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portent ses décrets d'un bout de l'univers à l'autre ; non-sculement ils sont les invisibles gardiens des hommes, ou prennent pour se manifester à eux les formes les plus aimables; mais encore la religion nous permet d'attacher des anges protecteurs à la belle nature, ainsi qu'aux sentiments vertueux. Quelle innombrable troupe de divinités vient donc tout à coup peupler les mondes !

Chez les Grecs le ciel finissait au sommet de l'Olmpe, et leurs dieux ne s'élevaient pas plus haut que les vapeurs de la terre. Le merveilleux chrétien, d'accord avec la raison, les sciences et l'expansion de notre âme, s'enfonce de monde en monde, d'univers en univers, dans des espaces où l'imagination effrayée frissonne et recule. En vain les télescopes fouillent tous les coins du ciel, en vain ils poursuivent la comète au delà de notre système, la comète enfin leur échappe; mais elle n'échappe pas à l'Archange qui la roule à son pôle inconnu, et qui, au siècle marqué, la ramènera par des voies mystérieuses jusque dans le foyer de notre soleil.

Le poëte chrétien est le seul initié au secret de ces merveilles. De globes en globes, de soleils en soleils, avec les Séraphins, les Trônes, les Ardeurs qui gouvernent les mondes, l'imagination fatiguée redescend enfin sur la terre comme un fleuve qui, par une cascade magnifique, épanche ses flots d'or à l'aspect d'un couchant radieux. On passe alors de la grandeur à la douceur des images: sous l'ombrage des forêts on parcourt l'empire de l'Ange de la solitude; on retrouve dans la clarté de la lune le Génie des rêveries du cœur ; on entend ses soupirs dans le frémissement des bois et dans les plaintes de Philomèle. Les roses de l'aurore ne sont que la chevelure de l'Ange du matin. L'Ange de la nuit repose au milieu des cieux, où il ressemble à la lune endormie sur un nuage; ses yeux sont couverts d'un bandeau d'étoiles; ses talons et son front sont un peu rougis de la pourpre de l'aurore et de celle du crépuscule; l'Ange du silence le précède, et celui du mystère le suit. Ne faisons pas l'injure aux poëtes de penser qu'ils regardent l'Ange des mers, l'Ange des tempêtes, l'Ange du temps, l'Ange de la mort, comme des Génies désagréables aux Muses. C'est l'Ange des saintes amours qui donne aux vierges un regard céleste, et c'est l'Ange des harmonies qui leur fait présent des grâces: l'honnête homme doit son cœur à l'Ange de la vertu, et ses lèvres à celui de la persuasion. Rien n'empêche d'accorder à ces esprits bienfaisants des marques. distinctives de leurs pouvoirs et de leurs offices: l'Ange de l'amitié,

par exemple, pourrait porter une écharpe merveilleuse où l'on verrait fondus, par un travail divin, les consolations de l'âme, les dévouements sublimes, les paroles secrètes du cœur, les joies innocentes, les chastes embrassements, la religion, le charme des tombeaux et l'immortelle espérance.

CHAPITRE IX

APPLICATION DES PRINCIPES ÉTABLIS DANS LES CHAPITRES PRÉCÉDENTS CARACTÈRE DE SATAN

Des préceptes passons aux exemples. En reprenant ce que nous avons dit dans les précédents chapitres, nous commencerons par le caractère attribué aux mauvais anges, et nous citerons le Satan de Milton.

Avant le poëte anglais, le Dante et le Tasse avaient peint le monarque de l'enfer. L'imagination du Dante, épuisée par neuf cercles de tortures, n'a fait de Satan enclavé au centre de la terre qu'un monstre odieux; le Tasse, en lui donnant des cornes, l'a presque rendu ridicule. Entraîné par ces autorités, Milton a eu un moment le mauvais goût de mesurer son Satan; mais il se relève bientôt d'une manière sublime. Écoutez le prince des ténèbres s'écrier, du haut de la montagne de feu d'où il contemple pour la première fois son empire:

