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Kéflexions

SUR LA MÉTHODE INTRODUITE PAR GEORGES HERMÈS

DANS LA

THEOLOGIE CATHOLIQUE,

ET-SUR QUELQUES ERREURS PARTICULIÈRES DU MÊME,
EXTRAITES DU SEIZIÈME VOLUME, LIVRE XLVII,

DES

ANNALES DES SCIENCES RELIGIEUSES,

PAR J. PERRONE (1).

TRADUIT DE L'ITALIEN PAR M. L'ABBÉ TH. B., CURÉ DE DOMAZAN (Gard).

La méthode est tout en philosophie : telle est la doctrine certainement fausse et trèscondamnable enseignée dans quelques écoles modernes philosophico-théologiques d'Hegel et des éclectiques: doctrine dont elles se prévalent mal à propos pour réduire toute la métaphysique à la pure logique, la réalité à de pures idées abstraites, enfin pour métamorphoser Dieu lui-même en un être de raison qui, par suite de progrès produits selon les règles de la dialectique, se développe indéfiniment dans l'histoire de l'humanité, dans la religion, dans les siences et dans les arts; d'un autre côté, cependant, il est vrai qu'en fait de science le bon ou le mauvais succès dépend en grande partie de la méhode employée pour acquérir les connaissances qui sont l'objet de notre sollicitude. La méthode est pour le savant ce qu'est la arte pour le hardi navigateur qui parcourt es mers; elle lui fixe le point de départ et le ivage où il doit aborder; elle lui indique i'une manière sûre le chemin qu'il doit suivre lans sa longue et périlleuse navigation. Mais si la carte est perfide et infidèle, comnent espérer de réussir, pour me servir de expression de notre Dante, à entrer gloieusement dans le port? Or, s'il fut jamais n fait de science une navigation ardue et érilleuse pour l'intelligence humaine, n'este pas celle où l'homme, plein de confiance

(1) Cette dissertation fut lue dans l'Académie de la eligion catholique à Rome, le 1er septembre 1842, par e révérendissime père Jean Perrone de la compagnie ie Jésus, professeur de théologie au collège Romain, onsultenr de la sainte congrégation de la propagande des affaires ecclésiastiques extraordinaires, examiteur des évêques, etc.

dans ses propres forces, s'enfonce dans les profondeurs mystérieuses de la religion, de de la théologie catholique, où les fondements et les principes ne sont point le fruit spontané de la raison naturelle, mais l'émanation immédiate de l'infaillible autorité de la révélation, qui a Dieu pour auteur; où les vérités sont si élevées au-dessus de l'esprit humain; où manquer d'atteindre le but, s'écarter du droit sentier, ne diminue pas seulement la réputation de celui qui s'égare en lui attirant l'épithète d'esprit faux, comme cela arrive dans les autres sciences, mais où son erreur entraîne dans lui et dans les autres la perte du trésor précieux de la foi? Il est donc important de diriger prudemment sa course sur cette mer hasardeuse, de suivre une bonne et sage méthode, bien accommodée à la nature de la science divine que l'on traite. Autrement on courra évidemment le danger d'aller se briser contre de nombreux écueils et de faire un triste naufrage.

Dans le douzième siècle florissait un homme d'un génie subtil et profond, qui, occupé tout entier des spéculations philosophiques de ce temps, entrait d'un pied hardi dans le champ de la théologie catholique et y faisait d'étranges ravages.Comme vous pouvez facilement le penser, messieurs, je veux parler d'Abailard. Ce n'est pas qu'Abailard ne professât du respect pour l'autorité suprême de l'Eglise, qu'il eût directement l'intention de corrompre son enseignement: mais ce fut la méthode qu'il suivit en théologie qui l'égara; il regarda la foi comme une hypothèse une estimation) c'est-à-dire une opinion dont on démontre la force et la certitude par des preu

ves rationnelles ; il traita les dogmes comme autant de problèmes; il discuta dans chacun le pour et le contre, le sic et le non, comme il intitula son livre que le professeur Victor Cousin faisait paraître à Paris, quelques années après, avec d'autres écrits d'Abailard; en un mot, il rendait en tout la foi divine, dépendante de ses opinions philosophiques, du jugement de sa raison; et, pour me servir 3 des paroles de son illustre et redoutable antagoniste, saint Bernard, il finit par parler en urien de la Trinité, en pélagien sur la grâce, et il raisonna comme un nestorien sur la personne du Christ.

