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preuves du christianisme et les fondements de la théologie catholique. Aussi il ne s'en cache pas et il le déclare ouvertement. Et néanmoins dans son Introduction philosophique, il proteste qu'il voit bien qu'il doit renoncer à cette vérité et à cette certitude du christianisme, que les chrétiens (ce sont ses expressions) ont admises jusqu'ici, c'est-àdire renoncer à la certitude spéculative (1): mais en avoir une autre, c'est-à-dire celle de la raison pratique; qu'il faut ensuite chercher si celle-ci peut s'appliquer efficacement aux preuves du christianisme. Si celle-ci est encore impuissante (il tire ailleurs cette conclusion), nous ne serons plus obligés d'admettre le christianisme comme une religion que Dieu nous a donnée (2). Il fait donc tous ses efforts pour démontrer comment la raison pratique par ses commandements moraux peut prouver la certitude des miracles, de la véracité de Jésus-Christ et des apôtres, de l'authenticité des livres saints, etc., même pour nous qui sommes séparés par tant de siècles des faits que se sont passés durant la vie mortelle de Jésus-Christ et des apôtres.

Or je m'arrête ici et voici comment je raisonne Le seul principe en vertu duquel Hermès démontre que l'on doive admettre comme vraies les preuves du christianisme et du catholicisme (puisqu'ici la simple probabilité, la seule vraisemblance ne suffit pas), c'est leur certitude garantie par les commandements de la raison pratique. Mais cette certitude pratique, comme je l'ai démontré dans ma première proposition, n'est nullement une certitude. Donc Hermès en vertu même de son principe, sur lequel il s'appuie pour démontrer la vérité du christianisme et du catholicisme, renverse les preuves qui leur servent de fondement : c'était ma seconde proposition.

Mais prouvons encore par de nouvelles démonstrations la futilité et l'absurdité d'un tel système. Si la raison pratique n'oblige à admettre un fait historique comme vrai et réel que lorsqu'on ne pourrait sans cela remplir un devoir moral, dont cette admission est une condition indispensable, qui ne voit pas que,

(1) Voyez dans les mêmes Annales mon second article sur l'hermésianisme déjà cité plusieurs fois, où se trouve rapporté tout au long ce passage d'Hermès.

(2) Voyez l'Introduct. philosoph., § 43, p. 258, et dans le passage cité: Nous ne serons plus obligés, etc., et dans d'autres semblables.

Remarquez cette fluctuation d'esprit continue, sérieusc, réfléchie, dans laquelle Hermès, en vertu de sa méthode, tient quiconque veut le suivre dans ses détours, ignorant si lerésultat final d'une investigation si compliquée sera en faveur du christianisme révélé de Dieu ou contre lui, en un mot si elle aboutira à édifier ou à détruire. Et cela, après avoir exigé, ce qu'on a vu comme condition indispensable, sous peine de lèsemajesté de la raison humaine, que son disciple se dépouille réellement de toute persuasion, de toute affection pour la religion même catholique, si par hasard i la professe! Celui qui voudra suivre fidèlement cette méthode pourra-t-il conserver dans son coeur la croyance et l'habitude infuse de la vraie foi? Voilà le grand avantage de la méthode analytico-euristique proclamée par Hermès et par son école!

