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manuscrit des Pensées conservé à la Bibliothèque Royale et le texte des diverses éditions. Altérations, suppressions, déplacements arbitraires et inintelligents des éléments du livre fournis par le manuscrit, tels étaient les principaux griefs énumérés dans ce rapport, qui, après avoir paru dans le Journal des savants (avril-novembre 1842), fut publié en volume en 1843 et réimprimé en 1844 1.

La nouvelle édition que Cousin semblait appeler de ses vœux fut donnée en 1844 par M. Faugère, en deux volumes in-8 reproduisant, sous le titre de Fragments, pensées et lettres, tous les matériaux manuscrits des Pensées trouvés dans divers recueils dont l'introduction de M. Faugère donne l'historique et la description, et sans autre changement que celui de l'orthographe ancienne en moderne. Nous reviendrons sur la valeur de cette édition. Constatons, avant tout, qu'elle était un trèsréel service rendu aux lettres, en ce qu'elle mettait à la portée de tous des textes doublement défendus jusque-là par les difficultés qu'offrait leur lecture et par leur classement dans des dépôts officiels. Un suffrage lui a manqué pourtant, celui de Cousin. Il faut lire dans l'ouvrage de M. l'abbé Maynard 3 le récit intéressant de cette querelle littéraire. Cousin a reproché ou fait reprocher à M. Faugère de lui avoir dérobé les principes de critique contenus dans son Rapport, pour en faire une application inintelligente. Il lui a reproché également d'avoir « réimprimé à grand bruit des pièces ayant déjà vu le jour ». La cause de cette irritation serait, croyons-nous, facile à trouver. M. Faugère a peut-être trop perdu de vue que l'illustre professeur avait dans son Rapport, avec l'autorité de son talent, non-seulement donné l'idée de la nouvelle édition, mais même

1. S'il fallait en croire la brochure de P. Leroux: De la mutilation d'un écrit posthume de Théodore Jouffroy, etc., Paris, 1843, Cousin se serait rendu coupable envers ce philosophe des procédés qu'il reproche si vivement à Port-Royal, au sujet du texte de Pascal.

2. Paris, Andrieux.

3. Pascal, sa vie, etc., t. III, p. 124 et suiv.

tracé en quelque sorte la voie qu'elle a suivie. Au lieu de dire à Cousin comme Dante à Virgile :

Tu duca, tu signore e tu maestro,

M. Faugère a passé trop rapidement dans son introduction sur le travail du grand écrivain qu'il s'est contenté de désigner ainsi : «< un brillant critique ». En admettant que tel doive être le langage de la postérité, c'était, on en conviendra, anticiper un peu trop sur ses droits. Cette désignation, plus une note indignée dans laquelle M. Faugère, sans tenir compte des entraînements de la plume, reproche vivement à Cousin d'avoir calomnié Pascal en le représentant comme ayant été en proie à un scepticisme désolé, à une dévotion ridicule et convulsive, voilà tous les hommages rendus à l'initiative du Rapport et les causes évidentes de l'humeur de Cousin. Est-ce à dire que les reproches de ce dernier soient absolument sans fondement? Il faut distinguer. Mettons d'abord de côté les appréciations personnelles de l'éditeur, qui pourraient être contestées, telles que celle qui fait du père de Pascal un sceptique, malgré les affirmations contraires de Mme Périer: l'édition Faugère a pour elle d'être, comme nous l'avons dit, une reproduction littérale, sauf l'orthographe, des matériaux laissés par Pascal, une photographie de ses petits papiers (le mot est de M. de Sacy)9 à l'usage des lecteurs ignorants en paléographie ou empêchés de recourir au manuscrit. Hors de là, cette édition laisse, il faut bien le dire, à désirer. Pas plus que ses devanciers, M. Faugère n'a réussi à restituer le plan de Pascal. Celui qu'il a adopté est-il plus heureux? Que de fragments rangés sous un titre qui figureraient aussi bien, sinon mieux, dans un autre chapitre! Ce désordre s'accentue d'autant plus que, dans

1. V. l'abbé Flottes, Études sur Pascal, 1846, et les Mémoires de Du Fossé, Utrecht, 1739.

2. Journal des Débats de 1866, à propos de la nouvelle édition Havet en 2 volumes.

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son zèle d'éditeur, M. Faugère a tout ramassé. Pensées inachevées, interrompues, condamnées à disparaître, comme l'attestent des barres tracées par la main de Pascal, et pis que cela, des objections qui attendaient la réponse1, tout a été entassé, sans que le lecteur soit mis en garde, dans l'édition de 1844. Jamais l'épigraphe choisie par Port-Royal : Pendent opera interrupta, n'avait été mieux en situation. « Quelquefois, dit M. l'abbé Maynard, l'attention se divise tellement, au milieu de tous ces débris sans ordre, que ce devient un supplice et que, de fatigue, on se surprend à sauter plusieurs pages. » Quant au fait d'avoir pris pour inédit tel ou tel fragment déjà imprimé dans le Recueil d'Utrecht3, la mauvaise humeur de Cousin pouvait seule y attacher quelque importance.

