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vaient pour trouver le ton de leur éloquence, les écrivains modernes font usage d'une étroite philosophie qui va divisant toute chose, mesurant les sentiments au compas, soumettant l'âme au calcul, et réduisant l'univers, Dieu compris, à une soustraction passagère du néant.

Aussi le dix-huitième siècle diminue-t-il chaque jour dans la perspective, tandis que le dix-septième semble s'élever à mesure que nous nous en éloignons; l'un s'affaisse, l'autre monte dans les cieux. On aura beau chercher à ravaler le génie de Bossuet et de Racine, il aura le sort de cette grande figure d'Homère qu'on aperçoit derrière les âges : quelquefois elle est obscurcie par la poussière qu'un siècle fait en s'écroulant; mais aussitôt que le nuage s'est dissipé, on voit reparaître la majestueuse figure, qui s'est encore agrandie pour dominer les ruines nouvelles 1.

1 Voyez la note 34, à la fin du volume.

de royauté et d'aristocratie, sa religion moins pompeuse que la catholique, et plus brillante que la luthérienne, son militaire à la fois lourd et actif, sa littérature et ses arts, chez lui enfin le langage, les traits même, et jusqu'aux formes du corps, tout participe des deux sources dont il découle. Il réunit à la simplicité, au calme, au bon sens, à la lenteur germanique, l'éclat, l'emporte⚫ment et la vivacité de l'esprit français.

Les Anglais ont l'esprit public, et nous l'honneur national; nos belles qualités sont plutôt des dons de la faveur divine, que des fruits d'une éducation politique comme les demi-dieux, nous tenons moins de la terre que du ciel.

Fils aînés de l'antiquité, les Français, Romains par le génie, sont Grecs par le caractère. Inquiets et volages dans le bonheur, constants et invincibles dans l'adversité, formés pour les arts, civilisés jusqu'à l'excès, durant le calme de l'État; grossiers et sauvages dans les troubles politiques, flottant comme des vaisseaux sans lest au gré des passions; à présent dans les cieux, l'instant d'après dans les abimes; enthousiastes et du bien et du mal, faisant le premier sans en exiger de reconnaissance, et le second sans en sentir de remords; ne se souvenant ni de leurs crimes ni de leurs vertus; amants pusillanimes de la vie pendant la paix; prodigues de leurs jours dans les batailles; vains, railleurs, ambitieux, à la fois routiniers et novateurs, méprisant tout ce qui n'est pas eux; individuellement les plus aimables des hommes, en corps les plus désagréables de tous; charmants dans leur propre pays, insupportables chez l'étranger; tour à tour plus doux, plus innocents que l'agneau, et plus impitoyables, plus féroces que le tigre: tels furent les Athéniens d'autrefois, et tels sont les Français d'aujourd'hui.

Ainsi, après avoir balancé les avantages et les désavantages de l'histoire ancienne et de la moderne, il est temps de rappeler au lecteur que si les historiens de l'antiquité sont en général supérieurs aux nôtres, cette vérité souffre toutefois de grandes exceptions. Grâce au génie du christianisme, nous allons montrer qu'en histoire l'esprit français a presque atteint la même perfection que dans les autres branches de la littérature.

GÉNIE DU CHRIST.

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plus il se civilise, plus il se rapproche de son premier état : il advient que la science au plus haut degré est l'ignorance, et que les arts parfaits sont la nature.

Cette dernière nature, ou cette nature de la société, est la plus belle le génie en est l'instinct, et la vertu l'innocence, car le génie et la vertu de l'homme civilisé ne sont que l'instinct et l'innocence perfectionnés du Sauvage. Or, personne ne peut comparer un Indien du Canada à Socrate, bien que le premier soit, rigoureusement parlant, aussi moral que le second; ou bien il faudrait soutenir que la paix des passions non développées dans l'enfant a la même excellence que la paix des passions domptées dans l'homme; que l'être à pures sensations est égal à l'être pensant, ce qui reviendrait à dire que faiblesse est aussi belle que force. Un petit lac ne ravage pas ses bords, et personne n'en est étonné; son impuissance fait son repos mais on aime le calme sur la mer, parce qu'elle a le pouvoir des orages, et l'on admire le silence de l'abime, parce qu'il vient de la profondeur même des eaux.

Entre les siècles de nature et ceux de civilisation, il y en a d'autres que nous avons nommés siècles de barbarie. Les anciens ne les ont point connus. Ils se composent de la réunion subite d'un peuple policé et d'un peuple sauvage. Ces âges doivent être remarquables par la corruption du goût. D'un côté, l'homme sauvage, en s'emparant des arts, n'a pas assez de finesse pour les porter jusqu'à l'élégance, et l'homme social pas assez de simplicité pour redescendre à la seule nature.

On ne peut alors espérer rien de pur que dans les sujets où une cause morale agit par elle-même, indépendamment des causes temporaires. C'est pourquoi les premiers Solitaires, livrés à ce goût délicat et sûr de la religion, qui ne trompe jamais lorsqu'on n'y mêle rien d'étranger, ont choisi dans les diverses parties du monde les sites les plus frappants pour y fonder leurs monastères 1. Il n'y a point d'ermite qui ne saisisse aussi bien que Claude le Lorrain ou Le Nôtre le rocher où il doit placer sa grotte.