lorsqu'elle n'existera pas, ou qu'il n'y aura point cette connexion nécessaire entre un fait historique et un devoir moral, dès lors cessera d'exister l'obligation d'admettre ce fait comme vrai et réel? Donc si quelque événement prodigieux, comme un miracle, une prophétie, n'a aucune connexion nécessaire avec le devoir que j'ai actuellement à remplir, comme, par exemple, de faire l'aumône ou de demander un conseil, la raison pratique ne m'oblige pas par cela même à l'admetre comme vraie. Or avec un tel principe qui ne voit qu'on peut impunément n'admettre comme vrai, l'un après l'autre, aucun des miracles, aucune des prophéties par lesquels l'Homme-Dieu a prouvé la divinité de sa mission? Comment prouver qu'admettre comme vrai un fait qui s'est passé il y a un si grand nombre de siècles, comme la résurrection glorieuse du Sauveur, la guérison du paralytique, la délivrance du possédé, l'action de faire sortir du tombeau Lazare vivant après quatre jours de sépulture, soit une condition indispensable pour remplir un devoir qui m'oblige actuellement et moralement à faire ou à ne pas faire une action honnête ou criminelle? On peut dire la même chose de la mort et de la résurrection du Sauveur; car pour tous les faits milite la même raison d'autorité historique, et si le principe n'est pas admissible pour un événement miraculeux, il ne le sera pas moins pour tous les

autres.

Quand je pense aux misérables subterfuges auxquels il a fallu que l'esprit philosophique d'Hermès eût recours pour rattacher les miracles du Rédempteur avec nos devoirs moraux, je ne sais s'il faut se contenter de prendre en pitié la pauvre raison humaine, ou se laisser emporter par une noble indignation en le voyant ainsi renverser les fondements de notre foi divine. Il est reconnu que la certitude du miracle d'un mort rendu à la vie, s'appuie, d'après Hermès, sur le devoir moral qui nous oblige d'ensevelir les morts, afin que l'air ne soit pas infecté : d'où il suit que nous ne sommes tenus de reconnaître la vérité du grand prodige opéré par le Sauveur dans la résurrection de Lazare, que parce que sans cela nous ne devrions jamais donner la sépulture aux cadavres même en putréfaction, ce à quoi nous oblige la raison pratique, pour la santé publique. Dans ce cas, messieurs, vous observerez sans peine que les fossoyeurs, spécialement chargés d'enterrer les cadavres, seront assurés, plus que tous les autres hommes, d'une plus grande certitude et auront une raison plus puissante à admettre comme vraie la résurrection de Lazare.

Mais laissons de côté la plaisanterie dans un sujet d'une si grande importance. Chacun voit quelles sont les règles de certitude sur lesquelles reposent, d'après Hermès, les miracles du Sauveur, ces miracles que JésusChrist ne cessait de donner comme une preuve infaillible de sa mission divine; ces miracles qui se trouvent sans cesse dans la bouche des apôtres, des Pères de l'Eglise et sous la plume de tous les apologistes, et qui sont la seule

base fondamentale de la divinité du christianisme. Or, Hermès en répétant avec les incredules, qu'on ne peut point connaître toutes les vertus cachées de la nature, et par conséquent qu'on ne peut jamais savoir d'une manière certaine s'il faut chercher dans la nature, ou dans une raison surnaturelle, la cause d'un événement quelconque qui sort des lois ordinaires; Hermès, dis-je, regarde cette décision comme un principe indubitable, comme une difficulté insurmontable; et néanmoins pour protéger la certitude des miracles qu'il renverse, il a recours à un moyen, disons mieux, à un palliatif, qui ne peut jamais engendrer la certitude. Ainsi en vertu même de son privcipe les miracles perdent tout leur efficace et tout leur poids, considérés comme preuve.

