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ce désir? J'ai beau m'exagérer mon indigence; j'ai beau vouloir atténuer cet homicide en supposant que, par mon souhait, le Chinois meurt tout à coup sans douleur, qu'il n'a point d'héritier, que même à sa mort ses biens seront perdus pour l'État; j'ai beau me figurer cet étranger comme accablé de maladies et de chagrins; j'ai beau me dire que la mort est un bien pour lui, qu'il l'appelle lui-même, qu'il n'a plus qu'un instant à vivre: malgré mes vains subterfuges, j'entends au fond de mon cœur une voix qui crie si fortement contre la seule pensée d'une telle supposition, que je ne puis douter un instant de la réalité de la conscience.

C'est donc une triste nécessité que d'être obligé de nier le remords pour nier l'immortalité de l'âme et l'existence d'un Dieu vengeur. Toutefois nous n'ignorons pas que l'athéisme, poussé à bout, a recours à cette dénégation honteuse. Le sophiste, dans le paroxysme de la goutte, s'écriait : « O douleur ! je n'avouerai jamais que tu sois un mal!» Et quand il serait vrai qu'il se trouvât des hommes assez infortunés pour étouffer le cri du remords, qu'en résulterait-il? Ne jugeons point celui qui a l'usage de ses membres par le paralytique qui ne se sert plus des siens; le crime, à son dernier degré, est un poison qui cautérise la conscience: en renversant la religion on a détruit le seul remède qui pouvait rétablir la sensibilité dans les parties mortes du cœur. Cette étonnante religion du Christ était une sorte de supplément à ce qui manquait aux hommes. Devenait-on coupable par excès, par trop de prospérité, par violence de caractère, elle était là pour nous avertir de l'inconstance de la fortune et du danger des emportements. Était-ce, au contraire, par défaut qu'on était exposé, par indigence de biens, par indifférence d'âme, elle nous apprenait à mépriser les richesses, en même temps qu'elle réchauffait nos glaces, et nous donnait, pour ainsi dire, des passions. Avec le criminel surtout, sa charité était inépuisable: il n'y avait point d'homme si souillé qu'elle n'admît à repentir; point de lépreux si dégoûtant qu'elle ne touchât de ses mains pures. Pour le passé elle ne demandait qu'un remords; pour l'avenir, qu'une vertu : Ubi autem abundavit delictum, disait-elle, superabundavit gratia. « La grâce a surabondé où avait abondé le crime 1. » Toujours prêt à avertir le pécheur, le Fils de Dieu avait établi sa religion comme

Rom., cap. v, v. 20.

une seconde conscience, pour le coupable qui aurait eu le malheur de perdre la conscience naturelle, conscience évangélique, pleine de pitié et de douceur, et à laquelle Jésus-Christ avait accordé le droit de faire grâce, que n'a pas la première.

Après avoir parlé du remords qui suit le crime, il serait inutile de parler de la satisfaction qui accompagne la vertu. Le contentement intérieur qu'on éprouve en faisant une bonne œuvre n'est pas plus une combinaison de la matière, que le reproche de la conscience, lorsqu'on commet une méchante action, n'est la crainte des lois.

Si des sophistes soutiennent que la vertu n'est qu'un amourpropre déguisé, et que la pitié n'est qu'un amour de soi-même, ne leur demandons point s'ils n'ont jamais rien senti dans leurs entrailles après avoir soulagé un malheureux, ou si c'est la crainte de retomber en enfance qui les attendrit sur l'innocence du nouveauné. La vertu et les larmes sont pour les hommes la source de l'espérance et la base de la foi: or, comment croirait-il en Dieu, celui qui ne croit ni à la réalité de la vertu, ni à la vérité des larmes ?