Quoi qu'il en soit, le texte de M. Faugère a été adopté par M. E. Havet dans l'édition avec commentaire qu'il a donnée en 1852 (réimprimée, avec quelques changements, en 2 vol., en 1866). Averti par les tentatives infructueuses des précédents éditeurs, M. Havet a renoncé à restituer le plan de Pascal. Suivant lui, « l'ordre véritable des fragments est impossible à retrouver, par une raison souveraine qui est que cet ordre n'a jamais existé, même dans l'esprit de l'auteur. » Comme il fallait une distribution quelconque, le nouvel éditeur a adopté celle de Bossut, par égard pour les habitudes du public, tout en faisant disparaître la grande division en Pensées philosophiques et Pensées religieuses, division qui jurait avec ce que nous savons du plan de Pascal, et en séparant des Pensées, comme M. Faugère, du reste, ce qui appartient au Opuscules ou aux Lettres. Grâce à l'adoption de l'ordre de

1. «Improvisations d'un esprit très-soudain, mais profondément préoccupé, qui se propose à tout moment des objections, sans avoir le temps d'y répondre et sans savoir s'il y répondra. » Ch. Nodier (Bulletin du bibliophile de 1843) cité par l'abbé Flottes, Études, etc., 1846.

2. Tome II, page 104.

3. 1740, in-12.

4. Ed. Havet, 1866, t. I, p. xcix.

Bossut aussi bien qu'au rejet des pensées trop manifestement inachevées, l'édition de M. Havet présente, au point de vue de la clarté, une supériorité incontestable sur l'édition Faugère. Le commentaire, souvent ingénieux et toujours savant, qui est joint au texte, achève de porter la lumière dans les demi-jours de Pascal; mais ce commentaire n'est, à bien prendre, qu'une respectueuse et sympathique réfutation. L'admiration pour l'écrivain voile mal ou ne voile pas du tout une absolue différence de point de vue, différence telle qu'on se demande s'il n'aurait pas mieux valu, malgré tout le talent déployé par M. Havet, que ce travail n'eût pas été entrepris. On souffre à s'imaginer Pascal ayant conscience des interprétations modernes de sa pensée. « J'ai souvent pensé, dit Sainte-Beuve 1, combien Pascal aurait souri de pitié et d'ironie s'il avait pu voir comment le livre tout d'édification et de guérison intérieure qu'il méditait était venu, deux siècles après, en se dispersant en feuilles légères, à partager seulement les curiosités oisives pour un intérêt littéraire et philosophique si loin du but réel. » Et que fut devenu sur les lèvres de Pascal ce sourire de pitié et d'ironie en présence non plus de discussions littéraires ou philosophiques ayant son livre pour objet, mais de la négation la plus absolue de sa croyance? Que dire également de cette thèse, devenue banale, qui consiste à le présenter comme sceptique, lui dont toute la vie est un acte de foi plus ou moins bien dirigée? Et, chose curieuse, c'est dans un livre où il se proposait de démontrer la vérité du christianisme que l'on puise cette accusation de scepticisme. Singulier sceptique que celui qui entreprend un tel ouvrage ! Nous préférerions, à tout prendre, l'hypothèse de Condorcet et du docteur Lélut3,

1. Portraits contemporains, t. III sur l'édition des Pensées de M. Faugère, 1844.

2. Contre cette accusation de scepticisme il faut lire d'éloquentes considérations de M. Vinet, p. 257 et suiv. de ses Études, etc., édit. de 1856.

3. De l'amulette de Pascal, étude sur les rapports de la santé de ce grand homme à son génie. Paris, 1846, in-8.

hypothèse qui a au moins le mérite de la logique : Pascal fou! Il y a longtemps, du reste, que saint Paul avait dit : Nos stulti!

L'ordre adopté par M. Havet a été suivi dans l'édition publiée en 1858 par M. Lahure, et, avec quelques modifications, dans celle de M. Louandre (Paris, Charpentier 1866), qu'il eut été injuste de passer sous silence. Nous devons également une mention spéciale à l'édition récemment publiée (1873) à Tours, par le libraire Mame. Cette édition, qui est due aux soins de M. l'abbé V. Rocher, a été faite avec le texte publié par M. Faugère, et se distingue particulièrement par une tentative de classification des Pensées suivant le plan indiqué dans la préface de l'abbé Périer, et par des notes théologiques qui prêtent à cette publication une valeur doctrinale qui manquait aux précédentes éditions. Les indications données par l'abbé Périer sont tellement sommaires, que l'on ne s'étonnera pas si le nouvel éditeur a dû forcément user de beaucoup d'arbitraire dans le classement des matières. Quant aux notes, en se plaçant au point de vue de l'exactitude (pour nous servir du terme d'Arnauld cité plus haut), elles étaient nécessaires du moment que l'on rompait avec les sages tempéraments apportés à la version originale par les éditeurs de 1670.

IV

Un écrivain que nous avons déjà eu occasion de citer dans le cours de cette notice, et dont le savoir et le goût font autorité dans les questions qui touchent à la littérature du XVIIe siècle, M. de Sacy, a, si nous avons bonne mémoire, déclaré s'en tenir, en fait d'éditions des Pensées, à celle de Port-Royal1. Avant

1. Journal des Débats, art. cité.

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