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l'infériorité apparente de l'un vis-à-vis de l'autre, nous autoriserait-elle à dire que la disposition présente de l'atmosphère n'est point au nombre des buts ou des desseins de Dicu? Cela empêcherait-il que nous ne pussions tirer des conséquences de la bonté reconnue de ce bienfait ? ou cela nous porterait-il à cesser d'admirer les moyens employés pour nous en faire jouir? Cette observation que nous avons cherché à éclaircir par un seul exemple tiré de la pluie qui tombe du ciel, pourrait l'être par presque tous les phénomènes de la nature; et la conclusion que nous sommes forcés d'adopter est que toutes les décisions fondées sur des recherches de ce que Dieu pourrait avoir fait, ou pourrait faire, ou même, comme nous avons quelque fois la présomption d'oser dire, aurait dû faire, ou dans des cas hypothétiques aurait fait, que toute semblable décision opposée à l'évidence des faits, est inadmissible. Cette manière de raisonner ne peut être reçue ni dans l'histoire naturelle, ni dans la religion naturelle, et ne saurait par conséquent l'être dans la révélation. Elle peut avoir quelque fondement quant à quelques idées spéculatives des attributs divins déduites a priori, mais elle n'en a aucun dans l'expérience et l'analogie. Le caractère général des ouvrages de la nature est de présenter d'un côté la bonté dans le but et dans les effets, et de l'autre une porte ouverte aux difficultés et aux objections, si l'on doit admettre comme objections des raisonnements tirés de ce qu'il nous semb'e que les ouvrages du Créateur sont incomlets et n'atteignent pas leur but. Le christianisme participe à ce double caractère. Le vrai rapport entre la nature et la révélation consiste en ce que l'une et l'autre conservent des marques frappantes de leur original; mais l'une et l'autre offrent aussi des apparences d'irrégularité et de défectuosité qui n'empêchent pas que le vrai système de J'univers dans ces deux cas ne puisse être un système strict d'optimisme. Ce que je soutiens, c'est que la preuve est voilée pour nous, que nous ne devons pas prétendre découvrir dans la révélation ce que nous pouvons difficilement découvrir dans toute autre chose; que nous devons être contents de cette bonté dont nous pouvons juger, ct que l'optimisme, dont nous ne pouvons pas juger, ne doit point être l'objet de nos recherches. Nous pouvons juger de la bonté, parce qu'elle se montre dans des effets soumis à notre expérience, dans les rapports entre les moyens dont nous apercevons J'action, et le but qui en est le résultat. Nous ne pouvons pas juger de l'optimisme, parce qu'il faudrait pour cela comparer ce qui a été eprouvé avec ce qui ne l'a pas été, comparer les conséquences que nous voyons avec celles que nous imaginons, et dont plusieurs nous sont probablement et quelques-unes absolument inconnues.

L'objection n'aura pas plus de poids si nous essayons de comparer le christianisme avec l'état et les progrès de la religion natu

relle. Je me rappelle avoir entendu un incrédule dire que si Dieu avait donné une révélation, il l'aurait écrite dans les cieux. Les vérités de la religion naturelle sontelles écrites dans les cieux, ou dans une langue commune à tous? Est-ce ainsi que nous avons été instruits dans les arts les plus utiles et dans les sciences les plus nécessaires à la vie humaine? Les habitants d'Otaïti ou les Eskimaux n'ont aucune idée du christianisme, mais connaissent-ils mieux les principes du déisme et de la morale? et cependant, malgré leur ignorance, ces principes ne laissent pas d'être vrais, importants et certains. La connaissance de l'existence de Dieu est le résultat d'observations que ne font pas tous les hommes, qu'ils ne sont peut-être pas tous capables de faire ; en conclura-t-on que Dieu n'existe pas, parce que s'il eût existé, il se serait montré à nous ou se serait manifesté aux hommes à l'aide de preuves qui n'auraient pu échapper à l'attention, et qu'aucun préjugé n'aurait pu affaiblir.

