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vient aussi du cœur, et c'est pour cela que 'Eglise la nomme vertu. Cette qualité lui est refusée par Voltaire, à l'article VERTU du Dictionnaire philosophique, dans un petit dialogue où le nom seul d'un des interlocuteurs prouve qu'il avait oublié toute convenance, et qu'il était loin d'avoir cette tranquillité d'esprit avec laquelle on doit examiner les questions philosophiques. Un honnête homme soutient, contre un excrément de théologie, que la foi n'est plus une vertu en faisant cet argument: Est-ce une vertu de croire ou ce que tu crois te semble vrai, et en ce cas il n'y a nul mérite à le croire; ou il te semble faux, et alors il est impossible que tu le croies.

Il est impossible d'être plus superficiel que ne l'a été ici Voltaire. Pour ôter à la foi toute coopération de la volonté, il ne considère dans l'action de croire que la dernière opération de l'esprit, qui reconnaît qu'une chose est vraie ou fausse; il considère cette opération comme une conséquence des preuves, sans que rien autre puisse la déterminer ; enfin, il considère l'esprit comme un instrument qui reçoit une action et sur lequel les probabilités produisent ou la persuasion ou l'incrédulité, comme si l'Eglise avait dit que la foi est une vertu de l'intelligence. La foi est une vertu dans l'homme: pour s'en convaincre il n'y a qu'à observer combien agit le moral de l'homme pour la recevoir ou la rejeter. Voltaire laisse de côté deux éléments importants, l'acte de la volonté qui pousse l'esprit à examiner et la disposition de l'âme qui agit d'une manière si puissante dans l'admission ou le rejet des motifs de crédibilité, et par suite sur la croyance elle-même. Quant au premier, les vérités de la foi sont de toutes manières si opposées à l'orgueil et aux désirs des sens, qu'elles inspirent à l'esprit une certaine crainte, une certaine aversion; il cherche à se distraire, enfin il voudrait s'éloigner de ces recherches qui lui feraient connaître ce qu'il veut ignorer. Chacun peut retrouver en soi cette disposition, en observant l'activité extrême que met l'imagination à se représenter toutes sortes d'objets divers pour occuper l'attention, lorsqu'une

idée triste la tourmente. La volonté de faire naître le calme dans notre âme influe sur ces opérations de l'esprit, d'une manière si manifeste, que quand il se présente à nous une idée dont nous reconnaissons l'importance, mais à laquelle nous ne voulons pas nous arrêter, il nous arrive souvent de nous dire à nous-mêmes: Je ne veux pas y penser; et nous le disons, persuadés cependant qu'en 'y pensant pas, nous nous préparons des maux pour l'avenir; tant est vif le désir que nous éprouvons dans le moment de chasser loin de nous toute impression pénible! Voilà, ce me semble, une des raisons pour lesquelles les écrivains qui ont combattu la religion par le ridicule, ont cu lant de vogue: ils favorisent ainsi une disposition commune à tous les hommes, en mêlant aux idées sérieuses et importunes une foule d'idées légères et agréables.

Cette inclination de l'esprit ainsi reconnue, la volonté fait un acte difficile de vertu en l'appliquant à l'examen des vérités religieuses: et la seule résolution de faire cet examen suppose non-seulement une impression résultant de probabilités, mais une sainte frayeur des jugements de Dieu, et un amour de ces vérités, capable de surmonter ou au moins de combattre les inclinations terrestres.