Mais agissons libéralement avec Hermès, afin d'exposer à un plus grand jour l'absurdité de son système appliqué à sa prétendue démonstration chrétienne et catholique. Accordons-lui que sa raison pratique ait quelque fois le pouvoir de faire admettre comme vrai et réel ce que la raison spéculative ne peut reconnaître pour tel; je dis avec assurance que cela pourra être au plus un besoin relatif et individuel, et ne pourra jamais prouver que la chose en elle-même est absolument vraie et réelie; on pourra dire que, pour les uns, existe cette union que l'on suppose entre ce fait historique et physique et leur obligation morale; mais on pourra dire que, pour d'autres, cette union et ce besoin moral n'existent point. Or, qui ne voit les conséquences absurdes qui s'ensuivent? Donc les preuves du christianisme auront une certitude, une valeur purement relative. Donc il y aura pour les uns une obligation morale de le regarder comme vrai, et il n'y en aura point pour les autres, quoique les uns et les autres connaissent les raisons évidentes qui le rendent croyable. Celui-ci aura besoin, à cause de ses obligations morales, de consulter l'expérience des siècles passés, l'histoire; celui-là aura l'obligation morale de croire à la véracité de telle autre chose, et ensuite à la vérité historique du christianisme. Mais celui qui ne sera pas moralement obligé de tirer ses connaissances de l'étude de l'histoire; celui qui, sans ce secours, pourra honnêtement satisfaire ses obligations morales, sera dispensé de tenir les faits historiques pour vrais et réels, et pourra, par conséquent, rejeter comme n'étant pas certaine la révélation du christianisme. Je pense qu'on n'exigera pas que j'ajoute quelque chose à la démonstration de ma seconde proposition.

Toutefois, qu'on me permette de puiser à une autre source un argument très-fort, pour montrer comment le principe d'Hermès renverse et détruit la vérité du christianisme. Quoique cet auteur, pour se délivrer des doctrines de Kant, dans les filets duquel il se trouvait trop embarrassé, accorde à la raison spéculative quelque vertu touchant la vérité et la réalité objective des choses, comme nous l'avons déjà dit; néanmoins,

comme les partisans du kantisme, il confesse de temps en temps l'impuissance de la raison. Ensuite (qui le croirait, si cela n'étaitplusieurs fois répété dans son Introduction philosophique?) tandis que, d'un côté, il veut démontrer théoriquement et ne pas se contenter d'admettre par la raison pratique, comme Kant, l'existence d'une cause première, absolue, nécessaire, éternelle dans une parole de Dieu; de l'autre, il soutient que la raison spéculative ne peut savoir ni affirmer si ce Dieu est infini dans ses attributs. On pourra bien dire, d'après lui, que la science et l'intelligence de Dieu sont trèsgrandes; que Dieu est souverainement puissant, souverainement saint et bon; mais on ne pourra pas dire qu'il est d'une science, d'une puissance, d'une sainteté et d'une bonté infinies (1).

Done la raison peut spéculativement reconnaître en Dieu, qui est la plénitude de l'être, un défaut métaphysique dans ses divins attributs. Maintenant, si l'homme peut raisonnablement se persuader que la révélation soit l'ouvrage d'un Dieu dont la science, la sainteté, la bonté peuvent avoir des limites et être sujettes à des défauts, comment pourra-t-il se croire obligé de l'accepter? Un Dieu limité dans ses perfections ne pourraitil pas tromper et vouloir tromper? La proposition contraire ne répugne nullement : ainsi s'est anéantie l'autorité infaillible de la vérité première de Dieu révélateur, unique motif et objet formel, comme parlent les théologiens, de notre foi dans une révélation surnaturelle.

Mais poursuivons notre raisonnement : quelle foi théologique peut-il exister dans le système d'Hermès? Une foi qui laisse subsister dans l'esprit (sans pouvoir l'empêcher) le doute théorique et spéculatif d'un sentiment entièrement opposé. D'après Hermès,