Je quitte le douzième siècle, messieurs, j'appelle aujourd'hui votre attention sur le nôtre, siècle beaucoup plus digne de notre estime par l'aménité des mœurs et par les nobles progrès des sciences et des arts, mais aussi beaucoup plus fécond en toutes sortes d'erreurs. Pour ne point m'écarter du sujet que je me suis proposé de traiter, je vais vous donner une preuve bien triste, mais une preuve récente, incontestable des errements inséparables d'une méthode arbitraire, trompeuse, dangereuse, suivie dans les sciences théologiques. Georges Hermès se 'propose pour but de ses investigations, non de saper les fondements de la religion, mais de la consolider; il veut donner une démonstration invincible de la religion chrétienne en général et de la religion catholique en particulier; il se propose d'édifier un système théologique lumineux par la clarté de ses principes et de ses conclusions, solide par l'enchaînement serré et bien coordonné de ses parties, en un mot tel qu'il puisse forcer les ennemis eux-mêmes de la foi à en reconnaître la vérité et la beauté !... Mais que vois-je? il s'enveloppe lui-même dans les filets de la philosophie de Kant, tandis qu'il cherche à la combattre de toutes ses forces et qu'il se flatte de l'avoir vaincue : connaissant mal la nature de cette foi divine qu'il veut défendre, et plein de confiance dans l'orgueil subtil de sa propre raison, il méprise les apologistes anciens et modernes et en général toute autorité théologique, et il ne se fonde que sur une méthode trompeuse qui l'égaré et lui fait obtenir des résultats entièrement contraires. Tel est le sujet que je vais développer autant que le permettent les bornes d'un discours. Et pour que mon plan ne manque point d'ensemble et d'unité, je le résume dans les propositions suivantes: Hermès, en vertu de la méthode qu'il a adoptée et fidèlement suivie: 1° pose pour fondement du christianisme et du catholicisme un système qui entraîne dans l'incrédulité. 2° Par ce principe même, à l'aide duquel il cherche à démontrer la vérité de l'un et de l'autre, il enlève tout moyen de prouver leur vérité historique. 3 Enfin il se jette dans un système théologique qui détruit et renverse les doctrines les plus essentielles de la théologie catholique. Puisse cet exemple servir de leçon salutaire à ces esprits inquiets et superbes qui, dédaignant comme vieilles et usées les méthodes approuvées par la tra

dition catholique dans l'enseignement de la théologie, ne cherchent qu'à tenter de nouveaux essors et à se frayer des voies qui n'aient pas été battues!

Quand Georges Hermès commençait à s'oc cuper de la partie apologétique et dogmatique de la religion, il trouvait d'un côté le scepticisme et le rationalisme de Kant et de Fichte, de l'autre le sentimentalisme de Jacobi, l'antagoniste de Kant; à côté de ce dernier se plaçait, pour ainsi dire, Schelling, avec son intuition sentimentale et immédiate de l'absolu, qui se perdait dans la philosophic de l'identité ou le panthéisme. Hermès, ennemi de toute espèce de sentimentalisme, et admirateur de Kant et de Fichte, mais en même temps connaissant très-bien la nature sceptique de leur philosophie et son hostilité à la religion révélée, s'efforça de combattre les principes du kantisme et du fichtisme, en leur substituant un système philosophique d'après lequel il pût rigoureusement démontrer la vérité du christianisme et du catholicisme, et sur lequel il pût solidement asseoir le grand édifice des dogmes catholiques. Dessein excellent et neuf s'il eût employé une autre méthode et d'autres armes dans celie lutte périlleuse.

