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s'est entierement établie. Et quoyqu'il n'eust pas le loisir dans un simple discours de traitter au long une si vaste matiere, comme il avoit dessein de faire dans son ouvrage, il en dit neanmoins assez pour convaincre que tout cela ne pouvoit estre l'ouvrage des hommes, et qu'il n'y avoit que Dieu seul qui eust pû conduire l'évenement de tant d'effets differens qui concourent tous également à prouver d'une maniere invincible la Religion qu'il est venu luy-mesme établir parmy les hommes.

Voilà en substance les principales choses dont il entreprit de parler dans tout ce discours, qu'il ne proposa à ceux qui l'entendirent que comme l'abregé du grand ouvrage qu'il méditoit; et c'est par le moyen d'un de ceux qui y furent présens qu'on a sceu depuis le peu que je viens d'en rapporter.

On verra parmy les fragmens que l'on donne au public quelque chose de ce grand dessein de Monsieur Pascal, mais on y en verra bien peu; et les choses mesme que l'on y trouvera sont si imparfaites, si peu étenduës et si peu digerées, qu'elles ne peuvent donner qu'une idée trés grossiere de la maniere dont il avoit envie de les traitter.

Au reste, il ne faut pas s'étonner si dans le peu qu'on en donne on n'a pas gardé son ordre et sa suite pour la distribution des matieres. Comme on n'avoit presque rien qui se suivist, il eust esté inutile de s'attacher à cet ordre, et l'on s'est contenté de les disposer à peu prés en la maniere qu'on a jugé estre plus propre et plus convenable à ce que l'on en avoit. On espere mesme qu'il y aura

peu de personnes qui, aprés avoir bien conçu une fois le dessein de Monsieur Pascal, ne suppléent d'eux-mesmes au defaut de cet ordre, et qui, en considerant avec attention les diverses matieres respanduës dans ces fragmens, ne jugent facilement où elles doivent estre rapportées suivant l'idée de celuy qui les avoit écrites.

Si l'on avoit seulement ce discours là par escrit tout au long et en la maniere qu'il fut prononcé, l'on auroit quelque sujet de se consoler de la perte de cet ouvrage, et l'on pourroit dire qu'on en auroit au moins un petit échantillon quoyque fort imparfait. Mais Dieu n'a pas permis qu'il nous ait laissé ny l'un ny l'autre. Car peu de temps aprés il tomba malade d'une maladie de langueur et de foiblesse qui dura les quatre dernieres années de sa vie, et qui, quoyqu'elle parust fort peu au dehors, et qu'elle ne l'obligea pas de garder le lit ny la chambre, ne laissoit pas de l'incommoder beaucoup et de le rendre presque incapable de s'appliquer à quoy que ce soit de sorte que le plus grand soin et la principale occupation de ceux qui estoient auprés de luy estoit de le détourner d'escrire, et mesme de parler de tout ce qui demandoit quelque application et quelque contention d'esprit, et de ne l'entretenir que de choses indifferentes et incapables de le fatiguer.

C'est neanmoins pendant ces quatre années de langueur et de maladie qu'il a fait et escrit tout ce que l'on a de luy de cet ouvrage qu'il meditoit, et tout ce que l'on en donne au public. Car, quoyqu'il attendist que sa santé fust entierement restablie pour y travailler tout de bon,

et pour escrire les choses qu'il avoit déja digerées et disposées dans son esprit; cependant, lorsqu'il luy survenoit quelques nouvelles pensées, quelques veuës, quelques idées, ou mesme quelque tour et quelques expressions qu'il prévoyoit luy pouvoir un jour servir pour son dessein, comme il n'estoit pas alors en estat de s'y appliquer aussy fortement qu'il faisoit quand il se portoit bien, ny de les imprimer dans son esprit et dans sa memoire, il aimoit mieux en mettre quelque chose par escrit pour ne

le

pas oublier; et pour cela il prenoit le premier morceau de papier qu'il trouvoit sous sa main, sur lequel il mettoit sa pensée en peu de mots, et fort souvent mesme à demy mot, car il ne l'escrivoit que pour luy; et c'est pourquoy il se contentoit de le faire fort legerement pour ne se pas fatiguer l'esprit, et d'y mettre seulement les choses qui estoient necessaires pour le faire ressouvenir des veües et des idées qu'il avoit.

