Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

et revient, puis va plus loin, puis deux fois moins, puis plus que jamais, etc... Le flux de la mer se fait ainsi le soleil semble marcher ainsi. » Suit une ligne inégalement brisée occupant en biais une partie de la page. Ainsi prise en voie de formation, la pensée de Pascal fait penser à un métal en fusion auquel le moule a manqué pour devenir statue. Il en résulte un tel trouble pour l'intelligence qu'elle ne raisonne même plus ce qu'elle lit ou croit lire dans ces ébauches sibyllines. En voici un exemple. On lit dans l'édition Faugère cette pensée inédite1 : « Grandeur. Les raisons des effets marquent la grandeur de l'homme d'avoir tiré de la concupiscence un soleil ardent (?). » Empressons-nous d'ajouter qu'à la fin du chapitre, un erratum avertit de lire au lieu de un soleil ardent, cette version nouvelle un si bel ordre; mais n'est-ce pas trop déjà que la première leçon ait pu être acceptée un moment par l'éditeur, et sans parler de la possibilité d'autres erreurs de même nature, celle-là ne suffit-elle pas pour montrer à quelles incertitudes ce genre d'exhumations livre l'esprit?

:

A la suite de ce chapitre, l'édition Faugère contient des fragments étrangers aux Pensées, tel que l'écrit trouvé dans l'habit de Pascal après sa mort et sa Profession de foi (sur la pauvreté). L'article suivant (Pensées sur l'éloquence et le style) contient beaucoup moins de passages inédits; plusieurs ne sont que des premières ébauches de pensées achevées depuis. Par exemple, dans ce passage: « Il faut qu'on n'en puisse [dire], ni il est mathématicien, ni prédicateur, ni éloquent, mais il est honnête homme, etc., » on reconnaît cette pensée du chap. XXIX de Port-Royal (Pensées morales): «... Mais les vrais honnêtes gens ne veulent point d'enseigne, etc. » Le chapitre suivant (Pensées et notes relatives aux Jésuites, aux Jansénistes et aux Provinciales) appartient plutôt, ainsi qu'une partie du suivant (sur le Pape et l'Église), à l'histoire des Provinciales. Pas plus que le chapitre qui clôt le premier volume

1. Tome I, page 220.

d

de l'édition Faugère (Conversations de Pascal), il ne devait nécessairement figurer dans un recueil des Pensées.

Le deuxième volume de cette édition contient, sous le titre de: Fragments d'une apologie du christianisme, ou Pensées sur la Religion, tout ce qui, dans les notes de Pascal, se rapporte directement à ce sujet. M. Faugère, s'inspirant du plan indiqué par la préface d'Étienne Périer, a divisé cette apologie en deux parties, dont la première, intitulée: Misère de l'homme sans Dieu, ou que la nature est corrompue par la nature même, comprend en quatre chapitres tout ce qui a rapport à l'homme, c'est-à-dire le divertissement, les puissances trompeuses, la disproportion de l'homme, sa grandeur et sa misère, et les systèmes des philosophes. La deuxième partie : Félicité de l'homme avec Dieu, ou qu'il y a un réparateur par l'Écriture, contient dix chapitres, tous traitant directement de la religion, de sa nécessité, de ses caractères et de ses preuves, sauf une partie du chap. V (Des Miracles), qui est toute de polémique janséniste, et le chapitre dernier dans lequel M. Faugère a réuni, sous le titre d'Ordre, plusieurs notes de Pascal indiquant des divisions secondaires restées à l'état de projet. En tête de ce volume, l'éditeur a mis, comme préface générale, le fragment qui dans l'édition de Port-Royal est intitulé: Contre l'indifférence des athées. Ce que nous avons dit du premier volume est applicable au second, et si nous ne craignions de fatiguer le lecteur, les exemples ne nous manqueraient pas; nous nous contenterons encore de quelques-uns. Ce sont des phrases énigmatiques. comme celle-ci : « Parler de ceux qui ont traité de la connaissance de soi-même ; des divisions de Charron qui attristent et ennuient; de la confusion de Montagne (Montaigne); qu'il avait bien senti le défaut du droit de méthode, etc. » L'éditeur a été réduit à se demander en note si, dans ce fragment qui est un de ceux dictés par Pascal à une main inexpérimentée, on doit entendre, par les derniers mots, la ligne droite que suit la méthode, ou si plutôt Pascal n'a pas dicté : « ... le défaut d'une droite méthode. » Un grand nombre de passages barrés ; des pensées interrompues; même des mots inachevés « nature ne p...,»

(p. 75); des phrases que l'éditeur avoue être inintelligibles, telle que celle-ci (p. 74): « Que me promettez-vous enfin, sinon dix ans d'amour-propre à bien essayer de plaire sans y réussir, outre les peines, car dix ans c'est le parti? » ; des brouillons de pensées qu'on trouve achevées un peu plus loin; des citations de Montaigne, sans qu'on sache bien si Pascal voulait s'en prévaloir ou les réfuter1; des extraits d'auteurs anciens, ecclésiastiques ou profanes; de longs passages de l'Écriture en latin ou traduits littéralement, tout cela, trèsintéressant pour l'étude du génie de Pascal, forme néanmoins une lecture on ne peut plus pénible et plaide, à notre sens, victorieusement en faveur des éditions qui ont adopté le principe du triage. Voilà pour les suppressions: Quant aux modifications (altérations si l'on veut) du texte, on les trouvera indiquées dans nos variantes et notes. Là on pourra se convaincre que Port-Royal a rectifié plus de phrases mal construites, supprimé plus d'anachronismes et élucidé plus de pensées obscures qu'il n'a affaibli d'expressions fortes et dénaturé de conceptions originales.