(1) Nous citerons ici le raisonnement sophistique d'Hermès sur la puissance et sur la science de Dieu; il servira plus tard à mieux faire comprendre ce qu'il dit de la sainteté et de la bonté divines. Si quelqu'un me demande si la puissance de Dieu est infinie, c'est-à dire si c'est la toute-puissance, je me trouve forcé d'avouer que sans une révélation surnaturelle, je ne puis le prouver; car le monde créé fini, l'unique source de connaissance qui soit en mon pouvoir, ne me fournit aucun motif nécessitant pour une telle affirmation. › Done pour l'empirique philosophie hermésienne les principes nécessaires, immuables et a priori de l'orthologie ne sont pas une source de connaissances, mais seulement ce qui est phénomène sensible, comme le veut le kantisme..... Je dois donc me contenter de ceci c'est-à-dire de ne savoir autre chose sur cette matière, sinon que la puissance de Dieu, à raison de son extension, excite en nous la plus grande admiration par elle-même et par sa nature, et que comme puissance créatrice, c'est la plus sublime que puisse imaginer la raison de l'homme, mais de laquelle l'entendement humain ne peut avoir une idée ultérieure (Introd. Philos. p. 456). Je dois répondre également à celui qui me demandera encore si dans Dieu la faculté de connaitre est infinie, que sans le secours d'une révélation surnaturelle je ne puis le prouver, et cela par la même raison donnée plus haut, p. 463. ›

et n'en soyez pas surpris, messieurs, on peut toujours douter spéculativement si le Christ est trompé, ou s'il a été véridique, si les apôtres également sont tombés dans l'erreur, et s'ils ont voulu tromper les autres. Il est très-vraisemblable que non, dit notre philosophe; mais il n'y a point de certitude, mais le doute théorique et spéculatif subsiste toujours. Maintenant, je le demande, un acte de foi théologique (1) est-il possible lorsqu'on doute spéculativement que la chose que l'on croit ne soit ni vraie ni réelle ? Cette proposition suivante n'a-t-elle pas été condamnée : l'assentiment surnaturel de la foi peut-il exister avec une connaissance et une persuasion probables et nullement certaines que Dieu ait réellement parlé à l'homme (2)? Si ces principes sont vrais, il s'ensuit que le système d'Hermès rend impossible toute croyance au christianisme.

If me semble avoir victorieusement démontré que l'hermésianisme, qui repose sur le principe fondamental de la raison pratique, est comme un colosse aux pieds d'argile qui tombe et se brise si la moindre pierre vient frapper sa base fragile. Et c'est sur un fondement si faible qu'Hermès (qui se préoccupe fort peu du vulgaire et de la foule des croyants) prétendrait que les théologiens et les philosophes reconstruisissent en eux-mêmes leur croyance, après l'initiation mystagogique au doute universel, absolu et perpétuel! Telle est donc cette vérité nouvelle du christianisme, ignorée jusqu'ici par les théologiens et par les apologistes, même par les Pères et les docteurs de l'Eglise, qu'il est venu faire briller aux yeux des mortels! Telle est cette démonstration qu'il appelle le principe et la condition indispensable d'une foi humble et pieuse (voyez l'article II sur l'hermésianisme, déjà cité)!

Je m'arrête, et j'abandonne à votre sagacité et à votre critique, vénérables messieurs, les autres réflexions qui se présenteront d'elles-mêmes à votre esprit; j'ai hâte de prouver ma troisième proposition, en vous montrant comment Hermès, par sa fausse et dangereuse méthode, est venu à bout de travestir les dogmes les plus essentiels de la théologie catholique.

En vertu de cette méthode identifiée avec le doute, il parle de ces dogmes, comme d'autant de problèmes, de la même manière qu'Abailard dans son ouvrage intitulé Sic et non. Comme Abailard, qui puisait aux sources de l'Ecriture et de la tradition, et citait des textes

(1) Voici comment s'exprime Hermès sur la mission divine de Jésus-Christ. Toutefois la raison spéculative ne regarde nullement comme impossible d'admettre que l'assurance qu'il (Jésus-Christ) donne sur sa mission divine, par cela même sur l'origine divine de son enseignement, provienne en lui-même d'une connaissance erronée ou encore d'un dessein bien prémédité de tromper (Introduct. philos. p. 576), il en dit autant des apôtres (Introduct. positive, p. 535).