Ensuite, que l'amour ou la haine des choses que l'on nous propose de croire, influe fortement sur la manière de les examiner, sur l'admission ou le rejet des preuves, c'est une vérité connue et dont on peut se convaincre journellement. Lorsque dans une ville malheureusement divisée en plusieurs partis, arrive une nouvelle, les uns y croient, les autres n'y croient pas, selon les intérêts et les passions. La crainte, aussi bien que le désir, influe sur notre croyance en nous portant souvent à ne pas vouloir prêter foi aux choses que nous craignons, et souvent à leur donner plus d'importance qu'elles ne méritent; ce qui arrive presque toujours quand nous avons un moyen de les éviter (1). Puis les expressions suivantes

(1) Il me semble que c'est à tort que Jean-Jacques Rousseau plaisante sur ceux qui admirèrent le courage d'Alexandre, lorsqu'il but le médicament que lui présentait le médecin Philippe, après avoir été averti par une lettre de Parménion de se défier du médecin, qui, gagné par les dons et les promesses de Darius, s'était engagé à lui ôter la vie. Rousseau dit dans son second livre de l'Emile que ce fait ayant été raconté à table par un enfant, plusieurs des convives avaient taxé Alexandre de témérité et que d'autres avaient admiré sa fermeté et son courage. Il leur répondit, ajoute-t-il, que si dans cette action d'Alexandre il y avait eu la moindre fermeté, le moindre courage, elle n'aurait plus été qu'une extravagance. Tout le monde ayant nié que ce fût une extravagance, il commençait à s'échauffer et se préparait à répondre, lorsqu'une femme qui était près de lui s'approcha de son oreille et lui dit à demi voix : Tais-toi, Jean-Jacques, ils ne l'entendraient pas. L'explication ne fut donc pas faite Rousseau la donne à ses lecteurs, mais deceite manière emportée et mystérieuse qui lui est trop familière dans ce livre surtout où il semble souvent

qu'il veuille faire voir qu'il ne croit aucun de ses lec teurs digne d'entendre la vérité, ni capable de la comprendre, où souvent il affecte de vouloir faire deviner ce qu'il pouvait dire clairement ; et où, au lieu d'avoir la simplicité, la clarté et la douceur en proportion de la supériorité de son esprit, il prend avec ses lecteurs le ton aigre, impérieux et mépri sant qu'il reproche aux précepteurs, comme s'il vou. lait irriter et homilier les hommes, plutôt que de les instruire. Il parle ainsi : Quelques lecteurs, mécontents du Tais-toi, Jean-Jacques, demanderont, je le prévois, ce que je trouve enfin de si beau dans l'acLion d'Alexandre. Infortunés! s'il faut vous le dire, comment le comprendrez-vous? C'est qu'Alexandre croyait à la vertu; c'est qu'il y croyait sur sa tête, sur sa propre vie; c'est que sa grande âme était faite pour y croire. Oh! que cette médecine avalée était une belle profession de foi! Non, jamais mortel n'en fit une si sublime. Malgré tout cela, il me semble que le cou rage brille dans cette action. Dans ce cas il ne suffisait pas de croire à la vertu en général, il fallait croire à la vertu du médecin Philippe, et pour y croire en ce moment avec une pleine certitude, il fallait avec

sont si communes: examiner de bonne foi, juger sans prévention, sans passion, sans se faire illusion, et d'autres semblables qui annoncent que le jugement ne doit pas être sous l'empire des passions. La force d'esprit qui soutient cette liberté est sans doute une disposition vertacuse; elle vient d'un amour de la vérité, indépendant de l'impression agréable ou désagréable qu'elle peut produire sur nos sens. On voit par là combien on a été sage en donnant à la foi le nom de vertu. Ensuite, comme l'esprit humain n'aurait pu parvenir par lui-même à connaître beaucoup de vérités si Dieu ne les avait révélées, et comme notre volonté corrompue n'a pas par elle-même cette force dont nous venons de parler, l'Eglise nomme la foi une vertu, un don de Dieu. Après cette longue digression, je reviens au point de la question, et j'avoue que je ne comprends pas bien. celle proposition: L'unité de foi ne se trouve dans aucune autre religion à un aussi haut degré que dans la religion catholique. Comment peut-il y avoir des degrés dans l'unité de foi? Ou ces autres religions tiennent pour certain que leur foi est vraie et qu'elle est la seule vraie, ou elles admettent la possibilité de quelque autre foi, et alors elles ne sont pas certaines de la leur, elles n'ont pas la foi. Toujours quand une religion se rapproche du principe de l'unité, elle exclut de son sein toutes les opinions contraires à celles qu'elle professe, et il en est ainsi parce qu'alors dans cette religion I'on comprend qu'il est absurde d'admettre une proposition comme vraie, sans nier la proposition contraire. Toutes les fois qu'une religion s'éloigne du principe d'unité, et cela arrive parce qu'elle ne trouve pas d'arguments assez forts pour établir la certitude de la foi, elle est tolérante pour les autres, parce qu'elle a besoin de tolérance elle-même; elle n'ose faire aucune exclusion parce que les