Que croyez-vous donc qu'a choisi Hermès pour être le fondement et la première pierre du grand édifice qu'il voulait nouvellement reconstruire? Le doute positif, absolu, universel, perpétuel. Il fit une loi et il imposa sévèrement cette loi comme une condition indispensable à tous ceux qui se feraient ses disciples nous devons douter de tout, constamment, entièrement et toujours, tant que la force de la raison ne nous contraint pas de reconnaître et d'admettre quelque chose comme vrai. (1)

Quand je dis douter de tout, je prends ce mot dans le sens littéral; il s'étend à l'objet comme au sujet, à commencer par la conscience elle-même, qu'il commença par regarder comme quelque chose de problématique. Quand je dis constamment, ceci doit s'entendre d'un doute qui n'est chassé, comme on a coutume de dire, que par une véritable et pressante nécessité; enfin par ces mots entièrement et toujours, il faut entendre un doute qui embrasse les vérités psychologiques, métaphysiques, morales, religieuses, théologiques; ce doute doit exister dans un infidèle comme dans un chrétien, lequel, par conséquent, afin de remplir la condition indispensable, absolument requise pour re construire en lui-même raisonnablement sa croyance, serait forcé de douter sérieusement de la vraic foi dans laquelle il a eu le bonheur de naître et d'être élevé. Ensuite Hermès exige rigoureusement de ses disciples,

(1) Le lecteur trouvera de plus longs développements et des preuves plus détaillées de ce que je te fais qu'indiquer ici dans mon second article sur l'hermésianisme, insérées dans les Annales des science a religieuses, vol. IX, livrais. 27, ainsi que dans la tri sième partie de mon traité de locis theologicis, art. 11. § 1, où j'ai parlé avec étendue de la philosop d'Hermès.

non pas, il est vrai, dans sa préface de l'Introduction philosophique, mais dans la Méthodologie par où il commence son Introduction positive à la Dogmatique chrétiennecatholique, il exige que, se dépouillant de toute conviction religieuse, même catholique, ils disposent leur esprit pour être dans un état d'égalité et d'indifférence parfaites envers un système quelconque théologique et religieux, pour se rendre ainsi aptes à embrasser et à suivre celui que leur raison, après avoir triomphé de tous les doutes et aiteint le but de ses investigations, leur prescrirait nécessairement, sous peine de pécher gravement contre la raison en faisant le contraire (1).

Hermès ne se rétracte point, il exige la même condition dans sa Méthodologie qui précède sa Dogmatique spéciale; mais toujours fidèle à ses principes et voulant que le même esprit régulateur dirige tout son système philosophico-théologico-religieux, il déclare que la méthode précédemment établie doit s'appliquer à la recherche de chaque dogme en particulier (2).

Ce principe radical de la méthode Hermès suffit pour nous faire comprendre que celleci ressemble à la méthode d'Abailard. Car le doute d'Hermès qui marche toujours entre le pour et le contre pour la découverte d'une vérité quelconque, n'est-il pas l'image du sic et du non de ce dissertateur rationaliste du siècle de saint Bernard? Mais que dis-je ? Je m'aperçois qu'Hermès, si versé dans la connaissance des ouvrages de Kant, a puisé sa méthode, comme tant d'autres choses, à la source rationaliste du sophistede Koenigsberg. Qui ne connaît l'antithétique de Kant? Qui He connaît ses fameuses antinomies (oppositions) au moyen desquelles le vrai et le faux s'assimilent, se balancent, se détruisent réciproquement l'un l'autre? Je sais que les hermésiens nous opposent le doute méthodique de Descartes; mais Hermès s'éloigne trop de Descarles sous tous les rapports, et ce doute