Si l'on considère le christianisme comme un instrument employé par la Providence à l'amélioration du genre humain, ses progrès el sa propagation pourront ressembler aux progrès et à la propagation d'autres causes qui tendent à perfectionner la vie humaine. Nous ne voyons pas une plus grande diversité dans la religion, ni plus de lenteur dans ses progrès, qu'on en voit dans ce qui tient aux sciences, à la liberté, aux gouvernements, aux lois. La Divinité n'a pas tracé l'ordre de la nature en vain. La religion juive a produit de grands et de permanents effets; la religion chrétienne en a fait autant: elle a préparé la réformation du monde, elle a mis les choses en bon train; il n'est point improbable qu'elle devienne universelle, et que le monde jouisse si longtemps de cet état, que la durée de son règne universel fasse disparaître celle où son influence n'a été que partielle.

Quand on va jusqu'à dire que le christianisme doit nécessairement êire vrai, parce qu'il est avantageux, on va peut-être trop loin d'un côté; et sûrement trop loin de l'autre, quand on conclut qu'il doit être faux, parce que son efficace n'est pas aussi étendue que nous l'aurions pu supposer. Ce genre d'argument manque des deux côtes de force. Nous ne pouvons juger de la vérité de la religion que d'après les preuves qui lui sont propres. L'évidence (comme l'a judicieusement observé l'évêque Butler) dépend du ju-` gement que nous formons de la conduite humaine dans certaines circonstances données, et dont nous pouvons avoir quelque connaissance tandis que l'objection repose sur la conduite supposée de Dieu, sous des rapports que nous ne connaissons pas.

Il ne serait pas aisé de prévoir quel serait l'effet de cette évidence toute-puissante, que nos adversaires requièrent d'une révélation; nous n'en pouvons parler que comme d'une dispensation dont nous n'avons aucune expérience. Il en résulterait probablement quel

ques conséquences qui ne paraissent pas convenir à une révélation divine. L'une serait qu'une preuve irrésistible restreindrait trop l'influence de la volonté, ne s'accommoderait point avec un but d'épreuve et d'examen, n'exigerait ni candeur, ni attention, ni humilité, ni recherches, ni obéissance de passions, d'intérêts, de préjugés à l'évidence morale, à des vérités probables; ne demanderait aucune habitude de réflexion, aucun désir antécédent de connaître la volonté de Dieu et de lui obéir; c'est là cependant la pierre de touche de tout principe vertueux, c'est ce qui porte l'homme à se conformer avec soin et avec respect à toutes les intentions de cette volonté sainte, à renoncer aux avantages et aux plaisirs du moment, lorsque par là nous pouvons raisonnablement espérer de nous concilier la faveur divine. L'épreuve morale à laquelle l'homme est appelé, est peutêtre de s'assurer s'il est disposé à s'instruire par un examen impartial et à agir en conséquence d'après l'évidence qu'il a pu acquérir. Nous voyons par expérience que c'est en cela que consiste souvent notre épreuve dans nos rapports ici-bas (Butler's Analogy, part. HI, c. 6).

II. Ces moyens irrésistibles de communication seraient incompatibles avec l'évidence intérieure, qui doit peut-être entrer en grande partie dans la preuve d'une révélation, parce que cette espèce d'évidence s'allie avec la connaissance, l'amour et la pratique de la vertu, et qu'elle a plus ou moins de force en proportion qu'elle trouve plus ou moins de ces qualités dans le cœur de l'homme. Les chrétiens bien disposés sont fortement émus par l'impression que fait sur leur esprit la lecture de nos saints livres. Cette impression ajoute à leur conviction, et peut-être est-ce là un des effets que le christianisme devait produire. Et quoiqu'il n'entre-pas dans le plan de mon ouvrage de parler de la doctrine. chrétienne quant à ce qui concerne la grâce et ses secours, de parler de cette promesse de Christ: Que si quelqu'un veut faire sa volonté, il connaîtra si sa doctrine vient de Dieu (Jean, VII, 17), je crois qu'on peut dire avec certitude, quelle qu'en soit la cause, que tout homme qui s'efforce sincèrement d'après ce qu'il croit, c'est-à-dire d'après le juste résultat des probabilités, ou si vous préférez, d'après ce qui paraît possible dans la religion naturelle et révélée, d'après une estimation raisonnable des conséquences, surtout d'après l'effet de ces principes de gratitude et de dévotion que fait naître dans un esprit sage la seule vue de la nature, je crois qu'un tel homme fera des progrès, et cet effet peut aussi avoir été un des buts de la révélation.