calme rappeler à sa mémoire pour les examiner, les raisons en faveur de sa fidélité, et se convaincre qu'elles surpassaient la probabilité d'un crime (car la lettre de Parménion établissait certainement une probabilité); il fallait avoir une âme telle, que l'idée d'un empoisonnement possible ne l'empêchât pas de faire froidement cet examen; enfin, il fallait avoir du courage. Le sentiment qui porte l'homme timide à se créer des chimères ou à agrandir le danger, est le mène qui le pousse à fuir un danger réel; c'est-àdire une crainte de la mort ou des douleurs physiques qui s'empare de ses facultés, et agit comme une passion en lui ôtant la tranquillité de l'esprit. Conserver cette tranquillité en face d'un danger vrai ou possible, c'est l'effet du courage. Si Alexandre avait cru probable que Philippe voulût l'empoisonner, c'eût été sans doute une grande extravagance de sa part que d'avaler la médecine; mais si cette lettre avait été remise à un homme pusillanime, bien que persuadé jusqu'à ce jour de la veriu du médecin, il aurait été dans une telle angoisse, une telle perplexité, qu'il n'aurait plus raisonné, et aurait employé violeniment toutes sortes de moyens pour éviter le danger; il aurait pris des informations, ordonné des perquisitions, fait examiner la médecine, arrêter le médecin, il aurait fait toute autre chose que d'avaler le médica

autres pourraient en faire autant et pour les mêmes raisons.

Si l'Eglise catholique n'est pas sujette à ces incertitudes, c'est parce qu'elle a l'unité de foi au plus haut degré, et c'est une preuve de la certitude qu'elle a de sa foi; et c'est précisément cette immutabilité que les catholiques donnent comme un caractère de la vérité de leur foi.

CHAPITRE II.

Sur les influences diverses de la religion catholique, selon les lieux et les temps.

Toutefois l'influence de la religion catholique n'est pas la même en tout temps et en tout lieu; elle a opéré fort différemment en France et en Allemagne de ce qu'elle a fait en Italie et en Espagne.... Les observations que nous serons appelés à faire sur la religion de l'Italie et de l'Espagne pendant les trois derniers siècles, ne doivent point s'appliquer à toute l'Eglise catholique. Page 410.

Pour éclaircir ce point, qui, comme on le verra, n'est pas ici d'une importance seulement historique, il est nécessaire de rappeler le but du chapitre 127, dont nous attaquons une partie. Ce but est parfaitement indiqué par le titre même du chapitre : « Quelles sont les causes << qui ont changé le caractère des Italiens, de« puis l'asservissement de leurs républiques?» Et l'on en donne quatre la première est la seule que je veuille examiner, c'est la religion. L'auteur en expliquant comment elle a pu causer le changement que nous venons de citer, fait une objection de l'unité de foi, parce que, comme il le dit très-bien, en obligeant tous les membres de l'Eglise catholique à recevoir les mêmes dogmes, à se soumettre aux mêmes décisions, à s'instruire des mêmes enseignements, il semble que cette religion doive plutôt être une cause d'union entre les peuples qui la professent, qu'une cause de désunion. Cependant, ajoute-t-il, l'influence de la religion catholique n'est pas toujours la même, elle varie selon les lieux; elle a opéré différemment en France et en Allemagne, de ce qu'elle a fait en Italie et en Espagne.

