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* Qui se trouve malheureux de n'estre pas Roy, sinon un Roy dépossedé? Trouvoit-on Paul Emile malheureux de n'estre plus consul? Au contraire tout le monde trouvoit qu'il estoit heureux de l'avoir esté ; parce que sa condition n'estoit pas de l'estre toûjours. Mais on trouvoit Persée si malheureux de n'estre plus Roy, parce que sa condition estoit de l'estre toûjours, qu'on trouvoit estrange qu'il pust supporter la vie. Qui se trouve malheureux de n'avoir qu'une bouche? Et qui ne se trouve malheureux de n'avoir qu'un œil? On ne s'est peut estre jamais avisé de s'affliger de n'avoir pas trois yeux; mais on est inconsolable de n'en avoir qu'un.

Nous avons une si grande idée de l'ame de l'homme, que nous ne pouvons souffrir d'en estre méprisez, et de n'estre pas dans l'estime d'une ame; et toute la félicité des hommes consiste dans cette estime.

Si d'un costé cette fausse gloire que les hommes. cherchent est une grande marque de leur misere, et de leur bassesse, c'en est une aussi de leur excellence. Car quelques possessions qu'il ait sur la terre, de quelque santé et commodité essentielle qu'il joüisse, il n'est pas satisfait s'il n'est dans l'estime des hommes. Il estime

si grande la raison de l'homme, que quelque avantage qu'il ait dans le monde, il se croit malheureux s'il n'est placé aussi avantageusement dans la raison de l'homme. C'est la plus belle place du monde : rien ne le peut détourner de ce desir; et c'est la qualité la plus ineffaçable du cœur de l'homme. Jusque là que ceux

qui méprisent le plus les hommes et qui les égalent aux bestes, en veulent encore estre admirez, et se contredisent à eux mesmes par leur propre sentiment; leur nature, qui est plus forte que toute leur raison, les convainquant plus fortement de la grandeur de l'homme, que la raison ne les convainc de sa bassesse.

* L'homme n'est qu'un roseau le plus foible de la nature; mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser. Une vapeur, une goute d'eau suffit pour le tüer. Mais quand l'univers l'écraseroit, l'homme seroit encore plus noble que ce qui le tüe; parce qu'il sçait qu'il meurt; et l'avantage que l'univers a sur luy, l'univers n'en sçait rien.

Ainsi toute nostre dignité consiste dans la pensée. C'est de là qu'il faut nous relever, non de l'espace et de la durée. Travaillons donc à bien penser. Voilà le principe de la morale.

Il est dangereux de trop faire voir à l'homme combien il est égal aux bestes, sans luy monstrer sa grandeur. Il est encore dangereux de luy faire trop voir sa grandeur sans sa bassesse. Il est encore plus dangereux de luy laisser ignorer l'un et l'autre.

Que l'homme donc s'estime son prix. Qu'il s'ayme; car il a en luy une nature capable de bien; mais qu'il n'ayme pas pour cela les bassesses qui y sont. Qu'il se méprise; parce que cette capacité est vuide; mais qu'il ne méprise pas pour cela cette capacité naturelle. Qu'il se haïsse; qu'il s'ayme : il a en luy la capacité de connoistre la verité, et d'estre heureux; mais

il n'a point de verité ou constante ou satisfaisante. Je voudrois donc porter l'homme à desirer d'en trouver, à estre prest et dégagé de passions pour la suivre où il la trouvera; et sçachant combien sa connoissance s'est obscurcie par les passions, je voudrois qu'il haït en soy la concupiscence qui la détermine d'elle mesme, afin qu'elle ne l'aveuglast point en faisant son choix, et qu'elle ne l'arrestast point quand il aura choisi.

XXIV

Vanité de l'homme.

N

ous ne nous contentons pas de la vie que nous avons en nous, et en nostre propre estre nous voulons vivre dans l'idée des

autres d'une vie imaginaire; et nous nous efforçons pour cela de paroistre. Nous travaillons incessamment à embellir et conserver cet estre imaginaire, et negligeons le veritable. Et si nous avons ou la tranquillité, ou la generosité, ou la fidelité, nous nous empressons de le faire sçavoir, afin d'attacher ces vertus à cet estre d'imagination: nous les détacherions plustost de nous pour les y joindre; et nous serions volontiers poltrons, pour aquerir la réputation d'estre vaillans. Grande marque du neant de nostre propre estre, de n'estre pas satisfaits de l'un sans l'autre, et de renoncer souvent à l'un pour l'autre. Car qui ne mourroit pour conserver son honneur, celuy-là seroit infame.

*La douceur de la gloire est si grande, qu'à quelque chose qu'on l'attache, mesme à la mort, on l'aime.

L'orgueil contrepese toutes nos miseres. Car, ou il les cache, ou, s'il les découvre, il se glorifie de les connoistre.

L'orgueil nous tient d'une possession si naturelle au milieu de nos miseres et de nos erreurs, que nous perdons mesme la vie avec joye, pourveu qu'on en parle.

La vanité est si anchrée dans le cœur de l'homme, qu'un goujat, un marmiton, un crocheteur se vante, et veut avoir ses admirateurs. Et les philosophes mesmes en veulent. Ceux qui écrivent contre la gloire, veulent avoir la gloire d'avoir bien écrit; et ceux qui le lisent, veulent avoir la gloire de l'avoir lû; et moy qui écris cecy, j'ay peut-estre cette envie, et peut-estre que ceux qui le liront l'auront aussi.

* Malgré la veüe de toutes nos miseres qui nous touchent, et qui nous tiennent à la gorge, nous avons un instinct que nous ne pouvons reprimer, qui nous éleve.

* Nous sommes si présomptueux, que nous voudrions estre connûs de toute la terre, et mesme des gens qui viendront quand nous ne serons plus. Et nous sommes si vains, que l'estime de cinq ou six personnes qui nous environnent nous amuse et nous contente.

* La chose la plus importante à la vie c'est le choix d'un métier. Le hazard en dispose. La coûtume fait les massons, les soldats, les couvreurs. C'est un excellent couvreur, dit-on; et en parlant des soldats, ils sont bien fous, dit-on. Et les autres au contraire; il n'y a

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