« Adieu, champs fortunés qu'habitent les joies éternelles. Horreurs! je vous salue! je vous salue, monde infernal! Abime, reçois ton nouveau monarque. Il t'apporte un esprit que ni temps ni lieux ne changeront jamais... Du moins ici nous serons libres, ici nous régnerons : régner même aux enfers est digne de mon ambition '. »

Quelle manière de prendre possession des gouffres de l'enfer! Le conseil infernal étant assemblé, le poëte représente Satan au milieu de son sénat :

« Ses formes conservaient une partie de leur primitive splendeur; ce n'était rien moins encore qu'un Archange tombé, une Gloire un peu obscurcie comme lorsque le soleil levant, dépouillé de ses rayons,

1 Par. lost, chant 1, v. 49, ete.

jette un regard horizontal à travers les brouillards du matin; ou tel que, dans une éclipse, cet astre caché derrière la lune répand sur une moitié des peuples un crépuscule funeste, et tourmente les rois par la frayeur des révolutions. Ainsi paraissait l'Archange obscurci, mais encore brillant au-dessus des compagnons de sa chute : toutefois son visage était labouré par les cicatrices de la foudre, et les chagrins veillaient sur ses joues décolorées 1. »

Achevons de connaître le caractère de Satan. Échappé de l'enfer, et parvenu sur la terre, il est saisi de désespoir en contemplant les merveilles de l'univers; il apostrophe le soleil 2:

«< O toi qui, couronné d'une gloire immense, laisses du haut de ta domination solitaire tomber tes regards comme le Dieu de ce nouvel univers; toi, devant qui les étoiles cachent leurs têtes humiliées, j'élève ma voix vers toi, mais non pas une voix amie; je ne prononce ton nom, ô soleil! que pour te dire combien je hais tes rayons. Ah! ils me rappellent de quelle hauteur je suis tombé, et combien jadis je brillais glorieux au-dessus de ta sphère! L'orgueil et l'ambition m'ont précipité. J'osai, dans le ciel même, déclarer la guerre au Roi du ciel. Il ne méritait pas un pareil retour, lui qui m'avait fait ce que j'étais dans un rang éminent... Élevé si haut, je dédaignai d'obéir; je crus qu'un pas de plus me porterait au rang suprême, et me déchargerait en un moment de la dette immense d'une reconnaissance éternelle... Oh! pourquoi sa volonté toute-puissante ne me créa-t-elle au rang de quelque ange inférieur ! je serais encore heureux, mon ambition n'eût point été nourrie par une espérance illimitée... Misérable! où fuir une colère infinie, un désespoir infini? L'enfer est partout où je suis, moi-même je suis l'enfer... O Dieu, ralentis tes coups ! N'est-il aucune voie laissée au repentir, aucune à la miséricorde, hors l'obéissance? L'obéissance! L'orgueil me défend ce mot. Quelle honte pour moi devant les esprits de l'abîme! Ce n'était pas par des promesses de soumission que je les séduisis, lorsque j'osai me vanter de subjuguer le Tout-Puissant. Ah! tandis qu'ils m'adorent sur le trône des enfers, ils savent peu combien je paie cher ces paroles superbes, combien je gémis intérieurement sous le fardeau de mes douleurs!... Mais si je me repentais, si, par un acte de la grâce divine, je remontais à ma première place?... Un rang élevé rappellerait bientôt des pensées ambitieuses; les serments d'une feinte soumission seraient bientôt démentis ! Le tyran le sait; il est aussi loin de m'accorder la paix, que je suis loin de demander grâce. Adieu donc, espérance, et avec toi, adieu, crainte et remords; tout est perdu pour moi. Mal, sois mon unique bien ! Par toi du moins avec le Roi du ciel je partagerai l'empire: peut-être même régnerai-je sur plus d'une moitié

1 Par lost, book 1, v. 591, etc. - 2 Voyez la note 18, à la fin du volume.

GENIE DU CHRIST.