Je crois qu'il n'y a que trois causes qui puissent produire une diversité d'influence, malgré l'unité de foi gardée par tous les catholiques.

1. Lois ou coutumes disciplinaires qui ne font point partie de la foi.

II. Altérations insensibles de quelques Parties de la doctrine, ou non observation et violation des points essentiels de la discipline universelle, lesquelles tout en laissant intact en théorie le principe de l'unité, peuvent porter une nation ou une partie de cette nation, pendant longtemps ou par intervalle, avec connaissance de cause ou par ignorance, à agir et à parler en effet comme si elle avait renoncé à l'unité.

II.Circonstances particulières d'histoire,de culture, d'intérêts, de climat qui ne se rattachent pas précisément à la religion, mais tellement liées aux hommes qui la profes

sent qu'elles balancent, empêchent ou faciJilent influence de la religion plutôt chez les uns que chez les autres.

Si l'illustre auteur avait cherché dans ces trois classes les causes particulières des effets différents qu'il dit avoir été produits en Italie par la religion, je me serais bien gardé de toucher la question; car ou ses raisons m'auraient paru concluantes, et j'aurais été bien aise de m'instruire, comme je l'ai fait en lisant tant d'autres parties de cette histoire; ou elles ne m'auraient pas persuadé, et dans ce cas le silence aurait mieux valu que la démonstration. Mais comme les causes qu'il assigne comme ayant produit un effet pernicieux sur les Italiens ne sont pour la plupart ni des coutumes ni des opinions qui leur soient particulières, mais des maximes de morale ou des ordonnances ecclésiastiques respectées et suivies par tous les catholiques en France et en Allemagne, aussi bien qu'en Italie et en Espagne, si on les condamnait, on en viendrait à condamner la foi catholique, conséquence qu'on ne saurait trop prévenir.

L'auteur fui-même, dans le cours de ses réflexions, en se servant plusieurs fois du seul mot l'Eglise, laisse douter s'il attribue à l'Eglise en général les doctrines qu'il attaque, ou s'il veut parler seulement de l'Eglise d'Italie. Il n'est pas possible, il n'est même pas nécessaire dans ce cas de savoir quel sens précis on doit donner à ses paroles; je me contenterai donc de prouver que ces maximes, que ces ordonnances, qui tiennent nécessairement au catholicisme, sont universelles et raisonnées.

Je citerai souvent des écrivains français, non-seulement parce qu'ils ont une supériorité marquée dans ces matières, mais encore parce que leur autorité me servira admirablement à prouver que ces doctrines ne sont pas particulières à l'Italic, et qu'en cela la France n'en diffère que par l'avantage qu'elle a eu d'avoir des hommes qui les ont plus éloquemment et plus logiquement soutenues et défendues.

La preuve la plus éclatante de l'universalité de ces maxines de morale sera tirée des saintes Ecritures, où elles sont pour la plupart littéralement exprimées, si bien qu'on peut hardiment affirmer qu'elles ne peuvent être un sujet de controverse parmi les catholiques d'aucune nation.

Les ordonnances de l'Eglise concernant la morale peuvent se diviser en deux classes, savoir 1 décisions de points de morale, c'est-à-dire témoignages de l'Eglise que cette morale est vraiment celle qui lui a été confiée par le Christ et non pas une autre qu'on voudrait faire adopter: preuves qui obligent les fidèles à s'y soumettre;

2o Les lois régiant l'usage que doit faire l'Eglise de l'autorité qui lui a été confiée par son fondateur, dans l'application des remèdes spirituels qui tous viennent de lui.