Ne pourrait-on done pas dire qu'une évidence irrésistible confondrait tous les caractères et toutes les dispositions, renverserait le plan de Dieu, qui est de traiter les agents moraux comme tels, et non d'obtenir une obéissance qui, ditférant peu d'une contrainte mécanique, ne serait que régularité et non vertu, et ressemblerait à cette soumission des corps inanimés aux lois imprimées par la

nature. Le but des conseils divins est que les lumières et les motifs soient de nature et distribués de manière que leur influence dépende de ceux qui les reçoivent. Il ne convient pas de gouverner des agents libres et raisonnables, in via, par la vue et les sens. Il n'y aurait ni épreuve, ni mérite au pécheur le plus sensuel de s'abstenir de péché, si le ciel et l'enfer étaient sous ses yeux. Cette vision spirituelle et cette jouissance doit être notre apanage in patria (Baxter's Reasons, p. 357). 11 peut y avoir du vrai dans cette pensée, quoique exprimée rudement; il me paraît être de la plus grande improbabilité que l'espèce humaine occupe le premier rang dans l'univers, et que la nature animée, qui du plus humble reptile s'élève par gradation jusqu'à nous, n'ait pu aller au delà. S'il existe audessus de nous des classes d'intelligences raisonnables, elles doivent jouir de manifestations plus claires, ce doit être là une de leurs prérogatives, et ce pourra être un jour la nôtre.

1. Ne pourrait-on pas aussi demander Si la perspective distincte d'un état futer d'existence serait compatible avec l'activité que demandent les occupations civiles, et le succès des affaires humaines? Je comprendrais aisément que cette impression pourrait être trop forte, qu'elle pourrait s'emparer tellement de nos pensées, qu'elle ferait cesser tous les soins, toutes les occupations des hommes dans leurs différentes situations, étoufferait toute sollicitude sur le bonheur temporel, même sur les besoins de la vie, et n'offrirait pas un aiguillon suffisant à l'industrie du monde présent (1). Nous lisons

(1) Le traducteur pense qu'on retrouvera avec plaisir sur ce sujet le passage suivant de M. de SaintPierre (Etudes de la nature. tome I). ‹ Que si l'on de

mande pourquoi nous n'avons maintenant que des désirs, des pressentiments d'une vie future, c'est que notre vie terrestre n'en comporte pis de plus sensibles. L'évidence sur ce point entrainerait les mêmes inconvénients que celle de l'existence de Dieu. Si nous étions assurés par quelque témoignage évident qu'il existe pour nous un monde à venir, je suis persuadé que dans l'instant toutes les ocençations du monde présent finiraient. Cette perspective de félicité divine nous jetterait ici-has dans un ravissement lethargique. Je me rappelle que quand j'arrivai en France sur un vaisseau qui venait de Indes, dès que les matelots eurent distingué parfaitement la terre de la patrie, ils devinrent pour la plupart incapables d'aucune manœuvre. Les uns la regardaient sans en pouvoir détourner les yeux, d'autres mettaient leurs beaux habits comme s'ils avaient été au moment d'y descendre, il y en avail qui parlaient tout seuls, d'autres qui pleuraient. A mesure que nous en approchions, le trouble de 4lear tête augmentait. Comme ils en étaient absents depuis plusieurs années, ils ne pouvaient se lasser d'admirer la verdure des collines, etc.; les clochers des villages où ils étaient nés, qu'ils reconnaissaient au loin dans les campagnes et qu'ils nommvient l'un après l'autre, les remplissaient d'allégresse. Mais quand le vaisseau entra dans le port, qu'ils virent sur les quais leurs amis, leurs pères, leurs mères, leurs femmes, leurs enfants qui leur tendaient les bras en pleurant, les appelaient par leurs noms, ti fut impossible d'en retenir un seul à bord, il fallut