(2) Assensus fidei supernaturalis et utilis ad salutem stat cum notitia solum probabili revelationis, imo cum formidine qua quis formidet ne non sit locutus Deus. (Prop. XXI damn. ab Innocent. ‹ XII.) ›

pour et contre; comme Abailard, qui professait de reconnaître la suprématie de l'Eglise en matière de doctrine: Hermès déclare aussi que dans la dogmatique spéciale catholique il faut puiser aux sources qui lui sont propres, c'est-à-dire l'Ecriture, la tradition et l'enseignement de l'Eglise. De même qu'Abailard donnait ensuite un libre champ à sa raíson, en sorte qu'elle avait à décider ce qu'elle devait admettre ainsi Hermès, après mille détours, après avoir discuté pour savoir ce que renferment les sources de la révélation relativement à chaque dogme, demande à la raison ce qu'elle est forcée de croire et dans quel sens. De là il arrive que, au lieu de plier la raison au dogme, il soumet bien souvent le dogme à la raison, c'est-à-dire à sa raison propre et individuelle, et il arrive au moins où Abailard fit un triste naufrage, c'està-dire à un rationalisme théologique. Il est vrai que le rationalisme d'Hermès procède avec plus de subtilité et de réserve; car Abailard, d'un esprit élevé et pénétrant, visait plus directement à l'intelligence et à la conformité positive du dogme avec la raison; tandis que Hermès professe en apparence que dans la connaissance intrinsèque du dogme, l'usage de la raison est purcment négatif, c'est-à-dire qu'il veut montrer qu'il n'est pas contraire à la raison; mais en effet, dans la suite. cette raison d'Hermès, sous le beau voile d'une méthode analytico-euristique, qui veut tout réduire à ses éléments les plus simples et déterminer ses conceptions à sa manière, décide en souverain arbitre dans le domaine de la foi.

Si pour prouver ma proposition je voulais examiner une à une les erreurs si nombreuses et si variées que Hermès, en vertu de sa méthode, a disséminées dans sa Dogmatique, il me faudrait faire une œuvre de longue haleine. J'ai donc résolu de prendre une voie qui, il est vrai, sera plus abrégée, mais qui me permettra de pénétrer, pour ainsi dire, jusque dans le cœur de la théologie hermésienne et de connaître l'esprit qui l'anime. Je me bornerai donc à la méthode suivante : je désignerai les principales doctrines erronées d'Hermès, je montrerai, par un étroit enchaînement des principes et de leurs conséquences, comment l'une dérive de l'autre, comment elles s'enchaînent l'une à l'autre et forment ainsi dans leur ensemble un système qui travestit et détruit la véritable théologie catholique. Ce sera, messieurs, vous montrer la logique de l'erreur; certes, je ne nierai point qu'Hermès, après avoir posé de faux principes, soit logique dans ses déductions, quoique sous ce rapport vous ayez souvent l'occasion de remarquer ses inconséquences contraires à la dialectique. Et d'abord vous observerez comment Hermès, quoique l'antagoniste de Kant, imbu comme il l'était des théories de ce dernier, a tiré, en grande partie de l'autonomie de la raison pratique du kantisme quelques principes dominants dans la théologie chrétienne de son invention. Il avait déjà appris de Kant, comme nous l'avons rappelé plus haut, que cette raison pre

