Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

poemes, des romans, des livres de toutes les sortes, où le christianisme est exposé à la dérision des lecteurs. Mais, puisque ces poëmes, ces romans, ces livres existent, il est nécessaire d'arracher la religion aux sarcasmes de l'impiété; mais puisqu'on a dit et écrit de toutes parts que le christianisme est barbare, ridicule, ennemi des arts et du génie, il est essentiel de prouver qu'il n'est ni barbare, ni ridicule, ni ennemi des arts et du génie, et que ce qui semble petit, ignoble, de mauvais goût, sans charme et sans tendresse sous la plume du scandale, peut être grand, noble, simple, dramatique et divin sous la plume de l'homme religieux.

II. S'il n'est pas permis de défendre la religion sous le rapport de sa beauté pour ainsi dire humaine ; si l'on ne doit pas faire ses efforts pour empêcher le ridicule de s'attacher à ses institutions sublimes, il y aura donc toujours un côté de cette religion qui restera à découvert? Là, tous les coups seront portés; là, vous serez surpris sans défense: vous périrez par là. N'est-ce pas ce qui a déjà pensé vous arriver? N'est-ce pas avec des grotesques et des plaisanteries que Voltaire est parvenu à ébranler les bases. mêmes de la foi? Répondrez-vous par de la théologie et des syllogismes à des contes licencieux et à des folies? Des argumentations en forme empêcheront-elles un monde frivole d'être séduit par des vers piquants, ou écarté des autels par la crainte du ridicule ? Ignorez-vous que chez la nation française un bon mot, une impiété d'un tour agréable, felix culpa, ont plus de pouvoir que des volumes de raisonnement et de métaphysique? Persuadez à la jeunesse qu'un honnête homme peut être chrétien sans être un sot; ôtez-lui de l'esprit qu'il n'y a que des capucins et des imbéciles qui puissent croire à la religion, votre cause sera bientôt gagnée : il sera temps alors, pour achever la victoire, de vous présenter avec des raisons théologiques; mais commencez par vous faire lire. Ce dont vous avez besoin d'abord, c'est d'un ouvrage religieux qui soit pour ainsi dire populaire. Vous voudriez conduire votre malade d'un seul trait au haut d'une montagne escarpée, et il peut à peine marcher ! Montrez-lui donc à chaque pas des objets variés et agréables; permettez-lui de s'arrêter pour cueillir les fleurs qui s'offriront sur sa route, et, de repos en repos, il arrivera au sommet.

III. L'auteur n'a pas écrit seulement son apologie pour les écoliers, pour les chrétiens, pour les prêtres, pour les docteurs : il l'a écrite surtout pour les gens de lettres et pour le monde ; c'est ce qui a été dit plus haut, c'est ce qui est impliqué dans les deux derniers paragraphes. Si

1 Et pourtant ce ne sont ni les vrais chrétiens, ni les docteurs de Sorbonne, mais les philosophes (comme nous l'avons déjà dit), qui se montrent si scrupuleux sur l'ouvrage; c'est ce qu'il ne faut pas oublier. (Note de l'Auteur.)

l'on ne part point de cette base, que l'on feigne toujours de méconnaitre la classe de lecteurs à qui le Génie du Christianisme est particulièrement adressé, il est assez clair qu'on ne doit rien comprendre à l'ouvrage. Cet ouvrage a été fait pour être lu de l'homme de lettres le plus incrédule, du jeune homme le plus léger, avec la même facilité que le premier feuillette un livre impie, le second un roman dangereux. Vous voulez donc, s'écrient ces rigoristes si bien intentionnés pour la religion chrétienne, vous voulez donc faire de la religion une chose de mode? Hé! plût à Dieu qu'elle fût à la mode, cette divine religion, dans ce sens que la mode est l'opinion du monde ! Cela favoriserait peut-être, il est vrai, quelques hypocrisies particulières ; mais il est certain, d'une autre part, que la morale publique y gagnerait. Le riche ne mettrait plus son amourpropre à corrompre le pauvre, le maître à pervertir le domestique, le père à donner des leçons d'athéisme à ses enfants; la pratique du culte mènerait à la croyance du dogine, et l'on verrait renaître, avec la piété, le siècle des mœurs et des vertus.

