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éleva, des jeunes compagnons de notre enfance; c'est peut-être les soins que nous avons reçus d'une nourrice, d'un domestique âgé, partie si essentielle de la maison (domus); enfin ce sont les circonstances les plus simples, si l'on veut même, les plus triviales: un chien qui aboyait la nuit dans la campagne, un rossignol qui revenait tous les ans dans le verger, le nid de l'hirondelle à la fenêtre, le clocher de l'église qu'on voyait au-dessus des arbres, l'if du cimetière, le tombeau gothique : voilà tout; mais ces petits moyens démontrent d'autant mieux la réalité d'une Providence, qu'ils ne pourraient être la source de l'amour de la patrie et des grandes vertus que cet amour fait naître, si une volonté suprême ne l'avait ordonné ainsi.

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LIVRE SIXIÈME

IMMORTALITÉ DE L'AME, PROUVÉE PAR LA MORALE

ET LE SENTIMENT

CHAPITRE PREMIER

DÉSIR DE BONHEUR DANS L'HOMME

Quand il n'y aurait d'autres preuves de l'existence de Dieu que les merveilles de la nature, ces preuves sont si fortes qu'elles suffiraient pour convaincre tout homme qui ne cherche que la vérité. Mais, si ceux qui nient la Providence ne peuvent expliquer sans elle les miracles de la création, ils sont encore plus embarrassés pour répondre aux objections de leur propre cœur. En renonçant à l'Être suprême ils sont obligés de renoncer à une autre vie, et cependant leur âme les agite, elle se présente pour ainsi dire devant eux, et les force, en dépit des sophistes, à confesser son existence et son immortalité.

Qu'on nous dise d'abord, si l'âme s'éteint au tombeau, d'où nous vient ce désir de bonheur qui nous tourmente. Nos passions ici-bas se peuvent aisément rassasier : l'amour, l'ambition, la colère, ont une plénitude assurée de jouissance; le besoin de félicité est le seul qui manque de satisfaction comme d'objet, car on ne sait ce que c'est que cette félicité qu'on désire. Il faut convenir que, si tout est matière, la nature s'est ici étrangement trompée : elle a fait un sentiment qui ne s'applique à rien.

Il est certain que notre âme demande éternellement; à peine a-t-elle obtenu l'objet de sa convoitise, qu'elle demande encore : l'univers entier ne la satisfait point. L'infini est le seul champ qui lui convienne; elle aime à se perdre dans les nombres, à concevoir les plus grandes comme les plus petites dimensions. Enfin, gonflée et non rassasiée de ce qu'elle a dévoré, elle se précipite dans le

GENIE DU CHRIST.

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sein de Dieu, où viennent se réunir les idées de l'infini, en perfection, en temps et en espace; mais elle ne se plonge dans la Divinité que parce que cette Divinité est pleine de ténèbres, Deus absconditus. Si elle en obtenait une vue distincte, elle la dédaignerait, comme tous les objets qu'elle mesure. On pourrait même dire que ce serait avec quelque raison; car si l'âme s'expliquait bien le principe éternel, elle serait ou supérieure à ce principe, ou du moins son égale. Il n'en est pas de l'ordre des choses divines comme de l'ordre des choses humaines un homme peut comprendre la puissance d'un roi sans être un roi; mais un homme qui comprendrait Dieu serait Dieu.

Or les animaux ne sont point troublés par cette espérance que manifeste le cœur de l'homme; ils atteignent sur-le-champ à leur suprême bonheur : un peu d'herbe satisfait l'agneau, un peu de sang rassasie le tigre. Si l'on soutenait, d'après quelques philosophes, que la diverse conformation des organes fait la seule différence entre nous et la brute, on pourrait tout au plus admettre ce raisonnement pour les actes purement matériels; mais qu'importe ma main à ma pensée lorsque, dans le calme de la nuit, je m'élance dans les espaces pour y trouver l'Ordonnateur de tant de mondes? Pourquoi le bœuf ne fait-il pas comme moi? Ses yeux lui suffisent; et quand il aurait mes pieds ou mes bras, ils lui seraient pour cela fort inutiles. Il peut se coucher sur la verdure, lever la tête vers les cieux, et appeler par ses mugissements l'Être inconnu qui remplit cette immensité. Mais non préférant le gazon qu'il foule, il n'interroge point, au haut du firmament, ces soleils qui sont la grande évidence de l'existence de Dieu. Il est insensible au spectacle de la nature, sans se douter qu'il est jeté lui-même sous l'arbre où il repose, comme une petite preuve de l'intelligence divine.