Pour les unes comme pour les autres, qu'on interroge quelque catholique que ce soit de France et d'Allemagne, certainement

il répondra qu'elles sont en vigueur aussi bien dans l'un que dans l'autre pays. Avec l'illustre auteur, je puis citer le concile de Trente, comme le témoignage le plus récent et le plus parlant de l'uniformité de la doctrine, uniformité qui prouve sa perpétuité.

Le concile de Trente travailla avec autant d'ardeur à reformer la discipline de l'Eglise, qu'd empêcher toute réforme dans ses croyances et ses enseignements (Hist. des rép. ital., t. XVI, pag. 183). Aucun catholique ne pourra exprimer d'une manière plus précise et plus forte la fermeté des pères de ce concile à rejeter toute idée de réforme dans la foi, comme une chose impossible et impie.

Ör au concile de Trente siégeaient des évêques de ces quatre nations, et comme ils y étaient venus appuyés du témoignage de leurs Eglises sur les points controversés de la foi et de la morale, ils s'en retournèrent appuyés du témoignage de toute l'Eglise. Depuis lors ce fut au concile de Trente que tous les catholiques recoururent plus particulièrement; et pour prouver la foi de tous les siècles, consignée et répandue dans un si grand nombre de conciles, ils n'eurent plus pour beaucoup de questions qu'à citer ce concile, qui l'avait reproduite et pour ainsi dire résumée. Le grand Bossuet, dans son exposition de la foi catholique, s'appuie de l'autorité de ce concile pour prouver les points essentiels de discipline et de morale; quelques-uns des points attaqués dans le chapitre sur lequel nous faisons ces réflexions, étaient aussi combattus alors, mais par des arguments tout à fait différents.

Dans sa correspondance avec Leibnitz, le même Bossuet rejette comme inadmissible la proposition de revenir sur ce qui avait été décidé au concile de Trente. Je voudrais bien seulement vous supplier de me dire si vous pouvez douter que les décrets du concile de Trente soient autant reçus en France et en Allemagne parmi les catholiques, qu'en Espagne et en Italie, en ce qui regarde la foi; et si vous avez jamais oui un seul catholique qui se crût libre à recevoir ou à ne pas recevoir la for de ce concile (Lettre à M. Leibnitz, du 10 janvier 1692. OEuvres posth. de Bossuet, t. I, pag. 349).

Donc les décrets du concile de Trente touchant la morale qui seront cités dans cet ouvrage, sont des points qui, du consentement de tous les catholiques, font partie de la foi.

Quant aux abus et aux erreurs populaires, il importe de dire une fois pour toutes, qu'on ne doit pas les imputer à l'Eglise qui ne les a ni sanctionnés ni approuvés Je me fais fort de prouver qu'ils ne sont pas des conséquences légitimes de la foi ni de la morale de l'Eglise si quelques-uns les lui ont attribués, l'Eglise ne peut empêcher les paralogismes ni anéantir la logique des pas sions. Ces maux me semblent beaucoup moins grands en réalité qu'en peinture; cependant j'en parlerai brièvement, seulement pour la défense de l'Eglise, sur laquelle on veut en faire retomber le blâme. Si quelqu'un veut croire que ces inconvénients soient

particuliers à l'Italic, je ne prendrai nullement la peine de le détourner de son opinion. Cependant on doit observer que les citations des écrivains français, dans plusieurs cas, prouveront le contraire. On verra, dans leur manière d'établir les vérités catholiques, qu'ils ont combattu ces mêmes erreurs, comme existant en France. Plût à Dieu qu'il n'en fût pas ainsi! Comment peut-il se faire que ce soit une consolation pour l'orgueil national d'un chrétien de voir l'Eglise moins florissante en quelque lieu que ce soit ?

Partout les fidèles droits, éclairés, irrépréhensibles, font notre gloire, et nous devons suivre leur exemple si nous ne voulons pas qu'un jour ils deviennent notre condamna

tion.

CHAPITRE III.