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de l'univers, comme l'homme et ce monde nouveau l'apprendront en peu de temps 1. »

Quelle que soit notre admiration pour Homère, nous sommes obligé de convenir qu'il n'a rien de comparable à ce passage de Milton. Lorsque, avec la grandeur du sujet, la beauté de la poésie, l'élévation naturelle des personnages, on montre une connaissance aussi profonde des passions, il ne faut rien demander de plus au génie. Satan se repentant à la vue de la lumière qu'il hait, parce qu'elle lui rappelle combien il fut élevé au-dessus d'elle, souhaitant ensuite d'avoir été créé dans un rang inférieur, puis s'endurcissant dans le crime par orgueil, par honte, par méfiance même de son caractère ambitieux; enfin, pour tout fruit de ses réflexions, et comme pour expier un moment de remords, se chargeant de l'empire du mal pendant toute une éternité: voilà, certes, si nous ne nous trompons, une des conceptions les plus sublimes et les plus pathétiques qui soient jamais sorties du cerveau d'un poëte.

Nous sommes frappé dans ce moment d'une idée que nous ne pouvons taire. Quiconque a quelque critique et un bon sens pour l'histoire pourra reconnaître que Milton a fait entrer dans le caractère de son Satan les perversités de ces hommes qui, vers le commencement du dix-septième siècle, couvrirent l'Angleterre de deuil on y sent la même obstination, le même enthousiasme, le même orgueil, le même esprit de rébellion et d'indépendance; on retrouve dans le monarque infernal ces fameux niveleurs qui, se séparant de la religion de leur pays, avaient secoué le joug de tout gouvernement légitime, et s'étaient révoltés à la fois contre Dieu et contre les hommes. Milton lui-même avait partagé cet esprit de perdition; et, pour imaginer un Satan aussi détestable, il fallait que le poète en eût vu l'image dans ces réprouvés qui firent si longtemps de leur patrie le vrai séjour des démons.

Parad. lost, book IV. From. the 33th v. to the 113th

CHAPITRE X

MACHINES POÉTIQUES

VÉNUS DANS LES BOIS DE CARTHAGE, RAPHAEL AU BERCEAU D'ÉDEN

Venons aux exemples des machines poétiques. Vénus se montrant à Énée dans les bois de Carthage est un morceau achevé dans le genre gracieux. Cui mater media, etc. « A travers la forêt, sa « mère, suivant le même sentier, s'avance au-devant de lui. Elle avait l'air et le visage d'une vierge, et elle était armée à la ma«nière des filles de Sparte, etc., etc. »

Cette poésie est délicieuse; mais le chantre d'Éden en a beaucoup approché lorsqu'il a peint l'arrivée de l'ange Raphaël au bocage de nos premiers pères.

« Pour ombrager ses formes divines, le Séraphin porte six ailes. Deux attachées à ses épaules sont ramenées sur son sein, comme les pans d'un manteau royal; celles du milieu se roulent autour de lui comme une écharpe étoilée... les deux dernières, teintes d'azur, battent à ses talons rapides. Il secoue ses plumes qui répandent des odeurs célestes. «Il s'avance dans le jardin du bonheur, au travers des bocages de myrtes et des nuages de nard et d'encens; solitudes de parfums où la nature, dans sa jeunesse, se livre à tous ses caprices... Adam, assis à la porte de son berceau, aperçut le divin Messager. Aussitôt il s'écrie: Ève, accours! viens voir ce qui est digne de ton admiration! Regarde vers l'orient, parmi ces arbres. Aperçois-tu cette forme glorieuse qui semble se diriger vers notre berceau? On la prendrait pour une autre aurore qui se lève au milieu du jour... »

Ici Milton, presque aussi gracieux que Virgile, l'emporte sur lui par la sainteté et la grandeur. Raphaël est plus beau que Vénus, Éden plus enchanté que les bois de Carthage, et Énée est un froid et triste personnage auprès du majestueux Adam.

Voici un ange mystique de Klopstock:

Dann eilet der Thronen 1.

« Soudain le premier-né des Trônes descend vers Gabriel, pour le conduire vers le Très-Haut. L'Éternel le nomme Élu, et le ciel Éloa.

1 Messias, erst. Ges., v. 286, etc.

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