(1) Voici les règles que suit Hermès et qu'il prescrit à tous, même aux croyants et aux ministres du sanc. tnaire qui veulent établir raisonnablement leur foi d'après sa méthode. 1° nous devons renoncer à tous les systèmes soit de théologie, soit de religion, si nous ne les avons certainement ou théoriquement reconnus pour vrais; résultat que nous pourrons obtenir lorsque nous aurons fait naître dans notre esprit l'intime conviction que ni le catholicisme, ni le christianisme en général, n'est vrai parce nous sommes nés dans son sein, mais lorsque, suivant les justes et saintes inspirations de la conscience, nous embrasserons ce système de religion qui nous sera désigné comme vrai par la raison, car elle est l'unique règle que l'auteur de notre être, nous a donnée, même dès la naissance, dans le cours de la vie par cette manifestation intérieure qui réclame impérieusement que nous la suivions partout où elle voudra bien nous conduire. 2° nous devons ètre prêts à suivre l'oracle de la ra son, qu'elle soit en contradiction ou non avec les doctrines théologiques ou religieuses enseignées jusqu'ici; car autrement nous pécherions contre notre raison, etc. (Introduction positive, Münster, 1829, p. 30, 31).

(2) Voyez Dogmatique spéciale chrétienne-catholique, Münster 1854, part. 1, § 30, p. 99 et ailleurs.

feint et hypothétique, sitôt abandonné par le philosophe français, diffère trop essentiellement de ce doute absolu et réel enseigné et suivi dans la philosophie et la théologie d'Hermès. Examinons maintenant comment, d'après Hermès, est produite cette vraie et pressante nécessité d'admettre avec certitude une chose comme vraie et réelle, de telle sorte que le doute perpétuel disparaisse. H divise la raison en théorétique et pratique; cette distinction, comme personne ne l'ignore, est ancienne dans les écoles philosophiques, elle remonte au philosophe de Stagyre. Elle passa ensuite dans les écoles mêmes catholiques, et souvent on la retrouve dans le grand saint Thomas. D'ailleurs, autre est la faculté de connaître dans l'homme, autre est la raison et celle-ci tire ces noms divers de théorétique et de pratique de la manière diverse dont elle considère son objet, des diverses fonctions qu'elle exerce, soit à la connais sance et à la pure contemplation du vrai soit en appliquant la vérité qu'elle connaît à l'acte libre de la volonté, à l'œuvre, à l'action (1).

De lá la division de la philosophie en spéculative et pratique, ou morale, et pareillement celle de théologie en spéculative ou dogmatique, et en pratique où morale. En cela donc rien de nouveau, rien de répréhensible; mais il n'en est pas de même du sens, de la vertu, des fonctions qu'Hermès accorde à sa double raison, comme nous allons le démontrer.

Nous ne suivrons pas ici Hermès dans ses innombrables et mystérieux détours, dont nous avons suffisamment parlé ailleurs (2), où il soulève cette question: Si la raison spéculative peut jamais d'une manière certaine regarder une chose comme vraie et réelle; mais nous nous contenterons de dire qu'il assigne proprement à la raison spéculative une certitude seulement pour les vérités métaphysiquement nécessaires; que cette certitude elle-même se résout ensuite en une nécessité subjective, et rien de plus, de tenir la chose pour vraie et

(1) Le passage suivant où un illustre philosophe chrétien, le cardinal Gerdil, expose largement la doctrine de saint Thomas, donnera plus de clarté à notre pensée.

Cette double fonction donne licu à distinguer la raison en spéculative et pratique. La première se borne à la recherche, à la connaissance et à la pure contemplation du vrai, la seconde applique la connaissance à l'action. Mais cette distinction ne met aucune différence dans la manière de connaître. L'entendement pratique, dit un de nos docteurs les plus respectables (saint Thomas) connait le vrai tout comme l'entendement spéculatif, ou plutôt ce n'est qu'un seul et même entendement, qu'on nomme spéculatif, quand il se borne à la contemplation du vrai, et qu'on nomme pratique quand il rapporte la connaissance à l'action. Ainsi ces deux dénominations ne désignent pas deux différentes facultés, mais seulement deux vues différentes sous lesquelles on envisage une seule et même faculté. (De l'homme considéré sous l'empire de la loi, ch.2.)

