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M. de Sacy, l'on s'était contenté de plaider, en faveur de PortRoyal, les circonstances atténuantes. Dans ses Portraits contemporains, Sainte-Beuve s'était exprimé ainsi, en parlant des premiers éditeurs: « Il y aurait beaucoup à dire en leur faveur, à leur décharge et à titre de circonstances très-atténuantes. On le sait, la Paix de l'Église venait d'être conclue; les Arnauld, les Nicole, les Sacy, sortaient à peine de la retraite ou de la prison. On leur propose de s'occuper des papiers de Pascal mort depuis quelques années, et d'en tirer quelque chose d'utile, d'édifiant, de digne d'être offert à l'Église d'alors et aux fidèles, un volume enfin qui puisse être montré aux amis et aux ennemis. On forme un comité d'amis; le duc de Roannez est le plus zélé pour la mémoire de son cher Pascal, mais il ne prend rien sur lui, quoiqu'on ait pu dire2, et c'est M. Arnauld, c'est M. Nicole et autres experts qui tiennent le dé. La famille Périer était bien d'avis de retrancher, de modifier le moins possible : l'intérêt de famille se trouvait d'accord en ce cas avec l'intérêt littéraire (ce qui est rare); mais il y avait d'autre part des considérations puissantes, invincibles: les approbateurs à satisfaire, l'archevêque à ménager, la Paix de l'Église à respecter loyalement. C'est merveille, en vérité, qu'entre tous ces écueils, en présence de cette masse de papiers très-peu lisibles, de ces pensées souvent incohérentes, souvent scabreuses, on ait, du premier coup, tiré un petit volume si net, si lumineux, si complet d'apparence, et qui, même avec une ou deux bévues (pour ne rien céler), triompha si incontestablement auprès de tous. On a beau dire, après coup, sur l'exactitude littéraire, il y avait ici une question de fidélité bien autrement grave et qui dominait tout, et cette fidélité fut respectée des premiers éditeurs. Oui, l'esprit qui présida à cette première édition fut, je

1. Tome III, page 319 (édition gr. in-18).

2. Ceci est à l'adresse de Cousin qui, dans son Rapport, s'efforce de mettre à l'abri du reproche Arnauld et les autres docteurs et de rejeter sur le duc de Roannez toutes les erreurs qui ont pu être commises.

ne crains pas de le proclamer (et tout ce qui s'est passé à l'occasion de la dernière vient assez hautement à l'appui), fut, dis-je, un esprit de discrétion, de respect, de ménagement et d'édification pour les lecteurs, etc. » Sainte-Beuve ajoute un peu plus loin: « J'ai peine à me figurer, je l'avoue, l'édition d'aujourd'hui (Faugère) si excellente philologiquement, si bien telle que nous la réclamons, avec ses phrases saccadées, interrompues et ce jet de la pensée à tout moment brisé, j'ai peine à me la figurer naissant en Janvier 1670, en cette époque régulière, respectueuse et qui n'avait pas pour habitude de saisir et d'admirer ainsi ses grands hommes dans leur déshabillé, ses grands écrivains jusque dans leurs ratures. Ce n'eût été, à simple vue, qu'un cri universel de réprobation, un long sifflet, si on l'avait osé : « Mais, quoi? aurait-on dit de toutes parts à « MM. Arnauld et Nicole, quoi? se peut-il que vous ayez permis une telle profanation du nom et de la mémoire de << votre ami? etc. >>

«

Tel dut être, en effet, le raisonnement des amis de Pascal, celui qui inspirait à Brienne la lettre adressée à Mme Périer et que nous avons citée plus haut. Rappelons aussi qu'il n'y avait pas seulement dans leur fait une question de convenances littéraires et religieuses. Le parti était trop surveillé pour se risquer autrement qu'à bon escient; nous avons vu Arnauld toucher cette corde dans une lettre à Mme Périer. Tout se réunit donc pour innocenter Port-Royal. Il reste à examiner si son édition, bonne pour le temps, a perdu pour le nôtre toute espèce de valeur. Écartons d'abord la question du plan primitif à ressaisir, puisque tous les éditeurs ont passé à côté, et que même M. Havet, juge si compétent, a nié jusqu'à son existence. Si l'on nous accorde cette impossibilité de reconstruire les divisions du livre, que deviennent, du même coup, les reproches d'interversion de tels ou tels chapitres, de tels ou tels fragments de chapitres? Sous ce rapport, et sans entrer dans les détails de l'accusation, que l'on veuille bien comparer l'édition de 1670 avec les éditions modernes et nous dire laquelle offre, à la lecture, le plus de suite et mérite mieux

les termes, employés par Sainte-Beuve, de net et de lumineux. Quant aux autres griefs contre l'édition de Port-Royal, ils peuvent se résumer sous deux chefs principaux : suppressions et altérations. Nous demandons la permission d'en dire un

mot.