De la philosophie morale et de la théologie.

Il y a sans doute une liaison intime entre la religion et la morale, et tout honnête homme doit reconnaître que le plus noble hommage que la créature puisse rendre à son Créateur, c'est de s'élever à lui par ses vertus. Cependant la philosophie morale est une science absolument distincte de la théologie; elle a ses bases dans la raison et dans la conscience, elle porte avec elle sa propre conviction; et après avoir développé l'esprit par la recherche de ses principes, elle satisfait le cœur par la découverte de ce qui est vraiment beau, juste et convenable. L'Eglise s'empara de la morale, comme étant purement de son domaine.... Page 413.

Quand Jésus-Christ dit aux apôtres : Instruisez tous les peuples en leur enseignant à observer tout ce que je vous ai commandé (Matth., XXVIII, 19, 20), il enjoignit expressément à l'Eglise de s'emparer de la inorale.

Certainement les hommes ont, indépendamment de la religion, des idées sur le juste et l'injuste, qui constituent une science morale. Mais cette science est-elle complète ? est-ce celle que nous devons adopter?

La morale doit-elle être distincte de la théologie, ou en elle cette distinction est-elle une imperfection? Voilà la question : c'est la résoudre que de l'énoncer. C'est précisément celte science imparfaite, erronée en tant de parties, et manquant en tout d'un fondement solide, que Jésus-Christ a voulu réformer, quand il a prescrit les actions et les motifs qui doivent nous faire agir, quand il a réglé les sentiments, les désirs et les paroles, quand il a réduit tout amour et toute haine aux principes qu'il a donnés comme éternels, infaillibles, uniques et universels. Alors il a uni la philosophie morale à la théologie: appartenait-il à l'Eglise de les séparer?

De quoi traite la philosophie morale ? de nos devoirs envers Dieu et les hommes, du bien et du mal, du bonheur; elle se propose enfin de diriger notre volonté dans le choix des actions: et la morale théologique a-t-elle un autre but? peut-elle l'avoir? Donc si elles tendent à une scule vérité, si elles diseutent

les mêmes principes, si elles les appliquent aux mêmes actions, comment formerontelles deux sciences différentes ? N'est-il pas vrai que, où elles ne sont plus d'accord, l'une doit être fausse, et que, quand elles s'accordent, elles ne forment qu'une science? Il est évident que dans les questions morales, on ne peut s'éloigner de l'Evangile il faut le rejeter ou l'admettre comme fondement. Nous ne pouvons faire un pas sans le trouver sur notre route on peut feindre de ne pas le voir, on ne peut l'éviter sans le heurter de front; on peut le faire en paroles, mais non de fait.

Je sais qu'ordinairement on admet cette distinction de la philosophie morale et de la théologie, et que, par ce moyen, on résout beaucoup de difficultés, on concilie beaucoup de choses contraires ; mais cet aveu n'est pas même une objection. Je sais aussi que beau coup d'hommes distingués ont adopté cette distinction, que même ils l'ont prise pour base d'une partie de leur système. Je puis citer à l'appui de ce que j'avance un homme et un livre des plus estimés. Comme dans cet ouvrage je ne suis point théologien, mais écrivain politique, il pourrait y avoir des choses qui ne seraient entièrement vraies que dans une façon de penser humaine, n'ayant point été considérées dans le rapport avec des vérités plus sublimes (Esprit des Lois, liv. XXIV, chap. I).