(2) Voyez le second article cité plus haut dans ces Annales, et la troisième partie de Lucis theologicis, à F'endroit également cité.

réelle; que nous sommes enchaînés, vendus à relle nécessité, pour me servir de ses expres sions, par une violence physique insurmontable. Il avoue en même temps d'une manière évidente que la chose toutefois pourrait bien n'être en soi ni vraie ni réelle, mais tout autre que ce que la nécessité nous a forcés de croire qu'elle était (1).

Tel est le plus haut degré de certitude et de réalité objective accordée à l'homme, d'après Hermès; tel est, et celui-là seul, le véritable domaine de la raison spéculative.

Et cette même certitude se résout ensuite, d'après Hermès, en une foi ou croyance à cette réalité, foi qui doit être précédée d'un acte de connaissance nécessaire de la chose, mais de sorte que cette simple connaissance nécessaire ne suffirait pas pour nous faire regarder la chose comme vraie et réelle, si elle n'était accompagnée d'un acte de foi nécessaire. Or quel sera pour lui le fondement de la certitude physique et de la morale? Comment nous assurer, sans danger de nous tromper, de l'existence des faits physiques ou historiques?

Or c'est ici que commence à prédominer la raison pratique d'Hermès, lequel, en déclarant que la raison spéculative ne peut jamais arriver à la certitude dans de semblables vérités, ni éloigner entièrement de soi le doute, accorde à la raison pratique cette fonction si nécessaire. Voilà donc que cette raison pratique ou morale, qui est par ellemême, comme on l'a déjà observé, identique avec la raison spéculative, laquelle ne peut par elle-même s'assurer de la réalité et de la vérité objective des choses, ce qui appartient toujours à la raison spéculative, mais qui doit seulement prescrire ces règles destinées à diriger l'opération de l'homme, devient dans les mains d'Hermès le fondement de la réalité objective. Or, qui n'aperçoit ici un véritable germe de la doctrine de Kant et de Fichte, qu'Hermès lui-même s'efforce de

4) Quand je dis tenir quelque chose pour vrai je ne puis nier certainement la possibilité que la chose soit en elle-même autre que ce que je la tiens..... La chose est et elle doit rester pour moi telle que je dois la tenir, de sorte que je doive la tenir pour telle, quoi qu'il en puisse être de la chose en elle-même... Cette conviction nécessaire peut bien être en soi un pur phénomène, une illusion; quant à nous nous ne pouvons connaître, ni démontrer le contraire› Introd. philos., p. 191, 152), Voilà le dernier résultat de toute la phi sophie spéculative d'llermès. Et ici je dois faire observer que, pour ce qui concerne la certitude que nous appelons physique, quoique notre philosophe Fattribue à la raison et à la certitude spéculative quand il s'agit en général de la spéculation sensible et extérieure, néanmoins, quand il s'agit de déterminer la certitude de quelques faits en particulier, il réclame et soumet cette certitude physique au criterium (à l'examen) de la raison pratique; car d'après Hermès, dans les faits particuliers physiques ou sensibles, nous ne pouvons jamais être spéculativement certains que nous ne sommes pas le jouet des sens. J'ai donc raison de conclure qu'au fond la seule nécessité métaphysique et logique peut, d'après llermès, engendrer la certitude spéculative, c'est-à-dire la certitude véri

table.

combattre? En effet n'est-ce pas Kant qui a inventé d'avoir recours à la raison pratique, pour suppléer par elle à l'impuissance de la raison spéculative touchant la vérité et la réalité objective des choses? Fichte ne suivit-il pas la même voie, lorsque n'attendant plus rien de sa raison spéculative, il se décida en désespoir de cause à tenir tout pour vrai et pour réel sur la foi de la raison pratique? Il est vrai qu'Hermès ne va pas si loin, il n'enlève pas à la raison spéculative toute certitude, il lui en accorde une partie, si toutefois on peut regarder comme une véritable certitude celle d'Hermès; mais l'autre il l'attribue sculement à la raison pratique. Il tombe ainsi véritablement dans le vice radical de Kant et de Fichte; il partage ainsi véritablement avec eux, comme on l'éclaircira mieux tout à l'heure, la pauvre raison humaine en deux raisons, comme une espèce de royaume divisé en lui-même qui ne peut manquer de périr.