tique, souveraine législatrice dans l'homme, n'avait nullement besoin de l'idée quelconque de Dieu, quand il s'agit d'établir une morale parfaite, une loi parfaite, une obligation parfaite. Il avait appris de Kant, ce catégorique impératif, que cette raison tire, par je ne sais quelle vertu mystérieuse, de son fond, propre par elle-même à lier inviolablement l'homme et à lui donner une sanction efficace; il avait appris de Kant que l'homme sans le secours de Dieu pouvait arriver à une sainteté morale parfaite que l'homme est autotélés et vraiment sa fin à lui-même; que représenter en soi et maintenir cette dignité de l'homme c'est le dernier but de l'homme moral: qu'ensuite l'être humain ne peut pas être pris comme moyen, mais seulement comme fin par un autre être quelconque, quoique infiniment supérieur à lui; et quand on dit fin, on doit l'entendre d'une fin dernière et entière, car d'après Hermès, partisan de Kant, qui dit fin prochaine et secondaire dit déjà moyen pour une autre fin, et par consé quent, non pas véritable fin. Je sais bien que d'autres philosophes, et même quelques théologiens catholiques, ont attribué à la raison humaine, considérée, soit dans ses révélations intérieures, soit dans l'ordre intrinsèque des choses manifestées par elle, la force d'obliger l'homme moralement; mais ils le firent avec la plus grande réserve, montrant comment cette morale sans Dieu serait faible et imparfaite, comment elle serait inefficace pour l'action, et comment la raison morale elle-même demande à grands cris que l'on commence par reconnaître le bien souverain et absolu, le suprême Législateur, cette loi divine, éternelle, origine de toute loi, à laquelle les philosophes les plus instruits du paganisme ont rendu de si éclatants hommages. Aucun n'a la hardiesse de dire que la raison morale n'a pas besoin de Dieu, comme le fait Hermès, dont la philosophie morale toute concentrée en elle-même, comme la spéculative, ne sait s'élever à l'ordre éternel établi par l'intelligence et la sagesse d'un Dieu, et ne respire que l'orgueil de ce stoïcisme de Kant, qui finit par être l'idolâtrie de la raison humaine.

Or sur de telles bases quelles relations entre l'homme et Dieu pouvait-on édifier? Hermès est forcé de placer la fin dernière de tout ce qui est créé dans l'homme et de faire converger, pour ainsi dire, toutes les lignes vers ce centre; il est forcé par conséquent d'exclure de la fin de la création la gloire de celui qui meut tout; de prescrire à la Divinité des devoirs pressants et impérieux dans sa bonté et dans la distribution de ses dons envers l'homme; de refuser à Dieu l'autorité d'obliger immédiatement, par des défenses ou par des préceptes formels et révélés, l'homme dans le sanctuaire de la conscience, mais de faire dépendre cette obligation de l'examen détaillé que la raison doit faire de la droiture interne et de la justice d'un tel commandement; d'assujettir Dieu aux droits de l'homme; de refuser à Dieu dans la justice toute considération envers lui-même; d'éloigner de Dieu, soit dans la justice distributive, soit

dans la justice qui punit, le maintien de ses propres droits; de mesurer enfin tous les divins attributs moraux et le mode d'opérer dans Dieu d'après les seules règles des attributs de la raison pratique et de l'opération de l'homme; méconnaissant ainsi les vrais caractères de la Divinité et renversant l'économie de la théologie naturelle et révélée. Voilà l'abrégé de ces doctrines qui, dans le système théologique d'Hermès, furent successivement produites par les principes qu'il avait adoptés: ce que je vais prouver en détail en citant plusieurs passages, tirés nonseulement de cette Introduction philosophique à la théologie chrétienne catholique, où il parle en philosophe, mais encore de sa Dogmatique spéciale, où il prétend puiser aux sources mêmes de la revélation divine.

Je suis un être raisonnable, dit Hermès, et comme tel je suis ma fin à moi-même ; car la raison me prescrit comme un devoir l'estime de la raison. Donc Dieu aussi a dû me vouloir comme fin, et n'a pu me vouloir comme simple moyen, parce que je ne puis avoir des devoirs à remplir qu'autant que Dieu aussi observe saintement ce que ma raison me commande, et Dieu n'a pu avoir d'autre dessein que celui de me rendre heureux, etc. (Introd. philosoph., § 71, p. 483-484). Dieu doit vouloir le bien de tous les êtres capables de félicité hors de soi..... et il doit vouloir leur bien sans aucun égard pour soi, et en général sans intention ultérieure, c'est-à-dire il doit vouloir le bonheur de ces êtres comme fin et jamais seulement comme moyen (Ibid., § 70, p. 476). Mais quel est le bonheur que Dieu doit vouloir dans les créatures? Tout le bonheur qu'il connaît et dont elles sont susceptibles, répond Hermès. Car c'est là ce que nous commande notre raison, et elle nous rejette comme profanes dès que nous nous écar— tons tant soit peu de cet ordre (Introd. philos., p. 476). Dieu doit vouloir pour ses créa tures, dans le plus haut degré, tout le bien qu'il connaît et que ses créatures peuvent recevoir; car la sainteté parfaite demande un parfait amour, et l'amour peut-il avoir des bornes dès qu'on exclut toute considération personnelle (Ibid., § 71, p. 490).