Quoique cette phrase soit de Montesquieu, elle ne manque pourtant pas de sens. Si ces choses sont entièrement vraies dans une façon de penser humaine, de quelque façon de penser que ce soit, elles seront aussi vraics. Cette opposition qu'il suppose pouvoir exister avec des vérités plus sublimes, ou n'existera pas, ou, si elle existe, elle prouvera que ces choses ne sont pas entièrement vraies. Si elles ont un rapport avec des vérités plus sublimes, il est essentiel d'examiner ce rapport, qui sera nécessairement la règle qui fera juger de la vérité de ces choses. L'erreur qui a fait écrire cette phrase et tant d'autres avait déjà été observée et signalée un demi-siècle auparavant par un observateur profond et subtil du cœur humain, par le grand Nicole. En considérant la portée de ces paroles dont on se sert si fréquemment, humainement parlant, il dit: Il semble, à nous entendre parler, qu'il y ait comme trois classes de sentiments, les uns justes, les autres injustes et les autres humains, et trois classes de jugements, les uns vrais, les autres faux et les autres humains. Cependant il n'en est pas ainsi. Tout jugement est ou vrai ou faux, tout sentiment est ou juste ou injuste; et il faut nécessairement que ceux que nous appelons jugements et sentiments humains se réduisent à l'une ou à l'autre de ces classes (Danger des entretiens des hommes, première partie, ch. V). Nicole a réduit la question aux plus simples termes, et puis il a merveilleusement démontré les raisons qui portent les hommes à tomber dans cette erreur. Dire qu'une chose est humainement vraie, c'est la proposer comme une hypothèse, mais on en

tire des conséquences comme si elle était absolument vraie. Cette manière de s'exprimer signifie donc Je sens que la maxime que je soutiens est opposée à la religion; je ne veux ni attaquer la religion ni abandonner la maxime; comme je ne puis logiquement les concilier, j'use d'un moyen qui, en laissant intact le fond de la question, me permet d'en tirer les conséquences que je désire.

En demandant s'il suffit qu'un principe soit humainement vrai pour pouvoir servir de base, on ferait voir de suite l'inutilité de cette expression. Pourquoi ne dit-on jamais, selon le système de Ptolémée, selon la chimie ancienne? parce que dans ces matières personne ne trouve d'intérêt à partir d'un faux principe.

Mais, sans vouloir porter aucun jugement sur Montesquieu, on peut dire que de son temps ce n'était nullement par ignorance que plusieurs écrivains se servaient de ces expressions.

La religion catholique était alors soutenue en France par la force; or par une loi qui durera aussi longtemps que le monde existera, la force fait naître la ruse pour la combattre (1); et ces écrivains, qui voulaient combattre la religion sans se compromettre, ne disaient pas qu'elle fût fausse, mais cherchaient à établir des principes incompatibles avec ses dogmes, et soutenaient que ces principes en étaient indépendants. N'osant renverser publiquement l'édifice du christianisme, ils élevaient auprès un autre édifice, qui, selon eux, devait détruire le premier (2).

(1) Le lecteur comprendra facilement que le mot loi veut dire ici non ce que l'on doit faire, mais ce que les hommes font généralement avec autant de certitude que s'ils y étaient obligés par une loi, à moins qu'ils ne soient soutenus par un principe et une force surnaturels. Les premiers chrétiens firent une glorieuse exception à ce que j'avance, et surent concilier d'une manière admirable la sincérité à la patience et à la résistance. Quelle divine sagesse dans ce conseil de fuir les persécutions! Comme elles conduisaient ou à la mort ou à l'apostasie, l'homme ne devait pas s'exposer à une épreuve si supérieure à ses forces; mais il devait la soutenir lorsqu'elle était inévitable. Selon la prudence humaine on ne pouvait imaginer un plan qui offrît moins d'espérance de succès, que celui qui excluait les avantages de la force et ceux de la ruse; qui ne permettait ni de transiger, ni de prendre du temps, ni de tromper l'oppresseur. Le plan du christianisme ne laissait à ses défenseurs, quand ils étaient en présence de l'ennemi, d'autre choix que celui de mourir sans se venger. Certainement tout sage, selon le monde, aurait annoncé que cette doctrine devait périr en peu de temps, à moins que ses partisans, instruits par l'expérience, ne changeassent leur manière de la propager; ce qu'il y a d'admirable, c'est que c'est précisément par la fidélité à suivre ces ordres que cette doctrine a été établie et répandue.