VI

[merged small][ocr errors]

Un axiome de Joseph de Maistre, rappelé par M. l'abbé Maynard: « Tout ce qu'un homme écrit n'est pas avoué par lui, ni destiné à l'impression » en dit plus pour la justification de Port-Royal que tous les développements dans lesquels nous sommes entré. Il est hors de doute que s'il avait vécu et pu

1 « Il fallait même faire un triage et ne point employer tous ces petits papiers écrits, dont quelques-uns étaient de fausses pensées de Montagne que M. Pascal ne pensait pas sans doute adopter. » Extrait de l'Histoire de Port-Royal (par l'abbé Besoigne), 1752, t. VI, p. 45.

2. Tome II, page 33.

mener à fin l'œuvre entreprise, Pascal eût fait un choix dans les matériaux qu'il avait accumulés, et supprimé ou remplacé un certain nombre des fragments qui sont venus jusqu'à nous. Si l'on admet la légitimité, mieux que cela, la nécessité d'un pareil travail, on conviendra en même temps qu'à défaut du maître personne n'était mieux placé pour remplir cette tâche que les éditeurs de 1670. Union de croyance et de dévouement, communauté de doctrines et parfois d'erreurs avec l'illustre mort, connaissance possible, sinon probable, de ses projets par des entretiens journaliers, et enfin identité d'époque, de milieu, de mœurs, tout, si l'on en excepte l'égalité de génie, les rendait dignes de cet emploi, et l'on doit croire qu'ils ne s'en sont pas trop imparfaitement acquittés, puisqu'il n'est aucun des éditeurs venus après eux qui ne leur ait rendu plus ou moins hommage. Certes, pour les esprits avides de tout connaître et qui ne reculent pas devant une lecture quelquefois laborieuse; pour les chercheurs qui voudront se rendre compte des diverses phases par lesquelles a passé l'esprit de Pascal et des tâtonnements de sa plume, l'édition Faugère offre un grand progrès sur celles qui l'ont précédée ; mais pour l'ensemble des lecteurs, soit qu'ils cherchent une impression purement littéraire, soit que, mieux en rapport avec la pensée du livre, ils poursuivent un but d'édification, l'édition de 1670 est, croyons-nous, restée sans rivale, et c'est ce qui nous a porté à réimprimer le modeste volume de Port-Royal. Comme toutes les premières éditions de nos classiques, ce volume tend depuis quelques années à devenir rare; il était urgent de le renouveler, ne fût-ce que pour faire connaître la première forme

1. « Pascal..., esprit fort individuel, comme on dit aujourd'hui, mais non tellement absolu qu'il ne subordonnât souvent ses doctrines à celles de Port-Royal dont il s'honorait d'être l'interprète. C'est un fait qui ne peut être contesté. Il est donc à présumer que les changements posthumes apportés à l'œuvre des Pensées auraient été approuvés et peut-être exécutés par Pascal lui-même, si Pascal avait vécu; car on ne saurait supposer, dans l'état connu de ses rapports avec Port-Royal, qu'il eût publié cette ébauche de livre sans l'aveu de ses amis. » Ch. Nodier, Bulletin du bibliophile, 1843, p. 108.

[ocr errors]

sous laquelle s'est produit le livre des Pensées, et là est, en dernière analyse, la raison de notre choix.

Pour conserver à l'édition que nous réimprimons sa physionomie, nous avons maintenu l'orthographe ancienne, qui ne saurait, du reste, apporter un obstacle sérieux à la lecture, dans la pensée qu'une orthographe moderne jurerait avec des formes de langage quelquefois vieillies. Quant à la ponctuation, nous l'avons également respectée dans les cas où le sens nous a paru intimement lié à son apparente bizarrerie. Par une raison analogue nous nous sommes attaché à reproduire les majuscules dont il est souvent fait usage dans le courant de la phrase et qui ont pour but de bien marquer l'importance de certains mots; toutes questions, du reste, dont le procès est aujourd'hui gagné devant le public, comme l'attestent les réimpressions fac-similaires qui paraissent tous les jours et forment, au point de vue littéraire, le signe caractéristique dominant de notre époque de curiosité. Ici, plus que jamais, le respect du texte choisi allait de soi, et l'on ne trouvera pas étonnant que ce que l'on fait pour des productions souvent très-secondaires de notre vieille littérature, nous l'ayons tenté pour une des œuvres qui honorent le plus le génie humain.

2

A. D

« ZurückWeiter »