à l'occasion des premiers chrétiens, qu'ils persévéraient ensemble dans la foi, possédaient tout en commun, qu'ils vendaient leurs possessions et leurs biens, et les distributient à tous, selon que chacun en avait besoin; qu'ils persévéraient tous d'un accord dans le temple; el rompant le pain de maison en maison, ils prenaient leurs repas avec joie et avec simplicité de cœur (Act., 11, 44-46). Tout ceci était bien naturel; c'est ce qu'on devait attendre de cette masse d'évidence miraculeuse qui pour lors arrivait aux sens avec une grande force; mais si cet état eût été universel ou eût duré longtemps, je doute fort que les affaires du monde y eussent gagné. La culture des arts nécessaires à la vie sociale cût été négligée, la charrue et la navette eussent été dans l'inaction; on eût été loin de voir fleurir l'agriculture, les manufactures, le commerce et la navigation, si tant est qu'on s'y fût appliqué. Laissant de côté toute affaire et toute industrie raisonnable, l'homme se serait consacré à la contemplation et à la vie ascétique. Aussi saint Paul crut-il nécessaire de rappeler ceux qu'il avait convertis aux travaux ordinaires, et aux devoirs domestiques de leur état; il crut devoir leur donner lui-même l'exemple de l'application aux travaux de la vie présente. La manière dont on invite à la religion aujourd'hui permet à ceux qui l'embrassent, les sollicite même, à chercher leur salut dans le christianisme, sans que celle recherche doive interrompre la prospérité et le cours des occupations humaines.

CHAPITRE VII.

Effets qu'on attribue au christianisme.

On comprend qu'il y ait des hommes qui refusent leur assentiment à une religion, quoique, sous quelque forme qu'elle soit prêchée, elle s'accorde à annoncer finalement des récompenses à la vertu et des châ-timents aux vices, en nous donnant sur le vice et sur la vertu des notions reconnues pour être justes, par les hommes les plus sages et les plus instruits; mais on ne comprend pas qu'il s'en trouve qui osent soutenir qu'elle ne produit aucun bien, mais qu'au contraire le plus ou moins d'attachement au christianisme produit des effets plus ou moins préjudiciables au bonheur public. Cependant plusieurs auteurs ont soutenu ce paradoxe, et on s'est permis, pour en prouver la vérité, d'en appeler hardiment à l'histoire et à l'expérience.

Je crois apercevoir deux sources d'erreur dans les conclusions que ces auteurs tirent de ce qu'ils appellent expérience.

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La première, c'est qu'ils veient l'influence de la religion où elle n'est pas.

La seconde, c'est qu'ils chargent le christianisme de conséquences dont il n'est pas responsable.

I. Il ne faut pas s'attendre que la religion influe sur les conseils des princes, sur les débats ou les résolutions d'une assemblée populaire, sur la conduite des gouvernements vis-à-vis des sujets, ou sur les relations des Etats et des souverains vis-à-vis les uns des autres, non plus que sur les conquérants à la tête de leurs armées, ou sur des partis qui intriguent pour arriver au pouvoir; et ce sont là cependant les sujets qui fixent l'attention et remplissent les pages de l'histoire. L'influence de la religion s'aperçoit, si tant est qu'elle puisse être apercue, dans le cours silencieux et secret de la vie domestique. Je vais plus loin là même son influence échappe souvent à l'observation: ses effets extérieurs se bornent à réprimer jusqu'à un certain point l'intempérance personnelle, à montrer de la probité dans une transaction, à établir la douceur et l'humanité dans les mœurs sociales, à porter quelques individus à des actes de bienfaisance pénibles ou coûteux. Le royaume des cieux est au dedans de nous. L'essence de la religion, ses espérances, ses consolations, son association avec toutes nos pensées de jour et de nuit, cette dévotion du cœur, ce frein qui modère nos penchants, cette direction forme de la volonté vers les commandements de Dieu, tout cela est nécessairement invisible, et c'est cependant de là que dépend la vertu et le bonheur de plusieurs millions d'hommes. D'après cela, la manière dont l'histoire représente ce qui concerne la religion, devra être plus défectueuse et plus infidèle que la représentation de tout autre sujet. La religion opère le plus sur ceux que l'histoire connaît le moins, sur les pères et mères dans leurs familles, sur les domestiques, sur le marchand sage, sur le villageois tranquille, sur le manufacturier à son travail, sur le laboureur dans ses champs. L'influence de la religion pourra être collectivement d'un prix inestimable sur cette classe d'hommes, sans que pour cela elle s'aperçoive chez ceux qui figurent sur le théâtre du monde. Ceux-ci pourront la méconnaître, ils pourront refuser d'y croire, ils pourront être mis en action par des motifs plus impétueux que ceux que la religion peut offrir. Serait-il donc étrange que cette influence ne pût être saisie par le pinceau de l'histoire générale qui n'est appelé à tracer que les succès, les revers, les vices, les folies, les querelles de ceux qui luttent dans la carrière pour disputer les premières places?

