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abondance de larmes... Ces saintes poésies furent les occupations de saint Grégoire dans sa dernière retraite. Il y fait l'histoire de sa vie et de ses souffrances... Il prie, il enseigne, il explique les mystères, et donne des règles pour les mœurs... Il voulait donner à ceux qui aiment la poésie et la musique des sujets utiles pour se divertir, et ne pas laisser aux païens l'avantage de croire qu'ils fussent les seuls qui pussent réussir dans les belles-lettres 1. »

Enfin, celui qu'on appelait le dernier des Pères avant que Bossuet eût paru, saint Bernard, joint à beaucoup d'esprit une grande doctrine. Il réussit surtout à peindre les mœurs, et il avait reçu quelque chose du génie de Théophraste et de La Bruyère.

« L'orgueilleux, dit-il, a le verbe haut et le silence boudeur; il est dissolu dans la joie, furieux dans la tristesse, déshonnête au dedans, honnête au dehors; il est roide dans sa démarche, aigre dans ses réponses, toujours fort pour attaquer, toujours faible pour se défendre; il cède de mauvaise grâce, il importune pour obtenir; il ne fait pas ce qu'il peut et ce qu'il doit faire; mais il est prêt à faire ce qu'il ne doit pas et ce qu'il ne peut pas 2. »

N'oublions pas cette espèce de phénomène du treizième siècle, le livre de l'Imitation de Jésus-Christ. Comment un moine, renfermé dans son cloître, a-t-il trouvé cette mesure d'expression, a-t-il acquis cette fine connaissance de l'homme au milieu d'un siècle où les passions étaient grossières, et le goût plus grossier encore? Qui lui avait révélé, dans sa solitude, ces mystères du cœur et de l'éloquence? Un seul maître : Jésus-Christ.

CHAPITRE III

MASSILLON

Si nous franchissons maintenant plusieurs siècles, nous arriverons à des orateurs dont les seuls noms embarrassent beaucoup certaines gens; car ils sentent que des sophismes ne suffisent pas pour détruire l'autorité qu'emportent avec eux Bossuet, Fénelon, Massillon, Bourdaloue, Fléchier, Mascaron, l'abbé Poulle.

1 FLEURY, Hist. eccl., t. IV, liv. XIX, p. 557, chap. ix. De mor., lib. XXXIV; cap. xvi.

Il nous est dur de courir rapidement sur tant de richesses, et de ne pouvoir nous arrêter à chacun de ces orateurs. Mais comment choisir au milieu de ces trésors? comment citer au lecteur des choses qui lui soient inconnues? Ne grossirions-nous pas trop ces pages en les chargeant de ces illustres preuves de la beauté du christianisme? Nous n'emploierons donc pas toutes nos armes; nous n'abuserons pas de nos avantages, de peur de jeter, en pressant trop l'évidence, les ennemis du christianisme dans l'obstination, dernier refuge de l'esprit de sophisme poussé à bout.

Ainsi nous ne ferons paraître à l'appui de nos raisonnements ni Fénelon, si plein d'onction dans les méditations chrétiennes, ni Bourdaloue, force et victoire de la doctrine évangélique nous n'appellerons à notre secours ni les savantes compositions de Fléchier, ni la brillante imagination du dernier des orateurs chrétiens, l'abbé Poulle. O religion, quels ont été tes triomphes! qui pouvait douter de ta beauté, lorsque Fénelon et Bossuet occupaient tes chaires, lorsque Bourdaloue instruisait d'une voix grave un monarque alors heureux, à qui, dans ses revers, le ciel miséricordieux réservait le doux Massillon!

Non toutefois que l'évêque de Clermont n'ait en partage que la tendresse du génie; il sait aussi faire entendre des sons måles et vigoureux. Il nous semble qu'on a vanté trop exclusivement son Petit Carême : l'auteur y montre sans doute une grande connaissance du cœur humain, des vues fines sur les vices des cours, des moralités écrites avec une élégance qui ne bannit pas la simplicité; mais il y a certainement une éloquence plus pleine, un style plus hardi, des mouvements plus pathétiques et des pensées plus profondes dans quelques-uns de ses autres sermons, tels que ceux sur la mort, sur l'impénitence finale, sur le petit nombre des élus, sur la mort du pécheur, sur la nécessité d'un avenir, sur la passion de JésusChrist. Lisez, par exemple, cette peinture du pécheur mourant :

<«< Enfin, au milieu de ces tristes efforts, ses yeux se fixent, ses traits changent, son visage se défigure, sa bouche livide s'entr'ouvre d'elle-même, tout son esprit frémit; et, par ce dernier effort, son âme s'arrache avec regret de ce corps de boue, et se trouve seule au pied du tribunal de la pénitence 1. »

1 MASS. Avent, Mort du pécheur, prem. part.

A ce tableau de l'homme impie dans la mort, joignez celui des choses du monde dans le néant.