Mais tandis qu'ici la raison autonome prescrit à Dieu une dispensation illimitée de bien à ses créatures, voyons, d'un autre côté, quelles sont les bornes qui sont posées à la sainteté de Dieu en elle-même, à la science de Dieu, tant pour ce qui regarde le bien moral que pour ce qui regarde le bien que les écoles allemandes appelleut eudémonologique, ou qui rend les creatures heureuses. «La sainteté de Dieu est, comme nous avons vu, par sa nature intrinsèque absolument parfaite, mais quant à l'extension, elle peut bien être limitée; car il a été démontré que Dieu veut tout le bien moral qu'il connait; mais nous, nous ne pouvons prouver l'illimitation de sa connaissance (de Dieu) Ensuite il est toujours possible que celle-ci soit limitée, et par conséquent quelque chose serait moralement bonne pour lui (Dieu), si cette connaissance était illimitée, laquelle chose

maintenant n'existe pas pour lui (Ibid., p. 475). La bonté de Dieu comme son amour, pour ce qui regarde l'extension, peut toujours être limitée (et en voici l'unique preuve qui sert à le démontrer), parce qu'il est possible que la connaissance de Dieu soit limitée, et ensuite parce qu'il est bien possible que Dieu ne connaisse pas toute la félicité dont un être hors de lui (c'est-à-dire créé par lui) peut être capable (Ibid., p. 476). » C'est ce qu'il affirme peu après avec encore plus d'instance. « Si on me demande encore de nouveau si la bonté de Dieu est infinie, je dois, malgré la connaissance parfaite que nous en avons maintenant, répondre toutefois que je ne puis le démontrer..... Nous n'avons pu montrer que la connaissance dans Dieu soit illimitée, ni par conséquent qu'il connaisse tout le bien possible pour les créatures. Or donc, puisque la connaissance de Dieu ne peut être limitée, on doit aussi admettre comme possible en extension une limitation de sa bonté (Introd. philosoph., p. 490-491). »

N'est-elle pas en effet bien admirable cette philosophie qui, d'un côté, élève si haut la créature raisonnable, de l'autre abaisse tant l'idée essentielle de la Divinité, laquelle pourra bien tirer du néant cette créature, mais ignorer peut-être tout le bien moral qui lui convient et tout le bien délectable qui pourrait la rendre heureuse?

Jusqu'ici nous avons entendu Hermès théosopher, qu'on me passe cette expression, en philosophe rationnel, bien qu'il annonce que la théosophie sera aux ordres de la révélation, puisque, qu'on le remarque bien, il écrit une Introduction philosophique à la théologie chrétienne catholique. Mais maintenant écoutons-le raisonner sur les attributs divins dans sa Dogmatique, lorsque, éclairé par le flambeau de la révélation, il parle en véritable théologien.