J'ajouterai que cette influence secrète de la religion se faisant plus sentir dans les temps de calamités générales que dans ceux de prosperité et de sécurité publique, il en résulte une plus grande incertitude sur les opinions que nous pouvons nous en former d'après l'histoire. Cette influence ne peutpoint être calculée par les effets qu'elle nor

présente ce n'est pas que nous attribuions à cette influence un pouvoir nécessaire et irrésistible sur les intérêts des nations, jusqu'à croire qu'elle prédomine l'action de

toute autre cause.

La religion chrétienne agit aussi sur les usages et sur les institutions publiques par une opération secondaire et indirecte. Le christianisme n'est pas un code de lois civiles; il ne peut atteindre les institutions publiques que par l'entremise des individus. Son influence peut donc être grande sur les individus, quoiqu'on voie subsister plusieurs usages et institutions qui répugnent à ses principes. Pour les faire cesser, il faudrait le concours de toute la société; mais il doit s'écouler bien du temps avant que les personnes qui la composent puissent revêtir le caractère de chrétien, au point de se réunir pour coopérer ensemble à la suppression de certaines pratiques auxquelles on s'est accoutumé, ainsi qu'on s'accoutume à tout par habitude et par intérêt. Toutefois les effets du christianisme même sous ce point de vue ont été importants. On lui doit d'avoir rendu les guerres moins rigoureuses et le traitement des captifs moins sévère, d'avoir adouci l'administration des gouvernements despotiques ou de ceux qui en ont le nom, d'avoir aboli la polygamie, d'avoir restreint la licence du divorce, d'avoir fait cesser l'expo

sition des enfants et l'immolation des esclaves. On lui doit la suppression des combats de gladiateurs (1) et de l'impureté dans les cérémonies religieuses, d'avoir banni des vices contre nature, ou empêché qu'ils ne fussent tolérés. Le christianisme a considérablement amélioré la condition de la classe la plus active et la plus nombreuse de la société, en lui assurant un jour de repos dans la semaine. Tous les pays chrétiens ont offert de nombreux établissements pour le soulagement des pauvres et des malades, et dans quelques-uns des revenus réguliers leur ont été assignés par la loi. Le christianisme a fait cesser l'esclavage dans l'empire romain; et il travaille, j'ose dire avec espérance de succès, à faire cesser l'esclavage bien plus cruel qui existe aux Indes occidentales.

Un écrivain chrétien (Bardesanes, ap. Euseb. Præp. Evang., VI, 10) du second siècle nous atteste déjà la résistance que le christianisme opposait alors à des pratiques licencieuses autorisées par la loi et par l'usage. Déjà, dit-il, on ne voit plus chez les Parthes les chrétiens, quoique Parthes eux-mêmes, faire usage de la polygamie; on ne voit point ceux qui, Persans d'origine, vivent en Perse, épouser leurs filles; on ne voit point ceux qui vivent au milieu des Bactres et aes Gaulois, violer la sainteté du mariage; dans quel

(1) Lipsius assure (Sat. b. 1, c. 12) que les spectacles de gladiateurs coûtaient quelquefois à l'Europe vingt å trene mille hommes par mois, et que nonseulement les hommes, mais même les femmes de tout rang se montraient passionnées pour ce genre de spectacle (Voyez l'Evêque Porteus, serm. 13).

que pays que les chrétiens se trouvent, ils ne cèdent point à l'influence de lois immorales et de mauvaises mœurs.

Socrate ne fit point cesser l'idolâtrie a Athènes; il n'apporta pas le plus léger changement dans les mœurs de son pays.