« Regardez le monde tel que vous l'avez vu dans vos premières années, et tel que vous le voyez aujourd'hui; une nouvelle cour a succédé à celle que vos premiers ans ont vue; de nouveaux personnages sont montés sur la scène, les grands rôles sont remplis par de nouveaux acteurs : ce sont de nouveaux événements, de nouvelles intrigues, de nouvelles passions, de nouveaux héros, dans la vertu comme dans le vice, qui sont le sujet des louanges, des dérisions, des censures publiques. Rien ne demeure, tout change, tout s'use, tout s'éteint: Dieu seul demeure toujours le même. Le torrent des siècles qui entraîne tous les siècles coule devant ses yeux, et il voit avec indignation de faibles mortels emportés par ce cours rapide l'insulter en passant. »

L'exemple de la vanité des choses humaines, tiré du siècle de Louis XIV, qui venait de finir (et cité peut-être devant des vieillards qui en avaient vu la gloire), est bien pathétique! Le mot qui termine la période semble être échappé à Bossuet, tant il est franc et sublime.

Nous donnerons encore un exemple de ce genre ferme d'éloquence qu'on paraît refuser à Massillon, en ne parlant que de son abondance et de sa douceur. Pour cette fois, nous prendrons un passage où l'orateur abandonne son style favori, c'est-à-dire le sentiment et les images, pour n'être qu'un simple argumentateur. Dans le sermon sur la Vérité d'un avenir, il presse ainsi l'incrédule: « Que dirai-je encore ? Si tout meurt avec nous, les soins du nom et de la postérité sont donc frivoles; l'honneur qu'on rend à la mémoire des hommes illustres une erreur puérile, puisqu'il est ridicule d'honorer ce qui n'est plus; la religion des tombeaux une illusion vulgaire ; les cendres de nos pères et de nos amis une vile poussière qu'il faut jeter au vent et qui n'appartient à personne; les dernières intentions des mourants, si sacrées parmi les peuples les plus barbares, le dernier son d'une machine qui se dissout; et, pour tout dire en un mot, si tout meurt avec nous, les lois sont donc une servitude insensée; les rois et les souverains des fantômes que la faiblesse des peuples a élevés; la justice une usurpation sur la liberté des hommes; la loi des mariages un vain scrupule; la pudeur un préjugé; l'honneur et la probité, des chimères; les incestes, les parricides, les perfidies noires, des jeux de la

GENIE DU CHRIST.

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en pèlerinage pour le soulagement de ses maux, il est évident que ces opinions ne sont que des relations touchantes entre quelques scènes naturelles, quelques dogmes sacrés et la misère de nos cœurs. Il suit de là que, plus un culte a de ces dévotions populaires, plus il est poétique, puisque la poésie se fonde sur les mouvements de l'âme et les accidents de la nature, rendus tout mystérieux par l'intervention des idées religieuses.

Il faudrait nous plaindre si, voulant tout soumettre aux règles de la raison, nous condamnions avec rigueur ces croyances qui aident au peuple à supporter les chagrins de la vie, et qui lui enseignent une morale que les meilleures lois ne lui apprendront jamais. Il est bon, il est beau, quoi qu'on en dise, que toutes nos actions soient pleines de Dieu, et que nous soyons sans cesse environnés de ses miracles.

Le peuple est bien plus sage que les philosophes. Chaque fontaine, chaque croix dans un chemin, chaque soupir du vent de la nuit, porte avec lui un prodige. Pour l'homme de foi, la nature est une constante merveille. Souffre-t-il, il prie sa petite image, et il est soulagé. A-t-il besoin de revoir un parent, un ami, il fait un vou, prend le bâton et le bourdon du pèlerin; il franchit les Alpes ou les Pyrénées, visite Notre-Dame de Lorette ou SaintJacques en Galice; il se prosterne, il prie le saint de lui rendre un fils (pauvre matelot peut-être errant sur les mers), de sauver une épouse, de prolonger les jours d'un père. Son cœur se trouve allégé. Il part pour retourner à sa chaumière : chargé de coquillages, il fait retentir les hameaux du son de sa conque, et chante, dans une complainte naïve, la bonté de Marie, mère de Dieu. Chacun veut avoir quelque chose qui ait appartenu au pèlerin. Que de maux guéris par un seul ruban consacré ! Le pèlerin arrive à son village la première personne qui vient au-devaut de lui, c'est sa femme relevée de couches, c'est son fils retrouvé, c'est son père rajeuni.

Heureux, trois et quatre fois heureux ceux qui croient! Ils ne peuvent sourire sans compter qu'ils souriront toujours; ils ne peuvent pleurer sans penser qu'ils touchent à la fin de leurs larmes. Leurs pleurs ne sont point perdus la religion les reçoit dans son urne, et les présente à l'Éternel.

Les pas du vrai croyant ne sont jamais solitaires; un bon ange veille à ses côtés, il lui donne des conseils dans ses songes, il le

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