Les lacunes de l'édition de Port-Royal peuvent être considérées par rapport aux éditions qui l'ont suivie, mais qui sont antérieures à la publication de M. Faugère, ou par rapport à l'édition Faugère elle-même. Nous n'entreprendrons pas de noter les différences qui existent entre l'édition de Port-Royal et celle de Bossut. Ce travail peut être fait par les lecteurs qui prendront la peine de comparer les deux textes, dont le dernier se résume, avec les additions Renouard et Lefèvre, dans le volume publié par MM. Didot en 1843 et réimprimé en 1866. Nous ferons remarquer seulement que les excuses à alléguer en faveur de Port-Royal sont de plus d'une sorte. Quelquefois, comme dans le chapitre II (voir l'art. IV, 2o partie, de l'édition Didot), on a éliminé un résumé qui a semblé peu utile, ou, comme dans le chapitre VII (voir l'art. III, 2o partie, même édition), un préambule qui se trouvait suppléé dans le courant du chapitre. D'autres suppressions portent sur des passages que leur concision rendait susceptibles d'une fausse interprétation. C'est cette raison qui a fait supprimer un paragraphe où Pascal paraissait douter de la justice d'après la loi naturelle, non pas seulement de la justice des hommes, de la justice-vertu, mais de la justice quæ jus est; nous empruntons les termes d'Arnauld, qui écrivit à Mme Périer, sur ce sujet, une lettre que l'on trouvera dans le Port-Royal de Saint-Beuve1.

1. Tome II, 2e édition, page 311.

Une raison analogue a fait également omettre toutes les pensées relatives au miracle de la Sainte-Épine et à la polémique qui s'y rattache, pensées dont une partie, du reste, serait mieux à sa place dans les Provinciales. M. Frantin, dans son édition, s'est rendu coupable de la même omission, que M. Faugère lui a vivement reprochée1, en ayant soin de faire remarquer que Bossut n'avait pas eu le même scrupule, quoiqu'il fut abbé (!)

Dans cet ordre d'idées, comme dans tout ce qui touche à la question de justice dont nous avons parlé, la plus grande prudence était, à tous les points de vue, commandée. De même, quelques passages où les rois et les magistrats étaient en scène ont été omis par Port-Royal; mais on peut dire à sa décharge qu'il n'a fait aucun retranchement qui pût affaiblir l'argumentation générale. Là est sa justification, s'il en est une possible quand il s'agit d'un texte tel que celui de Pascal.

Par suite du nouvel ordre de matières adopté dans l'édition Faugère, il devient plus difficile de signaler les lacunes de Port-Royal par rapport à cette publication, en prenant pour base de comparaison les chapitres de l'édition de 1670. Nous allons cependant jeter un coup d'œil sur l'édition Faugère, non pas pour relever les passages inédits, ce que tout le monde peut faire puisqu'ils sont marqués d'un astérisque, mais en prenant quelques-uns d'entre eux, pour nous demander s'il était bien nécessaire de les tirer de l'oubli où les avaient laissés les précédents éditeurs. L'édition Faugère débute par les lettres à Mme Périer et à Mlle de Roannez, dont Port-Royal a extrait un certain nombre de Pensées. On trouvera indiquées dans nos notes des chapitres correspondants quelques-unes des suppressions rendues nécessaires par la publication de ces lettres sous une autre forme. Viennent ensuite, dans l'édition Faugère, la Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies, dont il n'existe pas de texte manuscrit et que M. Faugère a réimprimée d'après l'édition de 1670, puis l'Écrit sur

1. Tome I, page xxxvIII.

la conversion du pécheur, la Préface sur le Traité du vide, le Discours sur les passions de l'amour, dont l'attribution à Pascal est très-contestable1, les fragments de l'Esprit géométrique et de l'Art de persuader, qui n'appartiennent pas aux Pensées, mais auxquels (les deux derniers) M. Faugère a joint quelques passages s'y rapportant, extraits du chapitre XXXI de PortRoyal. A la suite, M. Faugère a réuni sous le titre de Pensées diverses toutes celles qui ne lui ont pas paru pouvoir se rattacher à aucun des articles qui suivent et qui n'auraient pu davantage figurer dans une Apologie du Christianisme. L'astérisque indiquant les pensées inédites se rencontre assez fréquemment, mais quelques exemples montreront les inconvénients de ces transcriptions littérales. Parmi ces fragments inédits, les uns avaient été barrés, comme la pensée sur Descartes, se terminant ainsi : « ... Je n'estime pas que toute la philosophie vaille une heure de peine. » Pourquoi n'avoir pas respecté l'intention de l'auteur qui était évidemment de supprimer ces passages? D'autres pensées sont inachevées comme celles-ci: « Inconstance. On croit toucher des orgues ordinaires en touchant l'homme. Ce sont des orgues à la vérité, mais bizarres, changeantes, variables, ne faisant pas d'accords. Sur celles-là il faut savoir où sont les... (?) » On trouve aussi des allusions à des faits observés par Pascal et qui nous arrivent à l'état d'énigmes. Ainsi, après un passage où il parle des mauvaises raisons dont on se sert pour prouver des effets de la nature, il ajoute « L'histoire du brochet et de la grenouille de Liancourt. Ils (?) le font toujours et jamais autrement, ni chose d'esprit. » M. Havet s'est cru obligé de respecter ce fragment dans son édition, sauf à ajouter en note ce pénible aveu: «< J'ignore l'histoire de ce brochet et de cette grenouille. » Dans d'autres endroits enfin, Pascal a remplacé l'ébauche même de la pensée par un signe mnémonique; ainsi : « La nature agit par progrès, itus et reditus. Elle passe

1. V. l'abbé Flottes, Études, etc., 1846.

2. Tome II, page 152.

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