ce n'est pas seulement Mède qui a soutenn qu'il y a dans l'eucharistie un sacrifice matériel et proprement dit; il a été suivi en cela par un autre savant distingué dans la même science, le docteur Grabe, qui a mème composé une liturgie pour son usage particulier, dans laquelle l'ancienne prière fondée sur cette doctrine se trouve rétablie. Une pareille concession faite aux catholiques ne pouvait pas manquer de jeter l'alarme parmi leurs adversaires; aussi vit-on cette opinion de Mède et de Grabe fortement censurée par Buddeus, Ittigius, Deylingius et autres théologiens du continent, comme étant un aveu du sacrifice de la messe. Ainsi embarrassés entre la crainte de favoriser le papisme, d'un côté, et de l'autre par le langage expressif et irrésistible des Pères, quelques-uns des plus éminents entre les théologiens anglicans, et, entre autres, Cudworth et Waterland, tout en niant qu'il y eût dans l'eucharistie un sac: ifice proprement dit ou matériel, sont allés jusqu'à admetre qu'elle était un festin symbolique sur un sacrifice; c'est-àdire, comme l'explique Waterland, sur le grand sa crifice lui-même, rappelé sous certains symboles. › Tels sont les pitoyables expédients auxquels les protestants sont forcés, par leur position schismatique d'avoir recours, pour échapper à l'évidence et à intorité. puisse apporter plus de témoignages de l'antiquité que pour celle-ci? Je ne parle pas maintenant de l'intention des Pères (soit que je la devine bien ou mal), mais en général de l'idée qu'ils avaient d'un sacrifice dans l'eucharistie. Si l'antiquité n'est que peu favorable à ce dogme, il faut dire qu'elle ne l'est à aucun. » Il cite ensuite en confirmation de sa propre opinion, l'aveu sincère qui est échappé à l'évêque Morton, dans la préface de son livre sur l'eucharistie. « C'est un fait que nous reconnaissons volontiers, que les anciens Pères font fréquemment mention du sacrifice non sanglant du corps du Christ dans l'eucharistie. »> De pareils témoignages en faveur de la doctrine catholique sur ce point, et surtout le témoignage d'un protestant aussi profondément versé dans l'antiquité chrétienne que l'était Mède, ne sauraient être considérés autrement que comme d'une haute importance (1), et le passage suivant de sa lettre à Twisse contient en quelques phrases pleines d'énergie toute la substance de ce que j'ai essayé d'inculquer dans ces pages. « Cependant, encore un mot de plus. Il n'est pas temps maintenant de mépriser le consentement catholique de l'Eglise dans les premiers siècles de son existence, lorsque le socinianisme s'attache si fortement à le rejeter; ni d'abhorrer tant l'idée de sacrifice commémoratif dans l'eucharistie, lorsque nous sommes exposés à nous rencontrer avec des gens qui nient que la mort du Christ sur la croix ait été un sacrifice pour le péché. Verbum intelligenti. Il peut y avoir ici quelque chose d'impor tant. >> Mais, revenons à notre parallèle. L'amère discorde entre les Eglises luthérienne et calviniste qui, si elle n'en fut pas la principale cause aggrava du moins et prolongea les horreurs de la guerre de trente ans, trouve un terme assez juste de comparaison dans la longue lutte qui eut lieu entre l'Eglise anglicane et les puritains, et la sanglante guerre civile qui s'ensuivit. Cette ressemblance, tant dans les causes que dans les effets, des deux côtés, ne pouvait échapper à l'observation de M. Pusey qui, en montrant quelle large part on doit attribuer aux écrivains anglais incrédules du dix-septième siècle dans l'irréligion qui désole l'Allemagne, assigne l'origine de cette incrédulité en Angleterre à « l'état de décadence du christianisme pendant les guerres civiles, et les disputes envenimées des : (1) Telle est la force irrésistible des preuves sur lesquelles repose la haute antiquité du sacrifice de la messe, que Hospinien, historien protestant, est forcé d'attribuer au diable l'introduction de ces abominations papistes, dès le temps même des apôtres, comme il l'avoue lui-même. ‹ Même dans ce premier âge, › dit cet écrivain, ‹ tandis que les apôtres vivaient encore, le diable eut l'audace de se mettre en embuscade sous ce sacrement, plus que sous celui du baptême, et séduisit peu à peu les hommes au moyen de cette forme primitive. › Sébastien Francus avoue pareillement que immédiatement après la mort des apôtres tont fat changé, la cène du Seigneur fut transformée en sacrifice. › ་ 200 partis. » Rien en effet n'est plus propre à inspirer du mépris pour la religion que de voir deux grandes nations ainsi déchirés par des factions intérieures et par la haine, à cause de leur manière différente de penser sur certains points, qu'un esprit raisonnable ne peut regarder aujourd'hui qu'avec un sentiment mêlé de douleur, de mépris et d'étonnement. Mais quelque absurdes que fussent la plupart des doctrines qui excitaient de si furieux débats entre les Eglises d'Allemagne, elles étaient au moins des sujets de spéculation, et parce qu'elles ouvraient un vaste champ à la discussion, elles en étaient par là même d'autant plus respectables que ces misérables et frivoles points de contestation si longtemps débatius entre l'Eglise anglicane et les puritains, ses adversaires : Le clergé devait-il porter des surplis de toile et des bonnets carrés (1)? Les clochers devaient-ils être surmontés d'une girouette ou d'une croix (2)? L'autel devait-il être placée au milieu de l'église, ou bien devait-il être accolé contre le mur ? Convient-il à un bon chrétien de témoigner du respect à l'autel (3), (1) Il paraît que même parmi les respectables personnages qui disputèrent avec tant d'acharnement sur ces différents sujets, il s'en trouva quelques-uns qui eurent le bon sens d'apprécier toute la frivolité de leurs débats. Ainsi dans le mémoire présenté par eux aux évêques, deux dignitaires destitués, Sampson et Humfrey, protestent devant Dieu de l'amère douleur qu'ils éprouvent de voir s'élever des dissen. sions entre eux pour aussi peu de chose que du drap ou de la toile, voulant désigner par là le bonnet et le surplis (Strype, Vie de Parker). › Non contents du déshonneur que des querelles aussi frivoles et insignifiantes faisaient retomber sur eux, ces théologiens, avec toute cette audace profane qui est ordinaire aux théologiens de parti, ne craignent pas de faire intervenir Dieu lui-même dans leurs disputes sur le drap et la toile. Dans une lettre écrite par l'évêque Sands, en 1566, on lit ces mots : « On dispute maintenant sur les vêtements papistes pour savoir si on doit en user on non; mais Dieu mettra fin à toutes ces querelles. › ( (2) Dans une lettre à Pierre martyr, l'évêque Jewel s'exprime ainsi : La controverse sur les croix est maintenant devenue très-vive. Vous auriez peine à croire combien des hommes qui paraissaient sages sont fous dans une si sotte matière. Plus loin il ajoute: On en est venu à ce point que les croix d'argent et d'étain que nous avions partout brisées, <doivent être rétablies sous peine de perdre nos évé(chés. › La reine Elisabeth était si fortement attachée à l'ancienne foi, qu'elle désirait en conserver quelques vestiges; et leylin nous apprend qu'un de ses chaelains ayant parlé avec trop peu de respect du signe de la croix dans un sermon prêché en sa présence, elle lui adressa la parole, et lui ordonna de laisser la cette digression impie et de revenir à son texte (Hist. de la Réform.). › (3) Pour donner une idée de leur