s'es

C'est ainsy qu'il a fait la pluspart des fragmens qu'on trouvera dans ce recüeil; de sorte qu'il ne faut pas tonner s'il y en a quelques uns-qui semblent assez imparfaits, trop courts et trop peu expliquez, et dans lesquels on peut mesme trouver des termes et des expressions moins propres et moins elegantes. Il arrivoit neanmoins quelquefois qu'ayant la plume à la main, il ne pouvoit s'empescher, en suivant son inclination, de pousser ses pensées et de les estendre un peu davantage, quoyque ce ne fut jamais avec la force et l'application d'esprit qu'il auroit pu faire en parfaite santé. Et c'est pourquoy l'on en trouvera aussy quelques unes plus estenduës et mieux

escrites, et des Chapitres plus suivis et plus parfaits que les autres.

Voila de quelle maniere ont esté escrites ces Pensées. Et je croy qu'il n'y aura personne qui ne juge facilement par ces legers commencemens et par ces foibles essais d'une personne malade, qu'il n'avoit écrits que pour luy seul et pour se remettre dans l'esprit des pensées qu'il craignoit de perdre, et qu'il n'a jamais revûs ny retouchez, quel eust esté l'ouvrage entier si Monsieur Pascal eust pû recouvrer sa parfaite santé et y mettre la derniere main, luy qui sçavoit disposer les choses dans un si beau jour et un si bel ordre, qui donnoit un tour si particulier, si noble et si relevé à tout ce qu'il vouloit dire, qui avoit dessein de travailler cet ouvrage plus que tous ceux qu'il avoit jamais faits, qui y vouloit employer toute la force d'esprit et tous les talens que Dieu luy avoit donnez, et duquel il a dit souvent qu'il luy falloit dix ans de santé pour l'achever.

Comme l'on sçavoit le dessein qu'avoit Monsieur Pascal de travailler sur la Religion, l'on eut un très grand soin aprés sa mort de recueillir tous les écrits qu'il avoit faits sur cette matiere. On les trouva tous ensemble enfilez en diverses liasses, mais sans aucun ordre et sans aucune suite, parceque, comme je l'ay déjà remarqué, ce n'estoit que les premieres expressions de ses pensées qu'il écrivoit sur de petits morceaux de papier à mesure qu'elles luy venoient dans l'esprit; et tout cela estoit si imparfait et si mal écrit qu'on a eu toutes les peines du monde à le déchiffrer.

La premiere chose que l'on fit fut de les faire copier tels qu'ils estoient et dans la mesme confusion qu'on les avoit trouvez. Mais lorsqu'on les vit en cet estat, et qu'on eut plus de facilité de les lire et de les examiner que dans les originaux, ils parurent d'abord si informes, si peu suivis, et la pluspart si peu expliquez, qu'on fut fort longtemps sans penser du tout à les faire imprimer, quoyque plusieurs personnes de tres grande consideration le demandassent souvent avec des instances et des sollicitations fort pressantes, parceque l'on jugeoit bien que l'on ne pouvoit pas remplir l'attente et l'idée que tout le monde avoit de cet ouvrage, dont l'on avoit déjà entendu parler, en donnant ces écrits en l'estat qu'ils estoient.

Mais enfin on fut obligé de ceder à l'impatience et au grand desir que tout le monde témoignoit de les voir imprimez. Et l'on s'y porta d'autant plus aisément que l'on crût que ceux qui les liroient seroient assez équitables pour faire le discernement d'un dessein ébauché d'avec une piece achevée, et pour juger de l'ouvrage par l'échantillon, quelque imparfait qu'il fust. Et ainsy l'on se resolut de les donner au public. Mais, comme il y avoit plusieurs manieres de l'exécuter, l'on a esté quelque temps à se déterminer sur celle que l'on devoit prendre.

La premiere qui vint dans l'esprit, et celle qui estoit sans doute la plus facile, estoit de les faire imprimer tout de suite dans le mesme estat qu'on les avoit trouvez. Mais l'on jugea bientost que de le faire de cette sorte, c'eust esté perdre presque tout le fruit qu'on en pouvoit esperer, parceque les pensées plus parfaites, plus suivies, plus

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