IV. Voltaire, en attaquant le christianisme, connaissait trop bien les hommes pour ne pas chercher à s'emparer de cette opinion qu'on appelle l'opinion du monde; aussi employa-t-il tous ses talents à faire une espèce de bon ton de l'impiété. Il y réussit en rendant la religion ridicule aux yeux des gens frivoles. C'est ce ridicule que l'auteur du Génie du Christianisme a cherché à effacer; c'est le but de tout son travail, le but qu'il ne faut jamais perdre de vue si l'on veut juger son ouvrage avec impartialité. Mais l'auteur l'a-t-il effacé, ce ridicule ? Ce n'est pas là la question. Il faut demander: A-t-il fait tous ses efforts pour l'effacer? sachez-lui gré de ce qu'il a entrepris, non de ce qu'il a exécuté. Permitte divis cætera. Il ne défend rien de son livre, hors l'idée qui en fait la base. Considérer le christianisme dans ses rapports avec les sociétés humaines; montrer quel changement il a apporté dans la raison et les passions de l'homme, comment il a civilisé les peuples gothiques, comment il a modifié le génie des arts et des lettres, comment il a dirigé l'esprit et les mœurs des nations modernes; en un mot, découvrir tout ce que cette religion a de merveilleux dans ses relations poétiques, morales, politiques, historiques, etc., cela semblera toujours à l'auteur un des plus beaux sujets d'ouvrage que l'on puisse imaginer. Quant à la manière dont il a exécuté cet ouvrage, il l'abandonne à la critique.

V. Mais ce n'est pas ici le lieu d'affecter une modestie, toujours suspecte chez les auteurs modernes, qui ne trompe personne. La cause est trop grande, l'intérêt trop pressant, pour ne pas s'élever au-dessus de toutes les considérations de convenance et de respect humain. Or, si l'auteur compte le nombre des suffrages et l'autorité de ces suffrages, il

ne peut se persuader qu'il ait tout à fait manqué le but de son livre. Qu'on prenne un tableau impie, qu'on le place auprès d'un tableau religieux composé sur le même sujet, et tiré du Génie du Christianisme, on ose avancer que ce dernier tableau, tout imparfait qu'il puisse être, affaiblira le dangereux effet du premier: tant a de force la simple vérité rapprochée du plus brillant mensonge! Voltaire, par exemple, s'est souvent moqué des religieux; eh bien ! mettez auprès de ses burlesques peintures le morceau des Missions, celui où l'on peint les ordres des hospitaliers secourant le voyageur dans les déserts, le chapitre où l'on voit des moines se consacrant aux hôpitaux, assistant les pestiférés dans les bagnes, ou accompagnant le criminel à l'échafaud : quelle ironie ne sera pas désarmée, quel sourire ne se convertira pas en larmes? Répondez aux reproches d'ignorance que l'on fait au culte des chrétiens par les travaux immenses de ces religieux qui ont sauvé les manuscrits de l'antiquité; répondez aux accusations de mauvais goût et de barbarie, par les ouvrages de Bossuet et de Fénelon; opposez aux caricatures des saints et des anges les effets sublimes du christianisme dans la partie dramatique de la poésie, dans l'éloquence et les beaux-arts, et dites si l'impression du ridicule pourra longtemps subsister? Quand l'auteur n'aurait fait que mettre à l'aise l'amour-propre des gens du monde; quand il n'aurait eu que le succès de dérouler, sous les yeux d'un siècle incrédule, une série de tableaux religieux, sans dégoûter ce siècle, il croirait encore n'avoir pas été inutile à la cause de la religion.

VI. Pressés par cette vérité, qu'ils ont trop d'esprit pour ne pas sentir, et qui fait peut-être le motif secret de leurs alarmes, les critiques ont recours à un autre subterfuge. Ils disent: «Eh! qui vous nie que le christianisme, comme toute autre religion, n'ait des beautés poétiques et morales, que ses cérémonies ne soient pompeuses, etc.? » Qui le nie? vous, vous-mêmes qui naguère encore faisiez des choses saintes l'objet de vos moqueries; vous qui, ne pouvant plus vous refuser à l'évidence des preuves, n'avez d'autre ressource que de dire que personne n'attaque ce que l'auteur défend. Vous avouez maintenant qu'il y a des choses excellentes dans les institutions monastiques; vous vous attendrissez sur les moines du Saint-Bernard, sur les missionnaires du Paraguay, sur les filles de la Charité; vous confessez que les idées religieuses sont nécessaires aux effets dramatiques; que la morale de l'Évangile, en opposant une barrière aux passions, en a tout à la fois épuré la flamme et redoublé l'énergie; vous reconnaissez que le christianisme a sauvé les lettres et les arts de l'inondation des Barbares, que lui seul vous a transmis la langue et les écrits de Rome et de la Grèce; qu'il a fondé vos colléges, bâti ou embelli vos cités, modéré le despotisme de

vos gouvernements, rédigé vos lois civiles, adouci vos lois criminelles, policé et même défriché l'Europe moderne: conveniez-vous de tout cela avant la publication d'un ouvrage, très-imparfait sans doute, mais qui pourtant a rassemblé sous un seul point de vue ces importantes vérités?