Nous penserions faire injure aux lecteurs en nous arrêtant à montrer comment l'immortalité de l'âme et l'existence de Dieu se prouvent par cette voix intérieure appelée conscience. « Il y a dans l'homme, dit Cicéron 1, une puissance qui porte au bien et détourne du mal, non-seulement antérieure à la naissance des peuples et des villes, mais aussi ancienne que ce Dieu par qui le ciel et la terre subsistent et sont gouvernés: car la raison est un attribut essentiel de l'Intelligence divine; et cette raison, qui est en Dieu, détermine nécessairement ce qui est vice ou vertu. »

CHAPITRE III

QU'IL N'Y A POINT DE MORALE S'IL N'Y A POINT D'AUTRE VIE

PRÉSOMPTION EN FAVEUR DE L'AME, TIRÉE DU RESPECT
DE L'HOMME POUR LES TOMBEAUX

La morale est la base de la société; mais si tout est matière en nous, il n'y a réellement ni vice ni vertu, et conséquemment plus 1 Ad Attic., XII, 28, trad. de d'OLIVET.

de morale. Nos lois, toujours relatives et changeantes, ne peuvent servir de point d'appui à la morale, toujours absolue et inaltérable; il faut donc qu'elle ait sa source dans un monde plus stable que celui-ci et des garants plus sûrs que des récompenses précaires, ou des châtiments passagers. Quelques philosophes ont cru que la religion avait été inventée pour la soutenir; ils ne se sont pas aperçus qu'ils prenaient l'effet pour la cause. Ce n'est pas la religion qui découle de la morale, c'est la morale qui naît de la religion, puisqu'il est certain, comme nous venons de le dire, que la morale ne peut avoir son principe dans l'homme physique ou la simple matière; puisqu'il est certain que, quand les hommes perdent l'idée de Dieu, ils se précipitent dans tous les crimes en dépit des lois et des bourreaux.

Une religion qui a voulu s'élever sur les ruines du christianisme, et qui a cru mieux faire que l'Évangile, a déroulé dans nos églises ce précepte du Décalogue: Enfants, honorez vos pères et mères. Pourquoi les théophilanthropes ont-ils retranché la dernière partie du précepte, afin de vivre longuement? C'est qu'une misère secrète leur a appris que l'homme qui n'a rien ne peut rien donner. Comment aurait-il promis des années, celui qui n'est pas assuré de vivre deux moments? Tu me fais présent de la vie, lui aurait-on dit, et tu ne vois pas que tu tombes en poussière ! Comme Jéhovah, tu m'assures une longue existence: et as-tu, comme lui, l'éternité pour y puiser des jours? Imprudent! l'heure où tu vis n'est pas même à toi : tu ne possèdes en propre que la mort; que tireras-tu donc du fond de ton sépulcre, hors le néant, pour récompenser ma vertu?

Enfin, il y a une autre preuve morale de l'immortalité de l'âme, sur laquelle il faut insister, c'est la vénération des hommes pour les tombeaux. Là, par un charme invincible, la vie est attachée à la mort; là, la nature humaine se montre supérieure au reste de la création, et déclare ses hautes destinées. La bête connaît-elle le cercueil, et s'inquiéte-t-elle de ses cendres? Que lui font les ossements de son père? ou plutôt sait-elle quel est son père, après que les besoins de l'enfance sont passés? D'où nous vient donc la puissante idée que nous avons du trépas? Quelques grains de poussière mériteraientils nos hommages? Non sans doute: nous respectons les cendres de nos ancêtres parce qu'une voix nous dit que tout n'est pas éteint en eux. Et c'est cette voix qui consacre le culte funèbre chez tous les peuples de la terre: tous sont également persuadés que

le sommeil n'est pas durable, même au tombeau, et que la mort n'est qu'une transfiguration glorieuse.

CHAPITRE IV

DE QUELQUES OBJECTIONS

Sans entrer trop avant dans les preuves métaphysiques, que nous avons pris soin d'écarter, nous tâcherons pourtant de répondre à quelques objections qu'on reproduit éternellement.

Cicéron ayant avancé, d'après Platon, qu'il n'y a point de peuples chez lesquels on n'ait trouvé quelque notion de la Divinité, ce consentement universel des nations, que les anciens philosophes rcgardaient comme une loi de nature, a été nié par les incrédules modernes; ils ont soutenu que certains Sauvages n'ont aucune connaissance de Dieu.