manière de traiter ces divers points, je vais citer ici quelques phrases de ce temps-là qui traitent du respect dû à l'autel. Dans un traité ayant pour titre Raisons de s'incliner devant l'autel, l'auteur, s'appuyant sur les mêmes raisons dont s'est servi depuis l'archevêque Laud, prétend que comme le trone doit toujours être honore, quoiqu'on n'y voie point la personne de Sa Roya'e Majesté, ainsi la table de Dieu doit toujours eu. de s'incliner au nom de Jésus, ou de se tenir debout au Gloria Patri (1)? Telles étaient quelques-unes des graves questions agitées entre les partis; tels furent les leviers de discorde qui ébranlèrent jusque dans ses fondements l'Eglise protestante d'Angleterre ! Dans le même temps que de pareils controverses versaient par leur frivolité le ridicule sur la religion, les opinions (2) des antinomiens (3), qui régnaient alors dans tous les rangs, la déshonoraient bien davantage encore par leur immoralité (4): el ce fut convenablement respectée, et l'on doit toujours s'incliner devant Dieu qui y est perpétuellement présent, etc., etc. › -- Un puritain publia une réponse à ce traité, dans laquelle on lit les plirases suivantes : D'abord done, qu'ils pronvent que Dieu doive avoir un siége dans chaque église. » — Ailleurs: Ce monsieur doit prouver que Dieu siége quelquefois en personne sur la table. La couclusion à laquelle arrive enfin le puritain est celle-ci : Done, comme Dieu siége toujours sur la table, on ne doit point s'incliner du tout devant elle, ni lui rendre aucun respect. › (1) Dans une lettre adressée à M. Mède, le brusque et violent puritain Twisse s'exprima ainsi: Vous è m'avez ordonné de me lever au Gloria patri, et 4 cela d'un ton qui semblait indiquer que vous avez autorité sur moi; je ne sais d'où elle pourrait vous venir. Je déclare que je fais peu de cas de pareils ‹ordres de votre part. Le père de ma femme, le docteur Moore, était chapelain de l'évêque Bilson, et jouissant auprès de lui d'une plus grande considé ration que n'en eut jamais aucun chapelain auprès de ce prélat qui était lui-même un homme de cathédrale; eh bien, cependant, on ne put jamais obteenir de lui qu'il se levât au Gloria patri. › (2) Dans une brochure publiée vers re temps-là par un M. Archer, sous le titre de Consolations pour les fidèles dans leurs péchés et leurs peines, la doctrine primitivement enseignée par Luther et Calvin, que Dieu est l'auteur direct du péché, se trouve ainsi audacieusement formulée: Nous pouvons dire saus crainte que Dieu est dans les péchés de son peuple, qu'il y a une main, et qu'il en est l'auteur. Après avoir cité les opinions de certains théologiens, qui se sont trompés, dit-il, en attribuant le péché à la créature plus qu'il ne convieut de le faire, et à • Dieu moins qu'il ne le faut, › il ajoute : « Cette opi• non ne donne pas à Dieu assez de part dans le • péché. Embrassons et professons la vérité, et ne ⚫eraignons pas de dire de Dieu ce qu'il en dit luimême, savoir: Que de lui et de sa main vient non-seulement la chose qui est criminelle, mais encore ce qu'il y a en elle-même de mauvais et de ‹ criminel.› (3) semblerait que l'antinomianisme régnerait encore dans une proportion effrayante en Angleterre. Robert Hall dit dans un de ses sermons: Tandis que l'antinomiauisme fait de rapides progrès dans ce pays, et a déjà bouleversé et désorganisé tant de nos Eglises. › Un écrivain récent, dit également, en parlant du docteur flawkins, qui, comine le fondateur des antinomiens anglais, le docteur Crisp, appartient à Eglise anglicane: Ses livres et ses adeptes ont infecté nos Eglises comme d'une sorte de pestilence, et pervertissent l'esprit de la multitude dans I enceinte même de l'Etablissement (James, des disputes). (4) Quels durent être les effets produits sur l'esprit des gens ordinaires et ignorants par de pareilles inctrines, c'est ce qu'on peut conclure de leur influence démoralisatrice sur les classes supérieures de la société. L'évêque Burnet nous assure, Résumé des alors, dans cette véritable crise sectaire que le protestantisme put se féliciter moitié plus largement qu'il l'eût jamais fait de la faculté dont il est doué de se subdiviser à l'infini en nouvelles sectes et en nouvelles dénominations, en quoi il s'est dans tous les temps montré si fécond (1). « l'Angleterre, dit un prédicateur devant la chambre des communes en 1647, n'a jamais été si mauvaise qu'au temps de la réformation. J'en appelle à témoin cette foule toujours croissante d'erreurs et d'opinions hétérodoxes qui se sont élevées parmi nous en nombre infini, et qui vont jusqu'au blasphème. Le monde s'étonna autrefois d'être devenu arien; l'Angleterre peut maintenant s'étonner de se voir devenue anabaptiste, antinomienne (2), arminienne, socinienne, arieane, anti-scripturiste; que n'est-elle pas en effet! Hélas! Qu'étaient les cérémonies comparées à tout cela, sinon, comme le disait Calvin lui-même, des jeux d'enfant, des inepties qu'on pouvait tolérer. tolerabiles ineptic! N'aurait-ce pas été un moindre mal de s'incliner au nom de Jésus que de nier. , que de blasphemer le nom de Jésus (11 Pet. 11, 1): qu'en pensez-vous? affaires avant la réforme, que Cromwell était d'avis que Les lois morales n'obligent que dans les cas ordinaires, et que dans des cas extraordinaires on y peut déroger. Lui et les gens de sa sorte, ajoute Burnet, justifiaient leurs mauvaises actions par l'exemple de Jéhu et de Jahel, de Samson et de David. C'est en toute vérité que le docteur Hey affirme, dans ses leçons théologiques, que Če furent les fa ses interprétations de l'Ecriture qui amenèrent les malheurs des guerres civiles. › (1) Il y eat, du temps de Cromwell, une commission nommée par la chambre des commones pour s'occuper de l'énumération particulière des héresies condamnables. Quel rapport que celui qu'elle dut faire ! (2) On ne saurait rien imaginer de plus fatal à toutes les vraies notions de religion et de morale que no l'était la doctrine de la justification telle que Penseignaient les hauts calvinistes de cette époque. Toutes les plus funestes conséquences que peuvent enfanter l'orgueil et la cruauté unis ensemble ne pouvaient manquer d'être engendrées, dans leur forme la plus odieuse, par un symbole qui enseignait qu'il n'y a pas un seul péché, quelque petit qu'il soit, qui ne mérite des tourments éternels, et que les crimes des élus, quelque grand qu'en fût le nombre, ue pouvaient leur faire perdre l'éternelle béatitude. - Voyez le petit volume de Witsins, intitulé Animadversiones ironicæ, dans lequel l'élégante latimité de cet écrivain a entouré tous ces blasphèmes de toutes les grâces que la beauté du style dans lequel ils sont exprimés pouvait leur prêter. Parmi les doctrines de la haute Eglise calviniste que Watsius désapprouva, bien qu'elles soient, avoue-t-il lui-même, admises par les viri docti de sa secte, on remarque les suivantes : Dieu ne peut voir de péché dans les fidèles; Ils ne se rendent poin; coupables en commettant de nouveaux crimes, et aucun crime uz pem peser sur leur conscience; David lui-même ne s'est jamais plaint que le péché pesât sur son coeur, etc. Nec Davidem ex vero de peccati sibi incumbentis onere conquestum esse. Or, parmi les opinions que Witsius adopte pleinement, se trouvent les suivantes : Parce que les fidèles sont justes rar la justice du Christ, ils sont aussi justes que le Christ lui-même; La justice des élus étant la jus |