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ayant perdu leur foi en ce guide trompeur qui les a égarés d'erreur en erreur et d'abîme en abîme, s'arrêtent éperdus et tremblans au milieu d'immenses débris, et sur les tronçons des trônes, des institutions, des mœurs et des empires, ils se prennent à désespérer de l'humanité.

S'il était permis de rapprocher deux époques qui, malgré les siècles qui les séparent, ont leur analogie, ne pourrait-on pas dire qu'il y a une sorte de ressemblance entre la destruction matérielle du vieux monde romain et la destruction morale qui a bouleversé le monde moderne jusque dans ses fondemens? En écoutant ce long gémissement, ce cri de désolation que pousse notre littérature, ne vous semble-t-il point être revenu à ce jour de misère ou au milieu des invasions de Barbares qui, maîtres de dix-sept provinces des Gaules, chassaient devant eux comme un troupeau, sénateurs et matrones, maîtres et esclaves, hommes et femmes, jeunes garçons et jeunes filles? Un captif, poète et chrétien, cheminant derrière les chariots et les armes, demandait au ciel, « pourquoi la terre était déserte, pourquoi « les villes détruites, pourquoi les champs sans «< culture, pourquoi Dieu avait laissé envelopper « dans la ruine générale et ses saintes églises et << tant de jeunes enfans, dont l'âge était incapable << de pécher (1). »Ne vous rappelez-vous point

(1) Châteaubriand, Études historiques, t. 1. p. 235.

saint Jérôme peignant les cités dévastées, les hommes égorgés, les animaux eux-mêmes disparaissant du sol, et la terre se couvrant d'épaisses forêts et de ronces? Ne croyez-vous pas entendre le cantique de ces exilés que Gildas nous montre, dans son histoire, gagnant les contrées d'outremer, et chantant avec de grands gémissemens sous les voiles : « Tu nous as, ô Dieu! livrés comme << des brebis pour un festin, tu nous as dispersés << parmi les nations! » Dans ce temps-là, comme dans le nôtre, toute voix qui s'élevait était pleine de tristesse, toute parole était une lamentation. Les Bretons écrivaient à Aétius une lettre qui portait cette suscription mélancolique : « A Aétius, << trois fois consul, le gémissement de la Bre<«<tagne. » Et du haut de sa chaire, saint Augustin s'écriait, en parlant du sac de Rome : « D'horribles << nouvelles se sont répandues, carnage, incendie,

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rapine, extermination. Nous gémissons, nous pleurons, et nous ne pouvons être consolés!

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C'est que la grande époque de destruction matérielle doit avoir avec la grande époque de destruction morale, une mystérieuse, mais réelle analogie; c'est que les esprits sont sous le poids des événemens qui les entourent, c'est que voyant une seconde fois le monde emporté dans des régions inconnues, ils ne trouvent plus que des accens tristes et des pensées sombres comme la situation. Et ne nous plaignons pas trop de cet état de notre

littérature. Le désespoir est plus près qu'on ne croit du repentir, le fatalisme de la croyance : ces deux nuances sont la transition de la philosophie à la religion.

Animés par ces considérations, nous nous mîmes à feuilleter les Pères, et nous y trouvâmes ce que nous cherchions inutilement ailleurs. Nous ne saurions peindre tout ce que nous ont procuré de plaisir ces lectures faites en commun, dans les longues soirées d'hiver, près d'un foyer ami, à l'heure où la pensée est plus mystérieuse, plus expansive. Salvien nous parut celui de tous qui avait le plus de rapport avec notre époque de crise et de transition; nous commençâmes à le traduire, et voici que nous l'abandonnons au public.

Salvien dit clairement qu'il était né dans les Gaules (1), mais on ne trouve rien de bien précis, ni pour l'année ni pour le lieu de sa naissance; seulement, la suite de sa vie fait voir qu'il doit être né quelques années avant la fin du IVe siècle, ce que Tillemont (2) rapporte à l'an 390. On peut inférer aussi de ses ouvrages qu'il était de Cologne, et issu d'une famille qui tenait un rang considérable dans les Gaules. Si la ville de Trèves ne fut point la patrie de Salvien, comme cela est manifeste par ses œuvres, on conjecture du moins avec

(1) De Gubernatione, t. 1, livre ví, p. 368 de notre édition. (2) Hist. Ecc., t. xvi, p. 182.

vraisemblance qu'il y fut élevé, ou qu'il y fit dans sa jeunesse une assez longue résidence; les écoles de cette ville étaient encore célèbres à la fin du IVe siècle. Salvien fit de grands progrès dans les lettres et dans les sciences cultivées à cette époque. Il était très-jeune quand il épousa Palladia, fille d'Ypatius, que son père avait formée aux croyances du paganisme. De ce mariage naquit une fille nommée Anspiciola. Ypatius était engagé dans les ténèbres de l'idolâtrie, dont il sortit néanmoins pour suivre les lumières de l'Evangile. Peut-être Palladia était-elle d'abord païenne elle-même, comme son père, mais elle eut depuis le bonheur d'embrasser la religion de Jésus-Christ et de garder la continence. Car, Salvien ne se contentant pas d'être simplement chrétien, voulut aspirer encore à la perfection du christianisme. Frappé sans doute de l'exemple admirable de saint Paulin et de Thérasie, qui depuis peu avait fait tant de bruit dans l'Eglise, et de celui de saint Eucher et de Galla, que Salvien avait alors sous les yeux, il proposa à Palladie de les imiter. Palladie fut docile, et consentit à devenir la sœur de celui dont elle était l'épouse.

Le nouveau genre de vie des deux jeunes époux irrita Ypatius, quoique déjà chrétien, par la considération peut-être que la continence qu'ils venaient d'embrasser, tendait à l'extinction de sa race. On ne saurait dire si ce fut pour se dérober

à sa colère, ou pour vivre dans la solitude, ou bien à cause des incursions des Barbares qui ravageaient les Gaules dès 407, que Salvien et Palladie s'en allèrent dans un pays éloigné d'Ypatius. Ils y vécurent près de sept ans entiers, sans y recevoir une seule lettre de lui, quoiqu'il ne lui eussent donné aucun sujet de mécontentement. Salvien, pour l'apaiser, lui écrivit une lettre que le temps nous a conservée : c'est un chef-d'œuvre de la plus pathétique éloquence. Cherchez dans les lettres de Cicéron à ses Amis, dans ces lettres de Pline si péniblement élaborées pour la gloire et la postérité, vous ne trouverez jamais rien qui vaille ces paroles si douces et si pénétrantes.

Salvien écrivit avec sa femme; ce fut dans la vue de certifier à Ypatius qu'ils étaient ensemble, afin qu'il n'eût rien à craindre de ce côté-là.

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<< Nous ignorons, dit-il, si vous êtes également « irrités contre nous, mais dans la conjoncture présente, nous ne saurions être divisés. Notre << crainte à tous deux est la même, quoique l'of<< fense ne soit pas la même néanmoins; car, ne << fussiez-vous pas irrités peut-être contre tous deux, l'affection mutuelle qui nous unit fait cependant que, l'un de nous étant regardé comme coupable, l'autre aussi ne peut s'empêcher d'é<< prouver de la tristesse en pensant à la faute.— << Parens chéris, parens vénérables, souffrez, de «< grâce, que nous vous interrogions. Des enfans

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