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vague désir de quitter la vie pour embrasser la nature et nous confondre avec son Auteur.

CHAPITRE II

DE L'ALLEGORIE

Mais quoi! dira-t-on, ne trouvez-vous rien de beau dans les allégories antiques?

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Il faut faire une distinction.

L'allégorie morale, comme celle des Prières dans Homère, est belle en tout temps, en tout pays, en toute religion; le christianisme ne l'a pas bannie. Nous pouvons, autant qu'il nous plaira, placer au pied du trône du souverain Arbitre les deux tonneaux du bien et du mal. Nous aurons même cet avantage, que notre Dieu n'agira pas injustement et au hasard, comme Jupiter: il répandra les flots de la douleur sur la tête des mortels, non par caprice, mais pour une fin à lui seul connue. Nous savons que notre bonheur ici-bas est coordonné à un bonheur général dans une chaîne d'êtres et de mondes qui se dérobent à notre vue; que l'homme, en harmonie avec les globes, marche d'un pas égal avec eux à l'accomplissement d'une révolution que Dieu cache dans son éternité. Mais si l'allégorie morale est toujours existante pour nous, il n'en est pas ainsi de l'allégorie physique. Que Junon soit l'air, que Jupiter soit l'éther, et qu'ainsi frère et sœur ils soient encore époux et épouse, où est le charme de cette personnification? Il y a plus: cette sorte d'allégorie est contre les principes du goût, et même de la saine logique.

On ne doit jamais personnifier qu'une qualité ou qu'une affection d'un être, et non pas cet être lui-même ; autrement ce n'est plus une véritable personnification, c'est seulement avoir fait changer de nom à l'objet. Je peux faire prendre la parole à une pierre; mais que gagnerai-je à appeler cette pierre d'un nom allégorique? Or, l'âme, dont la nature est la vie, a essentiellement la faculté de produire; de sorte qu'un de ses vices, une de ses vertus, peuvent être considérés ou comme son fils, ou comme sa fille, puisqu'elle les a véritablement engendrés. Cette passion, ac

tive comme sa mère, peut à son tour croître, se développer, prendre des traits, devenir un être distinct. Mais l'objet physique, être passif de son essence, qui n'est susceptible ni de plaisir ni de douleur, qui n'a que des accidents et point de passions, et des accidents aussi morts que lui-même, ne présente rien qu'on puisse animer. Sera-ce la dureté du caillou, ou la sève du chêne, dont vous ferez un être allégorique? Remarquez même que l'esprit est moins choqué de la création des dryades, des naïades, des zéphyrs, des échos, que de celle des nymphes attachées à des objets muets et immobiles: c'est qu'il y a dans les arbres, dans l'eau et dans l'air un mouvement et un bruit qui rappellent l'idée de la vie, et qui peuvent par conséquent fournir une allégorie comme le mouvement de l'âme. Mais, au reste, cette sorte de petite allégorie matérielle, quoiqu'un peu moins mauvaise que la grande allégorie physique, est toujours d'un genre médiocre, froid et incomplet; elle ressemble tout au plus aux Fées des Arabes et aux Génies des Orientaux.

Quant à ces dieux vagues que les anciens plaçaient dans les bois déserts et sur les sites agrestes, ils étaient d'un bel effet sans doute; mais ils ne tenaient plus au système mythologique : l'esprit humain retombait ici dans la religion naturelle. Ce que le voyageur tremblant adorait en passant dans ces solitudes, était quelque chose d'ignoré, quelque chose dont il ne savait point le nom, et qu'il appelait la Divinité du lieu; quelquefois il lui donnait le nom de Pan, et Pan était le Dieu universel. Ces grandes émotions qu'inspire la nature sauvage n'ont point cessé d'exister, et les bois conservent encore pour nous leur formidable divinité.