On voit çà et là, dans la chaîne du Liban, des couvents Maronites bâtis sur des abîmes. On pénètre dans les uns par de longues cavernes, dont on ferme l'entrée avec des quartiers de roche; on ne peut monter dans les autres qu'au moyen d'une corbeille suspen

1 Voyez la note 35, à la fin du volume.

due. Le fleuve saint sort du pied de la montagne; la forêt de cèdres noirs domine le tableau, et elle est elle-même surmontée par des croupes arrondies, que la neige drape de sa blancheur. Le miracle ne s'achève qu'au moment où l'on arrive au monastère : au dedans sont des vignes, des ruisseaux, des bocages; au dehors une nature horrible, et la terre qui se perd et s'enfuit avec ses fleuves, ses campagnes et ses mers dans de bleuâtres profondeurs. Nourris par la religion, entre la terre et le firmament, sur ces roches escarpées, c'est là que de pieux Solitaires prennent leur vol vers le ciel comme les aigles de la montagne.

Les cellules rondes et séparées des couvents égyptiens sont renfermées dans l'enceinte d'un mur qui les défend des Arabes. Du haut de la tour bâtie au milieu de ces couvents, on découvre des landes de sable, d'où s'élèvent les têtes grisâtres des Pyramides, ou des bornes qui marquent le chemin au voyageur. Quelquefois une caverne abyssinienne, des Bédouins vagabonds, passent dans le lointain à l'un des horizons de la mouvante étendue; quelquefois le souffle du midi noie la perspective dans une atmosphère de poudre. La lune éclaire un sol nu, où des brises muettes ne trouvent pas même un brin d'herbe pour en former une voix. Le désert sans arbres se montre de toutes parts sans ombre; ce n'est que dans les bâtiments du monastère qu'on retrouve quelques voiles de la nuit.

Sur l'isthme de Panama en Amérique, le cénobite peut contempler du faîte de son couvent les deux mers qui baignent les deux rives du Nouveau-Monde : l'une souvent agitée quand l'autre repose, et présentant aux méditations le double tableau du calme et de l'orage.

Les couvents situés dans les Andes voient s'aplanir au loin les flots de l'océan Pacifique. Un ciel transparent abaisse le cercle de ses horizons sur la terre et sur les mers, et semble enfermer l'édifice de la religion sous un globe de cristal. La fleur capucine, remplaçant le lierre religieux, borde de ses chiffres de pourpre les murs sacrés : le Lamaz traverse le torrent sur un pont flottant de lianes, et le Péruvien infortuné vient prier le Dieu de Las Casas.

Tout le monde a vu en Europe de vieilles abbayes cachées dans les bois, où elles ne se décèlent au voyageur que par leurs clochers perdus dans la cime des chênes. Les monuments ordinaires reçoivent leur grandeur des paysages qui les environnent; la reli

gion chrétienne embellit, au contraire, le théâtre où elle place ses autels et suspend ses saintes décorations. Nous avons parlé des couvents européens dans l'histoire de René, et retracé quelques-uns de leurs effets au milieu des scènes de la nature; pour achever de montrer au lecteur ces monuments, nous lui donnerons ici un morceau précieux que nous devons à l'amitié. L'auteur y a fait de si grands changements, que c'est, pour ainsi dire, un nouvel ouvrage. Ces beaux vers prouveront aux poëtes que leurs Muses gagneraient plus à rêver dans les cloîtres qu'à se faire l'écho de l'impiété.

LA CHARTREUSE DE PARIS

Vieux cloitre où de Bruno les disciples cachés
Renferment tous leurs vœux sur le ciel attachés;
Cloitre saint, ouvre-moi tes modestes portiques!
Laisse-moi m'égarer dans ces jardins rustiques
Où venait Catinat méditer quelquefois,
Heureux de fuir la cour, et d'oublier les rois.

J'ai trop connu Paris: mes légères pensées,
Dans son enceinte immense au hasard dispersées,
Veulent en vain rejoindre et lier tous les jours
Leur fil demi-formé, qui se brise toujours.
Seul, je viens recueillir mes vagues rêveries.
Fuyez, bruyants remparts, pompeuses Tuileries,
Louvre, dont le portique à mes yeux éblouis
Vante après cent hivers la grandeur de Louis!
Je préfère ces lieux où l'àme moins distraite,
Mėme au sein de Paris, peut goûter la retraite :
La retraite me plait, elle eut mes premiers vers.
Déjà, de feux moins vifs éclairant l'univers,
Septembre loin de nous s'enfuit, et décolore
Cet éclat dont l'année un moment brille encore
Il redouble la paix qui m'attache en ces lieux;
Son jour mélancolique, et si doux à nos yeux,
Son vert plus rembruni, son grave caractère,
Semblent se conformer au deuil du monastère.
Sous ces bois jaunissants j'aime à m'ensevelir;
Couché sur un gazon qui commence à pâlir,
Je jouis d'un air pur, de l'ombre et du silence.

Ces chars tumultueux où s'assied l'opulence,
Tous ces travaux, ce peuple à grands flots agité,
Ces sons confus qu'élève une vaste cité,
Des enfants de Bruno ne troublent point l'asile;
Le bruit les environne, et leur àme est tranquille

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