Les athées se tourmentent en vain pour couvrir la faiblesse de leur cause; il résulte de leurs arguments que leur système n'est fondé que sur des exceptions, tandis que le déisme suit la règle générale. Si l'on dit que le genre humain croit en Dieu, l'incrédule vous oppose d'abord tels Sauvages, ensuite telle personne, et quelquefois lui-même. Soutient-on que le hasard n'a pu former le monde, parce qu'il n'y aurait eu qu'une seule chance favorable contre d'incalculables impossibilités : l'incrédule en convient; mais il répond que cette chance existait : c'est en tout la même manière de raisonner. De sorte que, d'après l'athée, la nature est un livre où la vérité se trouve toujours dans la note, et jamais dans le texte, une langue dont les barbarismes forment seuls l'essence et le génie.

Quand on vient d'ailleurs à examiner ces prétendues exceptions, on découvre ou qu'elles tiennent à des causes locales, ou qu'elles rentrent même dans la loi établie. Ici, par exemple, il est faux qu'il y ait des Sauvages qui n'aient aucune notion de la Divinité. Les voyageurs qui avaient avancé ce fait ont été démentis par d'autres voyageurs mieux instruits. Parmi les incrédules des bois on avait cité les hordes canadiennes : eh bien, nous les avons vus, ces sophistes de la hutte, qui devaient avoir appris dans le livre de la nature, comme nos philosophes dans les leurs, qu'il n'y a ni Dieu

ni avenir pour l'homme; ces Indiens sont d'absurdes Barbares, qui voient l'âme d'un enfant dans une colombe ou dans une touffe de sensitives. Les mères, chez eux, sont assez insensées pour épancher leur lait sur le tombeau de leurs fils, et elles donnent à l'homme, au sépulcre, la même attitudè qu'il avait dans le sein maternel. Elles prétendent enseigner ainsi que la mort n'est qu'une seconde mère qui nous enfante à une autre vie. L'athéisme ne fera jamais rien de ces peuples qui doivent à la Providence le logement, l'habit et la nourriture; et nous conseillons aux incrédules de se défier de ces alliés corrompus, qui reçoivent secrètement des présents de l'ennemi.

Autre objection :

<< Puisque l'esprit croît et décroît avec l'âge, puisqu'il suit les altérations de la matière, il est donc lui-même de nature matérielle, conséquemment divisible et sujet à périr. »

Ou l'esprit et le corps sont deux êtres différents, ou ils ne sont que le même être. S'ils sont deux, il vous faut convenir que l'esprit est renfermé dans le corps; il en résulte qu'aussi longtemps que durera cette union, l'esprit sera en quelques degrés soumis aux liens qui le pressent. Il paraîtra s'élever ou s'abaisser dans les proportions de son enveloppe.

L'objection ne subsiste donc plus, dans l'hypothèse où l'esprit et le corps sont considérés comme deux substances distinctes.

Dans celle où vous supposez qu'ils ne sont qu'un et tout, partageant même vie et même mort, vous êtes tenus à prouver l'assertion. Or, il est depuis longtemps démontré que l'esprit est essentiellement différent du mouvement et des autres propriétés de la matière, n'étant ni étendu, ni divisible.

Ainsi l'objection se renverse de fond en comble, puisque tout se réduit à savoir si la matière et la pensée sont une et même chose; ce qui ne se peut soutenir sans absurdité.

Au surplus, il ne faut pas s'imaginer qu'en employant la prescription pour écarter cette difficulté il soit impossible de l'attaquer par le fond. On peut prouver qu'alors même que l'esprit semble suivre les accidents du corps, il conserve les caractères distinctifs de son essence. Les athées, par exemple, produisent en triomphe la folie, les blessures au cerveau, les fièvres délirantes: afin d'étayer leur système, ces hommes sont obligés d'enrôler, pour auxiliaires dans leur cause, les malheurs de l'humanité. Eh bien

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