Mais il importe trop de connaître comment cette raison pratique, d'après Hermès, peut nous déterminer à tenir pour vrai ce dont il nous sera toujours permis de douter en vertu de la spéculative. Cette raison pratique pour l'école de Kant, comme pour Hermés, est autonome et législatrice souveraine. Par l'impératif catégorique absolu et ordonnant, elle commande à l'homme en son propre nom: Représente-toi simplement en toi et dans les autres, et conserve la dignité de l'homme; ensuite elle lui impose comme un devoir absolu d'user de tous les moyens nécessaires pour arriver à cette fin. Or supposons, d'après Hermès, que cette raison 'impose quelque devoir ou envers Dieu, ou envers soi, ou envers les autres hommes, devoir auquel il ne peut satisfaire s'il n'admet comme vrai et réel ce dont il pourra douter d'après la raison spéculative, dont la base est le doute, voilà donc devenu nécessaire le devoir moral d'admettre la vérité et la réalité objective de la cause, malgré la répugnance de la raison spéculative, et cela pour ne pas manquer à un acte obligatoire et moral qu'il doit faire, pour ne pas dégrader la dignité de la nature humaine, et pour ne pas se rendre coupable de lèse-humanité. Choisissons un exemple très-clair, qui nous fera bientôt connaître le fondement solide sur lequel repose la certitude historique d'après pourrait jamais arriver par elle-même à Hermès. La raison spéculative, dit-il, ne acquérir une telle certitude d'un fait historique quelconque; elle pourra obtenir une vraisemblance plus ou moins grande, mais la certitude jamais, parce qu'elle pourra toujours spéculativement douter de la vérité de ce fait. Mais d'un autre côté la raison pratique faisant à l'homme un devoir de représenter simplement en soi et dans les autres la dignité de l'homme, il suit de là que parmi les moyens nécessaires pour arriver à cette fin on peut donner celui de devoir recourir à l'expėrience des autres. Car si l'homme n'a pas en lui-même toutes les connaissances requises pour bien agir moralement, eomment pourra

t-il remplir cette obligation, s'il ne les recherche pas chez les autres? Or là où suffit l'expérience de ceux qui vivent, des contemporains, il n'est pas nécessaire de passer outre; mais bien souvent on exige, pour s'acquitter de cette obligation morale, que l'on consulte l'expérience des anciens, des siècles passés, et cette expérience n'est-elle pas déposée tout entière dans les souvenirs de l'histoire? Donc si dans ce cas-là quelqu'un ne croyait pas à la véracité de l'histoire, il serait privé de cette condition qui lui est indispensablement nécessaire pour accomplir ce devoir moral. Donc celui-ci, par l'impératif de la raison pratique, sera tenu d'admettre pour vraie et réelle l'histoire, quoiqu'il puisse et doive spéculativement douter de sa vérité et de sa réalité.

Ce n'est pas mon intention d'entrer ici dans le développement des autres cas ou conditions où cette raison pratique hermésienne devient mère de la certitude, ce qui me mènerait trop loin (1), et j'entends en moi-même l'impératif catégorique de cette raison pratique, qui me commande de ne pas abuser de l'aimable indulgence de mon auditoire. S'il veut bien y consentir, je ferai seulement quelques réflexions pour prouver la force de ma première thèse.

Et d'abord, qu'est-ce que c'est que cette certitude engendrée par le commandement de la raison pratique? Ce n'est qu'un acquiescement pratique avec lequel l'homme agit comme si la chose était vraie et réelle pour lui, mais qui n'ajoute aucun nouvel élément, aucun nouveau poids à la certitude touchant la réalité et la vérité de la chose. C'est donc une demande gratuite de la volonté, c'est donc une demande plus subtile, mieux palliée, si l'on veut, mais à la manière de celle de Kant, à la manière de celle de Fichte, pour le dire en peu de mots, à la manière d'un si grand nombre de sceptiques, d'acataleptiques anciens et modernes, qui, attaquant ou infirmant la certitude spéculative, eurent recours à cet acquiescement pratique, comme à une planche de salut après le naufrage, comme à une chose nécessaire dans tous les besoins communs et indispensables de la vie.