Donc la seule créature qui cherche au dehors, et qui n'est pas à soi-même son tout, c'est l'homme. On dit que le peuple n'a point cette inquiétude : il est sans doute moins malheureux que nous; car il est distrait de ses désirs par ses travaux, il éteint dans ses sueurs sa soif de félicité. Mais quand vous le voyez se consumer six jours de la semaine pour jouir de quelques plaisirs le septième; quand, toujours espérant le repos et ne le trouvant jamais, il ar

1 Is. XLV, 15.

rive à la mort sans cesser de désirer, direz-vous qu'il ne partage pas la secrète aspiration de tous les hommes à un bien-être inconnu? Que si l'on prétend que ce souhait est du moins borné pour lui aux choses de la terre, cela n'est rien moins que certain donnez à l'homme le plus pauvre les trésors du monde, suspendez ses travaux, satisfaites ses besoins; avant que quelques mois se soient écoulés il en sera encore aux ennuis et à l'espé

rance.

D'ailleurs est-il vrai que le peuple, même dans son état de misère, ne connaisse pas ce désir de bonheur qui s'étend au delà de la vie? D'où vient cet instinct mélancolique qu'on remarque dans l'homme champêtre? Souvent le dimanche et les jours de fêtes, lorsque le village était allé prier ce Moissonneur qui sépare le bon grain de l'ivraie, nous avons vu quelque paysan resté seul à la porte de sa chaumière : il prêtait l'oreille au son de la cloche; son attitude était pensive; il n'était distrait ni par les passereaux de l'aire voisine, ni par les insectes qui bourdonnaient autour de lui. Cette noble figure de l'homme, plantée comme la statue d'un dieu sur le seuil d'une chaumière; ce front sublime, bien que chargé de soucis; ces épaules ombragées d'une noire chevelure, et qui semblaient encore s'élever comme pour soutenir le ciel, quoique courbées sous le fardeau de la vie, tout cet être si majestueux, bien que misérable, ne pensait-il à rien, ou songeait-il seulement aux choses d'ici-bas? Ce n'était pas l'expression de ces lèvres entr'ouvertes, de ce corps immobile, de ce regard attaché à la terre: le souvenir de Dicu était là avec le son de la cloche religieuse.

S'il est impossible de nier que l'homme espère jusqu'au tombeau; s'il est certain que les biens de la terre, loin de combler nos souhaits, ne font que creuser l'âme et en augmenter le vide, il il faut en conclure qu'il y a quelque chose au delà du temps. Vincula hujus mundi, dit saint Augustin, asperitatem habent veram, jucunditatem falsam; certum dolorem, incertam voluptatem; durum laborem, timidam quietem; rem plenam miseriæ, spem beatitudinis inanem. « Le monde a des liens pleins d'une véritable âpreté et d'une fausse douceur; des douleurs certaines, des plaisirs incertains; un travail dur, un repos inquiet; des choses pleines de misère, et une espérance vide de bonheur 1. » Loin de nous plaindre

1 Epist., 30.

que le désir de félicité ait été placé dans ce monde et son but dans l'autre, admirons en cela la bonté de Dieu. Puisqu'il faut tôt ou tard sortir de la vie, la Providence a mis au delà du terme un charme qui nous attire, afin de diminuer nos terreurs du tombeau : quand une mère veut faire franchir une barrière à son enfant, elle lui tend de l'autre côté un objet agréable, pour l'engager à passer.

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La conscience fournit une seconde preuve de l'immortalité de notre âme. Chaque homme a au milieu du cœur un tribunal où il commence par se juger soi-même, en attendant que l'Arbitre souverain confirme la sentence. Si le vice n'est qu'une conséquence physique de notre organisation, d'où vient cette frayeur qui trouble les jours d'une prospérité coupable? Pourquoi le remords est-il si terrible, qu'on préfère se soumettre à la pauvreté et à toute la rigueur de la vertu, plutôt que d'acquérir des biens illégitimes? Pourquoi y a-t-il une voix dans le sang, une parole dans la pierre? Le tigre déchire sa proie, et dort; l'homme devient homicide, et veille. Il cherche les lieux déserts, et cependant la solitude l'effraie; il se traîne autour des tombeaux, et cependant il a peur des tombeaux. Son regard est mobile et inquiet, il n'ose regarder le mur de la salle du festin, dans la crainte d'y lire des caractères funestes. Ses sens semblent devenir meilleurs pour le tourmenter: il voit, au milieu de la nuit, des lueurs menaçantes ; il est toujours environné de l'odeur du carnage, il découvre le goût du poison dans les mets qu'il a lui-même apprêtés; son oreille, d'une étrange subtilité, trouve le bruit où tout le monde. trouve le silence; et sous les vêtements de son ami, lorsqu'il l'embrasse, il croit sentir un poignard caché.

O conscience! ne serais-tu qu'un fantôme de l'imagination, ou la peur des châtiments des hommes? Je m'interroge; je me fais cette question: «Si tu pouvais par un seul désir tuer un homme à la Chine et hériter de sa fortune en Europe, avec la conviction surnaturelle qu'on n'en saurait jamais rien, consentirais-tu à former

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