Dans la première partie de sa Dogmatique il traite de l'amour de Dieu envers les créatures, et expliquant le passage de saint Jean (Epist. I, c. IV, 8): Qui non diligit, non novit Deum; quoniam Deus charitas est, il se demande en quel sens l'apôtre appelle Dicu charité, et il répond : « Evidemment ce n'est pas par rapport à lui-même, mais bien par rapport aux autres étres. Il est donc certain que Dieu, selon la pensée de saint Jean, dans toute sa volonté qui regarde les autres est amour, et qu'il ne donne à toute sa volonté que la direction que lui peut admettre, et qu'il est amour dans le degré le plus parfait.» Cela posé, voici les conséquences qu'en tire Hermès : « Donc l'apôtre place l'essence de Dieu du côté de toute la volonté par rapport aux autres dans l'amour pour ceux-ci, à l'exclusion de toute considé ration envers soi-même, c'est-à-dire dans le pur amour pour les créatures: et non-seulement cela, mais il appartient à l'essence de Dieu, considérée sous ce point de vue, que ce pur amour de Dieu ait le degré le plus parfait, et qu'il soit encore en extension le plus parfait possible, c'est-à-dire que Dieu dans

toute sa volonté qui peut admettre un rapport bienfaisant avec les autres créatures, lui accorde un tel rapport, ou autrement qu'il doit toujours vouloir l'avantage le plus grand possible des créatures (Dogm. spécial., p. I, p. 478, 479). On peut encore à juste droit demander si cette bonté est absolument la plus grande ou si elle est infiniment grande. Or cette demande est la même que celle-ci : Dieu est-il si bon envers les créatures qu'il veuille toujours pour celles-ci le plus grand bien possible, qu'il connaisse d'une science parfaite, absolue? et cela est hors de doute; car, comme nous l'avons déjà démontré, il a une bonté pure pour elles, c'est-à-dire une bonté telle qu'elle ne connaît aucune considération relative à soi, et pourtant rien ne la limite (Ibid., p. 480, 481 ). » « Donc nous savons déjà que Dieu fait pour les créatures des œuvres de bienfaisance aussi nombreuses et aussi grandes qu'il est possible (Ibid., p. 485 ). » Ensuite pour concilier ses principes avec la diverse distribution actuelle des grâces surnaturelles que Dieu fait à chaque individu dans l'ordre du salut éternel, il a recours à son rêve théologique, c'est-à-dire il prétend que rien ne peut et ne doit limiter la bonté divine dans une telle distribution, que sa considération pour les autres hommes. « Donc il doit y avoir un terme, un maximum au delà duquel il ne puisse lui donner (à l'homme) de nouvelles grâces plus grandes, parce que sa sagesse et sa bonté (de Dieu) pour les autres hommes l'en empêchent (Ibid., p. 553). » Voici comment il explique d'après ces principes le mystère de la prédestination et résout l'objection que l'on fait, et explique comment elle se concilie avec la bonté et l'amour essentiel de Dieu pour l'homme, sans aucun égard pour soi et sans acception de personnes. Il pose pour base comme conséquence de son principe que Dieu veut rendre heureux par le moyen des mérites moraux le plus grand nombre possible d'hommes, dans le plus haut degré possible (Dogm. spécial., p. 557). D'où il conclut « 1' que Dieu ne choisit pas quelques hommes pour la gloire, mais que s'il les laisse se perdre, c'est parce qu'il prévoit qu'ils n'exposeront pas leur salut éternel, malgré toutes les grâces qu'il peut leur donner sans que le nombre des bienheureux ou le degré de leur bonheur soit pour cela changé, altéré. 2o Et au contraire, il choisit et prédestine à la gloire ceux qu'il prévoit devoir opérer leur salut avec ces grâces qu'il peut leur accorder, sans que pour cela le nombre des bienheureux ou le degré de leur bonheur puisse être diminué (1). »>

A Dieu ne plaise que nous cherchions à affaiblir l'idée de la bonté et de l'amour de Dieu pour l'homme, dont nos livres sacrés

(1) Toutefois Hermès avertit (nous devons par amour pour la vérité faire cette observation) qu'il ne veut pas dire que ce soit dans Dieu le véritable monf de la prédestination des élus, laquelle doit toujours provenir de la pure bonté de Dieu (Ibid.). Charna s'aperçoit aisément que sans cela ce ne serait qu'un mauvais pelagianisme.

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