(2) Ce chapitre était déjà fait quand j'appris que la même question avait été récemment discutée par un respectable apologiste de la religion (Analyse raisonnée des systèmes et des fondements de l'athéisme et de l'incrédulité, dissertation VI, chap. 2). Malgré cela, j'ai cru devoir le laisser tel qu'il est, car it im

Mais cette philosophie morale a ses bases dans la raison et dans la conscience, elle porte avec elle sa propre conviction: el après avoir développé l'esprit par la recherche des principes, elle satisfait le cœur en lui faisant découvrir ce qui est vraiment beau, juste et convenable.

A-t-elle des bases établies? Produit-elle une conviction universelle et perpétuelle? Ses principes sont-ils reconnus par tous ceux qui la professent ? S'accorde-t-elle toujours et partout avec ce qui est beau, ce qui est juste, ce qui est convenable? Dans ce cas on peut la distinguer de la théologie; mais elle n'en a plus besoin, ou, pour mieux dire, elle n'est autre chose que la théologie même.

Si elle varie selon les lieux et les temps, elle ne sera plus une; on ne pourra donc la comparer à la morale religieuse, qui est telle. On pourra demander de quelle philosophie morale on veut parler, car il y en a certainement plusieurs. Il y a dans la morale deux choses principales, le principe et les règles des actions qui en font l'application; l'histoire des opinions morales présente en touLes deux les variétés les plus monstrueuses. Quant aux règles, il suffit pour s'en convaincre de se rappeler certains systèmes absurdes de morale pratique, qui ont été reçus par des nations entières. Quand Locke a voulu prouver qu'il n'y a pas de règles de morale innées et naturellement gravées dans l'âme des hommes, combien d'exemples n'en a-t-il pas cités (1) Il en a cherché la plus grande

porte de traiter non des choses nouvelles, mais des choses opportunes, et elles le sont toujours, celles qui touchent à un point contesté postérieurement par un écrivain distingué.

(1) Essai sur l'intelligence, liv. I, chap. 2. Après Locke, on a voulu de ces faits et d'autres du même genre tirer une conséquence beaucoup plus étendue, On a voulu en dé nire que le sentiment de la moralité n'existe pas dans les hommes.

Helvétius a cité beaucoup de faits pour prouver que dans tous les siècles et dans tous les pays, la probité ne peut être que l'habitude des actions utiles à la propre nation (Disc. 2, chap. 13). Un écrivain qui, avee raison et dignité, attaque ce sophisme qui confond l'idée de la justice avec son application, semble presque désapprouver la recherche de ces faits (Philosophie de Kant, par C. Villers, page 378). Madame de Staël s'y oppose plus expressément encore: (De l'Allemagne, troisième partie, chap. 2): « Qu'estce donc qu'un système qui inspire à un homme aussi vertueux que Locke de l'avidité pour de tels faits? Mais elle-même fit voir qu'elle sentait que ce n'était pas là une objection, car en effet elle ajouta immédiatement: Que ces faits soient tristes ou non, pourra-t-on dire, l'important est de savoir s'ils sont ‹vrais. › Rien de plus juste; on ne doit rechercher dans les faits que la vérité; celui qui craint de les examiner fait bien voir qu'il n'est pas certain de ses principes. Mais la célèbre dame, ajoute: Ils peuvent être vrais, mais que signifient-ils? » Ils signifient qu'il n'y a pas de principe inné de morale pratique ; vérité ni petite ni vulgaire avant Locke; en la faisant connaître et en la prouvant, il a détruit une erreur et rendu un service immense, car en morale toutes les erreurs sont nuisibles.

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Cette vérité formait la thèse de Locke, mais il faut avouer que ses raisonnements semblent se rapporter à la conséquence dont nous avons parlé. Si ne l'a

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