Enfin il est si vrai que l'allégorie physique, ou les dieux de la Fable, détruisaient les charmes de la nature, que les anciens n'ont point eu de vrais peintres de paysage 1, par la même raison qu'ils n'avaient point de poésie descriptive. Or, chez les autres peuples idolâtres qui ont ignoré le système mythologique, cette poésie a plus ou moins été connue c'est ce que prouvent les poëmes sanskrits, les contes arabes, les Edda, les chansons des Nègres et des Sauvages 2. Mais, comme les nations infidèles ont toujours. mêlé leur fausse religion (et par conséquent leur mauvais goût) à leurs ouvrages, ce n'est que sous le christianisme qu'on a su peindre la nature dans sa vérité.

1 Les faits sur lesquels cette assertion est appuyée sont développés dans la note 16, à la fin du volume. -2 Voyez la note 17, à la fin du volume.

GENIE DU CHRIST

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CHAPITRE III

PARTIE HISTORIQUE DE LA POÉSIE DESCRIPTIVE CHEZ LES MODERNES

Les apôtres avaient à peine commencé de prêcher l'Évangile au monde, qu'on vit naître la poésie descriptive. Tout rentra dans la vérité devant celui qui tient la place de la vérité sur la terre, comme parle saint Augustin. La nature cessa de se faire entendre par l'organe mensonger des idoles; on connut ses fins, on sut qu'elle avait été faite premièrement pour Dieu, et ensuite pour l'homme. En effet elle ne dit jamais que deux choses: Dieu glorifié par ses euvres, et les besoins de l'homme satisfaits.

Cette découverte fit changer de face à la création : par sa partie intellectuelle, c'est-à-dire par cette pensée de Dieu que la nature. montre de toutes parts, l'âme reçut abondance de nourriture; et par la partie matérielle du monde, le corps s'aperçut que tout avait été formé pour lui. Les vains simulacres attachés aux êtres insensibles s'évanouirent, et les rochers furent bien plus réellement animés, les chênes rendirent des oracles bien plus certains, les vents et les ondes élevèrent des voix bien plus touchantes, quand l'homme eut puisé dans son propre cœur la vie, les oracles et les voix de la nature.

Jusqu'à ce moment la solitude avait été regardée comme affreuse; mais les chrétiens lui trouvèrent mille charmes. Les anachorètes écrivirent de la douceur du rocher et des délices de la contemplation: c'est le premier pas de la poésie descriptive. Les Religieux qui publièrent la vie des Pères du désert furent à leur tour obligés de faire le tableau des retraites où ces illustres inconnus avaient caché leur gloire. On voit encore dans les ouvrages de saint Jérôme et de saint Athanase' des descriptions de la nature qui prouvent qu'ils savaient observer, et faire aimer ce qu'ils peignaient.

Ce nouveau genre, introduit par le christianisme dans la littérature, se développa rapidement. Il se répandit jusque dans le style historique, comme on le remarque dans la collection appelée la

1 HIERON., in Vit. Paul.; S. ATHAN., in Vit. Anton.

Byzantine, et surtout dans les histoires de Procope. Il se propagea de même, mais il se corrompit, parmi les romanciers grecs du Bas-Empire, et chez quelques poëtes latins en Occident 1.

Constantinople ayant passé sous le joug des Turcs, on vit se former en Italie une nouvelle poésie descriptive, composée des débris du génie maure, grec et italien. Pétrarque, l'Arioste et le Tasse l'élevèrent à un haut degré de perfection. Mais cette description manque de vérité. Elle consiste en quelques épithètes répétées sans fin, et toujours appliquées de la même manière. Il fut impossible de sortir d'un bois touffu, d'un antre frais, ou des bords d'une claire fontaine. Tout se remplit de bocages d'orangers, de berceaux de jasmins et de buissons de roses.