VII. On a déjà fait remarquer la tendre sollicitude des critiques pour la pureté de la religion; on devait donc s'attendre qu'ils se formaliseraient des deux épisodes que l'auteur a introduits dans son livre. Cette délicatesse des critiques rentre dans la grande objection qu'ils ont fait valoir contre tout l'ouvrage, et elle se détruit par la réponse générale que l'on vient de faire à cette objection. Encore une fois, l'auteur a dû combattre des poëmes et des romans impies avec des poëmes et des romans pieux; il s'est couvert des mêmes armes dont il voyait l'ennemi revêtu: c'était une conséquence naturelle et nécessaire du genre d'apologie qu'il avait choisi. Il a cherché à donner l'exemple avec le précepte : dans la partie théorique de son ouvrage, il avait dit que la religion embellit notre existence, corrige les passions sans les éteindre, jette un intérêt singulier sur tous les sujets où elle est employée; il avait dit que sa doctrine et son culte se mêlent merveilleusement aux émotions du cœur et aux scènes de la nature, qu'elle est enfin la seule ressource dans les grands malheurs de la vie : il ne suffisait pas d'avancer tout cela, il fallait encore le prouver. C'est ce que l'auteur a essayé de faire dans les deux épisodes de son livre. Ces épisodes étaient en outre une amorce préparée à l'espèce de lecteurs pour qui l'ouvrage est spécialement écrit. L'auteur avait-il donc si mal connu le cœur humain, lorsqu'il a tendu ce piége innocent aux incrédulés? Et n'est-il pas probable que tel lecteur n'eût jamais ouvert le Génie du Christianisme, s'il n'y avait cherché René et Atala 1?

Sa che là corre il mondo, ove più versi
Delle sue dolcezze il lusinghier Parnaso,
E che 'l vero, condito in molli versi,
I più schivi allettando, ha persuaso.

VIII. Tout ce qu'un critique impartial, qui veut entrer dans l'esprit de l'ouvrage, était en droit d'exiger de l'auteur, c'est que les épisodes de cet ouvrage eussent une tendance visible à faire aimer la religion et à en démontrer l'utilité. Or, la nécessité des cloîtres pour certains malheurs de la vie, et ceux-là même qui sont les plus grands (la puissance d'une religion qui peut seule fermer des plaies que tous les baumes de

1 Voyez, dans la préface nouvelle du Génie du Christianisme, p. ij, ce qui a déterminé l'auteur à placer ces épisodes dans un volume à part.

la terre ne sauraient guérir, ne sont-elles pas invinciblement prouvées dans l'histoire de René ? L'auteur y combat en outre le travers particulier des jeunes gens du siècle, le travers qui mène directement au suicide. C'est J. J. Rousseau qui introduisit le premier parmi nous ces rêveries si désastreuses et si coupables. En s'isolant des hommes, en s'abandonnant à ses songes, il a fait croire à une foule de jeunes gens qu'il est beau de se jeter ainsi dans le vague de la vie. Le roman de Werther a développé depuis ce germe de poison. L'auteur du Génie du Christianisme, obligé de faire entrer dans le cadre de son apologie quelques tableaux pour l'imagination, a voulu dénoncer cette espèce de vice nouveau, et peindre les funestes conséquences de l'amour outré de la solitude. Les couvents offraient autrefois des retraites à ces âmes contemplatives, que la nature appelle impérieusement aux méditations. Elles y trouvaient auprès de Dieu de quoi remplir le vide qu'elles sentent en elles-mêmes, et souvent l'occasion d'exercer de rares et sublimes vertus. Mais, depuis la destruction des monastères et les progrès de l'incrédulité, on doit s'attendre à voir se multiplier au milieu de la société (comme il est arrivé en Angleterre) des espèces de Solitaires tout à la fois passionnés et philosophes, qui, ne pouvant ni renoncer aux vices du siècle, ni aimer ce siècle, prendront la haine des hommes pour de l'élévation de génie, renonceront à tout devoir divin et humain, se nourriront à l'écart des plus vaines chimères, et se plongeront de plus en plus dans une misanthropie orgueilleuse qui les conduira à la folie ou à la mort.

Afin d'inspirer plus d'éloignement pour ces rêveries criminelles, l'auteur a pensé qu'il devait prendre la punition de René dans le cercle de ces malheurs épouvantables qui appartiennent moins à l'individu qu'à la famille de l'homme, et que les anciens attribuaient à la fatalité. L'auteur eût choisi le sujet de Phèdre s'il n'eût été traité par Racine: il ne restait que celui d'Érope et de Thyeste chez les Grecs, ou d'Amnon et de Thamar chez les Hébreux; et bien que ce sujet ait été aussi transporté sur notre scène, il est toutefois moins connu que le premier. Peut-être aussi s'applique-t-il mieux au caractère que l'auteur a voulu peindre. En effet, les folles rêveries de René commencent le mal, et ses extravagances l'achèvent; par les premières, il égare l'imagination d'une faible femme; par les dernières, en voulant attenter à ses jours, il oblige cette infortunée à se réunir à lui : ainsi le malheur naît du sujet, et la punition sort de la faute.

Il ne restait qu'à sanctifier, par le christianisme, cette catastrophe

1 SEN., in Atr. et Th. Voyez aussi Canacé et Macereus, et Caune et Byblis dans les Métamorphoses et dans les Réroïdes d'OVIDE. 2 II Reg. XII, 14. - 3 Dans l'Abufar de M. DUCIS.

« ZurückWeiter »