Le raisonnement auquel je reviens, c'est que les bienfaits de la religion, se faisant principalement sentir dans l'obscurité des conditions privées, échappent nécessairement à l'observation de l'histoire. A compter depuis la première manifestation générale du christianisme jusqu'à aujourd'hui, il y a eu dans chaque siècle des millions d'hommes dont nous n'avons jamais entendu prononcer les noms, et dont la conduite et les dispositions ont été améliorées par sa lumière; des milions d'hommes qui ont été rendus plus heureux, non pas tant dans leurs circonstances extérieures comme dans ce qui est inter præcordia, dans ce qui mérite le nom de bonheur, je veux dire la tranquillité et la consolation de leurs pensées. Le christianisme a procuré dès son commencement le bonheur, et avancé la vertu de millions et de millions d'hommes. Eh! qui pourrait ne pas souhaiter que son fils fût chrétien ?

On peut encore affirmer que le christianisme a obtenu dans tous les pays où il est professé, une influence sensible, quoique imparfaite, sur le jugement public qu'on porte de la morale. Et ce point est bien important; car si l'opinion publique n'était pas occasionnellement corrigée par une autorité fixe sur la morale, qui pourrait prévoir à quelles extravagances on se laisserait aller? L'assassinat pourrait devenir aussi honorable que le duel; les crimes contre nature pourraient paraître excusables, ainsi que nous voyons que la fornication le parait être aujourd'hui. Et sous ce point de vue, il en est peut-être plusieurs qui, sans être eux-mêmes chrétiens, sont retenus dans l'ordre par le christianisme. Ils peuvent être guidés par une espèce de rectitude qu la religion communique à l'opinion publique. Leur conscience peut les éclairer sur leurs devoirs, et ces suggestions qu'ils attribuent à un sens moral ou à la capacité naturelle de l'entendement humain, ne sont dans le fait autre chose que l'opinion publique dont leur esprit s'est éclairé; opinion qui a été en grande partie modifiée par les leçons du christianisme. Il est certain, et en ceci nous croyons dire beaucoup, que la généralité même de la classe la plus basse et la plus ignorante du peuple, a des connaissances plus vraies et plus dignes de Dieu, des idées plus justes de ses perfections, un sentiment plus profond de la différence entre le bien et le mal, un plus grand respect pour les obligations morales et pour les devoirs ordinaires et les plus nécessaires de la vie, une attente plus ferme et plus universelle d'un état futur de récompenses et de châtiments, que n'en ont eu dans les contrées païennes un petit nombre d'hommes choisis (Clark. Ev. Nat. Rev. P. 208, ed. 5).

Après tout, n'apprécions pas la valeur du christianisme d'après ses effets temporels. Le but de la révélation est d'influer sur la conduite de homme dans celle vie; mais la somme de bonheur qui peut résulter de cette influence ne peut être estimée qu'en prenant la totalité de son existence présente et future. Il pourrait se trouver alors, come nous l'avons déjà observé, que le christianisme aurait de grandes conséquences sur la masse entière du genre humain, qui n'en découleraient pas sous son rapport de révélation à une portion de cette masse. Les effets de la mission, de la mort, de l'action présente et future de Christ quant au salut de l'homme, pourraient être universels lors même que la religion ne serait pas universellement révélée.

Secondement, je soutiens que l'on charge le christianisme de plusieurs conséquences dont il n'est pas responsable. Je crois que les motifs religieux n'ont pas plus influé sur la formation des neuf dixièmes des lois d'intolérance et de persécution en fait de religion, qu'elles n'ont influé en Angleterre sur les lois concernant la chasse. Les mesures prises paraissent bien avoir la religion chrétienne en vue, mais le principe qui les dicte n'appartient pas au christianisme; ce principe n'est autre chose, sinon que ceux qui sont en possession du pouvoir font tout ce qu'ils peuvent pour le conserver. Le christianisme ne peut être responsable d'aucun des maux que la persécution a pu occasionner, excepté de ceux qui ont été ordonnés par des persécuteurs consciencieux. Mais ceux-ci n'ont peut-être jamais été nombreux ni puissants. Ce n'est pas même au christianisme qu'on est en droit d'imputer leurs erreurs. Ce qui les a égarés ne provenait pas de ses principes; l'erreur appartenait à leur philosophie morale, et non à la religion. Ils se sont attachés à des cas particuliers sans réfléchir aux conséquences générales. Dans la persuasion où ils étaient que certains articles de foi, que certaines pratiques du culte étaient utiles, peut-être essentielles au salut, ils se sont crus obligés de forcer tous ceux qu'ils ont pu à les adopter. Ils s'y sont crus obligés, sans penser quel serait l'effet de leur conclusion lorsqu'on viendrait à l'adopter comme une règle générale de conduite. Si, comme le Coran, la loi chrétienne cût contenu des préceptes qui eussent autorisé la contrainte en fait de religion et la violence vis-à-vis des incrédules, le cas serait bien différent; alors nous n'eussions pas fait cette distinction, ni entrepris la défense de cette cause.