Flore revint avec sa corbeille, et les éternels Zéphyrs ne manquèrent pas de l'accompagner; mais ils ne retrouvèrent dans les bois ni les Naïades, ni les Faunes; et s'ils n'eussent rencontré les Fées et les Géants des Maures, ils couraient risque de se perdre dans cette immense solitude de la nature chrétienne. Quand l'esprit humain fait un pas, il faut que tout marche avec lui; tout change avec ses clartés ou ses ombres : ainsi il nous fait peine à présent d'admettre de petites divinités là où nous ne voyons plus que de grands espaces. On aura beau placer l'amante de Tithon sur un char, et la couvrir de fleurs et de rosée; rien ne peut empêcher qu'elle ne paraisse disproportionnée, en promenant sa faible lumière dans ces cieux infinis que le christianisme a déroulés: qu'elle laisse donc le soin d'éclairer le monde à celui qui l'a fait.

Cette poésie descriptive italienne passa en France, et fut favorablement accueillie de Ronsard, de Lemoine, de Coras, de SaintAmand, et de nos vieux romanciers. Mais les grands écrivains du siècle de Louis XIV, dégoûtés de ces peintures, où ils ne voyaient aucune vérité, les bannirent de leur prose et de leurs vers, et c'est un des caractères distinctifs de leurs ouvrages, qu'on n'y trouve presque aucune trace de ce que nous appelons poésie descriptive 2.

Ainsi repoussée en France, la Muse des champs se réfugia en Angleterre, où Spencer, Waller et Milton l'avaient déjà fait connaître. Elle y perdit par degrés ses manières affectées; mais elle tomba dans un autre excès. En ne peignant plus que la vraie na

1 BOECE, etc. 2 Il faut en excepter Fénelon, la Fontaine et Chaulieu. Racine fils, père de cette nouvelle école poétique, dans laquelle M. Delille a excellé, peut étre aussi regardé comme le fondateur de la poésie descriptive en France.

ture, elle voulut tout peindre, et surchargea ses tableaux d'objets trop petits, ou de circonstances bizarres. Thomson même, dans son chant de l'Hiver, si supérieur aux trois autres, a des détails d'une mortelle longueur. Telle fut la seconde époque de la poésie descriptive.

D'Angleterre, elle revint en France avec les ouvrages de Pope et du chantre des Saisons. Elle eut de la peine à s'y introduire ; car elle fut combattue par l'ancien genre italique, que Dorat et quelques autres avaient fait revivre. : elle triompha pourtant, et cel fut à Delille et à Saint-Lambert qu'elle dut la victoire. Elle se perfectionna sous la Muse française, se soumit aux règles du goût, et atteignit sa troisième époque.

Disons toutefois qu'elle s'était maintenue pure, quoique ignorée, dans les ouvrages de quelques naturalistes du temps de Louis XIV, tels que Tournefort et le père Dutertre. Celui-ci à une imagination vive joint un génie tendre et rêveur; il se sert même, ainsi que la Fontaine, du mot de mélancolie dans le sens où nous l'employons aujourd'hui. Ainsi le siècle de Louis XIV n'a pas été totalement privé du véritable genre descriptif, comme on serait d'abord tenté de le croire : il était seulement relégué dans les lettres de nos missionnaires 1. Et c'est là que nous avons puisé cette espèce de style que nous croyons si nouveau aujourd'hui.

Au reste, les tableaux répandus dans la Bible peuvent servir à prouver doublement que la poésie descriptive est née, parmi nous, du christianisme, Job, les Prophètes, l'Ecclésiastique, et surtout les Psaumes, sont remplis de descriptions magnifiques. Le psaume Benedic, anima mea, est un chef-d'œuvre dans ce genre.

Mon âme, bénis le Seigneur; Seigneur, mon Dieu, que vous êtes grand dans vos œuvres.

Vous répandez les ténèbres, et la nuit est sur la terre : c'est alors que les bêtes des forêts marchent dans l'ombre; que les rugissements des lionceaux appellent la proie, et demandent à Dieu la nourriture promise aux animaux.

Mais le soleil s'est levé, et déjà les bêtes sauvages se sont retirées..... L'homme alors sort pour le travail du jour, et accomplit son œuvre jusqu'au soir.

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Comme elle est vaste, cette mer qui étend au loin ses bras spacieux!

1 On en verra de beaux exemples lorsque nous parlerons des Missions.

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