En outre, toute cette prétendue certitude dépend de cette hypothèse vraie et réelle que la raison pratique de l'homme puisse par elle-même être autonome et législatrice, sans aucun égard au souverain législateur, et qu'elle tire d'elle seule nécessairement cette obligation dont l'homme ne puisse et ne doive jamais la séparer moralement. Je sais bien que telle est la morale rationnelle du kantisme, mais pour tous ceux qui ne se contentent pas des principes de morale de Kant, il s'en suivra qu'il n'y a plus obligation d'admettre la certitude historique fondée sur ce catégorique impératif.

Mais jedis plus, et je soutiens que cette certitude est une pure illusion; on introduit ici

(1) J'ai traité plus longuement de la fonction de cette raison pratique d'après Hermès, dans fa troisième partie de locis theologicis, déjà citée.-De Hermesianismo philosophico.

comme dans un champ clos deux raisons qui se répugnent et se combattent réciproquement; l'une, c'est-à-dire la spéculative, répugne à tenir quelque chose, un fait histo rique, par exemple, pour vrai et réel; elle ne peut jamais se défaire entièrement de son doute spéculatif. L'autre raison, au contraire, c'est-à-dire pratique, prescrit que dans ce cas, on doit absolument l'admettre pour tel et pas autrement. Or comment dans ce conflit de deux raisons, ou pour parler avec plus de vérité, dans ce conflit de la raison avec elle-même, pourra reposer une certitude quelconque? car je soutiens que la certitude, de quelque nature qu'elle soit, c'està-dire ou métaphysique, ou physique, ou morale, est toujours une adhésion raisonnable et inébranlable à la vérité d'une chose que l'on connaît, qui exclut tout motif de douter du contraire.

Or je résume ici ce que j'ai dit en faveur de ma première proposition. Hermès pose pour base de sa démonstration du christianisme et du catholicisme, même de toute la théologie catholique, un système qui demande d'un côté un doute positif, absolu, universel, perpétuel, tant qu'une véritable nécessité ne contraint pas la raison à admettre une chose pour vraie et réelle; de l'autre côté les règles qu'il donne pour arriver à la vérité et à la certitude et pour dissiper ce doute sont telles, que du côté de la raison spéculative elles ne produisent qu'une nécessité subjective, du côté de la raison pratique elles ne peuvent faire naître qu'un simple acquiescement qui n'est nullement la certitude: n'ai-je donc pas eu raison de dire qu'Hermès pose pour base de sa démonstration évangélique et catholique un système qui conduit au scepticisme?

Je passe maintenant à ma seconde proposition; le court développement que je vais lui donner jettera un nouveau jour sur ma thèse. La révélation divine est un fait les miracles et les prophéties par lesquels Dieu a youlu nous la rendre si évidente et si digne de notre foi, sont des faits; l'existence de Jésus-Christ et des apôtres, la fondation du christianisme, l'institution de son Eglise, et la prodigieuse propagation de sa doctrine sont également des faits. Et tous ces faits sont pour nous historiques, parce que autrement nous ne pourrions les connaître que par les monuments incontestables de l'histoire. Il est donc évident que l'auguste édifice de la religion repose sur la certitude historique, et que si celle-ci s'affaiblit et se détruit, par cela même s'affaiblissent et se détruisent toutes les preuves et toutes les raisons qui servaient de base à sa croyance. Ces préliminaires posés, on voit disparaître tout à coup, d'après le système d'Hermès, la certitude historique de la raison spéculative, à laquelle scule doit et peut appartenir toute véritable certitude. Elle ne peut jamais croire avec une intime et ferme conviction à la vérité et à la réalité de l'histoire de manière à exclure tout doute spéculatif. Donc la raison pratique est le seul moyen qui peut et doit défendre, d'a près Hermès, la vérité et la certitude des

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