Je ne fais l'apologie d'aucune espèce et d'aucun degré de persécution, mais je n'en crois pas moins que les faits ont été exagérés. L'esclavage des Nègres fait périr plus d'hommes en un an que l'inquisition n'en a fait périr dans un siècle, n'en a fait périr peut-être depuis sa fondation.

Si l'on nous objecte, comme je m'y attends, que le christianisme est responsable de tous les malheurs dont il a pu être l'occasion,

sans en être le motif; je répondrai que si les passions malveillantes existent, les occasions ne leur manqueront jamais; cet élément nuisible trouvera toujours un conducteur capable d'en fixer l'explosion. Cette admission générale si vantée de la théologie païenne préserva-t-elle l'empire romain de guerres ? prévint-elle les oppressions, les proscriptions, les massacres et les dévastations? Est-ce la bigoterie qui conduisit Alexandre dans l'Orient, et César dans les Gaules? Aperçoiton que les nations chez lesquelles le christianisme n'a pas pénétré, ou du sein desque les il a été proscrit, soient exemptes de querelles? et leurs querelles sont-elles moins désastreuses, moins sanglantes ? Est-ce au christianisme plutôt qu'au manque de christianisme qu'on doit attribuer l'état où se trouvent les plus belles contrées de l'Orient, ces contrées inter quatuor maria, la péninsule de la Grèce, une grande partie des côtes de la Méditerranée, qui ne sont aujourd'hui qu'un désert? Imputera-t-on au christianisme l'anarchie féroce, les hostilités continuelles qui ne cessent de ravager les contrées où le Nil maintient une fertilité que la négligence du cultivateur ne peut suspendre, ni la guerre faire cesser? L'Europe n'a point eu de guerres de religion depuis plusieurs siècles; mais à peine a-t-elle été un moment sans guerres. Imputerez-vous au christianisme les calamités qui ont pesé sur elle il n'y a pas longtemps? Le royaume de Pologne est-il tombé sous les coups d'une croisade chrétienne? Sont-ce les amis ou les ennemis de la religion qui ont renversé pour un temps en France toute espèce d'ordre civil et de sécurité? Parmi les terribles leçons qu'offriront au genre humain les crimes et les malheurs de ce pays, n'oublions pas celle-ci : c'est qu'on peut être persécuteur sans être bigot; qu'en fait de rage et de cruauté, de méchanceté et de destruction, l'incrédulité l'emporte encore sur le fanatisme. Enfin, en voyant sous nos yeux combien les guerres que se font les nations, sont moins cruelles et moins ruineuses qu'elles n'étaient autrefois, on ne pourra s'empêcher de reconnaître que le christianisme, plus qu'aucune autre cause, a opéré ce changement. Oui, même sous cet affligeant point de vue, le christianisme a été utile au monde; il a adouci, par plus d'humanité, les calamités de la guerre, et,a cessé de la provoquer.

Les effets que les différences d'opinions, qui ont existé dans tous les siècles parmi les chrétiens, ont produits, nous ramènent aux deux sources d'erreurs que nous avons indiquées. Si nous étions revêtus du caractère dont le christianisme s'efforce de nous pénétrer, ces différences d'opinions ne causeraient que peu de mal. Et au défaut de ce caractère, d'autres causes sans celles gne la religion peut fournir, n'existeraient-elles pas toujours pour mettre en action des passions malveillantes? La diversité des opinions sera pour l'ordinaire innocente, utile même, lorsqu'elle sera accompagnée de cette charité mutuelle dont le christianisme ne nous dispense ja

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